Olivia se laisse guider sur le piste, observant les gens autour d’eux. Le niveau des danseurs était variable, elle se souciait donc moins d’avoir l’air ridicule. Elle cherchait aussi Victoria du regard, mais sa conquête n’était pas pourvue des mêmes tatouages reconnaissables qu’elle et le seul signe distinctif qu’elle lui connaissait serait caché si sa tenue recouvrait son dos.
Un instant, Ollie se demanda à quoi ressemblait désormais la cicatrice, si elle avait été capable de faire un travail propre et sans bavure, ou si elle s’était complètement plantée et avoir décoré son omoplate d’un trait barré façon Créature du Docteur Frankenstein… Elle espérait réellement que ce ne soit pas le cas, sinon une nouvelle rencontre avec sa patiente risquait fort de ne pas être une expérience agréable.

Elle leva les yeux pour le regarder alors qu’il proposait un déroulé pour la suite de la soirée et elle accepta, tout en haussant les épaules :

- Je ne suis pas certaine que je serai capable de la retrouver, tout le monde porte un de ces fichus masques, et je n’ai pas encore les compétences nécessaires pour reconnaître un visage simplement en observant l’os maxillaire…

Elle n’était pas certaine du succès de cette blague qui aurait eu de l’effet en faculté de médecine mais qui lui sembla soudain incompréhensible et très peu qualitative.

Cela étant dit, elle se replongea dans l’observation de la foule autour d’eux et pu sentir Tullio se raidir l’espace de quelques secondes. Immédiatement, une infinité de théories fusèrent dans sa boîte crânienne concernant ce soudain accès de mauvais humeur, fugace mais bien réel. Et elle savait aussi qu’il lui suffisait de lui demander de pour avoir une réponse s’il était disposé à lui en parler. Alors elle chercha à nouveau son regard et se lança, sans savoir comment il allait réagir :

- Tout va bien ? Tu as l’air… énervé ? Ne m’en parle pas si tu ne veux pas, mais je suis une plutôt bonne oreille…

Olivia n’avait aucune idée de ce qu’il voyait qui puisse déclencher ces sentiments chez lui, et c’était probablement mieux comme ça : elle débarquait ici, ne connaissait personne et n’avait pas vraiment envie de mettre le pieds dans les problèmes aussi rapidement – si seulement elle savait le lien unissant Tullio et Victoria, elle se serait enfuie en courant. Mais à l’heure actuelle, elle était dans l’ignorance, se contentant d’observer ses yeux perdus derrière lesquels des nuages sombres semblaient s’agiter et son front qui était un peu plissé, marqué par la contrariété

Tullio a pouffé à la blague, même s'il ne sait pas exactement ce qu'est l'os maxillaire, puis il fait la moue quand sa cavalière lui demande si tout va bien, une fois que leurs regards se sont accrochés.

"C'est… un peu compliqué."

Commence-t-il par répondre, du bout des lèvres, parce qu'il n'est pas certain d'avoir envie de raconter sa vie à une inconnue. Sauf qu'Ollie est plutôt sympathique, et que l'alcool a plutôt tendance à le faire parler.

"Il y a plusieurs mois, il y a eu des rumeurs comme quoi une fille que j'aime bien et un type se roulaient des pelles pendant une mission où on était beaucoup. J'étais, genre, vraiment jaloux. Et c'est pas bien. Et j'travaille dessus. Mais bref, elle a démenti. Et là, il y a pas longtemps, ils ont passé 3 semaines en mission ensemble. Et j'viens de les voir danser. Alors qu'il était pas supposé être intéressé par elle."

Tullio gronde doucement, et laisse sa tête retomber en arrière un bref instant, parce que ça l'exaspère.

"Bref, c'est pas grand-chose, et c'est juste moi qui suis nul, parce qu'il faut pas être jaloux."

Résume-t-il, quand il repose ses yeux sur sa cavalière.

"Je pourrais t'aider à la trouver. Je suis barman, je connais un peu des gens. Et les gens que je connais connaissent d'autres gens. Donc, on devrait s'en sortir. Elle s'appelle comment?"

Offre le consultant avec un sourire, pour changer de sujet.

"Oh, je sais!"

S'exclame-t-il alors que son sourire s'étire soudainement, tandis que la solution à tout ses problèmes semble se profiler juste sous ses yeux.

"On va demander à Toria. Comme ça, elle arrêtera de danser avec Cy, parce que merde, il l'a eue trois semaines pour lui, ils peuvent bien se décoller un peu, et en plus elle connaît tout le monde. On trouve facilement ta chevalière, et je récupère la fille que j'aime. Tout bénef'."

Ollie écouta attentivement les explications qu’il lui donna, presque étonnée qu’il le fasse. Si elle avait du se contenter de la discussions qu’ils avaient eue plus tôt sur le pont, elle n’aurait jamais cru qu’il puisse se livrer ainsi, d’autant plus que le sujet de ses tourments était extrêmement personnel. Et complexe. Elle se mordit la lèvre, cogitant, cherchant des pistes, des débuts de solution. Puis elle releva les yeux vers lui, voyant l’exaspération sur ses traits, puis une sorte de résignation coupable.

- On a le droit d’être jaloux, tant que c’est pas excessif. Je suppose que tu lui as déjà dit clairement que tu tenais à elle ? Parce que sinon, elle ne peut pas le deviner toute seule…

Et alors qu’elle disait ça, elle savait qu’elle se mentait à elle-même : Olivia avait elle seulement pris la peine de dire à Victoria qu’elle peuplait ses nuits ? Avait-elle tenté de la recontacter depuis qu’elle était miraculeusement apparue sur son palier, blessée, en ayant besoin de soin ? Non. Elle agissait comme si la belle italienne n’avait aucune place, aucune importance, et ça ne pouvait clairement pas l’aider à la conquérir si telle était sa volonté…

C’est bien beau de donner des conseils que tu es incapable d’appliquer, hypocrite !

Elle attendait cependant des réponses à ses questions quand Tullio décida de changer de sujet et de l’aider à retrouver sa potentielle conquête de la soirée. Il proposa de poser la question à une certaine Toria, ce qui lui permettrait de la décoller de son rival, et elle accepta joyeusement, se retournant alors qu’il interpellait son amie. Et elle se figea instantanément…

Elle venait de se faire un ami, ou du moins un allié dans ce nouveau monde, et elle avait réussi à tout fiche en l’air sans même le vouloir. Pourquoi diable fallait-il que la première personne sympa qu’elle rencontre soit amoureux de cette femme, et maladivement jaloux de ses concurrents ? Car cette fameuse Toria, c’était bien Victoria. Elle était masquée, et elle portait des vêtements que la jeune femme ne lui avait jamais vus, mais c’était elle, elle en mettrait sa main au feu. Elle avait les mêmes cheveux bouclés, la même peau couverte de tâches de rousseurs, il se dégageait d’elle la même énergie séductrice. C’était elle, la chevalière italienne, et là, tout de suite, Olivia n’avait qu’une envie : disparaître, devenir invisible, s’enfuir en courant… Elle n’était aucunement impatiente de voir les envies de meurtre dans les pupilles de Tullio quand il comprendrait qu’elles avaient couché ensemble.

Absolument aucune.

Tu es dans la merde.

"Mmh."

Répond simplement Tullio, quand sa cavalière l'interroge, parce que ça serait beaucoup trop compliqué à expliquer. S'il veut répondre, il devra lui expliquer que Toria sait, mais que ça ne change pas grand-chose, parce qu'elle n'aime pas les relations classiques, parce qu'il n'est pas persuadé qu'elle puisse se contenter d'une seule personne à la fois et que ça serait beaucoup, beaucoup trop de détails trop personnels. Et autant l'alcool le poussait à parler de lui, autant il n'était pas assez stupide que pour balancer la vie personnelle de sa colocataire à une inconnue.

Ollie semble vraiment heureuse de sa proposition, et il ne peut pas s'empêcher de lui sourire alors qu'il continue de la faire tournoyer jusqu'à la fin de la chanson, en s'efforçant de ne pas lever les yeux de la jeune femme qui se trouve devant lui.

Quand la chanson s'achève, il lui suffit de lever les yeux pour retrouver la chevalière.

"Toria!"

Appelle-t-il, peut-être un peu fort compte tenu du fait que la musique suivante n'a pas débuter, mais il veut être certain d'être entendu par-dessus le bruit produit par la foule. Il lève le bras, aussi, alors qu'il a encore une main sur la taille d'Ollie.

Tullio ne se rend compte du trouble de sa cavalière que lorsqu'il se tourne à nouveau vers elle, pour lui redemander le nom de la chevalière qu'elle connaît, et la voir figée comme ça lui fait froncer les sourcils.

"Ça va Ollie?"

Demande-t-il doucement, un peu inquiet, et cette fois-ci il ose utiliser le surnom qu'elle lui a donné un peu plus tôt parce qu'après tout il lui a servi un verre, l'a faite danser, et s'apprête à l'aider à retrouver une femme dont il ne sait rien. Tout ça doit bien le classer dans la catégorie des gens agréables, non?

. . .

La voix de Tullio parvient à ses oreilles et elle tourne à peine la joue dans sa direction avant de revenir une dernière fois vers Cy pour embrasser sa joue et lui souffler un au revoir au terme de leur intéressante conversation. Ainsi, elle quitte ses bras à regret, parce qu’il avait été, finalement, sa pause autant qu’elle avait été la sienne, et parce qu’elle devine déjà comment Tullio a pu interpréter leur petite mascarade trop pleine de murmures tendres et de baisers papillon. Elle aurait beau le rassurer, encore, que ce n’était pas comme ça – peu importe ce à quoi ça ressemble pour lui – elle ne pouvait pas non plus mentir et dire que ce n’était rien.

Dans tous les cas, elle sait déjà qu’il ne serait pas rassuré, alors elle chasse vite la douceur qui alourdit encore ses paupières et elle s’arme d’un sourire amusé, satisfait, comme celui qu’elle présente souvent après s’être bien moquée de quelqu’un.  

Elle cherche le bleu des cheveux du Tullio dans la foule, seulement pour trouver celui niellé dans la peau d’Ollie, ses tatouages bien visibles dans l’ouverture de sa robe qu’ils accentuent mieux que n’importe quels bijoux. Complètement déroutée par la vision inattendue de son amante, son itinéraire aurait certainement changé pour aller directement vers elle si Tullio n’avait pas justement été en sa compagnie.  Ainsi, son sourire moqueur, sans disparaître, change, s’ouvrant pour dévoiler à la fois sa perplexité et ses dents blanches.   Au passage, elle se surprend aussi à penser qu’ils sont assez bien assortis, ces deux-là, avec leurs cheveux colorés, Ollie en argenté et Tullio dans ce bleu qui s’agençait bien avec les lignes les plus foncées des marquages de l’autre.

-Qu’est-ce qui se passe ici ? Demande-t-elle à son meilleur ami, relativement troublée, en questionnant la présence d’Ollie plutôt que son appel initial… Ce qu’il ne devinerait pas forcément à moins de remarquer le regard insistant et chaud qu’elle pose sur l’autre femme ; ses prunelles brûlantes, dans lesquelles se dilatent rapidement ses pupilles, sont indiscrètes, caressant la forme de ses épaules et suivant les courbes des dessins tracés sur sa peau, jusqu’à glisser dans l’encolure sombre où ils se perdent.  

- Ta robe te va à ravir, Ollie, termine-t-elle, un sourire dans les yeux et dans la voix, puis une main sur sa hanche alors qu'elle vient lui faire la bise.  

Ollie ne put faire autrement que de se figer en voyant Victoria s’approcher du duo étrange formé par un colocataire jaloux à l’excès et une amante trop reconnaissable. Elle vit l’étonnement passer sur son visage, comme complémentaire à la crainte qu’elle-même ressentait et elle pouvait sentir la caresse de ses yeux qui parcouraient le moindre espace nu de sa peau, en admirant les ornements et se perdant dans les vallons qui s’enfonçaient dans les plis du tissus. Cette robe, qu’elle avait justement choisie dans le but de la séduire à nouveau lui semblait désormais tellement inconfortable : elle aurait aimé porter bien plus de tissus, couvrir le moindre centimètre carré de sa peau et, surtout, ne pas porter ces hauts talons si douloureux dans l’éventualité de pouvoir fuir cette situation plus que gênante le plus vite possible. Elle aurait aimé se faire toute petite, muter, prendre la taille d’une souris, d’une fourmi, d’une mouche et disparaître.

Quand la main de Toria toucha sa hanche à travers le tissus fin, quand ses lèvres se posèrent sur sa joue, elle pensa être comme propulsée dans une autre dimension, assaillie par des souvenirs tous plus agréables les uns que les autres, mais Olivia savait parfaitement qu’elle pouvait perdre pieds si elle se laissait prendre au jeu de ces regards de séduction, chose qui ne pouvait arriver. Elle se voyait nue sous les prunelles de l’italienne, et cette vision déclenchait en elle les mêmes sentiments qu’à chacune de leurs rencontres, sorte de fièvre mélangée de désir, d’appréhension et peut-être un peu de colère : fallait-il toujours que leurs rencontres soient fortuites, hasardeuses et pleines de ces incertitudes qui rendent les interactions si compliquées. Fallait-il en plus que celle-ci aie lieu à cet instant précis, juste à côté de Tullio et si immédiatement après les confidences qu’il lui avait faites ?
Pourquoi Ollie trouvait-elle toujours le moyen de se compliquer la vie ?!

Mais pour l’instant, elle n’avait pas le loisir de s’appesantir. Elle allait devoir se sortir de cette situation infernale toute seule, comme une grande, en tentant de créer le moins de remous possibles au sein des autres parties. Et ça n’allait définitivement pas être chose aisée, d’autant plus que le jeune homme à côté d’elle commençait doucement à comprendre ce qu’il se passait sous ses yeux.

- Bonjour Victoria. J’ai cru comprendre que ce charmant jeune homme est ton colocataire ? Tu en as de la chance, il est vraiment très gentil !

Elle adressa un large sourire à Tullio, le suppliant du regard de ne pas la tuer tout de suite et reporta son attention sur l’italienne, en tentant de faire abstraction à la robe bleu nuit qui moulait son corps, le mettait en valeur, en soulignait les formes et ne demandait qu’à être enlevée. Elle tenta de se concentrer sur ses yeux, mais ils la perturbaient trop, plongeaient en elle comme dans un livre ouvert, la déstabilisant. Ou qu’elle pose son regard, elle se sentait prise dans ce même étourdissement, alors elle préféra regarder Tullio, dans l’espoir qu’il fasse montre de calme et qu’il se décide à ne pas la tuer sur place.

Tullio remarque, évidemment, le trouble de Toria quand elle lui demande ce qu'il se passe ici. Il remarque aussi le regard qui parcours sa cavalière, depuis les épaules jusqu'au décolleté qu'il ignore de son mieux depuis qu'il s'est retrouvé face à elle. Il remarque, bien sûr, la main sur la hanche, et la réaction qui va avec.

Alors quand Ollie lui adresse un grand sourire accompagné d'un regard qui lui semblait plein de détresse, il n'a plus vraiment de doutes.

Dans toute cette foule, il a réussi à tomber sur une amante de sa colocataire.

"On a fait connaissance sur le pont extérieur." Répond enfin le consultant, une fois les salutations terminées, "Et comme elle m'a confié ne connaître qu'une seule personne ici, je pensais te demander de l'aide pour la retrouver mais du coup j'imagine que c'est fait?"

La question est purement rhétorique, parce qu'il ne croit pas au fait que la nouvelle recrue puisse soudain avoir deux connaissances sur le bateau, et il commence à vraiment, vraiment regretter d'être monté sur ce foutu bateau.

"Vous vous êtes rencontrées comment?"

Demande Tullio, pour faire la conversation, même s'il n'a pas réellement envie de savoir. Ce sera plus facile de faire comme si tout allait bien si elles parlent et, avec un peu de chance, elles se mettraient à discuter entre elles et il pourrait s'esquiver.

Tout ce qu'il espère, pour l'instant, c'est que Toria ne remarque pas qu'il est jaloux, encore, parce que même en déployant des efforts considérables pour essayer de ne pas l'être ça commence à faire beaucoup pour une seule soirée.

D'abord Xander qui disparaît sans qu'il ait pu ne serais-ce que lui dire bonjour, puis Moira, puis le malaise avec Olivia, suivi par Cy et Toria qui roucoulent et maintenant ça?
Il allait finir par rentrer à la nage.

L’antithèse entre l’embarras et l’émoi fiévreux d’Ollie se dessine sous le regard curieux d’une Victoria qui décide sciemment de se concentrer sur la deuxième partie ; elle glisse donc sa main contre la mousseline noire qui se fronce sur sa hanche en volutes éthérées, douces comme des replis intimes et satinés qu’elle serre entre ses doigts avec un ardeur discrète. Le désir facile est aussi palpable que le tissu léger sous ses phalanges, aussi visible que l’effort qu’Ollie avait fait dans son choix de tenu, et le tout amuse et flatte Victoria, l’enivre et l’amène à sourire tendrement quand elle se dit que, finalement, cette soirée à priori ennuyante finirait après tout par être très intéressante.  

Immanquablement, l’inconfort de l’autre femme arrive toutefois à s’immiscer dans les mécanismes de sa logique, et son sens, à s’imposer dans son esprit qui ne peut plus l’ignorer plus longtemps. C’est avec difficulté et langueur que ses yeux s’arrachent enfin de sur elle afin de se poser sur Tullio. Au passage, elle se demande avec une curiosité détachée ce qu’ils avaient pu se dire avant de se tordre dans le nœud de ce jeu de circonstance. En soi, Victoria n’avait rien à cacher, mais… Quelque part, elle s’inquiète évidemment pour Tullio quand elle observe dans sa façade une douleur qu’elle lui connaissait déjà trop bien : son cœur se brisait, encore un peu plus.

- Oui, je t’ai bien dit que je n’avais pas regretté d’avoir déménagé à l’autre bout du monde avec lui, rappelle-t-elle, en référence à leur première longue conversation, bouche tournée vers Ollie, yeux rivés vers Tullio.  

Son ami est toujours impassible, mais le sommet de sa nonchalance siège à des lieux du gouffre qu’elle sent se creuser à toute allure. Elle sait, bien sûr, à quel point il serait facile de le faire tomber dedans, et à quel point la chute serait brutale. Ainsi, dans le miroir de son masque argenté, Victoria voit ses propres lèvres se presser dans un bref pincement qu’elle transforme ensuite en sourire empathique.

- Pendant une de mes missions en Angleterre, lui explique-t-elle vaguement, avant d’ajouter, comme on raconte une vieille histoire drôle, c’est elle qui m’a suturée d’urgence quand ma blessure s’est rouverte, tout en cambrant l’épaule pour exposer la marque que Tullio avait déjà pu voir en vivant avec elle. La lésion guérissait bien et se fondrait probablement un jour dans le chaos de marques et de taches de rousseur qui constellait l’ensemble de son épiderme, mais aujourd’hui, elle lui rayait le dos comme une bretelle pâle sous une couche minimale de maquillage neutre.  

- Je ne savais pas qu’elle serait ici aujourd’hui, cependant, termine-t-elle en jetant sur elle un sourcillement entendu, presque moqueur.

Tout en sachant que Tullio avait probablement pu le deviner, Victoria opte de rester évasive quant à sa relation avec Ollie, de la même façon qu’elle opte de ne pas évoquer ce qu’il n’avait sans doute pas manqué de son échange avec Cy… Ils y reviendraient plus tard, s’il voulait en parler. Pour l’instant, malgré son immobilité, il semblait plutôt vouloir s’enfuir.

- … As-tu vu ta sœur, au passage ? Je l’ai complètement perdue de vue depuis le discours du capitaine, offre-t-elle en guise d'échappatoire, même si elle avait, dans les faits, pu voir l'éclat jaune de sa jolie robe pendant sa danse avec le blond.  

Ollie avait la désagréable sensation d’être prise dans un conflit silencieux qui ne la concernait pas réellement. Elle pouvait sentir une tension sous-jacente, l’air était plein de non-dits que les trois parties connaissaient mais ne voulaient pas exprimer à voix haute. Le visage de Victoria ne trahissait aucune gêne, au contraire de Tullio qui semblait pris dans une lutte intérieure douloureuse et complexe.

La jeune femme arborait un sourire forcé, empli de malaise.

- J’ai été invitée par l’Ordre et je me suis décidée à la dernière minute. Comme je disais à Tullio, c’est réellement un bel endroit.

Elle regardait Victoria en lui répondant, tentant malgré tout d’avoir l’air aussi normal que possible.

- Je pourrais même envisager de m’installer ici définitivement, si je trouve un moyen de passer mon diplôme à distance. Je pense que je me plairais bien, c’est paradisiaque comme endroit !

La possibilité de voir la belle italienne plus souvent la faisait frémir, la certitude de voir cette histoire à peine naissante perturbée par la présence de Tullio lui dressait l’échine. Ollie était quelqu’un de profondément gentil, cette situation impossible était donc un dilemme pour elle : soit elle cessait toutes rencontres futures avec Vic’ pour sauvegarder une amitié possible avec Tullio, soit elle continuait de voir son amante et cela compliquerait grandement les liens avec l’homme aux cheveux bleus. Elle ne savait pas quoi faire, alors elle fit comme on le lui avait toujours appris : elle se mit à parler de la pluie et du beau temps, sorte de diversion pratique mise à disposition par la bienséance.

- Oh, je ne savais pas que tu avais une sœur ? Elle est chevalière ou consultante ?

Olivia n’en avait rien à fiche, bien que sa voix enjouée indiquait le contraire. Elle voulait soit s’enfuir à toutes jambes et les laisser régler leurs histoire entre eux, soit voir la jalousie de Tullio s’évanouir et se retrouver seule avec Victoria sans avoir à se préoccuper des conséquences. Dieu, qu’elle aurait aimé de pouvoir s’isoler avec la chevalière, loin des regards, de la rumeur de la foule, de cette piste de danse désormais inconfortable, se cacher de la face du monde, quelque part sur ce bateau, et profiter de la revoir après ces plusieurs mois passés sans nouvelles.
Encore une fois, Victoria était arrivée dans sa vie et avait disparu après des instants de félicité pure. Comme à chaque fois, en fait. Victoria n’était rien d’autre qu’une ombre dans sa vie, une espèce de fantôme, presque intangible, presque une rêverie puisqu’elle ne la voyait jamais. A cette pensée, la future médecin se sentit compatissante envers Tullio qui, lui, devait supporter le supplice de la voir tous les jours, sans jamais pouvoir obtenir d’elle ce qu’il souhaitait réellement…

Elle avait envie de lui faire un câlin, mais, bien évidemment, elle s’abstiendrait.

"Oh. C'est du beau boulot que tu as fait, merci de l'avoir rafistolée."

Offre-t-il à Ollie, quand Toria lui explique les circonstances de leur rencontre. Il a beau détester la situation dans laquelle il se trouve, parce que même un autre soir ça n'aurait pas été facile et qu'à cet instant ça l'est encore moins, il refuse de nier le fait que, jusque là, ils s'entendaient bien. S'il n'avait pas été aussi évident aussi rapidement que les deux femmes étaient amantes, et si ça n'avait pas été ajouté à une soirée déjà bien moisie, ils auraient sans doute pu devenir réellement ami.
Ce n'est probablement pas trop tard, s'il se répète assez qu'il n'a aucune raison d'être jaloux, et que c'est encore moins le cas qu'avant d'ailleurs.
Mais pas ce soir.
Ce soir, faire remarquer que la cicatrice est jolie est bien suffisant, parce que le fait qu'Ollie rappelle qu'elle envisage de s'installer définitivement à Old Fyre n'aide pas à apaiser la tension dans ses épaules. Et dire qu'il a essayé de la convaincre de donner une chance à l'île. S'il avait su... il n'aurait quand même pas été jusqu'à essayer de la dissuader, en fait. Il aurait peut-être juste un peu moins insisté.

"Non, je ne l'ai pas vue."

Répond doucement Tullio, quand sa colocataire l'interroge sur Elana, avant que la question de la demoiselle aux cheveux blancs ne le fasse sourire.

"Ni l'un ni l'autre, elle est encore jeune. Mais la connaissant je ne serais pas surpris qu'elle finisse chevalière."

Admet-t-il, parce que sa sœur est une distraction bienvenue. Cependant, il ne sait pas trop quoi dire de plus à ce sujet, d'autant qu'il ignore si ce qu'il se passe entre les deux jeunes femmes est sérieux ou si Ollie est vouée à faire partie d'une liste d'ex qu'il suppose longue.

"Et toi, tu…"

As des frères et sœurs?" aurait dû être la fin de sa phrase, mais le consultant s'interrompt en sentant son téléphone vibrer dans sa poche. Un SMS? Qui pouvait bien lui envoyer un message maintenant?

"Pardon, c'est peut-être Elana justement."

S'excuse-t-il, les sourcils froncés, en sortant son smartphone pour vérifier le message. Il a beau savoir que ce n'est pas poli au milieu d'une discussion, comme il ne peut pas s'agir d'une photo de Spike et que personne ne lui envoie vraiment de messages, il suppose que ça doit être important.
Oh.
Ooooh.
Tullio doit se mordre l'intérieur des joues pour ne pas sourire alors que son écran affiche une photo de Xander, la chemise un peu trop ouverte pour que ce soit complètement innocent, sous laquelle le chevalier déclare se trouver dans un canot de sauvetage et s'ennuyer.

"C'est un pote."

Déclare-t-il en verrouillant son téléphone, avant de l'agiter en l'air un instant alors qu'il poursuit.

"Je crois qu'il a trop bu, je vais voir comment il se sent. Je voudrais pas qu'il passe par-dessus bord parce qu'il avait personne pour garder un œil sur lui. Profitez bien de votre soirée."

Leur adresse-t-il, à toutes les deux, avec un sourire qui n'atteint pas tout à fait ses yeux parce que ça a beau être la vérité, ça n'est pas non plus complètement honnête. Et il est un peu trop soulagé d'avoir une excuse pour s'enfuir. Rangeant son mobile au fond de sa poche, il recule d'un pas et leur fait un léger signe de la main avant de se détourner et de s'éloigner, navigant dans la foule pour se diriger vers l'extérieur.
Il respire un peu mieux dès qu'il a quitté les environs de la piste de danse et pour ça, il s'en veut. Mais entre Moira, Thorne et maintenant Ollie ça fait beaucoup pour une soirée. Trop pour lui.

Au moins maintenant il sait où se trouve Xander et lui aussi va pouvoir commencer à passer un moment agréable sur ce foutu bateau, la deuxième photo -reçue au moment où une bourrasque d'air frais lui signale que ça y est, il est sur le pont extérieur- le lui confirme.
Plus qu'à trouver le bon canot.

Son sourire est un bouclier pour réverbérer les balles perdues de leur malaise futile. La partie d’elle qui perçoit et comprend leur inconfort commun refuse, dans tous les cas, de le ressentir et elle le chasse en expirant doucement, espérant que son propre confort se prouve assez contagieux pour leur être insufflé et pour diffuser la situation.

Par ailleurs, son rire s’infuse chaudement quand Ollie parle de s’installer à Old Fyre tandis qu'elle repose sur elle un regard aiguisé.

- Je t’avais bien dit que les accommodements de l’Ordre valaient le coup.

Sa voix est ronronnante et mielleuse, se voulant un baume sur une référence peut-être un peu piquante en lien avec cette conversation désagréable qu’elles avaient eue quelques mois auparavant. De sous ces cils, ses yeux dorés coulent sur le bleu de ses formes, parcourant onctueusement l’étendue des changements que ce déménagement pourrait entrainer dans leur relation… À l’angle de ses joues, un sourire carnassier grimpe et sur ses dents exposées brille le postulat tacite d’une intimité vivace ayant de potentiel de fleurir comme les dessins tracés de mémoire, du bout des doigts, sur sa hanche habillée.

- C’est une question de quand et non de si, confirme-t-elle allègrement au sujet de l’avenir d’Elana, digne héritière de sa lignée d’adoption.

Tullio vibre mieux que son téléphone et les yeux curieux de Victoria aperçoivent, en angle sur l’écran lumineux, l’éclat de cheveux argentés et d’une peau pale qui font se courber ses sourcils autant que ses lèvres.  

- Passe-lui le bonjour de ma part… Et ,surtout, profites-en bien toi aussi.

Un sourire émoustillé accompagne le départ de Tullio et, sans lâcher son ami des yeux jusqu’à le voir disparaitre sur le pont, elle murmure à Ollie :

- Ne t’en fais pas pour lui, entre ses mots, son gloussement est suggestif, mon demi-frère saura lui changer les idées.

Aventureuses comme ses sous-entendus, ses mains viennent enfin encadrer son bassin qu’elle presse contre son ventre. Menton levé, elle sent l’appel de ses lèvres, mais elle se contente de l’embrasser des yeux afin de ne pas gâcher l’entente qu’elle avait, peu avant, conclue avec Cy. Elles dansent ainsi le temps d’une chanson, peut-être deux, avant que l’Italienne ne souffle contre son cou l’idée de mettre à l’épreuve les mesures établies pour interdire l’accès aux cabines privées.

Après un verre qu’elle propose d’aller chercher... Sans savoir quels détours l'attendent.

. . .

Tullio trouva un moyen de s’échapper qui semblait le combler au plus haut point, et elle ne put retenir un sourire quand Victoria lui glissa discrètement la raison de ce départ, bien que cet enchevêtrement de relations intimes lui fît penser à un mauvais soap opéra : Tullio, amoureux fou d’une colocataire toujours en train de papillonner et qui se changeait les idées en couchant avec le demi-frère de cette fille… Qui n’avait pas couché avec qui sur cette île ?! Cette idée la mettait un peu mal à l’aise, mais elle tenta d’en faire abstraction, d’autant plus que la belle italienne venait de coller son bassin au sien, l’entourant de ses mains, traçants des cercles invisibles sur sa peau à travers l’étoffe vaporeuse de sa robe. Ollie frissonnait à ce contact, tressaillement délicieux, enivrant. Elles se regardaient toutes les deux, pupilles dilatées par l’impatience et le désir, et dansèrent comme ça, presque fondues l’une dans l’autre, le temps d’un ou deux morceaux. Ollie rompit le contact visuel pour caler sa tête contre l’épaule de sa cavalière, caressant sa cicatrice du bout des doigts.

Victoria profita de la proximité de son oreille pour lui proposer une balade sans la moindre once d’innocence du côté des cabines privées, dont l’accès n’était autorisé sous aucun prétexte. Après être allées se chercher un verre, évidemment. L’excitation causée par une telle proposition remonta son échine, et elle ne put retenir un sourire comme unique réponse. Un sourire plein d’envie, de promesses, d’impatience. Elle prit la main de Vic’ dans la sienne, un court instant, puis la lâcha afin qu'elle puisse aller leur chercher à boire.

Cette vague de désir, la hâte de ce qui allait se passer était contrebalancée par cette minuscule boule d’angoisse qui ne voulait visiblement pas se déloger de son ventre : Toria était une coureuse, elle accumulait les conquêtes qui ne duraient jamais longtemps, menait plusieurs relations en parallèle, voyageait, disparaissait parfois de longs mois pour le boulot… Si Ollie choisissait effectivement de déménager ici, qu’allait devenir sa vie ? Elle se refusait à attendre de recevoir de ses nouvelles, à se languir de son retour, à ne profiter que de quelques moments, ou encore à la partager. Mais elle ne voulait pas non plus cesser de profiter de ces instants de félicité par peur ou par frustration, alors la jeune femme tenta de faire abstraction et se concentra sur ce qu’il se passait ici et maintenant. Son regard caressa les courbes de Victoria, magnifiquement mises en valeur dans la robe moulant son buste et ses hanches avant de s'évaser. Cette femme était sublime, et elle n'avait qu'une envie : s'éclipser avec elle pendant de longues heures.