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Dim 28 Mar - 6:28

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Miquèu Bentahar
Flottant sur un rafiot de fortune se frottant aux vagues flebile de la mer calme, la famille du martyr manqué se laisse saisir d'un sourd sommeil tandis que Miquèu reste solennellement morbide sous un soleil d'émail, emmurant ses maux et masquant son émoi au souvenir du sable soulevé par ses souliers fébriles avant sa fuite effrénée. Quoique, concomitant à un espoir pour cette Algérie nouvelle, il était aussi un soulagement suivant le retour. Bien que corrompue jusqu'au cœur, il n'était au moins plus question de s'entretuer ou d'attenter contre son concitoyen. Trouvant en son for intérieur assez de tranquillité pour se voir baisser la tête et fermer les yeux, il eut la surprise de percuter soudainement la terre ferme, la carène craquante s'enfonçant sans obstacle sous le sol natal.


ݣعدوا في الݣربه حيارى
و الغربه صعيبه و غداره
G'dwā fy l-grbh ḥyāra
w āl-ġrbh ṣʿybh w ġdārh
Ils demeurèrent soucieux dans l'exil,
Mais l'exil est cruel et difficile

Portant un regard hâté sur le port où pullulent tumultueusement toutes sortes d'hurluberlus dans un immense tohu-bohu, son attention se perd loin des brouhaha de ce bizarre bazar, dans la brise qui siffle sur le bistre sable sous-marin comme un essaim d'abeilles aux élans de bourrasque au bord d'un arbousier. Combattant l'acouphène occasionné par la brusque cacophonie de la côte, il concentre les quelques provisions prévues avant départ sur la coque en attendant que le réveil imperturbé des belles endormies leur inspire de se réunir sur le rivage.

Une fois assemblée, la procession se dirigea loin des plages prisées de Kristel — protégeant de toute propension touristique la population de Gdyel — dans la forêt du djebel l-Ġār, d'où l'on peut voir le Murdjadjo cacher le couchant crépusculaire cassant la mer en kilomètres de camaïeux délaissant dans leur danse tout un sépia sédimentaire destiné à l'accession subséquente du cortège à une halte où se rassasier convivialement après un si long silence. Happés par la senteur d'agneau le long d'un trottoir où les chibanis se tracèrent un crachoir en papotant éternellement, ils pénètrent alors la demeure des saveurs turques si chères à l'urbs oranaise, s'installant autour d'un mezzé en guise d'amuse-gueule.
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Sam 3 Avr - 6:32

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Habitation permanente : Living Mirage, Old Fyre, et entre les deux.
Occupation : Chercheur en tout.
Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
A quelques tables de là, il y a un homme qui pense. Les mains jointes sous son menton, le regard dans le vide, il a une gravité saugrenue entre le papier gras étalé sur la table et un demi gobelet d'ayran bien entamé. C'est qu'il songe, il songe, à un peu trop de choses en même temps, peut-être. C'est que tout s'agite, aussi, et il ne se souvient déjà presque plus de ce qui l'a poussé jusqu'ici, presque sur un coup de tête, ce qui ne lui ressemble pas vraiment.

Mais, à l'heure où il se passe tant de choses, c'en est presque rassurant de se dire qu'il peut encore le faire. Comme si le voyage, sauter en surface, glisser sans remous à travers les vies des autres sans jamais les troubler, avait le goût des caprices d'enfant qui comblent les angoisses. Il s'est dit, loin de là, "je veux entendre chanter les pierres". Alors il a fait son sac et il est parti pour rechercher les lieux où vivent les pierres qui, la nuit, murmurent entre elles les secrets de la terre.

Au soir qui tombe, cependant, il est encore loin du silence et loin des pierres. Il reste, prisonnier du rivage, là où les rochers d'ocre claire viennent mourir dans l'écume, comme si l'océan le retenait encore un peu et qu'il voulait voir ce que le roc, la clarté et l'eau pouvaient lui donner. Tout le jour, il y a eu de la lumière, il y a eu les vagues et les coulées bétonnées des quartiers d'Oran, des pentes à gravir pour s'élever au-dessus du paysage et embrasser de loin en loin de longs horizons écrasés sous l'azur poussiéreux. Des moments suspendus sous les pins qui frissonnent sur les versants du Murdjadjo, et toutes ces contemplations dans lesquelles Nour s'abîme quand il n'a rien de mieux à faire que ruminer des poèmes qu'il n'écrira jamais.

C'est à la toute fin du jour, quand ses jambes ont sévèrement commencé à lui faire défaut, qu'il a cédé à l'appât de la mangeaille et échoué dans le premier endroit susceptible de satisfaire son appétit de sauterelle. En cas de doute, toujours se fier au hasard, et puis on ne risque jamais grand chose à fréquenter la fine fleur de la gastronomie turque qui persiste, comme une boussole fidèle, à pointer vers quelque chose de profondément familier. Le ventre plein, les doigts graisseux et l'esprit en paix, il songe à la suite du voyage et déplie ses cartes mentales pour se rappeler d'itinéraires déjà parcourus et des gens à contacter sur sa route. C'est que l'Ordre a des yeux et des oreilles un peu partout, et Nour encore plus, ce qui s'avère toujours bien utile quand il faut trouver un guide, une voiture ou un coin de canapé où dormir.

Machinalement, il fouille ses poches à la recherche de son paquet de tabac mais las, la blague de cuir fatigué ne lâche qu'une misérable poignée de miettes sèches qui font bien peine à voir. En désespoir de cause, il rassemble les bribes de son meilleur darija pour se pencher vers la tablée, juste derrière lui, où une famille partage son plat.

- Pardon messieurs dames, vous auriez du tabac ?
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Sam 3 Avr - 13:53

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Son attention extirpée de la voracité avec laquelle sa fille assassine son assiette, son regard suit avec patience les balbutiements du vieux camarade de table, trahissant son extériorité. Suivant sa succincte phrase, Miquèu brise la glace en accédant avec sourire à sa requête :

    — « سلام. تبغ للدوخّان؟ » Malgré le geste accompagnant le verbe, le touriste s'y perd, ne sachant si l'on y parle de chique, de quoi fumer ou bien une autre substance encore. Voyant sa mine s'allonger comme la réflexion de son portrait dans un thermos, Miquèu renchérit en riant, « عندك راس تبقى فلريح اميعو؟ »
    — « لا أفهم ،أه، دوخّان ،أه، العربية، العربية » Ainsi se confond-il, réalisant l'exercice que représente la sociabilité en terre finalement peu connue.
    —  « مانعرفش عربية، هادي هي دارجة تاعنا » lui lance-t-il avant de mettre fin au supplice de son farfelu collègue en profitant de la générosité des fumeurs dehors, cachant encore leurs cigarettes du colonisateur, soixante ans après le combat. Revenant à l'itinérant avec une pincée de tabac adaptée à la pipe qui pendait de ses doigts, il reprend : « Au fait, khoya, on peut parler français, tu sais. »


La table familiale se laisse enfin aller au rire qui gagne assez vite le fumeur piégé, dont le nom se fit enfin savoir, après les taquineries, lorsque le petit groupe se présenta. Nour, Sophie, Miquèu ; un regard incertain rencontre celui du père, qui hoche en approbation : « Louise », énonce clairement l'adolescente. Comme à leur habitude, elle et sa mère brillèrent par leur manière de diriger la conversation, de telles démonstrations d'intelligence émotionnelle et sociale étant un spectacle sensationnel pour leur paternel bagage, qui finalement ne s'est exprimé que brièvement sur le voyage qui les attendait.

Au moment de la commande, Nour choisit son usuel sandwich aux plus de viandes possibles dans son éternelle indécision avant de quitter le restaurant pour entamer son tabac, tandis que la famille s'adonne à un rituel pour le moins excentrique, se concertant sur toutes les choses qu'elles souhaitent manger afin de sélectionner des plats qu'ils partageront une fois placés devant eux, une méthode pour le moins communale, qui ne va pas sans rappeler de très douces heures de la tendre enfance du baroudeur iranien, n'ayant pas connu de festin de famille depuis ce qui lui semble une éternité.

Mélancolique, il revient à ses songes, tassant son poison avant de l'enflammer pour une profonde bouffée, les yeux fermés d'extase, avant d'en contempler les volutes se dispersant dans le ciel étoilé que les vieillards à ses côtés scrutent aussi, comme rassurés de sa nonchalance. Son expression pensive retombe cependant en froncement sérieux lorsqu'il aperçoit, avec stupeur, le secret que son samaritain porte sur lui.
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Sam 3 Avr - 18:11

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Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
Dehors, la nuit éclabousse des lueurs jaunes et le frisson timide des étoiles qui arrivent encore à s'immiscer jusqu'ici. Nour se rafraîchit le museau à la brise qui monte de la mer et aspire une longue bouffée salvatrice. En même temps que la nicotine embrasse doucement ses alvéoles pulmonaires, la plante fait son effet et le monde retrouve une apparence un peu plus familière. Un lutin minuscule se carapate avec un fagot de frites en slalomant pour feinter un moineau inquisiteur, et quand Nour regarde à l'intérieur de la salle, Miqueù... Eh bien Miqueù brille.

Ben merde alors.

ça scintille, ça flamboie partout sur lui, comme des éclaboussure de flammes rouges, orangées, d'un bel éclat d'or pourpre. Longtemps, le savant tête sa roulée odorante en le fixant avec une certaine curiosité amusée. Voilà un mystère surprise, et c'est heureux car par-dessus tout, Nour aime les mystères. Il prend cependant le temps de finir de se goudronner la gorge, non sans ravaler avec sa dernière bouffée de tabac la mélancolie qui s'y est logée en même temps que le goût âpre de l'herbe sèche. C'est que la scène lui inspire bien des choses douces-amères, et l'image de l'adolescente qui engloutit sa part du repas est de ces choses de nature à attiser un rien de tendresse.

En revenant à la tablée, il fait à son habitude : curiosité bien aimable et précautions toutes douces dans les questions faufilées dans la conversation, tandis que parfois il guette les visages, les expressions et les silences qu'il voit de temps à autre se suspendre au hochement de tête du pater familias. Pas par pas, comme on tâte la glace avant de s'engager et maintenant il est près de Miqueù avec la double-vue bien affûtée, il remarque la fine poudre qui macule ses vêtements, qui s'est logée dans ses cheveux et toute sortes d'interstices. Son esprit s'échappe un instant du fil des paroles pour feuilleter son encyclopédie mentale et énumérer les plantes connues capables de produire un pollen de cette nature. Une petite voix se demande qui d'autre l'a remarqué, et s'il n'y aurait pas des ennuis à la clef, par la rareté de ce qu'il devine.

Nour se raccroche laborieusement aux palabres, profitant que chacun est occupé à manger, puis secoue légèrement sa vieille tête en faisant mine de réfléchir. Avec sa courtoisie un rien surannée, voilà qu'il propose à la petite famille de faire pour eux le chemin jusqu'à la destination qui a filtré à un moment donné.

- Je comptais me rendre dans le désert sur la piste de mes fameux cailloux, explique-il. ça fait une trotte, c'est sûr, mais j'ai l'habitude de conduire et ça serait bête de le faire à vide, vous voyez ? Je peux vous amener jusqu'à Djelfa, ça vous fera moins long et moi, ça me fera un peu plus de compagnie que l'autoradio.

Il sourit, et sourit encore quand, au terme d'une minute de conciliation presque silencieuse, la famille accepte. C'est que ça lui fait plaisir, à Nour, qui agite en l'air sa poignée de doigts grêles.

- Vous aurez l'occasion de visiter un peu quand même, allez, on en aura pour un petit bout de temps. Y'aura du paysage.

Les rouages sous les boucles poivre et sel s'agitent encore quand l'affaire est close, et que, "ah vraiment, j'insiste", il se lève pour régler la note de tout le monde, vraiment, c'est rien, c'est le boulot qui paie. Et il a bon dos, le boulot, parce que quand vient l'heure à chacun de retourner à ses pénates, voilà le savant frappé d'une illumination subite. L'intendance de l'ordre doit avoir les oreilles qui sifflent, parce que voilà que, heureux hasard, il explique en sortant que l'appartement qu'on lui a loué est toute de même drôlement grand et qu'il y aurait de quoi y faire dormir du monde. Et puis bon, demain, il faudra s'en aller tôt, ça sera bien mieux si tout le monde est sur place, alors pourquoi s'embêter ?

Du coin de l'œil encore, Nour observe, avec un rien de prudence curieuse. Des indices, subtils, douloureux. C'est parfois dans le silence qui s'impose, dans des mutismes brefs, des regards qui fuient ou se croisent, dans des réflexes à demi conscients qui suggèrent toutes ces choses qui pèsent comme un mort. Les petites méfiances, les sourires, aussi, et les franchises bien nettes qui se fichent de la fierté.

Dans la nuit qui file, voilà qu'ils vont, et Nour s'arrête un moment pour emprunter une cigarette à un promeneur avant de trotter vers le petit groupe qu'il emmène diligemment vers son logement. Dehors, l'obscurité est fissurée de halos, de lumières, la mer d'un noir d'encre. On l'aperçoit, au loin, comme une longue coulée opaque qui bat des reflets saumâtres. Dedans, ça sent bon le propre et les draps frais, la cuisine de la voisine, le tabac froid et le café renversé. Les affaires de Nour sont éparpillées un peu partout, comme une colonie de champignons en forme de carnets de notes, de chaussettes dépareillées et de la chrysalide vide d'un duvet abandonné sur le canapé. En hôte prévenant mais distrait, il tourne un peu en rond, s'excuse du désordre et fourre hâtivement dans le fond de son sac à dos les quelques objets susceptibles d'éveiller une curiosité difficile à assouvir.

Un moment plus tard, les invités disposent de beaucoup trop de couvertures et de prévenance rendue maladroite par la fatigue qui prélève manifestement son dû sur le vieux savant. Celui-là rend les armes sans tarder et loge sa carcasse maigrelette dans les coussins du canapé, sourd à tout ce qui pourrait bien troubler son repos jusqu'au matin.
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Sam 3 Avr - 19:34

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Il ne fallut pas grand temps aux invités de Nour avant de s'échouer à leurs places pour la nuit, dans cette loge spacieuse et autrement plus confortable que les tentes qu'ils se réservèrent jusque là. Le ventre rempli et sa journée aussi, Louise fut la première à se planter fermement en couche, non loin de ses parents qui n'ont jamais été d'ordinaire à dormir de si tôt, surtout Miquèu, peinant à trouver le sommeil et d'un silence criant le malaise à qui sait l'écouter, malgré sa distance.

S'il est une chose qui ne quitte pas son esprit en son moment-même, c'est la présence d'une personne qui le sait, à ses côtés, et dont le regard insistant se fait ressentir, lui soutirant les sentiments qui pèsent sur son souffle sautillant, sentant avec ses mains toute sa musculature se recroqueviller au rythme paniqué des suppliques qui se bloquent dans ses cordes vocales. Elle sait déjà, autant que cela sorte.
    — « Tu te rappelles que... j'ai choisi Wahrān pour éviter Alger ? » Aucun besoin d'évaluer la mémoire de sa dulcinée, il ne doute pas de ses facultés cérébrales, seulement du courage qu'il peut amasser à lui parler.
    — « Oui, mon amour. Tu ne veux pas y repenser. »
    — « Ah, ça, de toute façon, tu me connais, on y recoupe pas. Mais je ne veux pas revoir. Je vois déjà ici, tellement de choses ont changé mais tellement d'autres sont toujours les mêmes. T'es pas d'ici mais tu me comprends, tu as vu la banlieue même si tu n'y as jamais vécu, et là, c'est un peu pareil, à part peut-être qu'en France, on est plus traité comme des moins-que-rien que les autres. Si on regarde, j'ai vécu que quelques années là-dedans mais j'ai vu tellement de gamins se faire dérober leur vie, au tribunal ou sous la matraque. Aujourd'hui, dans mon pays d'origine, je vois des gens que je ne reconnais plus dans des appartements tout aussi délabrés qu'avant, immobiles taḥ les glaçons de peur de ne pas avoir assez pour faire ramadan, à nous fixer depuis les fenêtres t'erf l-'sās parce qu'avec un billet de chez nous, on a le luxe de trôner dans un resto à rigoler pendant qu'eux raclent les placards tout pareil qu'à Alger... » Ses traits s'épaississent, et ses yeux qui virevoltaient dans le vide la transpercent maintenant d'une intensité telle que le visage de la douce se confond en un mesclun d'émotions qui étranglent sa poitrine, dont le cœur palpite entre les mains de sa compagne avec un impact qui en secouerait tout l'être. Semblant avoir vieilli de dix ans d'un coup, il continue : « Les vieux, devant le kebab, tu sais pourquoi ils fument comme ça, avec la main devant ? Quand les français rôdaient, on voyait le bout rouge de la clope à Bab El Oued, et tu veux pas savoir ce qu'il se passait. Crois-moi, il valait mieux se brûler la paume de la main. Ma mère, dans sa tombe, elle a encore la bouche tordue à cause des coups qu'ils lui ont mis pour n'avoir pas dit où était mon père. Je t'avais déjà raconté ma cousine, Fatma Zahra, mes tantes, mes oncles, tout ce monde qui n'a jamais cicatrisé. Ta famille a dû tout voir aussi ; des plus petits que notre fille se font déchiqueter par les pales du monde, pendant qu'on ne peut que les regarder. Et maintenant, au milieu de toute cette misère, je dois m'endormir dans une chambre de luxe après les avoir vus crever de faim ? » La question est si dure qu'à peine achevée, sa mâchoire se comprime, enfermant sa langue dans la solennité de ses grommellements, ses sourcils s'adoucissent comme pour demander pardon pour la contagion de ses tristes maux.
    — « Chéri, c'est pas si facile d'avoir des scrupules quand on aime. » Tranchant sa respiration, il lui faut un moment pour se remettre de cette réalité, se relâchant en un soupir tremblant. « La moindre des choses, c'est qu'au moins notre fille ne dorme pas dans la poussière ce soir. Ça me fait mal aussi de penser à tous ces gens que j'ai connu, à mes camarades à l'orphelinat, à ma famille que je ne peux qu'imaginer dans les livres d'histoire. Mais moi, là, maintenant, j'ai toi, et j'aimerais que tu me fasses un câlin, parce que nous devons faire mieux au moins pour elle. » Lui étant encore paralysé, elle prend l'initiative d'enrouler ses bras autour de lui. Submergé par une soudaine affection, l'attente ne dure pas longtemps avec qu'il ne fasse de même, serrant avec une force qu'elle seule connaît tout son corps, la faisant comme s'avachir toute entière sur lui.
    — « Je veux mieux que ça pour toi aussi. Je t'aime tellement. » Une caresse le long de la cuisse, un langoureux baiser ; la bouche, les pommettes, la tempe, il redécouvre comme toute sa topographie faciale, ne trouvant pas de surface inhospitalière au dépôt de ses lèvres. Le nez plongeant à l'arrière de sa nuque, il glousse. « S'il faut, ce mec va tous nous buter avant Tiaret. » Se retenant de rire à en réveiller prématurément les dormeurs, ils se coclorent dans l'épaule avant de chercher le repos, enlacés l'un contre autre.


Peut-être cette dernière raillerie saura aider Louise à trouver un paisible répit également, n'ayant été bercée jusque là que par les rauques effluves sonores de l'agglomération urbaine, râpeuses à ses oreilles campagnardes. Sa tranquillité cache une préoccupation bien mature pour les terreurs de ses parents, qui malgré et peut-être du fait de leur trop d'efforts, risque parfois l'irruption dans des cauchemars dont elle craint même de parler. Mais, rongée de curiosité, l'Algérie propre à ces ancêtres sera certainement, pour elle, le théâtre de ses responsabilités, alors qu'elle s'apprête impatiemment à suivre la route des réponses sur laquelle Nour se fera chauffeur.
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Dim 4 Avr - 10:37

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Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
Le petit matin a jeté des brassées de roses en travers du ciel quand un Nour pas très frais s'extirpe de son cocon au point du jour. Le poil en bataille et la mine en vrac, pas encore tout à fait doué de parole, il grogne une salutation vague à l'adresse de Miqueù qu'il croise non sans s'étonner de le voir sur pied alors que, manifestement, les dames dorment toujours du sommeil du juste. Il faut attendre que la cafetière ait chanté sa petite sérénade et envahi la cuisine de ses arômes divins pour que le bonhomme arrive enfin à articuler quelque chose de vaguement intelligible. Les synapses encore prises dans leur gangue de sommeil, il échange quelques mots anodins et une tasse de café avec son hôte avant de s'éclipser pour deux choses capitales : fumer une cigarette et aller récupérer la voiture promise.

L'air vif du petit matin porte loin l'appel à la prière des mosquées qui se répondent. Il lui envahit gaiement la gorge et le réveille tout à fait, agrémenté d'un discret mais tenace relent d'iode marine et d'ordures renversées. Les rues sont calmes encore, curieusement silencieuses, et tout en marchant il se fait de ces réflexions d'étranger toujours de passage qui observe la vie autour de lui sans toujours la comprendre. Les soubresauts et les cabrioles de l'Histoire sont une chose, quand on les lit dans les livres, c'en est une toute autre quand on les regarde se dérouler sous ses yeux et laisser des traces, profondes, jusque dans les gens eux-mêmes. Il l'aime bien, ce pays qu'il ne connaît que par bribes, par échappées fugaces qui construisent des images en pièces de puzzle, mais parfois ses fêlures lui sautent à la figure comme un acide. C'est dans la terre, dans les visages, partout criant jusque dans les os. Dans ces moments-là, il se demande ce qu'il peut y faire, lui, avec ses pauvres mains et sa tête, si ce n'est garder la trace des choses qui disparaissent peu à peu, se souvenir des humains et des pierres, et la forme des arbres sur l'horizon.

Quand le béton aura tout mangé, il espère qu'on se rappellera qu'autrefois, il y avait des lions dans la forêt.

L'humeur s'en trouve toutefois adoucie quand il retrouve son contact et échange un rien de papote, prend et donne des nouvelles, et s'en retourne avec en sus de quoi nourrir ses invités avant l'escapade. À son arrivée, tout le monde est debout et Nour se hâte, un morceau de galette en bouche et de la hâte plein les pieds, pour régler les derniers détails et veiller aux provisions essentielles, remplir thermos, gourdes et bouteille. Ce faisant, comme un oiseau qui jacasse, il ne peut s'empêcher de causer et ose quelques plaisanteries bon enfant, raconte des voyages passés et s'enthousiasme tout seul d'aller avec sa loupe et sa boussole pour fouiller le sable à la recherche de ses fameux cailloux.

Tout en babillant et en tractant ses affaires jusqu'au coffre de la voiture, il guette du coin de l'oeil les réactions des uns et des autres quand des créatures qui ne font clairement pas partie de l'écosystème urbain ordinaire traversent la rue juste devant eux, ou pointent un museau inquisiteur entre deux poubelles. L'indifférence dont il font preuve titille encore plus sa curiosité, sans qu'il parvienne à distinguer entre le fait de ne pas les voir, ou bien le fait d'en être si familier qu'ils n'y prêtent aucune attention. Il ravale pourtant ses questions, et bien vite c'est le vrombissement du moteur qui façonne le paysage sonore en contrepoint de la voix de Cheikha Rimitti.

En prenant la direction du sud, ils laissent derrière eux les quartiers industrieux qui poudroient entre deux concessionnaires automobiles. L'extrémité est de la sebkha fait grâce d'un peu de verdure et de quelques étendues émeraudes, de lointains miroitement de sel aveuglant qui scintille comme un vaste miroir. Les bouchons avant la boucle d'El Kerma permettent de grapiller un peu plus du paysage lové sous l'ombre de la verdure de Misla, sur les versants qui bleuissent dans les lointains. En brefs aperçus happés ça et là, Nour attrape au vol des visions d'herbages, les champs de la plaine et de grandes volées d'oiseaux reflétés au-dessus du miroir. Le temps à peine de se dire qu'il voudrait bien y revenir, et puis la route les entraîne à nouveau pour avaler les kilomètres le long de l'autoroute. Pendant un long moment, ce sont des rangées d'oliviers et d'arbres rectilignes qui défilent en colonnes bien sages derrière lesquelles, à leur droite, ondule la ligne verte et grise des monts des Beni-Chougrane. La soldatesque végétale laisse place à d'autres cultures, puis s'assèche lentement en paysages urbains des villes qu'ils traversent. Ils s'y arrêtent parfois, le temps pour Nour de se dégourdir les jambes, fumer une énième cigarette et vider graduellement sa réserve de café, de musarder un peu et d'observer sans cesse les environs qu'il découvre avec un intérêt renouvelé.

Encore et encore, Nour parle. Il veut tout savoir du pays, tout curieux et attentif, et toujours prêt à rendre les récits qu'on lui donne. Il rétorque par ses souvenirs de lectures, par des légendes à demi vraies sur les monstres des marais, les sorcières dans le sable et les dryades dans les pinèdes. Il rit beaucoup, sourit plus encore, avec une gaieté tranquille qui fait briller les yeux très noirs sous ses paupières tombantes. Pourtant, il y a aussi des mélancolies qui tombent, comme des voiles, quand la gravité s'embusque à la faveur d'un mot, quand on frôle de trop près des choses qui pèsent. Au bout d'un moment, à mesure que la route bifurque le long d'un oued pour descendre vers Relizane, il ose :

- Ça fait combien de temps ?

La question file, presque à voix basse. Dans la douceur de la voix, l'invite est toujours chargée de prudence, alors qu'il se détourne un peu pour regarder, en contrebas, la rivière qui serpente entre les champs en pente douce. La réponse, pour lui, c'est toujours beaucoup trop, et il n'y a jamais rien pour combler la distance qui sépare du temps d'avant.
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Dim 4 Avr - 14:13

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    — « Combien de temps... que ? » rétorque-t-il à la question impromptue dont il ne déchiffre pas l'objet.
    — « Que tu es parti. »

L'air de rien, Nour happe l'esprit de son passager avec cette remarque qui s'enterre en lui comme une rapière s'insérant en son poitrail, lui faisant souffrance pareille que ses jours de peine par le passé. Itinérant dans son propre pays, étranger à sa terre, l'empressement innocent de Nour pourrait presqu'achever la notion-même de « revenir au bled. » Après tout, ne sont-ils tous deux pas plus semblables que différents ? La déroutante assurance avec laquelle Nour discute si séamment donne à penser sur le besoin de se livrer, parfois, aussi à une personne qui ne sait pas. Un inconnu, un voyageur, un ami lointain, peut-être... Quelqu'un qui, de par son insouciance, ne saurait offenser ses sensibilités.

Tant de tragédies, du Cid à Monte Cristo, qui se jouent dans sa tête alors qu'il vrombit imbécilement le temps de se morfondre intérieurement, traînant sa mascarade au plus tard possible devant une banquette arrière médusée, en attente de sa réponse. Eux tous le savaient déjà. Vingt-trois automnes, sans jamais s'arrêter de regarder en arrière, malgré l'horizon ; craignant d'autant plus le retour, la rencontre, la détresse de ceux qui n'ont pu partir. Se perdre au fond de l'eau aurait été moins tortueux, en rétrospective, mais ayant dépassé sa seconde règlementaire, son silence ne pouvait durer plus, au risque de parler plus que ses mots.


    — « Longtemps. »
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Dim 4 Avr - 16:18

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Nour Alizadeh

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Ça ne dure qu'une seconde, pas plus. Juste le temps de cligner de l'œil, passer à la piste suivante à l'instant où le mot tombe.

"Longtemps. "

Rien de plus. Lentement, Nour hoche la tête, esquisse un sourire dans sa barbe. Ça ne se voit peut-être pas, mais il y a quelque chose qui vibre dans le fond du regard, qui vibre de l'écho répercuté à travers les années, celui de toutes les fois où la question a été posée. Par lui, par d'autres, à lui, à d'autres. Combien de temps, combien de temps l'exil, la fuite, tourner le dos au pays et le reconstruire encore et encore dans sa tête et dans son cœur, quand ça n'existe peut-être déjà plus. Combien de temps depuis que les racines ne touchent plus terre, combien de temps la soif qui tiraille et détourne le regard vers les horizons qui cachent la maison natale ? Quel poids encore, logé dans les valises de la mémoire, ces souvenirs qui servent de seul bagage quand il n'y a rien à emporter avec soi.

- Je comprends.

Il hoche la tête, se tait, et dans l'interstice d'un mutisme bref, une voix chante l'exil dans une langue qu'il ne comprend pas. Avec cette même douceur, il lâche :

- On m'a un jour dit que c'était toujours trop longtemps. C'est dur de trouver un autre endroit où prendre racine.

Rien de plus, lui non plus. Son histoire à lui, elle s'embusque dans tous ses récits, et ça n'est peut être pas bien important. La leur, Nour en devine à peine une bribe, juste assez pour l'intimer à ce silence révérencieux que causent les plus irréparables blessures. Le poète a le pied léger, quand il s'aventure près des tombes de la mémoire d'autrui.

La chose passe, la ville arrive, et avec elle le rappel que c'est bien beau tout ça, mais la faim tenaille, et les refrains de Cheb Khaled qui ont rythmé un bon tronçon de route finissent par donner soif. Il faut croire que la mélancolie aiguise l'appétit de Nour, lequel ne rechigne nullement à la proposition faite de prendre une bonne halte et de profiter d'un moment pour faire le tour et s'intéresser à ce qui se passe dans les parages. Personne n'a l'air vraiment pressé, ce qui l'arrange bien, et puis il leur avait promis des paysages et ce serait bien chiche de sa part que de presser le pas au risque de gâcher un peu du retour au pays.
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Dim 4 Avr - 17:24

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Les tambours de l'estomac filial annonçant l'heure de la merenda, tous se mirent en marche, à la recherche de l'instrument de leur satiété, divagant alors quelque peu, progressant en zigs-zags dans les quartiers de Relizane, et pas seulement parce qu'on croirait le bitume criblé d'obus. Ici, bien plus de jeunes parcourent les trottoirs, le boulot ne poussant pas tellement dans les blocs bétonnés entre lesquels rampent les bagnoles, parmi lesquelles on reconnaît les flics banalisés à celles que les chômeurs chroniques fuient de peur des soupirs exaspérés des tribunaux où plus personne ne fait acte de présence.

Gardant lui-même une profonde bile pour l-houkouma, les décisionnaires qui semble unir les algériens de tout l'espace-temps dans la même pauvreté, le même zʿāf, mais fort des paroles qui ont guidé son humeur depuis la nuit dernière, il témoigne, par le regard, une complicité et un respect profond pour ceux qui guettent leur chance, qui ne lâchent rien, et quitte à finir harraga, à briser le silence, avant de se diriger vers un endroit de la ville qui semble parfaitement coller aux envies soudaines de tout le petit groupe : la pâtisserie.

Toutes préparées sur place, maison, recouvertes de chocolat ou légères comme la brise marine, peu importa aux morfales qui agressèrent la vitrine avec un brin d'écume qui leur colle aux lèvres, se rachetant bien vite de n'avoir pas déjeuné plus tôt. Après s'être grassement goinfré jusque dans la voiture, les coups de fusil les interpella, sans crainte cependant, ces derniers étant signes de festivité et d'amusement populaire, certains communiquant encore la mémoire de leurs ancêtres à cheval, courant, tirant et même dansant à dos de barbe depuis des siècles. S'adonnant à des danses nouvelles pour la famille, contribuant à la sauvegarde de coutumes centenaires, tous y trouvèrent un îlot de relâchement au milieu d'un désert de tensions. Miquèu, en particulier, fut ravi de s'y reconnaître, introduisant sa passion infantile pour l-matrag à sa fille mobile et fougeuse, sa femme forte et réfléchie et même Nour, lui changeant un peu du volant qu'il repris cependant bien assez vite, lorsque l'euphorie s'estompa et la fatigue fit formidablement effet.
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Mar 6 Avr - 12:22

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Nour feinte l'amertume en même temps que les nids de poule dans la route et pirouette tout seul dans sa tête en faisant défiler le nombre de fois où cette impression de vaste gâchis lui a pesé sur les épaules. C'est moche, c'est moche et c'est partout comme ça, à la longue, ce qui ne fait pas de grâces à ce pessimisme latent qui lui enfume la tête. Mais comme tout le reste, ça passe, et la gaieté lui revient aussi sec sur la figure quand il avise la destination choisie par Miquèu. Son allégresse, irrépressible dès qu'il est question de faire grimper son taux de glycémie vers les cimes du diabète, est vite dépassée par celle de Louise.

- C'est que l'amour de la boustifaille transcende les générations, dites donc, lâche-il en riant.

S'en suivent quelques délibérations délicieuses sur la nature du butin à emporter, où les inévitables choix cornéliens se posent entre ce qui crème et ce qui mousse, fruits ou chocolat, - oh, et puis mettez-y donc les deux. C'est à se demander où le prodigue personnage réussit à caser l'appétit vorace qui lui laisse pourtant les flancs creux, quoi qu'il fasse, comme si son éternel entrain suffisait à consommer tout son carburant.

Nour en est encore à débarbouiller le chocolat pris dans sa barbe que les coups de feu éclatent par-dessus la rumeur urbaine. En arrivant au lieu des festivités qui en sont la cause, voilà qu'il sourit tout grand comme un benêt, avec cette sorte de capacité innée à s'émerveiller encore et encore. Et il y a de quoi, vraiment, à voir la course des chevaux qui valsent et virent avec leurs crinières cendreuses battant les encolures arquées, ensanglantées par les flots de leurs ornements. Il y a de l'or, du pourpre, des empiècements de broderie, des reflets qui accrochent le soleil en points incandescents. Une fois, deux fois la ligne s'élance et les fusils claquent, la poudre chante dans les brefs panaches de fumée blanche qui planent et s'élèvent, avant d'être dissipée dans le plein galop des cavaliers. Les chevaux dansent sous la blancheur des étoffes, des ailes grandes ouvertes à la lumière battant la frénésie de la poussière soulevée par les sabots.

Laissant un peu de la latitude à la famille, Nour reste à l'écart quand le père initie sa progéniture au maniement des bâtons. D'un œil docte, qui a déjà tâté de l'entraînement martial de l'Ordre, il observe les passes et les virevoltes des combattants, non sans admirer la virtuosité qu'elles exigent. Le regard attentif apprécie les postures et ce qu'il comprend de la technique, en se disant que certaines de ses connaissances bénéficieraient bien de quelques enseignements de la sorte. Bien entendu, il ne se prive pas d'accepter la brève leçon en la matière que lui propose Miquèu. Le savant est peut-être épais comme l'arme qu'il manie, mais on lui constate un rien tout de même de vivacité quand il cherche à rendre des coups qui ne font que siffler dans le vide ou claquer en vain, bois contre bois. Il s'amuse de quelques passes d'armes et puis, parce que son attention a brièvement été happée par une curieuse silhouette dans la foule, glapit comme une corneille quand ça lui claque contre les côtes.

C'est le signal d'une élégante capitulation, et comme la petite trahit quelques signes de fatigue, la route reprend, un rien plus calme, alors que Louise et Sophie se sont assoupies à l'arrière. En quittant Relizane, tandis que le jour baisse, le terrain s'élève et la route s'incurve dans des terrains boisés qui leur font grâce de longues ombres parcimonieuses. Le soleil clignote un moment derrière les pins et les broussailles, glisse sur les visages endormis que Nour distingue dans le rétroviseur. Il sourit, non sans tendresse, devant les têtes de la mère et de la fille, appuyées l'une contre l'autre, leurs boucles brunes emmêlées ensemble.

- Finalement, elles auront pu profiter un peu de la route, c'est bien, oui, c'est bien, lâche-il à mi-voix dans le calme qui est retombé. Elle est formidable, ta fille, tu sais ? Bien sûr que tu le sais.

Le sourire lui grimpe sur les pommettes et plisse les yeux, frappés en biais par la lumière morcelée.

- C'est joli à voir, combien tu les aimes. Ça aide à oublier que tout le reste part à vaux l'eau et qu'ailleurs, c'est pas beaucoup mieux. C'est ça le problème quand on voyage, parfois. À force, ça donne des impressions de fin du monde quand ça crie partout la même misère. Elle parle peut-être jamais la même langue mais à la fin, à force d'être que de passage, ça finit par sembler tout du même.


Le ton s'est fait un rien plus pensif, alors qu'il laisse sa nuque s'enfoncer un peu dans la mousse fatiguée de l'appuie-tête.

- C'est quoi la suite, pour vous trois ? Je sais bien que c'est rare, les gens qui reviennent. Y'a des endroits qu'on a traversés, j'ai bien vu, c'est des villes d'où on part, pas où on revient. Qu'est-ce qui t'attend, toi ?
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Mar 6 Avr - 13:58

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    — « L-biḥar. »
Le large. Une toute autre traversée du désert, le foyer à dos, vers le calme casanier. Vers Marie, vers les chèvres, vers un cycle silencieux jusqu'à l'irruption de la violence, des armes à nouveau, et du feu mortel qui consomme l'âme de Miquèu à chaque carcasse nouvelle à cacher dans les tombeaux de la conscience. Relevant les globes oculaires vers le faciès mitigé de Nour, et n'ayant franchement pas besoin de songer à l'enfer qui l'attend, il développe à nouveau :
    — « À vrai dire, je suis plutôt dans l'immédiat, tu vois. Elles n'ont jamais vu où je suis né, et, bon, ça sert à rien de s'en cacher. Encore qu'avec Sophie, ça nous dérange pas, d'aller de l'avant ; Louise, cependant, mérite de savoir d'où elle vient, pour mieux comprendre où elle va. Cu sta a maioun non si bagna. Toi, t'as l'air d'avoir bougé pas mal, aloura, ès pas gaire difficile de comprendre, je pense. »
Une main quitte le volant. Quelque chose vient de se dire ; peut-être la curiosité du chauffeur révèle en lui un besoin de réponses contre lequel la fatigue du monde pèse lourd. Quitte à le porter avec lui dans la poussière qui a vu sa famille venir et aller, Miquèu veut, lui aussi, savoir. Quelque soit le caillou que Nour s'affole tant à trouver, il y a autre chose de plus précieux que toutes les pierres et toutes les richesses de toutes les contrées ici qui lui ronge les profondeurs de l'esprit. Il faut avoir aimé pour comprendre le sourire heureux d'une enfant.
    — « J'ai enterré mon père et puis ma mère, là où on va. C'est eux qui m'ont montré, là où l'on avait arrangé les sépultures des martyrs. Je suis parti et, maintenant, je reviens. Parce que c'est ce qui m'attend, à la fin, comme nous tous, d'ailleurs. » Il ricane bêtement en sortant « Peut-être plus rapidement pour l'Algérie que pour nous si Rezig reste au commerce... », parodiant la rodomontade colérique des pâtissiers en pénurie à Relizane afin de rendre le ton moins grave. « Tu sais, on parle, on parle, mais je vois bien que t'es ailleurs, des fois. On dirait qu'un truc te dérange — bon, si c'était nous, j'espère que tu le dirais, quand même ! — mais je sais pas, peut-être suis-je indiscret. S'il y a une chose à laquelle j'ai dû me résigner, c'est d'ouvrir les yeux et voir à quel point il est important de se réconcilier avec la Terre, surtout la notre. Quoique, ça reste toi, le globe-trotter, dans l'histoire. Tiens, en parlant d'histoire, c'est quoi la tienne ? Comment tu t'es retrouvé là, à conduire dans le désert avec la famille Ingalls dans le coffre ? Entre nous, pour flamber de l'oseille pareille, tu dois pas être un scientifique de merde, hein ? »
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Dim 18 Avr - 7:21

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Un instant, Nour remâche le mot qu'on lui donne en réponse, comme s'il contenait tout ce qu'il y avait à dire. Et puis, il écoute. Il y a des silences qui se faufilent, avant que Miquèu n'en dise plus long et livre à l'attention du conducteur quelques détails qui comblent un peu ses interrogations. Il hoche la tête, gravement, et se dit que peut-être, il y aura le chant des pierres pour envelopper le lieu où ces morts reposent. Ça ne sera peut-être d'aucune consolation pour ceux qui viendront s'y recueillir, mais son esprit aime à y voir de ces miséricordes secrètes qui émergent parfois sans qu'on l'on comprenne vraiment ni pourquoi, ni comment. Des signes tracés dans le sable et des murmures de bouches closes pour bercer de douloureux sommeils, des choses qui veillent, qui veillent, jusqu'à ce que poussière redevienne poussière, d'étoiles, de corps ou de rien du tout.

Quand sa curiosité lui est retournée, Nour sourit, longuement.

- Ça oui, je peux le comprendre. J'essaie de ne pas oublier d'où je viens, mais je sais bien qu'à la longue, mon pays n'existe plus que dans ma tête et je suis nostalgique d'un endroit qui n'a jamais existé ailleurs que dans un fantasme. J'ai essayé d'en transmettre un peu aux jeunes autour de moi et à ma fille, mais pour être franc, c'est pas si simple dans une famille raccommodée de tous les côtés.

C'est dans la tête, oui, et puis un peu dans la poitrine aussi quand ça lui tiraille de toutes ces choses qu'il attrape du bout des doigts par petites touches, par évocations dérobées. C'est dans le nom des poètes morts depuis longtemps, dans le vol des oiseaux en pèlerinage et dans quelques rêves mis sous cloche de verre avec le bleu, le safran et les roses d'Ispahan. Le lieu qui lui manque n'a jamais existé et il le sait bien, comme si son pays d'origine, c'était devenu rien qu'un mirage qu'on ne peut vraiment voir que de loin. Les racines ne touchent plus terre, mais ont trouvé quelque chose d'autre auquel s'accrocher.

- De merde, mh, ça dépend à qui tu demandes. Toujours ailleurs, ça par contre, ça a toujours été comme ça. N'y vois rien de personnel, je m'intrigue d'un rien.


La gorge fatiguée lâche un rire feutré, très bas.

- Mais, oui, tu l'as bien remarqué, mes patrons regardent pas à la dépense pour me permettre, à moi et aux collègues, de faire correctement notre boulot. Vois ça comme, disons, des gens qui se préoccupent d'observer et de protéger certaines espèces un peu particulières qu'on trouve ça et là. Et moi bien souvent, je vais sur le terrain pour prendre des notes et répertorier ce que je trouve ou m'assurer que les plantes que j'ai repérées l'an passé ont pas fini sous la débroussailleuse.

Il agite un peu sa grande main grêle, disant cela, en cherchant des mots qui soient vrais, sans trahir non plus les quelques secrets qui doivent encore rester.

- J'ai eu de la chance de finir là, reprend-il. J'ai quitté l'Iran pour faire mes études, y'a longtemps de ça, et puis le temps que j'en aie terminé, j'avais plus grand chose vers quoi revenir. J'ai fait des rencontres, pas toujours très bonnes, mais au moins je me suis trouvé une place. C'est pas reposant et j'ai sans doute cramé assez de carburant en trente ans pour envoyer une fusée sur la lune, mais franchement, pour ce que ça me permet de voir, ça vaut bien le coup.

Même pour ce que ça lui a coûté ? Même pour ce que ça lui a coûté. Même pour l'absence. Tout doucement, comme un réflexe, sa main étreint brièvement son avant-bras, là où la manche de la chemise cache ces quelques mots qui s'accrochent dans la peau.

- Pour le reste, je te l'ai dit. Ce n'est pas la première fois que je dépose des gens au passage, ça m'évite de faire un voyage à vide et ça me fait de la compagnie. Je crache jamais sur un peu de conversation.


Une pause, une expression pensive tire presque un sourire sur le long visage un peu triste.

- Finalement, c'est pour le mieux quand il y a quelqu'un pour me distraire des autres choses que je voudrais bien trouver dans le désert, avec mes précieux cailloux.

Et sa voix se tire, et sa voix se tend, et le silence qui suit palpite de toutes les choses qui pressent contre ses côtes et qui voudraient sortir mais se tarissent à même la gorge qui ne sait dire que des choses un peu vides, pour combler. Tout reste sec. Désespérément sec. Lui qui trouve les mots adéquats, voilà qu'il ne sait plus et qu'il envie l'homme à ses côtés qui arrive à dire les choses, si simplement. Depuis quand est-ce que tout a cessé d'être aussi simple, pour lui aussi ?

- Attends, je suis pas scientifique et tout, réplique Miquèu, mais y'a un truc que je pige pas. Tu me parles de plantes, et après tu me parles de cailloux ? C'est quoi le rapport ?

Nour sourit encore, secoue la tête, tiré de ses pensées par la question, bien légitime, après tout. C'est l'habituel dilemme, trop ou pas assez, faire des entrechats autour des réponses et finalement beaucoup parler et ne rien dire.

- Tu ne me croirais pas.


Il garde le silence un instant, juste le temps de se souffler à lui-même que de toute façon, Miquèu et les siens ont sans doute déjà vu d'autres choses, alors, un peu plus, un peu moins... L'Ordre souffrira bien de voir son anonymat écorné quelque part entre deux confidences le long de la route.

- Je te le disais tantôt, c'est pas n'importe quel caillou que je cherche, reprend-il. Et si je te disais qu'elles vivent, ces pierres, tu me prendrais pour un fou, pas vrai ? Pourtant, je pourrais même te les montrer, la vérité vraie. Ça nécessitera un peu de patience, et même si on les confondrait avec n'importe quelle caillasse, faut pas s'y fier, c'est bien plus que ça. Les premiers qui m'en ont parlé, y'a longtemps de ça, les appellent "amḍif". C'est un nom adéquat, même si je n'ai pas toujours très bien compris ce qu'ils gardent. Je pense qu'il y en aura, là où on va. J'espère qu'il y en aura, en tout cas. Sinon... Sinon ça rend mon voyage un peu vain, et en plus, - il lâche un tout petit rire désolé- tu croirais toujours que je me fous de toi.

Comme cela arrive depuis un moment déjà, de légères pauses s'insinuent dans la mélodie de la voix. De temps en temps, il hésite, tire sur sa longue face maigre qui rend un bruit rêche quand la corne de ses doigts raides rebrousse les brins de la barbe qui grisaille.

- Ils sont importants, pour moi. J'ai été amené à voyager dans beaucoup de pays, et c'est étrange, mais j'ai toujours fini par les retrouver sur mon chemin. C'est qu'on en trouve un peu partout, surtout dans les endroits isolés où ils passent un peu inaperçus. Souvent, ils se rassemblent près des tombes abandonnées ou des vieux cimetières, comme pour tenir compagnie aux morts. Il y a toujours une sacralité particulière dans les lieux qui leur plaisent, quelque chose que je ne peux pas qualifier. Et puis, si je m'y attache autant, c'est aussi en souvenir d'un ami qui m'avait appris beaucoup de choses à leur sujet.


Il ne parle de pas plus de Pierrot, et la bouche reste close. C'est un souvenir encore trop précieux pour le donner ainsi, en pleine lumière, parce qu'il faut que l'ombre vienne en catimini pour ressortir de la mémoire cette image, si douce, si douce à l'esprit : c'était un soir, juste avant le lever de la lune. La clarté d'une lampe, à ras de terre, traçait un halo sur les petites silhouettes curieuses, en cercles, en arabesques, en motifs entrelacés autour de Pierrot qui s'était assis. Il y avait à voir, il y avait autant à entendre et sous l'éclatant draperie des étoiles, des voix fredonnantes avaient échangé quelques notes, s'étaient accordées dans le silence pour chercher à s'atteindre, l'espace d'un instant.

- C'est moche, reprend-il soudain, mais au final, je me rends compte que je sais même plus parler de moi sans parler de mon boulot, parce que c'est toute ma vie.

Les yeux glissent un instant pour capter ceux de Miquèu. L'aridité, accroche des esquilles fichées dans chaque mot à mesure que Nour réalise les choses, tout en parlant. Il réfléchit presque à voix haute, et lui parle, autant qu'il se parle à lui-même.

- Je comprends le besoin de revenir à la terre, surtout à celle où tu as enterré tes morts. Les miens... Les miens n'ont rien pour les recouvrir. J'ai perdu quelqu'un que j'aime, quelque part, dans le sud du pays, peut-être dans le désert. La chercher, c'est chercher une aiguille dans une bonne de foin, tu t'imagine bien, alors je crois que j'y reviens parce que j'espère toujours pouvoir retrouver sa trace, même trois fois rien. N'importe quoi, juste pour combler le vide. Peut-être aussi que j'espère me trouver, là où elle s'est perdue. Qu'il y aura des réponses au bout du chemin, que les pierres auront quelque chose à me dire, ou bien le ciel, ou Dieu, ou n'importe qui d'autre.


Ses doigts se sont serrés sur le volant, imperceptiblement, et sa voix douce a trébuché une fois ou deux sur les nœuds qui se font dans la gorge.

- Appelle ça la crise de la cinquantaine, ou tout ce que tu veux, mais je me fais vieux, et je suis fatigué.

Au fond, c'est là. Ça se faufile, comme un fredonnement, la mélodie profonde de la voix qui vibre, le timbre chargé de toutes les choses accumulées dans une avalanche dont Miquèu a retiré les premiers gravillons.

- Je crois que je ne sais plus très bien qui je suis.
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Truḥ tʿyā wtwly

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