Mar 20 Avr - 9:58 | |
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Invité | « Tu ne me croirais pas. » Un sourire sarcastique croît sur le visage velu de Miquèu, qui lance un regard complice dans le rétroviseur. Nour n'en voit rien. Il est ailleurs, comme si, en un instant, ne voyant pas d'échappatoire à la question, il était amené à envisager sa propre place dans le monde. Alors, l'expression faciale retombe, se perdant par-delà la fenêtre de la voiture comme pour lui accorder l'intimité que sa pudeur psychique requiert, avant d'entamer son propos pierreux. — « Que tu me mentes ou pas ne m'importe pas tellement, tu sais. Dans l'immédiat, tu nous amènes à bon port, et puis, bon, c'est pas à moi que tu vas retourner le cerveau avec un vieux mytho de bledard, khoya, » intercède-t-il en ricanant amèrement la nostalgie qu'il n'eut pu avoir jusque là, avant de confirmer les suspicions de son interlocuteur « et puis, tu parles de trucs qui vivent chez moi, tu te doutes bien que je devrais m'y connaître un peu, non ? Après, Nour, la vie prend la forme qu'elle veut, mais, je pense que là, ça risque pas d'être passé à la débroussailleuse — la fameuse débroussailleuse du Sahara, hein ? » Même perdu dans ses pensées, le perse peine à contenir un rire hébété devant la remarque, qui introduit soudainement un ton plus sérieux : « Non, mais, en vrai, pourquoi pas leur foutre la paix ? Perdus au milieux du désert, racontés dans des légendes qui n'existeront bientôt plus, mépris pour de la pierre, au final, c'est pas mieux comme ça ? » « Ils sont importants, pour moi. » S'ensuit alors une soliloque sur les sépultures et son bon ami, une association qu'il ne développe pas, qui l'endolorit peut-être. Déroulant le tapis rouge à sa tirade, Miquèu le laisse traiter de la place que son travail a pris dans son identité, avant d'en revenir aux disparus, décédés ou non. Quelqu'un qu'elle aime. « Elle est formidable, ta fille, tu sais ? Bien sûr que tu le sais. C'est joli à voir, combien tu les aimes. » Voir d'où l'on vient ; savoir où l'on va. Nour doit être perdu. Miquèu perçut qu'il porta sa parole dans la plaie, accentuant cette altérité fondamentale : l'un eut du mal à revenir à la terre des siens, tandis que l'autre la cherche sans cesse, bêchant son passé à l'usure de ses chaussures en quête de lui-même. Enfin, ce n'est pas par la poésie que le paysan s'est déjà démarqué, ce qu'une pression dans son dos lui rappelle vite ; Sophie, l'eau qui dort : littéralement, jusqu'à Tiaret du moins, où elle a dû se réveiller mais, sachant une pareille conversation se dérouler, restant discrète. Elle le ramène à la réalité, au désespoir qui dompte Nour. Il mérite mieux. — « Écoute. On peut— » Un faux-plat particulièrement traître vient secouer le tout-terrain, contorsionnant les endormies qui se réveillent brusquement. Du moins, pour celle qui l'était réellement. Nour et Miquèu ajournent la séance, passant à autre chose pour occuper l'heure restante. Cela n'empêchera pas à Louise de se rendormir, encore exténuée de la nuit passée et de tous les souvenirs qui lui ont été créés à Relizane, laissant à Sophie tout le plaisir d'encenser joyeusement le 4x4 de son humour et autres traits d'esprit sur le paysage peuplés de petites falaises, de fermes et de forêts encadrant le soleil couchant sur l-Idrissia, dont elle conte au moins tous les éclats du ciel du soir, nuancier où s'épousent tous les feux, si bien que Nour s'impatiente dans les lacets serpentueux menant à Charef pour en capter les ultimes lueurs, sautant presque du bolide au signal de Miquèu, qui, enivré par la narration, se rassasie plus d'embrasser celle dans laquelle il préfère laisser errer son regard, après six heures sans ce faire. Arrivé sur la terre de ses ancêtres, il serre sa descendance contre lui, si fort que l'on se demanderait s'il n'a pas peur de la perdre, elle aussi, dans le désert. |
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Dim 25 Avr - 6:35 | |
| ★ Points : 0 Messages : 71 Habitation permanente : Living Mirage, Old Fyre, et entre les deux. Occupation : Chercheur en tout.
Nour Alizadeh | " La vie prend la forme qu'elle veut", dit l'un, et l'autre sourit encore, comme souvent. Des sourires comme des vagues, qui vont, qui viennent, le flux, le reflux des songes et des souvenirs. L'onde noire remue l'écume de la mémoire dans les puits de ces yeux qui fixent, au loin, la route embrumée de soleil et d'un peu de poussière. Ils parlent, de ces voix basses qu'on réserve aux choses importantes et pour ne pas réveiller les dormeuses qui, au moins pour l'une, ne le font que d'un œil. Il reste à Nour un fond d'amertume avortée quand la conversation rompt le fil. D'avoir esquissé quelque chose, soulevé une idée nouvelle sans être parvenu jusqu'à son terme lui laisse, au fond de la gorge, un de ces petits désarrois de coquille fendue qui ne sait pas encore comment colmater la fissure. Finalement, ça devait arriver, tôt ou tard, quand on s'égare comme il l'a fait en s'inventant de vrais faux prétextes pour aller courir après soi-même. C'est ce qui arrive quand on va s'égarer dans ces endroits tellement emplis de vides qu'on ne s'y retrouve que face à soi, et rien d'autre. Comme dans une pièce vide où soudain, le battement de son propre cœur prend toute la place et qu'on écoute des choses auxquelles on n'avait jamais, jamais prêté attention. Nour est ailleurs, après. Il l'est toujours un peu, comme il l'a de lui-même admis, mais cette fois la mélancolie sans cesse accrochée à ses traits reste trop présente pour être innocente. Pourtant le sourire fait baume au cœur et le verbiage de Sophie se révèle une fois de plus un suprême réconfort qui apaise tout doucement, sur le visage du savant, l'ombre trop présente de ses pensées. Ce qui pèse sur son front se fait un peu plus léger, et puis se dissipe pour un temps quand elle raconte les couleurs du ciel et promet aux yeux las de brillants crépuscules. Un silence soudain lui cueille les oreilles quand il coupe le moteur en contrebas d'une fine crête rocheuse qui sinue dans le paysage ; il délaisse un peu d'intimité au couple et à l'enfant, et à grandes enjambées de criquet, Nour se hâte sur la pente qui pierraille sous ses pas. Là, il y a le calme, un rien de brise à ras du sol, des poignées d'insectes qui stridulent dans les résineux recuits par la chaleur du jour. Le soleil baisse, imperceptiblement, rase et poudroie sur les lignes de roches qui se succèdent comme les rides d'une mer pétrifiée, hérissée de lances d'agaves et d'échafaudages de figuiers de barbarie. La lumière leur donne cette couleur si particulière qui noie les paysages à ces heures du jour où règnent l'ambre, l'ocre jeté partout en poignées généreuses qui transfigurent de simples rochers en pépites d'or sableux. Le bleu du ciel noie sa palette pour mieux y faire contraste, et Nour, accroupi sur son rocher comme une chèvre sur son promontoire, allume une cigarette en souriant. S'il parle, c'est un peu, tout bas, de cette voix qui s'enroule comme une chanson, comme les bribes bleutées du tabac qui dérive autour de lui. Il demande encore ce que ça fait, de revenir, encore à distance, mais déjà tout proche, avec la destination juste derrière l'horizon. À Louise, ce qu'elle en pense, comme s'il lui fallait capter de ceci, la joie peut-être, le chagrin aussi, les émois logés dans le ventre pour les avoir lui aussi. Des retrouvailles par procuration, pour celui qui court après un rêve. Ça le fait sourire encore, sans doute, il aura dans le regard toujours la même intensité qui vibre des choses restées tues. Après, il faut bien se rappeler des contingences matérielles, et comme une brève consultation collective l'a décidé quelques heures plus tôt, un campement sauvage émerge à l'abri du vent. Autour du foyer que Nour alimente avec de mystérieux fagots tirés de son sac, la nuit s'avance et s'allume à mesure que le jour efface à l'ouest ses dernières agonies. C'est vers ce qu'il reste de ce bandeau de lumière, lâché sur l'extrémité du monde, que Nour s'éloigne un moment pour prier, et songer, et sourire encore quand résonne au loin un bourdonnement familier. Il en sent la vibration dans la terre, toute légère, sous ses doigts, un frémissement. Il de plus en plus noir quand il tâtonne au retour vers le campement où les silhouettes de ses trois passagers font le dos rond dans la lumière. Là, Nour raconte. Toute douce, toute grave, la voix s'élève dans la nuit et celui qui aurait voulu être poète leur raconte, avec les meilleures formes, le conte des amḍif. Les gardiens de pierre, sentinelles du ciel qui veillent dans l'immensité, les yeux tournés vers les étoiles d'où, à ce que l'on raconte, ils sont tombés au commencement des temps. Depuis, ils se sont multipliés, en cercles, en cercles, comme les rides sur l'onde. En cercles, en arabesques aussi, en motifs qui semblent s'adresser à quelque chose, tracer des lignes à travers nulle part, se déployer en tableaux gigantesques qui se reconstituent chaque nuit, avec une patience minérale que rien n'arrête. C'est enfin à la nuit close qu'il évoque, à demi-mot, de ces visions qu'il a eues dans le désert quand il y a eu des lumières, des voix, de ces moments irréels qui flânent dans les interstices du monde pour s'imposer au regard avec toute leur étrangeté et leur joie. Chaque mot laisse entrevoir la fascination curieuse que ces créatures lui inspirent, les signes qu'il y voit. Dans l'obscurité profonde, juste avant le lever de la lune, il dit, il dit parce qu'il pense qu'ils peuvent comprendre à leur façon, ce qu'il sait, ce qu'il croit. Ceux qui parlent des sentinelles tombées du ciel ne se trompent peut-être pas, et puisqu'elles se plaisent à veiller sur les tombes et les morts dont plus personne ne se soucie, pourquoi ne seraient-elles pas, à leur façon, un signe de miséricorde ? Là, dans l'ombre, dans les mains jointes sur les genoux cagneux, dans la note d'un ton ou d'une syllabe, il y a ce que Nour ne dit pas, cet espoir insensé, la confiance profonde en ce qu'il reste de bonté dans le monde. C'est pourtant bien présent, presque palpable, comme si soudain son écorce de vieil arbre sec s'était fendue pour laisser voir la foi qui en irrigue le cœur. À force de trop perdre, de s'être égaré lui-même, ou de ne s'être jamais trouvé, quelque chose, là, s'est résolu depuis longtemps à l'abandon. C'est au premier rayon de lune que tout s'anime. Ce qui n'était que bourdonnement à fleur de pierre, fredonnement tout bas qui vibre dans le sol se mue lentement en une note lourde, lente, qui monte dans le noir. Ils laissent un moment le foyer qui crépite, pour retourner au sommet de la crête. La lune est retombée sur la tranche, comme un jeton de cuivre posé en équilibre sur la ligne d'encre des rochers, et dans un souffle, le chant la salue quand elle éclipse autour d'elle la lueur des astres. C'est presque rien, au début, et puis ça escalade. Quelque chose enfle, dans le fond des gorges, des ventres de pierre, quelque chose plane au-dessus des monticules, effleure les rochers, glisse sa vibration pour tracer comme des lignes dans la poussière. L'oreille n'en capte qu'un peu, juste des bribes, les os saisissent un peu plus, et parfois, parfois Nour se demande si son cœur n'en recueille pas le reste. Des cailloux un peu spéciaux, il avait dit. Voilà donc ce qui pour lui vaut la peine de s'égarer si loin. La berceuse s'attarde encore, varie, se délite et flâne jusqu'à ce qu'elle s'en aille jouer de sons qu'ils ne peuvent entendre. Elle durera toute la nuit, parfois réduite à un murmure, parfois un fredonnement, tout bas, tout bas, jusqu'à mourir avec la nuit quand les gardiens s'endormiront, au premier effluve de soleil derrière l'horizon. |
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Dim 25 Avr - 10:57 | |
| Invité
Invité | ⵎⴹⵔⵏ
L'esprit scient pleurant son tort Pressant contre corps Qui l'embrasse, contre son cœur
Elles, sensibles, pressentent alors Se saisissent fort S'embrasent ; existence de fleur Remuant les vestiges de l'identité d'un pas incertain, les talons trouent la terre et en réveille des souvenirs que l'on pensait portés au loin par le sable. Les échos de la pensée résonnent et courent les murs de la maison, et bien, abandonnée, ornée d'abondants riens, faisant autant de place à la perte mais pas assez pour supporter l'absence. Les effluves du jardin de l'exil exactant l'ensemencement du logis exalté, il bénit en retour les jeunes espoirs ramenant l'odeur du genêt au bercail. Poussé en dehors par l'encens du deuil, le sang revient au sol tournant de vermeil en barbeau où, aux portes du sommeil, des voix éveillées s'élèvent en ronronnements pour ne nuire à la nuit, invitant à la table les petits gardiens du désert à la sociabilité timide. 'As-salāmu ʿalaykum wa raḥmatullāhi wa barakātuh, 'as-salāmu ʿalaykum wa raḥmatullāhi wa barakātuh. À perte de vue, le temps n'existe plus, Rien que le mystère de l'oubli. Chante l'hymne endormi depuis la nuit, perdu Dans le mirage qui fait office de mers englouties. | À perte de vue le temps s'écoule englouti par les ténèbres De la nuit qui sont toutes les mêmes. À perte de vue, l'homme néolithique a tracé sa route face à l'océan sans limite. L'horizon se situe entre deux mondes : celui d'hier et celui de demain. |
Aucun des deux n'est certain, l'un est passé et l'autre nous attend. |
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