La vérité, c’est qu’elle le trouvait juste mignon. Trop mignon, ce grand bonhomme avec ses traits fatigués, qui essayait de faire des efforts d’autodiscipline. Son air un peu gêné. Cette petite maladresse latente avec les livres…

Bien sûr, elle avait rougi quand il lui avait tapoté l’épaule : c’est presque comme si elle ne savait plus où se mettre. Non, pas presque, en fait. Est-ce qu’elle était juste timide ? Ou alors, c’est parce que ça faisait un certain temps qu’on n’avait pas été un tantinet tactile avec elle. Au Japon, c’était assez mal vu et peu courant entre amis. C’était très réconfortant d’avoir auprès de soi quelqu’un qui rassure par un geste. Ça faisait juste… du bien. Ça faisait plaisir. Ça faisait… bizarre. En tout cas, elle adorait cette proximité soudaine, inattendue. Elle effaça un sourire presque niais qui était apparu sur son visage. Celui qui témoignait du fait que ce simple contact lui faisait perdre ses moyens.  

D’un autre côté, elle se trouvait un peu bête de l’avoir bousculé dans ses habitudes. Il y avait un petit malaise, et ça ne lui plaisait pas trop… C’est quand il lui expliqua pourquoi il avait accepté ; le fait qu’il ne se sente pas digne de se dire consultant alors qu’il n’y connait rien en créatures, qu’elle comprit mieux son point de vue. Qu’il n’y connait rien ? En tout cas beaucoup plus qu’elle. Elle qui avait le sentiment de tout devoir apprendre de lui. Lui qui pouvait tout voir…

*Eh bien ! On n’est pas sortis si l’on pense comme ça tous les deux… !*

Le moment salvateur arriva quand il proposa d’aller potasser ces bouquins dans un lieu plus relax. Oui, c’est parfois un peu contre-productif, bizarrement, d’aller à la bibliothèque. Elle connaissait bien ce sentiment : cette impression de vide qu’on éprouve à cause du silence qui y règne. Surtout que là… C’était encore pire que dans les bibliothèques qu’elle fréquentait habituellement. Parce qu’ils n’étaient vraiment que tous les deux. Elle observe les rayons qu’ils parcouraient quelques instants plus tôt. Les poussières stagnent dans les traits de lumière, le temps semble arrêté. Elle écoute ; mais à part leurs propres bruits, il n’y a juste rien. Creepy…

« — Oui, je crois que tu as raison. On peut faire ça ailleurs. », dit-elle en reportant son attention sur lui. Elle lui adresse un sourire complice. « — C’est vrai que ça ressemblerait moins à du boulot si on avait autre chose que du thé à boire ? »

S’il faisait des compromis, elle pouvait en faire également. Du thé contre une bière ? Avec plaisir. S’il pouvait se sentir mieux… Et elle aussi, par la même occasion. En fait, le sujet l’intéressait tellement, qu’elle était prête à étudier à peu près n’importe où.

« — On peut réfléchir à la méthode, si tu veux. Peut-être que je peux me concentrer sur les livres. Prendre des notes, te faire des résumés… Et on peut les réviser ensemble ? », dit-elle, peu convaincue par le fait qu’il accepte.

Ce qu’elle voulait dire, c’est qu’elle était à l’aise avec l'idée de lire et synthétiser. Ça ne la gênait pas de faire ce job-là. Mais clairement, ça serait plus sympa de revoir tout ça à deux plutôt que solo. Il y avait une telle masse d’informations à ingurgiter… Surtout que lui, il connaissait le contact avec les créatures. Il saurait sans doute dire s’il y avait des incohérences dans la théorie…

Cela lui faisait penser à autre chose. Quand on est vétérinaire, souvent, on passe par de grandes phases d’observation. En étant régulièrement en contact avec des animaux, on commence à comprendre leurs signaux. Comment ils fonctionnent. Ce qui les rassure, comment les approcher. Tout ça devait être plus inné chez Tullio, avec les créatures. En tout cas avec celles qu’il avait rencontrées.

« — Je suis sûre que tu as déjà connaissance de beaucoup de choses, sans même avoir lu ces bouquins. », annonça-t-elle.

À la réflexion… Maintenant qu’elle avait dit ça, elle se rendait compte d’un truc : elle ne le connaissait pas encore si bien que ça. Elle aimerait bien… En apprendre plus.

« — En fait… Comment ça se passe actuellement, quand on te consulte ? », demanda-t-elle avec une réelle curiosité. Était-il mobilisé sur le terrain ? Ou devait-il simplement donner des conseils avant une mission ? Ou pendant… ? Elle ne savait même pas comment tout cela fonctionnait, dans les faits. Pendant tout ce temps, elle avait commencé machinalement à reranger certaines de ses affaires, puisqu’ils n’étaient finalement pas partis pour rester ici.

Cheryl remballait toujours ses affaires quand Tullio eut une idée beaucoup plus prometteuse pour la prise de notes.

« — oh, mais oui ! Tu as raison, ça sera beaucoup plus intéressant en faisant comme ça. Je suis bête de pas y avoir pensé plus tôt… »

Elle afficha une moue navrée, mais elle était contente. Déjà parce que finalement ils avaient trouvé comment faire… Mais surtout parce que le consultant n’était pas parti pour abandonner. Il semblait avoir dégoté la détermination pour progresser et C.C. admirait cela. Elle n’avait pourtant pas l’impression que c’était grâce à elle… Elle se sentait bien piètre professeur… mais bon.

Il lui expliqua un peu comment se passaient généralement ses missions de consulting. Elle visualisait déjà mieux. En fait, il n’était pas toujours appelé à aller sur le terrain… En l'écoutant, elle souriait en coin. Il avait toujours cette forme de simplicité, dans ce qu'il racontait. Est-ce que c'était de l'indifférence de sa part ? Du désintérêt ? Ou juste sa manière de relativiser ?

« - Oh, ok ! », répondit-elle simplement.

Elle ne savait pas trop quoi ajouter. Elle essayait d’imaginer les étapes et les procédés, mais c’était difficile pour elle pour l’instant. La nouvelle recrue qu'elle était ne pouvait être sûre de ne pas se faire un peu des films.

Elle allait se perdre dans les méandres de ses pensées : allaient-ils bosser ensemble pour leurs missions ? mais quand au juste allait-elle partir en mission ? quel serait l’objet de celle-ci ? allait-elle découvrir d’autres créatures ? oui sûrement, mais surtout… lesquelles ?

Comme elle sentait une pointe d’anxiété et d’excitation dans sa propre réflexion, elle se reconnecta à l’instant présent. Tullio venait de lui poser une question.

« On fait quoi du coup ? »

La jeune femme aurait bien voulu prolonger ce moment passé avec lui. Après tout, c’était son seul programme de la journée… et elle avait également une hâte viscérale d’en apprendre plus sur les créatures aussi. Et puis... Elle était juste bien, là. Elle fit tourner un stylo entre ses doigts, machinalement. Puis le rangea dans sa trousse.

« - Hmmm oui. », commença-t-elle

Puis, s’apercevant que ce n’était pas une réponse très cohérente face à la question posée, elle précisa, tête en l’air :

« - Euh, je veux dire, oui, on prend un livre chacun et on bouge ! Tu veux aller où ? »

Avec tout ça, un éclair de réminiscence de ses années d’études lui revint. À la fin d’une longue session de révisions, avec ses amies, elles griffonaient des bêtises dans leurs carnets respectifs en souvenir. C.C. ne s’en était d’ailleurs jamais débarrassé à cause de cela. Elle prit donc une courte pause avant de rajouter en ricanant : « — Ah oui ! je manque à toutes mes traditions. J’ai même pas encore pu faire un dessin bizarrement kawaii dans ton carnet, faut bien rattraper ça ! Alors, on y va ? »