. . .

Victoria avait demandé du dessert et Lillian n'avait même pas cru bon de jouer sur les mots pour insinuer cette blague facile qui n'avait rien à voir avec la pâtisserie. À la place, elle était partie, non sans bousculer deux chaises, une table et ce pauvre garçon qui, sur leur addition, avait bien mérité son 20% de pourboire.

Il y a une carte abandonnée, innocemment, sur la chaise tirée juste un peu dans sa direction. Victoria ne la ramasse pas et la regarde à peine quelques secondes, du coin de l'oeil, mais se souvient sans peine du nom de l’hôtel qu'elle retrouve quelques heures plus tard, sur son téléphone, une fois Even bien endormi à côté d'elle sous la couette.

À partir de là, Lillian n'est pas difficile à retrouver. Victoria se doute qu'on ne compromettrait pas la discrétion d'une bonne - et terrifiante - cliente, alors, à l’accueil, elle vante son pédigrée, prétend organiser un séjour à l’hôtel et demande pour la meilleure chambre à réserver pour une personne seule. Le lecteur d’accès, quant à lui, elle le piège avec une carte de crédit entourée d'un peu de papier enchanté.

Tout comme elle, l'odeur du café et des scones s'invite dans la pièce. Une minute plus tard à peine, les anneaux glissent sur la tringle dans un raclement brusque. 

— Rise and shine little darling, chantonne-t-elle, mélodieuse et pétillante. 

Le rideau ainsi tiré, une entrée de lumière vive éclaire soudainement le lit où s'était échouée, comme une épave, une Lillian encore à moitié vêtue de rouge. 

Posant les tasses et les petits pains sur la table de chevet, Victoria s’invite au coin du lit. Une fois assise, elle entreprend d'enlever le talon aiguille, unique, qui était encore au pied gauche de l'autre femme.

— We need to talk.

Il fut un temps, l'alcool m'empêchait de rêver, ou, au moins de m'en souvenir. Un sommeil profond, lourd, à défaut d'être réparateur. Ça fait longtemps désormais que ce n'était plus le cas. Que la quantité de liqueur la plus abjecte n'empêchait en rien les cauchemards vagabonds. Je buvais plus par habitude. Pour le goût. Pour l'énergie. Pour... Eh. C'est mélancolique, la nuit. On peut mentir toujours, mais pas quand on dort. Cette nuit ne faisait pas exception.

Je me réveille, dans un sursaut. Un instant avant de mourir pour la ènieme fois. Un instant avant que- Ma main se tend, comme pour rattraper la sienne, et se liquéfie. Ah. Haha. Je pousse un cri muet, ma voix encore rouillée, de la veille. Lentement, ça se reforme. Ha... Ça aussi c'est nostalgique. Toutes ces années et encore aujourd'hui- Ngh. La migraine est violente, brutale, mais de courte durée cette fois au moins.

Je l'entend, dans la pièce. J'aurais dû prévoir une intrusion du genre. J'aurais dû m'y préparer. En temps normal, je l'aurais fait. J'aurais sûrement arrangé la scène. Mais pas cette fois. Cette fois j'étais fatiguée, épuisée. J'avais beau m'être goinfré la veille, ma faim est sans pareil. Je m'apprête à rétorquer. Je m'apprête longtemps. Je pause, un instant, assise dans le lit, pour respirer. Profondément. Calmement. Comme on a appris. Un. Deux. Un. Deux. Ressentir le sang. Ressentir les fluides, les fibres, les muscles. Se concentrer. Toujours un peu plus, un peu plus fort. Stabiliser le rythme cardiaque. J'ai de la visite, je peux pas me permettre de m'effondrer en mettant le pied hors du lit. Faisons ça proprement, comme à la belle époque. Un deux un deux, testing, testing. C'est bon, les cordes vocales doivent marcher.


Un. Deux. Un. Deux. Ok. On y va. Les pieds au sol. Ok. On active les fibres... La tension est bonne... Et... Hop!

Ok! Ok ok! On est debout! Good! Good good. Les forces reviennent doucement. Ugh... Cette faim par contre... Engouffrons un des scones. Cheers, je lui fais de la tête en dévorant. C'est calorique. Ça devrait faire le travail pour l'instant.

Je suis un peu à terre, mais ça va. Je commence à me changer, au milieu de la pièce. La robe est dure à enlever, à un bras. L'autre à encore dû tomber pendant mon sommeil. No matter. On rallonge celui-ci un peu et.... Hop! La robe tombe au sol. Je pose instinctivement la main au coeur de ma poitrine, fixant vers le bas quelques instants. What the fuck is happening, honestly? Tout ça, c'est nouveau. Et nouveau, c'est dangereux. Dans le pire des cas, il faudra accélérer les plans. De préférence, on en arrivera pas là. De préférence. J'enfile un des longs T-shirts , et une paire de jogging, changeant au passage le reste de la tenue avec habileté. Je sais pas tout faire, mais je sais encore m'habiller le matin. Cheers, me. J'essaie d'ignorer son regard dans mon dos pour l'instant, le temps que suffisament de sang se rende à ma cervelle, et que mes pauvres cellules consomment un peu de sucre. Ma tête résonne, encore un peu, mais les échos sont raisonnables. Plus raisonnables qu'hier. Juste d'y repenser, j'ai envie de vomir à nouveau.

Pas envie de me brosser les dents, on a juste à faire ça en vitesse. Renouveler l'émail, c'est pas difficile. Je connais assez mes dents, depuis le temps. On vérifie la texture avec la langue... on passe la salive un peu partout... Ok, all clear. Je crache vite fait les résidus noirs peu appétissants dans la corbeille. You are one gross motherfucker, you know that?

Je m'assois, face à elle, tombant lourdement sur mon siège. Ça devrait plus être très long avant d'arriver à pleine capacités, tout va bien. J'étais peut-être surprise qu'elle débarque ainsi, mais au fond, pas vraiment. C'est un peu moi qui l'y ait invité, après tout. J'attendais simplement qu'elle respecte les heures commerciales, mais ça, on est plus à ça près, elle et moi.


Man I could go for some bacon.

Elle s'était attendu à tout en fait de réaction - de la violence jusqu'au calme, mais c'est la lenteur des réactions de Lillian que Victoria trouve surprenante. Patiemment, la chevalière observe son amie qui reprend lentement le contrôle de son propre corps. Elle ne dit rien, mais Lillian aurait pu lire l’inquiétude s'accumuler entre ses sourcils si seulement elle avait eu la capacité de la regarder. C'est probablement mieux comme ça: quelque chose lui dit que son amie n'aimerait pas qu'on s'inquiète trop pour elle.

— I am cute! Elle pétille ainsi pour s'efforcer de s'amuser de la situation, si bien que c'est finalement à un petit sourire moqueur et adorable que Lillian à droit quand ses sens lui permettent enfin de la voir. 

Patiente, Victoria lui laisse ensuite de l'espace pour se lever, s'habiller et passer à la salle de bain. Elle amorce son propre scone au passage, beaucoup plus lentement, en observant les alentours. Pas très prudent, pense-t-elle, de ne préparer aucun dispositif de sécurité si ces réflexes étaient si mauvais au réveil. Son attention, finalement, tombe sur la forme solide de la prothèse laissée à moitié sous les draps. Ayant toujours été intriguée par l'artefact, Victoria profite de l'absence de sa propriétaire pour s'en saisir et l'ausculter de près, fascinée de constater que la texture était beaucoup plus artificielle qu'une fois mise en place sur un être vivant. 

— Looks like a hard morning for you my love, commence-t-elle d'une voix onctueuse avec seulement l'ombre de son amusement aux coins des joues, before anything else, do you... Need a hand? C'est ponctué d'un gloussement et la courbe de ses traits a maintenant toute l'impression d'un éclat de rire tandis qu'entre les deux femmes, il y à la prothèse avec la main artificielle tendue vers Lillian.

— And no, that was not my one question, enchaîne-t-elle rapidement, avant d'ajouter d'un air songeur: So... No rough morning sex? 

Elle mentirait en disant qu'elle n'avait pas considéré cette option comme l'une des réactions possibles suite à son arrivée un peu brusque. 

— Ok, no, seriously... I've been on this mission for two years, oblivious to the fact that YOU, Miss, had anything to do with this shit show. It's the biggest breakthrough I had in weeks... But I can't just rat you out so...

Elle hausse des épaules.

— If there's an asshole or two that you'd like to see get in trouble with the order, you know...

Pfft... Ok. Ok. C'est pas drôle. Pas la peine de rire. C'est pas drôle. Ne ris pas. Ne ris pas. NON JE N'AI PAS GLOUSSÉ. NON. Non! Ok un peu. Juste un peu. Ahem. Bon bon je me râcle le fond de la gorge, ni vue ni connue. Voilà voilà. Ahem... Need a hand... eheh... eheheh... Stop. On respire, le moment est passé, voilà, voilà voilàaaa.

Fuck it IS funny. Oh shut the fuck up, what are you now, the comedy police?... Hopefully not I don't wanna go to prison for life.


Je regarde ma montre. Que je ne porte pas. Vu que je ne porte pas le bras, non plus.


Erf. Finies les plaisanteries, déjà? Well, it's only fair. Comment expliquer par contre? J'aime bien partager, mais pas à ce point. Ça me met de mauvaise humeur. Par contre, c'est important pour elle, vues les circonstances. Je doute qu'une excuse bidon ou une tournure en dérision fasse l'affaire. J'aimerais bien, mais j'ai des doutes.


Je m'apprête à cracher par terre, avant de me réviser. Apparemment, parler de famille tout court suffit à me mettre de très mauvaise humeur. Le moment est passé, cependant, et je me calme rapidement.

Je me lève, je m'étire en hauteur. Je craque une fois les muscles de mon cou, me met en position pour un coup de poing... et...

Boom. Mon bras fend l'air, faisant un bruit sifflant et perçant, faisant tourner les pages d'un carnet laissé ouvert pas très loin. Bon. Tout est opérationel au moins. Je marche, dos à Toria, vers le mini bar. Je pointe le téléphone de la chambre avec mon pouce, par dessus mon épaule, en marchant.


Je me retourne, lui lançant un regard semi menaçant, semi enjoué, sortant une bouteille de champagne du bar de la chambre.


pop...

...Did I fuck up the ceiling again?

Lillian était connue pour ses débordements d’humeur et si la plupart des gens craignaient sa colère et sa brutalité, Victoria, elle, n’aimait rien de plus que ses grandes effusions de rire. Elle s’émerveille donc en la regardant s’esclaffer, souriant d’un amusement contagieux, avec juste assez de fierté pour pincer le bord de ses lèvres d’un petit air mutin. Elle lui accorde aussi un battement de cils plein de volupté quand elle mentionne les 13 minutes, mais pas beaucoup plus pour le moment puisqu'elles entrent rapidement dans le vif du sujet. 

Évidemment, la chevalière est expressive, comme toujours: d'un sourire en coin, elle bat ensuite un petit clin d'oeil quand Lillian dit l'apprécier, puis un rictus alors qu'elle parle d'être arrêtée. Des affaires de familles, termine-t-elle; affaires de la famille Faust, soulève en silence le sourcil entendu de Victoria. Au moins, elle sait mieux que de le dire avec des mots.

— Oh I don't mind telling you, interjette-t-elle en posant la main sur le téléphone de service, as you may know, Even does not trust easily when it comes to business... I figured that his only weakness was love and, well, people somehow seem to think that I am rather loveable.

Il y a de l'amertume dans ses mots, même à travers le miel onctueux de sa voix chantante.

— And now I'm gonna destroy that poor boy's heart, reprend-elle avec un petit gloussement, and my soul along the way. Il y a ce rictus, en guise de ponctuation, qui ferait presque - presque - passer ces dernières paroles pour un trait d'ironie, bien qu'il soit clair que la situation ne l'amuse pas du tout.

En parallèle, on répond très - très - vite à son appel. Victoria est polie en répétant la demande de Lillian, mais malgré sa douceur, la personne au bout du fil lui parait fort angoissée quand elle lui assure - deux fois plutôt qu'une - que la nourriture sera préparée et amenée dans les plus brefs délais.

— I'm quitting this mission, you see. Very unlike me, I know. 

Disant cela, elle soupire et balaie d'un mouvement de la main cette bouteille de champagne à laquelle elle ne toucherait pas. 

— It's more like... I'm going on maternity leave.

Un silence très sérieux s'étire le temps d'une pleine seconde, puis de deux, puis de trois, avant que son hilarité ne racle sa gorge et qu'elle explose d'un rire qui n'enlève rien à la véracité de la situation.

Je ris moi aussi. Je ris. Très fort. Aussi fort qu'elle. C'est drôle après tout, non? J'ai juste à trouver une blague. Au moins l'enfant aura ta- ... Non. Non vraiment pas. Au moins-.... non plus. Bizarre. J'ai un excellent sens de la répartie, et pourtant... Et pourtant. J'ouvre la bouche pour commencer une réponse, une blague. Juste à dire quelque chose, n'importe quoi. Pas besoin que ça ait le moindre sens, juste, dit quelque chose. Humoristique. Chaotique. Aller. C'est drôle non? Non? ... C'est drôle... ?

Je pose la bouteille avec une lente lassitude, et me frotte le coin des yeux. Losing your soul along the way? Doing worse things to bad people? These motherfuckers. Times just don't fucking change, do they?

Je pousse un soupir. Profond. Inhabituel. Presque rauque. J'ai encore mal à la tête de la veille, mais ça n'a rien à voir. Les pensées tourbillonnent dans mon esprit - comme d'habitude - et les souvenirs aussi. Souvenirs d'une époque révolue. Souvenirs d'une jeune fille qui rêvait d'être une héroïne. Parangon de vertue. Honorable. Dévouée. Fière. Mission après mission, sans jamais s'arrêter pour se poser de question. Pas quand elle devait trahir la confiance de criminels. Pas quand elle devait tuer pour protéger le plus grand nombre. Pas quand elle devait-

Puis. D'autres souvenirs. Des visages. Des- ...Des... Des... Pourquoi je-

Stop. Stop right now.

Je tire une chaise. Je m'assois. La superficialité habituelle ne va pas faire le travail, pas vrai? J'en meurs d'envie, mais ça sonne creux. Si creux. Aucune blague. Aucune envie de tourner la chose en dérision. Et cette douleur, à l'arrière de la tête. Oppressante. Silencieuse. Me donnant l'impression d'être au bord d'un gouffre.

Je ne comprend pas. Je ne veux pas comprendre. Je veux aider. Je suis fâchée. Très fâchée. Pas comme d'habitude. Je n'ai pas envie de détruire un objet, de fendre un crâne ou quatre. C'est une colère légère. Asphyxiante. Une colère nostalgique. J'ai envie de courir. Fuir la situation. Mais tous mes instincts me disent que, là, maintenant, il faut m'assoir. Il ne faut pas me dérober. Je suis furieuse. Mon visage est las, si las.

J'ai... Déjà vécu cette conversation, n'est-ce pas? À l'époque. Après avoir...

Je déglutis. C'est important. Qu'est-ce qu'il avait dit déjà? Il s'était assis... comme ça... et il avait dit-


Pfff... Pfff... Je ris. Vraiment. Pas comme d'habitude. Je ris comme... Comme avant. Comme une enfant qui se rappelle... un visage. Une voix. Je souris, pendant une seconde. Avec tendresse. Tellement de tendresse. Dommage... Dommage qu'elle n'ait plus de destinataire. I-... Gn...

Je respire. Inspire. Expire. Inspire. Expire. Alright what did he say that was ACTUALLY relevant?


Haha... Qu'est-ce que j'avais répondu à l'époque? Je m'en souviens, de ça. Hahaha... quelle gamine...

Because I'm the best.

Well, wasn't exactly wrong now, was I?

Ding

Well that fucking breaks my flow? I was having a moment there, motherfuckers!

Dans le rire de Victoria, il y beaucoup d’autodérision et un peu de découragement ; dans celui de Lillian, un peu de colère, mais surtout beaucoup de fatigue. Rien de très amusant, somme toute, mais il faut croire qu’elles étaient toutes deux des adeptes du il vaut mieux en rire qu’en pleurer.

—Don't worry Love: the baby is not yours.

Elle aurait peut-être eu besoin d’une cigarette, elle aussi, sauf que ce serait mauvais pour l’enfant. Quant au géniteur de ce dernier, Victoria ne sait pas, en fait, duquel de ses amants elle est tombée enceinte. En vérité, c’est même une question qu’elle songe à laisser indéfiniment sans réponse.

— Damn... You know it's that bad when you have to give the pep talk.

La question de Lillian, pour sa part, mérite d’être réfléchie, quoique pas sans ce nouveau trait d’humour lancé avec plus d’affection que d’ironie.

La clochette interrompt peut-être leur instant de contemplation mutuelle, mais vient aussi ponctuer - juste au bon moment - la fin de sa réflexion. Ainsi, Victoria peut proclamer dans un rictus soupiré et chantant, dénué de toute modestie: « Because I'm just so damn good at it » tout en se levant pour aller répondre à la porte.

— Girl, that's a LOT of food.

Il faut dire que Lillian aussi, à sa façon, mange pour deux.

Une fois la nourriture entrée, la porte refermée et une ou deux tranches de bacon volées, la chevalière se laisse tomber dos contre le lit à la place de se rasseoir. De là, ses yeux s’égarent un instant dans les reliefs du plafond avant qu’elle reprenne, avec moins de bravado, voire avec un brin de prudence:

— This would have been so much easier if he had actually been a bad person like I thought he would be.

You obviously dislike him and might not believe it... but he has been a very respectful, considerate and loving partner.

La ligne de son corps qu’étire, se détend. Elle prend ses aises.

— I hate him, termine-t-elle, tout doucement, avec un ton qui aurait été plus propice à dire l’inverse.

Je suis pensive un instant.


Sa réponse m'amuse. Beaucoup. Mais pas sans une certaine tristesse. J'avais répondu sensiblement la même chose à l'époque, et pourtant, voilà ou ça m'avait menée. The best, eh? So much for that. Je réfléchis tandis qu'elle va faire rentrer la nourriture. Être douée à mon travail. C'était vrai, certes. Mais, est-ce que ça pardonnait tout? Tout le sang coulé? Tous les hurlements. Toutes les nuits sans sommeil. J'avais fait des sacrifices, pour ce job. Beaucoups de sacrifices. Une partie de mon humanité avait été offerte sur l'autel de l'Ordre. Être la meilleure, est-ce que ça justifiait vraiment tout? Étais-je vraiment justifiée dans mes actes?

La réponse était claire. Évidente. C'était la même réponse pour moi, comme pour elle.

Je ris, sèchement mais résolument.


I regret a lot of things but I'll never regret the filthy blood shed, whether I shared it or not.


En fait j'avais une idée assez claire de "How much of a little bitch?" elle était. Mais la provocation n'est pas sans m'apporter une certaine satisfaction. Le repas arrive. Enfin. Ça aussi ça m'apportait de la satisfaction.


Je parle en me lèchant la lèvre supérieure. Mon expression est certes sensuelle, mais elle est 100% dédiée à la nourriture pour le coups. J'ai faim. Si faim. Mon dieu. J'ai l'impression que je suis en train de me digérer de l'intérieur. Ha. Cute. "L'impression". Je m'empresse d'engloutir quelque chose avant qu'on continue la conversation, mais je garde bien les plats en tête.

Je m'installe, moi aussi, sur une chaise à l'envers , face à elle tandis qu'elle s'étend délicieuseme- J'ai vraiment faim. Je disais. Je l'écoute attentivement, et réfléchi, ce qui n'est pas forcément mon activité préférée, alors on ne dira pas que je ne donne pas du mien. Surtout pas toi. Surtout que je te donne littéralement du mien alors c'est particulièrement agréable si tu fermes bien ta gueule, c'est pas le moment.


Je souris, puis me relève (attrapant un morceau de viande que j'arrache au passage). Je m'approche, lourdement, la toisant de haut.

— If you feel like you're missing on something - and if you're into that - I suppose I could call you mommy from time to time.

Gentille et bienveillante... Même si elle l'est quand même un peu à sa façon, c'est vrai que ce n'est certainement pas pour ça qu'elle est attirée à Lillian. Ce qui est un bon exemple, en revanche, c'est sa capacité à laisser Victoria sans mots pour la première fois depuis très longtemps. C'est pour ça qu'elle se redresse sur ses coudes pour toiser Lillian avec les sourcils qui se haussent tant elle est ébahie, mais avec un sourire amusé qui vient vite agrémenter son étonnement. C'est drôle, aussi, parce que se trouver un homme doux et un chien, c'est un peu ce qu'elle avait fait tout récemment en franchissant le pas avec Cy. C'est drôle aussi, parce que leur relation n'avait justement rien de sexuelle. Pas comme elle l'était avec Even, ou avec Nawar ou avec Lillian alors qu'ils étaient tous trois plutôt monstrueux à leur façon. Elle a raison, pour la peine, donc Vitoria hausse les épaules pour le lui concéder tout en gloussant, limpide, voluptueuse, ronronnante.

— Oh, so we're actually into dirty talk and name calling now, Lily Anne? Elle insiste sur l'espace entre ses deux prénoms, et il y a dans son rictus comme le sous-entendu d'un patronyme qu'elle ne prononce pas. Lillian, Lily Anne; son nom complet n'avait pas été difficile à retrouver après que Faust soit ressorti la veille, pas plus que les archives de l'Ordre sur elle après ça d'ailleurs.

— Dawwww, reprend-elle, pleine d'une adoration exagérée et juste à moitié simulée, for you to call me a bitch three times in less than two minutes... Don't tell me you're jealous.

C'est qu'elle en avait presque eu l'impression au restaurent, le soir d'avant, même si ça lui semble être la chute d'une blague particulièrement ridicule et que c'est sur ce ton qu'elle le dit aussi.

— Don't worry Love, you're still my favorite monstrous person to fuck, even after all these years.

Dans ses yeux qui se plissent et s'aiguisent, déjà, il y a le désir naissant embusqué sous ses paupières.

— Luckily for you, sussure-t-elle maintenant, since we both know I might be the only bitch crazy enough to take you on.

En parallèle, elle s'étale à nouveau sur le lit avec toute la grâce et la nonchalance d'un chat qui s'étire en montrant son flanc invitant, vulnérable, et avec le regard en biais et les pupilles si dilatées qu'on en voyait à peine le contour doré des iris.

Je suis souriante, calme, posée. À la simple mention de mon nom, toute décision avait déjà été prise. Il n'y avait dès ces deux noms plus resté la moindre issue pour elle, si même il y en avait déjà eu une. Je ne réagis pas outre mesure. Mon sourire est serein, mon expression est de glace. Je la laisse parler, rouler, se débattre, aguichante dans la cage qu'elle s'est elle-même construite. Je la laisse parler, oh ça oui. Je la laisse creuser, s'engouffrer, me supplier de la réduire en miettes. Et j'en ai l'intention. Mais, pas là, tout de suite.

Là, j'ai fait. Je la regarde, défiante, charmeuse, chaque mot une entrave additionnelle scellant son destin qui m'appartient, désormais. Si fuir elle avait voulu, ce n'était plus une option. Ça ne l'avait pas non plus été pour les dernières personnes qui m'avaient appelée comme ça avant que je les abatte comme des rats. Oui, je sais que c'est pas ça l'expression. Mais j'aime les chiens.

Elle pouvait parler, il n'y avait plus d'inquiétude à avoir, plus le moindre souci à se faire. Je menais la danse, désormais. Ma simple existence était plus inéluctable que n'importe quelle geôle.

Je souriais, paisible, zyeutant affectueusement mon repas. Une fois la proie dans sa toile, l'araignée ne se presse pas.

La seule assez folle? Ça, non. La plus inconsciente de toute, ça, assurément. C'était la seule à savoir exactement à qui elle avait affaire, et ne pas se dégonfler. Du mérite, elle en avait, beaucoup même.

Je me lèche la lèvre supérieure, impassible.

J'allais lui en faire regretter chaque once.

Elle a l'air d'avoir fini. C'est bien. Très bien. J'ai tout entendu, tout enregistré. Aucun mot, aucun geste, aucune phrase, aucune expression ne sera pardonnée. Mon âme, à moi, était bel et bien perdue. Et elle allait en ressentir chaque conséquence jusqu'au plus profond de la sienne.

Je parle.


Ce n'est pas menaçant. Ce n'est pas enjoué. Ce n'est pas provocateur. C'est presque méditatif. Ce n'est pas un avertissement, mais plutôt une observation. Toute simple. Je suis toujours debout. Elle étendue. Je m'amuse à penser que je dois paraître si grande, la, maintenant, à 3 pas du lit. 3 pas. C'est peu 3 pas. Je peux décapiter quelqu'un, à cette distance. Lui broyer tous ses os sans bouger d'un micromètre. Mais là, je veux jouer. Je veux prendre mon temps, impatiemment.

Mon ton ne s'élève pas d'une décibel.


Sans lui laisser l'occasion de comprendre exactement ce que j'ai dit, j'avance mon talon droit, le posant résolument par terre.


3 secondes plus tard, la plante de mon pied s'abat au sol, retentissante.


Je ferme les yeux et expire profondément, satisfaite.


Avant la fin de la phrase, le talon de l'autre pied s'avance à son tour.

Le ton change.

C'est à peine perceptible - ou peut-être pas du tout encore - mais Victoria le sait parce que ça avait surtout été prévisible; volontaire, même. Elle sait très bien ce qu'elle avait voulu provoquer chez Lillian en adoptant cette position sur le lit, en l'appelant par son vrai prénom et en parlant de leur relation passée sous la forme d'un défi.

— You were so hot in that tight red dress last night, du polémique, sa voix est maintenant toute douce et ses mots tous miel.

Hot, Lillian l'était encore, mais pas de la même façon. Le T-shirt lousse et les joggers n'attiraient certainement pas son attention de la même façon qu'avait pu le faire sa robe; maintenant, c'est plutôt sa prestance qui lui faisait de l'effet tandis qu'elle se dresse juste au bord du lit, à contre-jour, avec son ombre démesurée qui la domine déjà toute entière.

Quand Lillian parle enfin, une inspiration brusque provoque chez Victoria ce violent frisson qui lui parcourt l'échine. Il est si fort qu'il engourdit au passage les traits de son visage, alourdissant instantanément son regard qui se remplit de volupté et ses lèvres, encore souriantes, qui maintenant s'entrouvrent.

L'autre femme avait emprunté exactement la piste que Victoria avait bien voulu semer. Ses yeux dorés, sous ses paupières lourdes, sont encore aiguisés, attentifs comme ceux d'un prédateur, mais ses iris sont aussi noyées dans l'ombre projetée par sa stature menaçante, arrondies et donc déguisées par le désir jusqu'à ressembler à s'y méprendre avec ceux d'une biche inoffensive.

— I'll sing a few of your names for sure, chantonne-t-elle déjà en se redressant à nouveau, since you do have a lot of them nowadays.

En parallèle, elle s'empresse de défaire d'un geste simple les boutons à pression de sa blouse qui s'ouvre ainsi sur son ventre encore ferme.

— Bon appétit? ronronne-t-elle dans son français maternel, sans se faire d'illusion quant à sa capacité d'enlever assez vite ses manches, son pantalon ou sa lingerie en dentelle noire.

Sa provocation redescend. C'était normal, après tout. Elle avait déjà eu ce qu'elle voulait. Mes instincts de prédatrice - si encore il m'en restait d'autres - étaient bels et bien éveillés, et, comme un serpent, je ne recule pas une fois que j'ai les dents dans ma proie. Reculer, c'était quand on avait peur, quand on craignait.

Le sommet de la pyramide, c'est moi. Elle avait déjà une vague idée, un peu diffuse, de ce que ça voulait dire. Elle en avait même fait les frais, même si elle avait eu la chance de... démystifier un peu le tout peu de temps après. Elle ne me craignait pas, mais elle savait qu'il fallait me craindre. Ça, ça l'excitait, et moi, ça me donnait tout le terrain de jeu dont j'avais besoin. Elle avait des attentes, par rapport à moi, mais elle ne savait pas. Elle avait des soupçons, des idées, mais elle ne comprenait pas. Ce décalage, entre ses attentes et la réalité, était délicieux. Ce décalage, il était à moi, et avec j'allais... Je vais...

Je sens le sang circuler dans mes muscles, goutte par goutte... Je jubile.

Elle ne comprend pas encore. Elle va comprendre. Monstrueuse, avait-elle dit. Elle va devoir le redéfinir, ce mot, après ça. Je vois déjà l'espoir quitter ses yeux. Ne pas jouer avec sa nourriture? Absurde. Les règles, c'est moi qui les écrit aujourd'hui. L'injustice, c'est mon droit. Elle est venue me voir pour chercher l'absolution. No worries girl. I'll absolve the fuck out of you.

Je demeure délicate, calculée. J'étais une brute hors de contrôle, certes, mais, ça aussi, c'était une forme de maîtrise. Ma simple existence demande attention, minutie, compréhension. Une analyse intégrale de l'anatomie, de la circulation, des nerfs. Mon plus grand défi, c'était ma plus grande force. L'image brutale et violente était le leurre parfait pour quiconque me sous-estimerait. Mais elle n'était pas dupe. Elle savait ça. Non. Son erreur était plus fondamentale. Plus simple. Plus mécanique. Je ne suis pas puissante. Je suis puissance.

Je pose un premier genou sur le lit, silencieuse. Je la toise de plus belle, voyant sa blouse déboutonnée.


Je ne m'attendais pas qu'elle se mette frénétiquement à se déshabiller. Bien que j'aurais voulu voir ça. Mais, c'est un choix que je lui avais offert. Un choix sans issues, sans victoire possible. Un dilemme sans logique, sans justice, où toutes les routes mènent à l'abattoir. C'était délicieux. Si délicieux.

Je n'ai pas oublié, la dernière rencontre. Sans me déshabiller - pourquoi faire? - je me penche vers l'avant, m'approchant lentement d'elle, jusqu'à ce que mes mains soient posées au niveau de ses hanches. Elle ne se débat pas, pas encore. C'était logique, vu qu'elle avait tissé de ses propres mains la toile dans laquelle elle était désormais prisonnière.

Je pose, lentement, les mains sur ses pantalons. Je ne fais pas attention au matériau, c'est sans importance. Sans effort visible, je tire d'un côté, et de l'autre. La poigne du bras artificielle suffit à lutter face à la force de l'autre, alors que, de part en part, la paire élégante de pantalons est réduite en lambeau, sans tremblements, sans hésitations, sans changements d'expression sur mon visage, dévoilant de très jolis sous-vêtements. Ils peuvent rester. pour l'instant. Elle allait avoir une pointe à lancer, quelque chose à dire, mais la première démonstration était faite. Si elle ne comprenait pas, elle commençait sûrement à se douter. Mais, c'était encore rien.

Bon appétit indeed. Je pose mon corps sur le sien, sa blouse grande ouverte dévoilant sa poitrine. Vulnérable. Si vulnérable. Très affectueusement, je prend une de ses mains dans les miennes, y déposant un petit baiser moqueur, avant de la placer directement au dessus de sa tête, lui faisant comprendre de la laisser là. Mon visage 1 mm au dessus du sien, mes yeux trahissant toute ma jubilation, pendant qu'avec tout autant de délicatesse, assise sur ses hanches, je plaçais son autre main par dessus la première.

Puis, légère comme une feuille, j'enveloppe ses poignets de ma main, les tenant en place. Mon geste a l'air fin, faible. À l'intérieur, l'usine se met en marche. Le muscle ne se contracte pas, car ce n'est pas un muscle. La machinerie interne, invisible, s'active, tourne, et retourne. Je n'ai pas besoin de grand chose, elle n'est qu'humaine, et je suis-

Ma langue parcours tout le tour de mes lèvres, je décale un peu ma tête, m'approchant délicatement de son oreille.


Je prend une pause, renforçant l'étau sans qu'elle ne puisse en percevoir quoi que ça soit.


Je ris, cristalline, paisible.