Cheryl était en train de relire ses textos. Ce n’était pas nécessaire, tout avait été convenu et elle était à l’heure au rendez-vous, mais elle faisait défiler l’historique par pur réflexe. Quand elle s’en aperçut, elle verrouilla son téléphone et reprit place dans l’instant présent. Elle était à l’entrée de la bibliothèque, attendant patiemment. Si ça n’avait tenu qu’à elle, elle aurait déjà filé dans les rayons, tel un chercheur d’or à la recherche du moindre grain doré. Elle regarda sa montre. Elle portait un jean noir taille haute confortable bien que skinny, un t-shirt crop-top gris foncé à manches longues, mais un peu trop décolleté, une veste en mailles noires un peu loose, et des converses bleu marine cloutées. Ses cheveux étaient rassemblés dans un “reste” de tresse. Un reste, car des mèches brunes vagabondaient bien en dehors du rang, et son élastique menaçait de se faire la malle.

Elle piétinait sur place depuis quelques minutes, patientant. Oh, et puis zut ! Autant s’installer. Elle choisit une table, il n’y avait littéralement personne à part elle dans l’édifice. La jeune femme sortit ses carnets et stylos. C’était une dingue de papeterie. Il y avait beaucoup trop de couleurs et de crayons dans sa trousse qui n’avait plus l’air de grand chose mais faisait encore son travail c’est à dire : contenir le tout. Elle avait toujours apprécié ça : pouvoir choisir, en fonction du thème, et les couleurs aidaient à mieux se repérer dans ses notes. Sans oublier les fois où bêtement, cela lui servait à passer le temps en faisant des gribouillis plus ou moins abstraits. Aucun doute, Cheryl allait bel et bien renouer avec ses habitudes d’étudiante… Elle haussa les sourcils en imaginant déjà son ami aux cheveux bleus se moquer d’elle. *Ah ! Au moins ça le fera peut-être rire !*

Elle observa les alentours. Elle repensa au fait que la plupart des écrits qui étaient réunis ici n’étaient nulle part ailleurs. Cette simple idée lui fila la chair de poule. Alors qu’elle observait cette réaction étrange à la surface de sa peau sur son avant-bras, elle songea qu’elle n’aurait pas l’air très maligne si Tullio débarquait à ce moment-là. *Hum*, elle ouvrit son carnet, histoire de faire comme si de rien n’était.

Elle relut ses dernières notes. Elle s'aperçut que cela concernait le groupe de renards dont elle était en charge il y a encore quelques semaines. L’espace d’un instant, ses pensées la plongèrent dans son ancienne vie, une vie étrangement plus insouciante. Elle espérait que toutes les bêtes étaient en pleine forme. N’est-ce pas étrange de penser à ça en premier, alors qu’on n’a même pas pris des nouvelles de ses parents depuis des mois ? … Ces réflexions lui faisaient afficher une moue très pensive, voire grimaçante. Elle finit néanmoins par se dérider en entendant une petite horloge tinter, derrière elle. C’était un son assez doux, sûrement pour ne pas déranger les lecteurs, tout en leur signalant l’heure pile.

*Bon il ne devrait plus tarder. J’espère qu’il ne va pas se défiler !*, pensa-t-elle néanmoins avec un sourire. Elle était persuadée que Tullio n’était pas du genre à poser des lapins sans raison. Mais bon, il avait l’air d’avoir une telle aversion pour la lecture… Peut-être était-ce un prétexte suffisant, après tout ?

La brunette entendit un bruit de porte. Elle se releva brusquement, ce qui était ridicule car la situation n’urgeait pas du tout, et ne nécessitait sûrement pas qu’elle se lève comme ça. *Euh ? Pourquoi cette attitude de petit chiot excité ?...* se charria-t-elle elle-même. Elle essaya de prendre une pose plus ou moins décontractée, debout mais avec ses mains dans les poches. En réalité personne n’aurait parié sur de la décontraction sûrement en la voyant comme ça. *Bon… Whatever…*. En fait, elle était juste contente de pouvoir passer du temps libre avec lui, elle avait la sensation de pouvoir vraiment être elle-même.

“- T’as braqué une papeterie ?” lui avait-il lancé dès son arrivée. Cheryl eut du mal à s’empêcher de pouffer de rire. Elle l’avait tellement prévue, cette blague, mais elle ne pensait pas que ce serait la toute première chose qu’il lui dirait. Elle afficha donc un large sourire. Ces petites vannes lui avaient manqué, ce n’est pas quelque chose qui se retranscrit aussi bien par texto.

Le jeune homme lui demanda tranquillement comment elle allait. Comme elle s’y attendait, il était arrivé avec un cahier… Très minimaliste, et un bic. Il s’excusa, mais Cheryl trouvait ça assez mignon. Plus jeune au lycée, elle aurait clairement craqué pour ce genre de gars. Vous savez, celui qui arrive en cours presque sans sac, les mains dans les poches. Celui qui se fiche éperdument de ce que pensent les profs de lui.

Puis Tullio demande ce que Cheryl va leur faire étudier. *Attends, quoi ? Moi ? Ah oui…*

Ça n’allait sûrement pas être à lui de prendre les choses en mains cette fois. Déjà qu’elle avait l’impression de l’avoir un peu forcé à venir ici avec elle… ET aussi, d'avoir un peu abusé de sa générosité la dernière fois.

“- Eh bien…”, commença-t-elle. Elle aurait voulu lui présenter des excuses pour être quelqu’un de si peu autonome pour le moment… Mais, présentement, ça serait peut être un peu bizarre… Alors elle fit mine qu’elle connaissait très bien son sujet : “Hum … Il faut… Qu’on regarde la classification de la bibliothèque. Les grandes catégories donnent un aperçu de ce que contient la collection. Puis à partir de là on peut voir ce qui nous intéresse le plus, pour commencer quelque part. Tu voudrais en apprendre plus sur un sujet en particulier ?”

Elle voulait essayer de lui donner goût à ce qu’ils allaient apprendre. Et ça ne pouvait passer que par la curiosité, d’après elle. Elle ne savait pas s’il avait un sujet qui l’intéressait plus qu’un autre. Elle ne savait pas vraiment comment Tullio était arrivé là… Etait-ce vraiment par choix ?

“- Tu me parlais des… “Pluks” ? Je crois, la dernière fois ?”

Elle lançait ça comme une idée en l’air. Elle essayait de trouver un registre ou un plan de classification à disposition des utilisateurs… Elle le trouva quelques secondes plus tard et se mit à le parcourir immédiatement.

“- Hmmm”, commença-t-elle, marmonant tout en consultant le plan, “Moi, je pense que je vais essayer d’étudier les kitsunes, du coup…”

Elle ne voulait pas vraiment imposer un sujet. Elle voulait aussi que ça le botte lui. Elle, elle avait tout à apprendre, et était intéressée par tout. Elle releva le nez de son plan, et planta son regard dans celui de son compagnon d’études.

“- Si tu veux, je peux te prêter mes stylos”, le taquina-t-elle avec un sourire, “Faut bien que ça serve à quelque chose de braquer des papeteries.”

Cheryl posa les stylos sur la table. Tullio n’était pas très causant, aujourd’hui… Il avait cette sorte de flegme habituel, mais elle le sentait inconfortable… Elle en vint à s’en vouloir presque, car pour le moment, ça n’a pas l’air d’être la franche rigolade pour lui. Il avait l’air un peu perdu, même… *Bon… Il va peut être falloir que je prenne des gants…*

Quand il lui demanda s’il y a plusieurs livres sur les kitsunes, elle comprit qu’il ne voulait pas partir sur son propre sujet de recherches. Elle ne fut pas trop surprise, étant donné qu’il avait principalement l’air d’être venu pour elle, et pas pour les bouquins. Cette simple idée l’intimidait un peu d’ailleurs… Mais d’un autre côté, il avait l’air de quand même vouloir faire un sacré effort. Elle lui sourit quand il se pencha sur la classification.

“- Tu préfères étudier avec moi sur les kitsunes ?” fit-elle feignant de s’étonner. “Cool ! Eh bien, je pense qu’on peut regarder, il y a l’air d’avoir une catégorie concernant les créatures du folklore japonais. Ça te dis ? et … sur la méthode eh bien… Soit on décide de lire et de prendre des notes, ou bien on peut essayer de déjà repérer des passages qui pourraient être enrichissants, dans un premier temps, on n’est pas obligés de lire des pavés d’une traite.”

Elle essayait de le rassurer autant qu'elle le pouvait. Elle lui montra sur le plan : “Regarde, toute cette catégorie là … Bon, vu comme ça c’est un peu vaste, mais on pourra sûrement n’utiliser que ce qui nous intéresse au début. Tu viens ?”

Puis, elle commença donc à essayer de se repérer dans les rayons.

Elle réfléchissait. Elle avait déjà dû parfois travailler avec des gens qui étaient… un peu moins enthousiastes qu'elle. Mais elle ne tenait pas particulièrement à faire ami-ami avec ces personnes, à l’époque. Donc elle ne leur faisait pas vraiment de cadeau. Mais pour Tullio... Comment faire pour rendre les choses enrichissantes ? …

“- “Créatures et mythes de la culture japonaise”... “Les yokaïs et autres légendes nippones” … Ah ! Il y a l’air d’avoir des récits de chevaliers concernant les créatures vivant au japon. Ça peut être chouette à parcourir non ?”

Elle sélectionna donc les livres qui lui paraissaient les plus intéressants. Elle commença par en prendre 5…

“Euuh … Tu peux m’aider à les porter ?” demanda-t-elle en rougissant. S’apercevrait-il du “stratagème” ? Car ce n’était pas spécialement lourd, mais elle voulait qu’il se sente un peu impliqué. Bon, pour sa défense, de son côté elle avait déjà repéré quelques autres titres assez énigmatiques. “Kitsune, symboliques et représentations”. “L'image du kitsune à travers les âges” … Elle savait que c’était une figure importante et symbolique au Japon. Un peu partout, dans les lieux touristiques, sur les monuments, en statues, on pouvait en voir. Mais maintenant qu’elle avait accès à d’autres sources d’informations totalement insolites, elle se demandait si elle arriverait à démêler un peu le vrai du faux.

Tullio était donc reparti à la table d’études avec sa petite pile de livre sous le bras, ce qui avait agréablement surpris Cheryl. Elle choisit donc de ne pas le laisser trop longtemps tout seul et finit assez rapidement de rassembler les quelques références qu’elle avait repéré quelques secondes plus tôt. L’odeur même du papier des livres un peu anciens lui donnait envie de se plonger d’un coup dans la lecture. Mais il allait falloir être un peu méthodique, sinon elle se connaissait ; elle allait partir dans tous les sens.

Elle revint donc près de la table et s’aperçut que son partenaire d’études avait bel et bien commencé à prendre des notes ! Cheryl ne put s’empêcher un petit sourire en coin, un peu amusée de voir qu’il se prêtait au jeu même s’il avait toujours l’air aussi blasé…
Bon ! Autant rendre ça un peu plus sympa. Elle prit donc une chaise juste à côté de lui, pour pouvoir garder un œil sur ce qu’il était en train de faire et paraître plus accessible s’il avait besoin d’elle.

“- Eh bien ! On a peut être eu les yeux plus gros que le ventre pour commencer mais on ne va pas se plaindre n’est-ce pas ?” lança-t-elle, même si elle se doutait que ce n’était peut être pas quelque chose de très enthousiasmant pour lui, de la voir débouler avec au moins 5 autres livres de plus que ceux qu’il avait déjà ramenés.

“- Tu as commencé par quoi ? Je pense qu’il faut qu’on catégorise un peu les livres, pour voir dans un premier temps lesquels nous seront les plus utiles et ceux dans lesquels on aura plus des petits détails…”

Il y a toujours des références plus utiles que d’autres en général sur un sujet un peu vaste. Les ressources ne manquaient pas, après tout. Et là, il y avait largement plus que sur la page wikipédia dédiée au kitsune…

Cheryl commença son tri en s’attaquant aux sommaires et en marquant les pages des chapitres à l’aide de petits post-its. En l’observant, elle s’aperçoit que Tullio n’a absolument pas la même méthode de travail. Bien sûr elle s’y attendait. Elle ne savait pas trop si elle devait lui dire quoi faire ou pas, elle ne voulait pas non plus passer pour la crâneuse qui veut tout apprendre à celui qui vient l’aider. D’un autre côté, elle le sent un peu perdu et confus. Alors, elle essaie de détendre un peu l’atmosphère par une idée rigolote qui venait de lui traverser l’esprit :
“-Eh, heureusement qu’on n’aura pas à faire un exposé à Victoria, n’empêche… Ça me mettrait une pression de dingue. Tu l’imagines en prof ? Je sais pas pourquoi d’instinct ça me fait penser à une de mes anciennes prof qui était toujours en tailleurs hyper strict, lunettes carrées, et qui nous regardait toujours par dessus ses verres en faisant des bruits de bouche indiquant sa déception “tss tss tss”.”

Elle l’imita dans ses mimiques, pour essayer de redonner le ton. Tout le monde avait déjà eu une prof comme ça non ?
“- Bon, faut dire qu’elle était assez canon, alors en dehors de ça tout le monde flashait sur elle…”

Elle marqua une petite pause comme pour le laisser assimiler cette anecdote, mais maintenant qu’elle prenait du recul, elle se disait que ce n’était pas d’un intérêt fou… Bon…
Elle ouvrit son sac et sortit un thermos de thé. Elle avait prit deux mugs histoire de pouvoir partager.

“- Tu en veux ? C’est juste du thé avec un peu de miel… Je sais pas si tu aimes, mais moi c’est un peu ma drogue quand je dois étudier. “, lui demanda-t-elle en souriant, le petit cœur de sa joue se bombant comme une fossette en humant l’odeur agréable et réconfortante de la bergamote. Elle n’en buvait pas tout le temps, elle était plus team café. Mais étrangement quand il s’agissait de travailler de manière studieuse, elle trouvait le thé plus prometteur. Peut-être parce que ça l’aidait à mieux se concentrer, se détendre pour mieux réfléchir et poser ses idées. En tous cas elle s’en servit une tasse pour goûter, histoire d’être sûre qu’elle ne l’avait pas trop fait infuser.

*Oh, ça va. Il est même plutôt pas mal pour un thé fait vite fait juste avant de partir…*

Puis, elle reporta à nouveau son regard vers les premiers classements qu’elle avait fait des documents sélectionnés. Elle prit les deux premiers de la pile et dit à Tullio :
“- En fait… Je crois que ces deux-là seront les plus complets sur le sujet, ça peut déjà nous aider à déblayer un peu tout ça.”

Après avoir énoncé la méthode qu’elle proposait, Cheryl se rendit bien compte à la moue que tirait Tullio, qu’elle était peut-être allée un peu vite. Elle avait imposé les deux livres sur lesquels il lui paraissait judicieux de travailler, mais celui que le jeune homme avait choisi était sûrement aussi intéressant. Pourtant maintenant qu’elle lui avait dit ça, cela avait donné l’impression à son partenaire qu’il avait travaillé pour rien.

“- Ah nonon ! Pas du tout. Il ne faut pas jeter.”, s’empressa-t-elle de dire en attrapant les notes comme si elles risquaient de brûler instantanément au mot “jeter”. “En fait, si ce livre t’inspire un peu mieux pour commencer, tu peux continuer sur celui-là. Et moi en parallèle je peux commencer à faire un peu de tri d’informations sur ceux-là…”, dit-elle confusément.

Elle avait rougit et se sentait un peu stressée par la situation. Pour l’instant elle avait plus l’impression de le dégoûter qu’autre chose, hors ce n’était vraiment pas le but recherché. Elle aurait voulu lui dire que rien que le fait qu’il soit là, c’était de l’or pour elle. Qu’il ne fallait pas se prendre la tête. Que s’il fallait, ils pouvaient aussi tout arrêter et qu’elle ferait ça solo… Elle avait presque envie de tout effacer et de tout recommencer. De ne pas lui montrer cette facette d’elle-même. Mais tout ça, ça sonnait un peu comme un abandon. Et puis, elle voulait être honnête avec lui. Elle voulait qu’il la comprenne. Tout ça commençait à se formuler sur ses lèvres, mais elle n’aurait jamais le courage de lui dire ça maintenant. Alors finalement les mots filèrent comme des notes sur une partition, mais n’étaient pas accordés à ce qu’elle pensait. Seulement à ce qui lui venait en tête pour répondre à ses questions sans trop se dévoiler.

“- Bon, ça te parait peut être pas super clair comme ça mais tu sais, c’est parce que pour l’instant je suis pas encore sûre moi-même de la manière dont il faut procéder. Dans tous les cas, toutes les informations seront regroupées à la fin, les choses vont se connecter entre elles.”, continua-t-elle, ne sachant pas si c’était beaucoup plus clair énoncé comme ça.

*Damn… Arrête de papillonner, C.C. …*

Elle avait l’impression d’être cet élève qui n’a pas assez étudié et qui brode autour d’un sujet face à un jury. La vérité c’est qu’elle avait un peu peur. Peur de ne pas paraître intéressante, peur de perdre une amitié naissante qui était importante pour elle. Peur d’exclure malgré elle. Peur de passer pour une intello sans intérêt, ou pour madame je-sais-tout. Bref. Comme toujours. Peur de décevoir...

“- Hmmm… Je pense…”, commence-t-elle à glisser, dans le fil de ses pensées, “Je n’y connais rien en créatures magiques alors… Le mieux serait peut être de faire une fiche de synthèse. Un genre de gros récap’ qui contiendrait toutes les infos importantes en premier, puis qui irait plus vers des précisions après. Tu vois ce que je veux dire ?”

Commencer par les kitsunes, est-ce-que c’était vraiment une bonne idée ? C’est sur que c’est toujours sympa d’étudier sur un sujet qui nous passionne. Mais pourtant… Il y avait tellement de ressources différentes, d’informations plus ou moins concordantes ou contradictoires… Comment allait-elle dénouer ce gros sac de nœud qui leur tordait les tripes et le cerveau ?

“- D’après moi, si on arrive à créer une fiche qui permettrait derrière à n’importe qui qui n’y connait rien de voir tout de suite de quoi on parle, alors on aura fait du très bon boulot. En plus ça pourrait être utile pour des futures recrues aussi, comme ça !”, dit-elle alors de manière un peu plus enjouée et dynamique.

*Hola. Ne nous emportons pas trop vite, jeune fille…* lui souffla sa conscience.

“- Euh… Qu’en penses-tu ?”, lui demande-t-elle de manière incertaine. Elle se rend compte alors qu’elle a toujours le carnet de Tullio dans les mains. En suivant les premiers éléments qu’elle lit rapidement, un exemple s’impose à elle pour illustrer un peu mieux ce qu’elle aurait voulu dire. Elle finit donc par lui montrer. Elle prends deux surligneurs et surligne deux parties distinctes.

“- Tu vois, là en jaune par exemple, dans ce que tu as écris. Pour moi, ça, ça reste du domaine des informations importantes, celles qu’on pourrait intégrer dans la première partie un peu signalétique. Par contre le reste, ça concerne des informations plus spécifiques.”

En fait, ces notes n’étaient pas mauvaises pour l’instant… Elle n’étaient juste pas vraiment structurées… Pourquoi tout paraissait si clair dans sa tête et si obscur à expliquer ?

*Damn…*

Cheryl se sentait de plus en plus mal. Elle avait essayé d'imposer une méthode pour que ça soit plus clair, mais maintenant cela paraissait vraiment comme si elle donnait des leçons. Elle avait la sensation qu'elle ne rendait pas à son ami la monnaie de sa pièce. Il faisait des efforts, très concrets. En fait, Cheryl commençait à percevoir le niveau de dégoût de son ami pour ce genre d'activité, à quel point il faisait des efforts, justement. Et elle se sentait intimidée. Parce qu'elle commençait à comprendre qu'elle l'avait entraîné là-dedans juste parce qu'elle se sentait inconfortable dans le fait de le faire seule… ou juste parce qu'elle voulait passer du temps avec lui. Peut-être qu'ils n'avaient pas autant d'atomes crochus finalement ? Ou, peut-être, qu'elle avait naïvement pensé qu'elle pourrait lui permettre de se passionner comme elle l'était pour ce sujet… Alors qu'il avait sa propre expérience par rapport aux créatures magiques… En fait… il baignait dans tout ça depuis toujours… Ce n'était sûrement pas aussi excitant que pour elle qui découvrait tout juste.

Bon… Tullio venait de proposer de séparer ses notes en deux colonnes. C'était une très bonne idée. Il semblait avoir compris ce qu'elle voulait dire en surlignant ses notes. Par contre, il ne se sentait visiblement pas assez en confiance pour faire ça avec l'un des deux livres qu'elle avait montrés. Elle ne pouvait pas trop lui en vouloir. Mais elle aurait aimé qu'il n'ait pas l'impression que son travail était inutile… Quand il lui dit qu'elle n'avait pas trop intérêt à le garder dans les pattes, elle ne put s’empêcher de répondre immédiatement avec un sourire en coin : "- Hey … Tu serais pas en train de te défiler là ?"

Elle voulait le charrier un peu. Mais aussi lui montrer que se débarrasser de lui c'était la dernière chose qu'elle voulait, en fait.

"- J'vous interdis de me faire faux bond monsieur.", dit-elle en ricanant. "- Bon ok, je suis pas une très bonne amie… je te torture un peu trop pour l'instant non ?"

C’était aussi un moyen pour elle de détendre l’atmosphère. Et… De construire un peu de lien dans cette situation qui semblait plus les éloigner qu’autre chose. Du moins, c’était une tentative… La jeune femme commençait à s’inquiéter de ne pas pouvoir rattraper cette étrange séance.

Elle avait du mal à être pédagogue, même pour un sujet qui l’intéressait vraiment. Elle était convaincue que c’était quelque chose qui n’était pas courant, d’ailleurs. Ça pouvait aussi expliquer qu’un bon nombre de personnes n’aimaient pas étudier… Si elle n’avait pas eu quelques bons professeurs par la suite dans son parcours, elle ne serait sûrement pas devenue vétérinaire. Mais ça, c’était une autre histoire…

“- Tu sais, tu peux commencer avec le livre que tu veux. Dans tous les cas, ça sera pas perdu, promis. Ça sera ça d’avancé et de clarifié. Et…”, commença-t-elle.

Mais la suite mourut sur ses lèvres. Ce n’est pas parce qu’on s’apprécie qu’on doit s’intéresser aux mêmes choses. Oui, clairement... Elle le voyait bien maintenant. Plus que ça même, elle était persuadée que c’était justement dans leur différence qu’ils pourraient sûrement forger une bonne relation. Et finalement, c’est vrai qu’elle était juste rassurée qu’il soit là. Et elle était aussi sûre qu’il pouvait lui apporter son aide, lui aussi, quoiqu'il en pense. Après tout, c’est lui qui connaissait le mieux ce monde… Il fallait juste… S’il pouvait se voir lui-même comme elle le voyait, elle…

La jeune femme baissa à nouveau son regard sur les écrits. Elle commença à ouvrir un livre et se mit à parcourir les premières pages distraitement… Elle était dans les nuages pourtant ; ses yeux ne captaient pas ce qu’ils lisaient. Au bout de quelques secondes, elle s’en aperçut et se frotta les yeux. Comme elle ne pouvait pas laisser juste les choses comme ça en suspend dans sa tête, elle finit enfin par ajouter :

“Et…  En vrai, on sera pas obligés de se voir qu’à la bibliothèque, hein …”, glissa-t-elle, un peu gênée, l’air pensif. Elle lui adressa un sourire, plus pour se rassurer elle-même à vrai dire.