Ça ne lui arrivait pas souvent d’avoir besoin de consulter un médecin. Non, ceux de son espèce ne tombaient pas souvent malades ou bien le restaient pas longtemps. Même leurs blessures guérissaient assez rapidement... En général. Juste pas cette fois-ci.

On lui avait planté une épée dans le flanc gauche au courant de sa dernière mission. Pas cool, pas agréable, mais il s’agissait des risques du métier. Jusque-là, Theva n’était pas trop inquiète. Pas du tout! Il lui fallait juste de l’eau et du savon, des points adhésifs, un peu d’onguent, des bandages et quelques jours de repos.

Elle serait comme neuve très bientôt. C’était assuré.  

Une semaine passa ainsi sans que la femme aux oreilles pointues ne se pose davantage de questions. Elle avait traité la plaie tous les jours. Machinalement. Eau savonneuse, onguent, bandages frais. Encore et encore. Sauf que là, les sutures adhésives avaient commencé à décoller (comme elles le devaient) et l’entaille était toujours bien ouverte. Elle ne s’était pas rouverte, non, aucun préfixe ici, parce qu’elle ne s’était juste jamais fermée. C’est comme si elle n’avait jamais commencé à guérir du tout. Pire, Theva remarque maintenant qu’il y a de drôles de couleurs qui remontent sur le versant arrière de ses côtes. Étrangement, ce n’est pas directement autour de la blessure, pas comme s’il s’agissait d’une infection... Et il n’y a même pas d’enflure! Les veinures pourpres montent plutôt dans son dos et commençaient maintenant à grimper vers l’avant de ses côtes, vers son cœur.    

Résignée autant qu’elle était alarmée, Theva s’était donc rendue au cabinet de la doctoresse qu’on lui avait recommandé. Vraiment, elle a l’air tranquille, comme si elle passait pour une visite de routine plutôt que pour faire inspecter une très vilaine blessure magique. Elle a même un petit roman avec elle pour passer le temps. Décontractée et faisant mine de rien, elle attend son tour, comme ça, en laissant même une autre personne passer devant elle avant d’enfin se retrouver en tête à tête avec l’inconnue à qui elle montre sa blessure. Ça ne pouvait pas être si grave que ça. Quand même.

Olivia ouvrit la porte à son patient, qui repartait avec un onguent dans la poche et un bol de bouillon de poule pour toute prescription, et appela le nom du suivant. Avec un peu de chance, elle achèverait sa journée par cette jeune femme qui serait un cas aussi facile que le précédent, seulement atteinte d’une bonne grippe ou d’une éruption cutanée.

- Installez-vous, je vous en prie.

Elle désigna les deux chaises placées face à son bureau, et alla s’asseoir dans son fauteuil confortable.

- Etant donné que nous ne nous sommes jamais rencontrées, je vais prendre vos informations de base. Nom, prénom et âge ?

La jeune médecin ouvrit le fichier reprenant toute sa patientèle et créa une nouvelle fiche. Elle entra soigneusement les informations et haussa un sourcil en entendant son âge, tentant un trait d’humour afin de déceler une potentielle erreur :

- Eh bien ! Donnez-moi votre routine pour conserver une allure si jeune, j’adorerais l’essayer !

Et c’était vrai ! Si Ollie pouvait conserver l’apparence de ses vingt ans la quarantaine passée, elle ne s’en priverait aucunement. Mais une fois ce point éclairci et les précisions données quant au statut magique de la femme en face d’elle, ce qui n’arrangeait en rien ses affaires, elle posa enfin la question ultime :

- Et qu’est-ce qui vous amène ici ?

Elle priait toujours pour une cheville foulée, un rache ou un mal de gorge. Mais ses espérances furent vite détruites. Elle lui indiqua donc la table d’examen et lui demanda de dénuder la partie du corps atteinte, en précisant bien qu’il était possible de la couvrir ensuite si elle ressentait la moindre gêne. Les Chevaliers ne s’embarrassaient généralement pas de pudeur, la doctoresse attachait cependant une importance appuyée aux limites de chacun et s’appliquait à démontrer qu’elles étaient respectées et valorisées au sein de son cabinet. Elle attendit donc patiemment, et se pencha enfin sur l’étrange blessure, intriguée par la description faite par Theva.

Theva n’était jamais à l’aise à l’idée de révéler trop d’informations personnelles. Non. La plupart du temps, elle opterait même pour un mensonge effronté (au moins par omission) sur son statut de créature magique. Hélas, cette fois-ci elle n’aura pas trop trop le choix. Elle devait le mentionner à la docteure qui allait devoir choisir un traitement adapté à sa situation. Pour autant, la femme aux oreilles pointues ne fut pas complètement honnête au sujet de son âge ou de son espèce. Déjà, avec une expression pétrogène, calme comme un rocher, elle donna quelques années d’écart pour brouiller les pistes et elle s’arrêta à être féérique pour le reste. De toute façon, les Justes étaient si rares et reclus que ça n’ajouterait aucune information pertinente à son dossier médical d’aller trop dans les précisions.

En revanche, Theva était très à l’aise de se dénuder le haut du corps, ce qu’elle fit quand la docteure le lui demanda.

- C’est moche et ça ne guérit pas.

Elle avait dit ça l’air de rien. Comme si elle aurait parlé d’une petite coupure plutôt que d’une grande plaie oblongue, à l’allure melliflue et entourée d’une peau pellucide de sous laquelle s’étendaient des veines cespiteuses et violacées.  

- Les sutures ont sauté et c’est vif comme si c’était arrivé hier, ajoute-t-elle, pas beaucoup plus énervée, alors que ça date d’il y a plus d’une semaine.

Theva serre quand même les bras autour de sa poitrine, plus pour la soutenir que pour la cacher. Du moins, c’est ce qu’elle fit jusqu’à apercevoir les marquages pourpres… Qui avaient continué à montrer sur l’avant de son corps… Et qui étaient désormais visibles jusque sur son sein.  

- Aaaaah, ce n’est probablement pas bon ça, en? Gémit-elle, un peu plus plaintive cette fois-ci, en indiquant le problème.