Ollie avait reçu une invitation de la part de l’Ordre. La grosse enveloppe en papier de grande qualité avait attiré son attention et aiguisé sa curiosité, elle s’était donc empressée de l’ouvrir et avait surprise de découvrir des billets d’avions ainsi que le descriptif de l’événement auquel elle était conviée. Excitée comme une puce à l’idée de découvrir le Quartier Général et aussi de revoir Victoria, elle avait choisi avec soin sa robe de soirée ainsi que le masque qui l’accompagnerait. Elle se devait d’être sublime, ne fut-ce que pour rendre l’italienne dingue dans le cas où elle terminerait sa soirée avec quelqu’un d’autre.

Leur dernière rencontre avait été plus qu’étrange, très intéressante ceci dit, mais le silence radio régnait entre les deux femmes depuis. Ollie appréciait réellement Victoria, mais elle n’appréciait pas du tout qu’elle se contente de faire des apparitions dans sa vie tous les mois, dévastant tout sur son passage avant de disparaître à nouveau. Elle n’était pas un agréable passe-temps pour quelques superflics, elle était une personne avec des sentiments et des attentes.

Déterminée à ne plus se laisser faire, elle avait trouvé une excuse pour manquer ses cours à l’Université et s’était rendue à la soirée. Elle devait bien avouer que le Quartier Général n’était pas du tout comme elle s’y attendait : loin de l’immeuble de bureaux terne et grisonnant, elle avait posé le pied sur une île tropicale ensoleillée et luxuriante, où étaient disséminées des habitations de fonctions qui donnaient l’impression d’être dans le Club Med de quelque région paradisiaque. Bali, ou quelque chose dans ce genre-là.

L’émerveillement contenu, elle alla se préparer dans la chambre qu’on lui avait attribuée, prenant soin de défroisser la petite merveille soigneusement rangée dans du papier de soie et de vérifier qu'elle n’avait pas souffert du voyage. Satisfaite et en avance, elle décida de faire une sieste histoire d’être complètement reposée et d’attaque pour l’événement qui l’attendait.




Merde, merde, merde, merde !

Ollie n’avait pas entendu le réveil sonner et elle était désormais très, très en retard. En quatrième vitesse, elle passa dans la salle de bain et opta pour un maquillage très léger, un peu d’anticerne et de correcteur, un trait d’eye-liner et une pointe de mascara ferait l’affaire. Elle appliqua un rouge à lèvre carmin et entreprit d’attacher ses cheveux en un chignon désordonné, s’appliquant du mieux qu’elle le pouvait, puis elle se glissa dans sa robe. La mousseline de soie, légère et vaporeuse, glissa sur sa peau avec une douceur si particulière qu’elle la fit frissonner. Elle s’empressa de chausser ses sandales à talon aiguilles et sortit de sa chambre comme une furie, pochette sous le bras et carton d’invitation en main.

Courir sur des stilettos de douze centimètres ne faisait pas partie de ses passe-temps favoris mais elle n’avait pas le choix si elle ne voulait pas manquer le départ du ferry. Haletante et épuisée, elle mit le pied à bord du bateau quelques secondes avant qu’ils n’entament les manœuvres pour quitter le quai. Un steward lui tendit un masque argenté en lui demandant de le mettre puis disparut. Ollie s'exécuter puis leva les yeux, à la recherche du bruit. La soirée se passait plus haut.

Elle était en retard, probablement décoiffée et à bout de souffle, mais elle était présente à sa première soirée de boulot. Elle allait devoir gérer, du moins essayer de le faire…

Elle prit une grande inspiration et se rendit sur le pont supérieur qui était noir de monde. Et soudain, à la vue de toutes ces personnes parfaitement bien habillées, discutant tranquillement une coupe de champagne à la main, elle se sentit mal à l’aise. Elle ne connaissait personne… Mais qu’est-ce qu’elle foutait là ? La robe qu’elle trouvait si belle quelques heures auparavant lui semblait désormais indécente. Deux tissus drapés recouvraient sa poitrine, la jupe étaient fendue haut sur sa cuisse mais cette fente disparaissait dans les plis créés par l’amplitude du tissu. Le dos de la robe était complètement nu, seulement zébré par les quatre fines bretelles qui permettaient à l’ensemble de ne pas se casser la figure. Ses bras, eux, étaient recouverts par des gants de satin noir remontant au-delà du coude. Était-ce vulgaire ? Ou non ? Elle n’en savait rien. Complètement perdue, elle s’adossa à la balustrade et alluma une cigarette, contemplant cette foule en cherchant le courage nécessaire pour entrer dans l’arène. Un serveur passa devant elle et elle se saisit d’une coupe de champagne qu’elle but presque d’une traite.

Bordel, mais qu’est-ce que je fiche ici ? Je n’aurais jamais dû venir…

Ne boit pas trop. Tullio balaye la petite voix moqueuse qui lui assène la consigne que Toria a laissée avant de partir rejoindre quelqu'un d'autre. Et Tullio veut respecter cette consigne, vraiment. Il veut ne pas trop boire, il veut rester sage, mais… mais il y a eu Moira.
Moira la psy.
Parce que l'ordre pense, certainement, qu'il est fou.
Et en plus, en plus elle avait voulu l'aborder comme ça, l'air de rien, pour le faire parler.

Alors Tullio n'écoute pas, Tullio s'en fout et subtilise une bouteille d'alcool fort au bar. Toria est occupée, Xander n'est nulle part en vue et a probablement coupé son téléphone, alors il se glisse entre les convives jusqu'à se retrouver à l'air libre… et face à une jeune femme qui venait de vider sa coupe de champagne cul-sec, ou peu s'en fallait.

"Besoin d'un truc plus fort?"

Offre-t-il, en levant la bouteille de rhum ambré qu'il tient.

"Si t'es venue là pour être tranquille, t'en fais pas, je vais pas rester longtemps. J'ai juste vraiment, vraiment besoin d'une clope."

Après tout, peut-être qu'elle aussi avait besoin d'échapper à la foule et, même s'il passait une après-midi de merde, il n'avait aucune envie de pourrir celle de quelqu'un d'autre.

"Moi c'est Tullio."

Annonce le consultant, en tendant une main, par politesse. Il ne la reconnaît pas, et ne sait pas si c'est une nouvelle tête ou, au contraire, quelqu'un de respecté. Autant ne pas paraître complètement grossier.
Et une fois les présentations faites il sort, enfin, la cigarette dont il a tant besoin.

Ollie posa ses yeux sur cet homme aux cheveux un peu rasés et un peu bleus. La teinture avait été faite de manière très aléatoire et plus que probablement réalisée maison. Elle considéra ensuite la bouteille qu’il tenait en main en esquissant un faible sourire : quelque chose d’un peu plus fort que du champagne ne pouvait pas lui faire de mal, et ce serait un bon moyen de casser la glace.Elle lui tendit sa coupe en souriant et attendit qu’il la remplisse, tout en tirant une bouffée sur son propre tube de nicotine avant d'expirer lentement.

Allez ma fille, il est temps de sociabiliser

- Enchantée Tullio. Je m’appelle Olivia, mais je laisse les gens agréables m’appeler Ollie.

Elle le détailla du regard un court instant avant de se focaliser à nouveau sur les gens, occupés à danser à l’intérieur, et sur la mer qui s’étendait autour d’eux à perte de vue. Allait-elle voir Victoria ce soir ? Elle en mourrait d’envie, mais il fallait impérativement qu’elle chasse cette idée de son esprit. Elle ne pouvait plus se permettre de laisse son esprit s’embuer à cause de l’italienne. Elle décida donc de faire plus ample connaissance avec son comparse fumeur.

- Et donc, quel est votre rôle ici, Tullio ?

Elle s’était à nouveau tournée vers lui, le détaillant du regard, tentant de savoir s’il était un homme d’action ou de ceux que l’on appelle pour étudier un problème. Il était plutôt beau garçon, sa coiffure était atypique, et il y avait cette sensation qui émanait de lui… Elle pouvait mettre sa main à couper qu’il était consommateur, ou qu’il l’avait été. Toutefois, il était absolument hors de question d’amener le sujet sur le tapis. Son expérience personnelle indiquait que ce n’était pas le meilleur moyen de faire joyeusement connaissance.

Tullio sourit, lui aussi, quand la jeune femme lui tend sa coupe sans un mot. Il débouche donc la bouteille et, au lieu de lui en servir une dose raisonnable, décide de remplir le verre.

"Moi de même."

La réponse est sobre, parce qu'il préfère éviter de devoir choisir entre le prénom et le surnom. Il refuse de paraître présomptueux en s'accordant le droit d'utiliser le diminutif alors qu'il n'a encore rien fait pour le mériter, à part partager une bouteille qu'il a volée de toute façon.

Elle semble le fixer un instant, avant de regarder ailleurs, et l'italien se laisse surprendre par la question qui lui fait hausser légèrement les sourcils. Oups. Il se sent pâlir un peu quand il constate qu'elle le vouvoie alors qu'il l'a tutoyée et il est vraiment, vraiment soulagé de ne pas l'avoir appelée Ollie. Comme s'il avait besoin de se mettre à dos des gens après avoir croisé sa future psy.

"Je suis consultant."

Répond brièvement Tullio, alors qu'il se fige quand il s'aperçoit qu'Olivia s'est tournée vers lui et le détaille. Lui évite de la regarder alors qu'il cale sa bouteille sous son coude et, enfin, s'allume la cigarette qu'il estime avoir amplement méritée.

"Du coup la plupart du temps je travaille à l'Aquarium, et je fais des missions de temps à autre."

Après la conversation avec Moira, il ne sait pas s'il a vraiment envie de donner des détails sur lui. Il se demande, un peu, qui d'autre pourrait avoir autre chose en tête.

Il ne devrait vraiment pas boire mais, quand un serveur passe, il attrape une coupe dont il balance le contenu par-dessus bord avant de se servir en rhum.

"Et vous alors? Vous êtes chevalière?"

Après tout, il n'y a pas de raisons pour qu'elle soit la seule à poser des questions.

"Vous êtes pas souvent à Old Fyre, non?"

Après tout, avec la couleur de ses cheveux, il l'aurait forcément remarquée. Ou alors elle avait changé de couleur récemment?
Tullio, au fond, s'en fout un peu, et regrette juste de ne pas être resté chez lui, ou d'avoir rejoint Xander quand il l'avait sous les yeux.

Ollie but une gorgée du rhum dont il avait rempli son verre, quasiment à ras-bord. C’était fort, et en général elle était plutôt une buveuse de tequila, mais ce breuvage eut au moins le mérite de la réchauffer un peu. Elle sentit ensuite qu’il n’appréciait pas trop l’attention visuelle qu’elle lui portait et se demanda si elle avait gaffé : après tout, elle n’avait pas les codes de ce genre d’évènements. C’était la première fois qu’elle assistait à ce genre de soirée et elle n’avait pas du tout l’impression d’être à sa place : sa robe semblait beaucoup trop déshabillée au vu de ce que portait le reste de l’assemblée, ses manières visiblement pas assez contenues ou policées. Avec sa chance, elle allait boire trop et vomir sur les chaussures du big boss sans même savoir de qui il s’agit. Soudainement, le verre plein de rhum ne semblait plus aussi attrayant et son sourire était plus feint que sincère… Elle nota ensuite qu’il avait cessé de la tutoyer et eut presque envie de se jeter par-dessus bord tant elle était gênée. La jeune femme semblait commettre gaffes sur gaffes. Elle prend une grande inspiration et décide de lui répondre comme si tout ça était parfaitement normal :

- Je suis étudiante en médecine, dans le civil. Et l’Ordre m’a… embauchée, dirons-nous.

Cette discussion la mettait définitivement mal à l’aise : elle pouvait sentir ses joues rosir et remit en place une mèche de cheveux qui n’en avait nullement besoin, dans une vaine tentative de masquer sa gêne. Elle ne voulait pas compromettre Victoria en exposant son erreur -oui, elle continuerait d’appeler ça une erreur, bien qu’elle l’ait pardonnée… Bref, elle ne voulait pas mettre la belle italienne dans l’embarras vis-à-vis de ses collègues.

- Effectivement, c’est la première fois que j’y viens. On m’a proposé d’y déménager mais j’ai refusé… Plus je vois l’endroit et plus je reconsidère ma décision.

Elle se retourna pour s’appuyer contre le bastingage, posant son regard sur l’île plutôt que sur les convives. Elle n’aurait pas dû refuser d’y venir plus tôt, mais c’était plonger plus entièrement encore dans ce nouvel univers et ça lui avait fichu une trouille monstrueuse. Et puis Victoria avait débarqué chez elle avec son épaule en sale état et ça ne l’avait pas motivée d’avantage : elle s’était même demandé ce qu’elle foutait, si elle avait vraiment choisi de suivre cette voie en pleine conscience de ce que ça allait impliquer dans sa vie. Pensive, elle ne prêtait plus vraiment attention à son interlocuteur et bu une nouvelle gorgée de rhum. Elle n’était venue que pour voir l’Italienne, et c’était absurde. Elle n’était entrée dans l’Ordre que parce qu’elle lui avait demandé et c’était encore pire. Cette fille lui faisait vraiment faire n’importe quoi.

Manifestement, Tullio était entrain de rencontrer tout le personnel plus ou moins médical qui rejoignait Old Fyre, et ça ne lui plaisait pas. Enfin, ça aurait pu le laisser indifférent si Moira n'était pas passée par là, à essayer de gratter tout ce qu'elle pouvait en se servant de leur amitié commune avec Xander pour après s'en servir contre lui. Il fallait vraiment, vraiment qu'il pense à autre chose.

Ollie confirme que c'est la première fois qu'elle vient, et qu'elle a refusé d'y déménager, ce qu'elle semble regretter. Le consultant la fixe, un moment, quand elle se tourne pour admirer le paysage. Quelques instants se sont écoulés et la jeune femme a l'air pensive, n'ajoutant plus rien. Est-il supposé prendre ça comme une invitation à partir? Il ne sait pas, mais ce qui est certain c'est qu'il est mal à l'aise.

"Si vous êtes pas sûre de vouloir vous installer, vous pouvez prendre une chambre à l'Aquarium quelques temps."

Lâche Tullio quand il décide, finalement, de rester encore le temps d'offrir une autre possibilité qu'un déménagement. Tant pis pour la cigarette qu'il n'a fumée qu'à moitié, il a vraiment trop l'impression de n'avoir rien à faire là et de l'emmerder.

"C'est le seul bar de l'île, les chevaliers de passage peuvent loger dans les chambres à l'étage. Comme ça vous pourriez voir comment c'est et décider de si vous avez envie d'y rester ou non. Pour avoir un appartement, suffit de demander donc vous pourrez même décider à la dernière minute"

Achève-t-il, alors qu'il sort son cendrier de poche pour y éteindre sa demi cigarette et en chasser la cendre, avant de la remettre dans son paquet.

"J'vous dérange pas plus, désolé."

Marmonne tout de même Tullio, pour la forme, parce que quand bien même il a eu l'impression qu'Ollie n'est absolument pas intéressée par la conversation, il trouve ça trop impoli de partir sans rien dire.

Ollie tiqua quand il se mit à parler de l’Aquarium comme étant un lieu d’habitation possible. N’était-ce pas un bar ? Faisait-il hôtel également ? Ça lui évoquait les saloon du Far-West et la débauche qu’on y retrouvait, et ça la fit sourire doucement. Il explicita un peu plus la proposition et, décidément, elle devait l’imaginer de manière très différente de la réalité. Mais dormir dans un bar était-elle la meilleure chose à faire ? Ollie avait pour habitude de ramasser n’importe qui dans les bars, si elle emménageait ici, toutes les conquêtes potentielles devenaient aussi des patients potentiels… Et l’éthique déconseillait fortement de s’envoyer toute sa patientèle. Elle était mal, très mal barrée. Emménager sur l’île, était-ce vraiment une bonne idée ? Elle devrait dire au revoir à son appartement, ses amis et ses habitudes… C’était effrayant comme idée.
Du coin de l’œil elle le vit écraser une cigarette à peine fumée puis il lui signifia qu’il allait partir, comme si la faute venait de son côté. Elle eut envie de se gifler tant elle était impolie et de mauvaise compagnie, alors elle se retourna aussitôt :

- Je suis désolée ! Ne partez pas, je vous en prie ! Je veux dire… Je n’ai aucune idée de ce que je fous ici, je ne connais personne à part une chevalière que j’ai littéralement vu deux fois dans ma vie, j’ai l’impression de ne pas être à ma place sur ce bateau… Je suis juste perdue, je ne voulais pas vous donner l’impression de… Je ne sais même pas quelle impression je vous ai donnée…

Elle planta ses yeux dans les siens, et, malgré le masque, le désarroi y transparaissait. En réalité, Ollie était complètement perdue. Elle n’avait aucun contrôle sur ce qu’il se passait, les gens qu’elle rencontrait ou encore les choses qu’on pouvait lui dire. Et Tullio, bien qu’elle ne le connaisse absolument pas, était devenu une bouée à laquelle s’accrocher, durant cette soirée du moins. Il était consultant, il semblait savoir les us et coutumes, les manières à adopter au minimum, être capable d’interagir correctement avec les gens présents ici.

- Excusez-moi. Vraiment.

Elle avait envie de poser sa main sur son bras, mais se ravisa au dernier moment, pensant que cela pouvait être perçu comme une intrusion dans son espace personnel. Pour donner le change, elle alluma une seconde cigarette et le regarda à nouveau, attendant sa réaction.

Tullio commence à peine à s'éloigner quand la jeune femme se tourne brusquement vers lui, s'excuse et lui demande de ne pas partir. Alors il ne part pas, ne serais-ce que parce qu'il a été trop surpris que pour continuer à s'éloigner. Il ne part pas et il écoute, et grimace quand Ollie lui explique qu'elle est là pour une chevalière qu'elle n'a vu que deux fois, puis se sent un peu coupable quand elle révèle n'avoir aucune idée de l'impression qu'elle lui avait donnée.

"Que j'étais pas exactement le bienvenu."

Répond le consultant, doucement, parce qu'il ne veut pas donner l'impression qu'il l'accuse. Il veut juste qu'elle sache, pour qu'elle puisse éventuellement y réfléchir, si elle le souhaite.

"C'est pas grave."

Souffle-t-il, quand elle s'excuse encore une fois et, s'il apprécie l'intention, ça ne fait rien pour le mettre plus à l'aise.

"J'veux dire… Moi non plus j'sais pas trop ce que je fous là. Et pourtant, dans le tas, je connais pas mal de gens alors j'imagine bien qu'en connaissant qu'une seule personne… ça doit pas être évident."

Malgré le malaise qui règne encore, Tullio décide de se réinstaller contre le bastingage et de rallumer la cigarette qu'il a éteinte plus tôt.

"On… pourrait peut-être se tutoyer? Si ça vous gêne pas, hein, mais comme on va être collègues… Je sais pas, j'ai pas vraiment l'habitude de vouvoyer les gens."

Quand elle l’entend dire qu’il ne se sentait pas le bienvenu, Ollie eut envie de se gifler instantanément. Elle savait que ses relations avec les autres n’étaient pas forcément facile et qu’elle devait faire des efforts parfois pour sembler normale, ou gentille, ou encore agréable. Et cette fois-ci, elle avait merdé, vraiment merdé. Puis il avoua ne pas non plus savoir ce qu’il faisait là et elle se sentit encore plus mal. Le malaise était là, flottant autour d’eux, palpable. Et la jeune femme détestait cette sensation. Alors quand il proposa le tutoyement, elle lui adressa un large sourire, un peu soulagée. Si on retirait la distance d’extrême politesse, il serait peut-être plus facile de tisser quelque chose qui ne soit pas entièrement constitué de gêne, de maladresse et de malaise.

- Se tutoyer, c’est bien !

Elle lui adressa un grand sourire, un peu crispé au début mais franchement sincère à la fin. Le sourire est une des meilleures armes pour se sentir bien, avec soi-même ou avec les autres d’ailleurs. Elle voulait lui sourire, pas parce qu’elle y était obligée, juste parce qu’elle en avait envie.

- Cet univers est tellement étrange… Qui a un quartier général comme celui-ci ? C’est sublime. Et puis cette soirée… C’est toujours comme ça quand l’Ordre décide de réunir tout le monde ? Je veux dire… masques, tenues de soirées, petits fours et coupes de champagne ?

La curiosité d’Ollie refaisait surface, désormais. Une centaine de questions virevoltaient dans sa tête, et elle avait envie de réponses. Tullio ne lui en fournirait peut-être pas, et ce n’était pas grave. Elle trouverait Victoria et la bombarderait de ses centaines d’interrogations jusqu’à plus soif. Peut-être qu’elle l’embrasserait pour la faire taire ? Cette idée la fit sourire encore, d’une façon plus rêveuse, un peu absente. Elle avait l’impression de ne pas avoir vu la jeune femme depuis des millénaires, ce qui n’était pas très éloigné de la vérité… Il y presque deux mois, quelques chose comme ça. Ollie était obsédée par l’italienne, mais pas dans le sens malsain. Elle cherchait juste à comprendre son fonctionnement, pourquoi elle disparaissait et réapparaissait dans sa vie de cette façon, sans prévenir… Elle se secoua mentalement : stop. Elle devait arrêter de penser à elle, elle l’avait mise dans cette merde après tout. Sans Victoria, elle aurait certes une vie beaucoup moins classes, mais avec des emmerdes d’être humain normal…

Elle redirigea son attention vers Tullio et une idée germa dans son esprit, qui pouvait être aussi bonne que mauvaise. Armée de son plus beau sourire en coin, les yeux pétillants de malices, elle planta son regard dans le sien autant que faire se peut :

- Dis-moi Tullio, tu aimes danser ?

Tullio lâche un petit un soupir de soulagement, avant de sourire à Ollie quand elle accepte qu'ils se tutoient. Il ne se rappelait pas de la dernière fois où il avait vouvoyé quelqu'un, en dehors de la jeune femme, c'était dire si ça le mettait à l'aise.

"Ça fait pas si longtemps que je suis là, c'est le premier rassemblement que je connais. Du coup je saurais pas te dire. Mais personne avait l'air vraiment surpris? Donc à priori c'est pas la première fois."

Répond le consultant, en haussant les épaules, avant de fixer la fumeuse quand son expression change pour se faire rêveuse. Il se demande, un peu, à quoi elle pense, mais ne l'interroge pas. Ce serait risquer de la gêner, de les renvoyer à la case départ qu'ils viennent de quitter. Ce n'est vraiment pas ce qu'il veut.

"Danser?"

Répète-t-il, un peu surpris, parce que c'est une question qu'il ne s'est jamais posée. Est-ce qu'il aime danser?

"Je… je sais pas? J'ai jamais vraiment dansé."

Avoue Tullio, qui tente de noyer son rougissement dans sa coupe de rhum, sans succès, même s'il la vide.

"Mais. Quitte à être coincé sur un bateau où il y a de la musique, je veux bien essayer. Faut juste que t'aies pas trop peur pour tes pieds."

Plaisante-t-il, parce qu'après tout pourquoi pas. Il n'y avait pas de raison pour qu'il soit le seul sur ce maudit bateau à ne pas s'amuser, si tant est qu'essayer de ne pas piétiner sa partenaire puisse être considéré amusant. …Quoiqu'une fois que le rhum aurait fait son office… Si, ça risquait effectivement d'être amusant.

"En tout cas, c'est promis, je ferais attention."

Il attend, sagement, qu'elle ait terminé sa cigarette puis lui offre son bras, comme il a vu d'autres le faire, pour la raccompagner à l'intérieur. Il faudra juste qu'il trouve un endroit où poser sa bouteille de rhum, l'air de rien, quand ils rentreront. Avec tout les plateaux qui circulaient et toutes les tables plus ou moins à portée, ça ne sera pas difficile.

Le voyant lui tendre le bras, elle éclata de rire et lui fit une petite révérence avant de glisser le bras sous le sien.

- Tu n’as peut-être jamais dansé, mais tu as des manières parfaites. Et ça n’est pas négligeable !
S’il avait pu voir ses yeux, il les aurait vu brillants de joie. Il réitéra l’expérience du parfait gentleman en lui tenant la porte et elle pénétra dans la grande salle pour la première fois depuis son arrivée sur le bateau.

Un brouhaha permanant émanait de la foule, comme un bourdonnement, envahi les oreilles de la jeune femme. Les robes étaient magnifiques, les costumes aussi, et elle se surprit à apprécier l’anonymat que lui apportait le masque argenté. Du coin de l’œil, elle lorgna la bouteille que Tullio tenait encore en main et l’entraîna vers le bar.

- Je vais nous prendre des coupes, profites-en pour remettre en place ce que tu as chapardé…

Elle lui dit cela dans le creux de l’oreille, chuchotant autant que faire se peut, tout en arborant l’éternel sourire en coin qui accompagnait toujours ses remarques, qu’elles soient sarcastiques ou simplement taquines. Et ainsi qu’elle venait de le dire, elle alla s’accouder au bar et entreprit de commander deux coupes de champagnes avant de revenir près de lui et de lui en tendre une :

- Cul sec ? Pour se donner du courage !

Elle baissa les yeux un instant et replaça derrière son oreille une mèche qui n’en avait nullement besoin, ce qui pouvait être interprété comme de la drague, ou comme de la gêne. Mais dans ce cas précis, c’était de la gêne : elle n’avait pas dansé depuis très longtemps et elle redoutait de mettre le pied sur la piste, d’autant plus avec quelqu’un qui n’avait aucune expérience. Mais elle savait aussi qu’une fois une certaine harmonie trouvée, ils risquaient de beaucoup s’amuser, d’autant plus s’ils avaient un verre dans le nez. Alors elle leva sa coupe, trinquant à une cause sans nom et sans valeur, et vida son verre comme le premier qu’on lui avait servi : d’une traite. Elle pouvait sentir l’alcool couler dans sa gorge et réchauffer son corps, délicieux, amenant avec lui la certitude de l’ivresse. Elle reposa le verre vide sur le bord du bar et tendit sa main à Tullio, attendant de voir s’il se décidait réellement à danser avec elle.

"J'ai aucun mérite, j'ai vu les autres pingouins faire."

Rétorque Tullio, en étouffant le début d'un rire, quand Ollie le complimente sur ses manières. Tant qu'à être galant il lui tient la porte, autant l'être jusqu'au bout, et hoche la tête quand elle lui murmure qu'elle va aller leur chercher des coupes pendant qu'il remet en place la bouteille de rhum qu'il a subtilisée plus tôt. Avec l'effervescence autour du bar, ce n'est pas bien difficile, et il s'est déjà écarté quand la jeune femme revient et lui tend un verre.

"Cul sec!"

Confirme-t-il avec un sourire, alors qu'il se sent rosir derrière son masque même s'il ne sait pas trop comment interpréter le geste d'Ollie. Il trinque donc avec elle, vide sa flûte d'une traite, la pose sur le bar tout proche et se saisit de la main qu'elle lui tend.
Il va probablement être un peu ridicule, mais la pression qui s'installe sur son front lui promet que ça va être amusant.

Tullio entraîne donc sa partenaire avec les autres danseurs, pas trop sur le bord pour ne pas se faire trop remarquer, et pas suffisamment au milieu pour qu'il soit difficile de battre en retraite le moment venu.

"Quand on aura mal aux pieds, on pourra essayer de trouver ta chevalière."

Propose-t-il, alors qu'il jette un coup d'œil aux autres danseurs… et remarque aussitôt Toria, dans les bras de Cy. Evidemment.

"Super. Encore lui."

Ne peut s'empêcher de grommeler Tullio, avant de reporter toute son attention sur sa partenaire de danse. Avant d'essayer, serait plus exact, puisque si ses yeux sont bel et bien sur Ollie, et plus précisément sur son front pour ne pas risquer de plonger dans le décolleté vertigineux qu'il ignore tant bien que mal, ses pensées sont parfaitement ailleurs.

Pendant la mission au Canada, Toria avait démenti avoir embrassé Cy et, globalement, avait déclaré ne faire que s'amuser avec lui, au grand dam du chevalier. Sauf qu'entre temps ils avaient passé trois semaines en mission tout les deux. Trois putains de semaines.

Manifestement, le grand blond avait dû retirer la merde qu'il avait dans les yeux et céder aux charmes de sa collègue… La situation agace d'autant plus Tullio qu'il sait qu'il n'a aucun droit d'être jaloux. Déjà, parce que sa colocataire déteste ça, et aussi parce que maintenant il a Xander…
…
Quand Ollie sera lassée de danser, s'il peut la laisser entre les mains de la chevalière qu'elle connaît, il ira le rejoindre, quitte à fouiller tout ce maudit bateau.