Olivia haussa les sourcils en l’entendant prononcer cette phrase. Elle n’aimait pas du tout l’assemblage de ces mots, la formulation, et ce que ça sous-entendait.

- Il me semblait que c’était censé être une collaboration ? Je veux dire, si c’est pour faire nos recherches chacun de notre côté et voir qui a le meilleur résultat, je peux demander à Danaé de me revendre le matos et je suis sûre de pouvoir trouver un ou deux cobayes volontaires.

Il l’avait mise en confiance, mais maintenant elle était complètement braquée et fermée. Elle s’était fait avoir trop de fois pour que le mécanisme soit encore efficace. Ce qu’il lui proposait était clairement un test, il cherchait à savoir si elle pouvait réellement lui être utile. Il voulait savoir ce qu’elle pourrait exactement apporter à ses petits projets. Sa voix s’était faite cassante, sèche et presque dure. Elle n’était plus du tout amusée et l’ambiance du parc qu’elle trouvait mystérieuse à souhait et parfaitement adaptée à cette petite rencontre ne lui convenait plus du tout. Elle aurait aimé être entourée de smog pour pouvoir se lever et disparaître dans la brume, le planter là. Désormais debout sur ses deux pieds, elle lui adressa un regard méfiant.

- Tu veux me tester ? Tu veux savoir ce que je sais ? Je découvre le monde de la magie, les seules connaissances que je puisse avoir à ce sujet sont purement théoriques. Par contre je suis capable de recoudre une plaie profonde sans cause le moindre dégât aux nerfs et avec le moindre tissu cicatriciels possibles. Je connais l’emplacement de tous les muscles, la manière qu’ils ont de se tendre, les mouvements que ça entraîne. J’ai une encyclopédie de médecine humaine dans la tête, et de l’or dans les mains en ce qui concerne la médecine d’urgence. Si ça ne te suffit pas, trouve quelqu’un d’autre ou débrouille-toi tout seul.

Elle était presque devenue méchante, blessée dans son orgueil et dans la confiance qu’elle avait placée en lui. Il fallait qu’elle arrête de croire que parce qu’ils étaient une Organisation, ou en tout cas une partie d’une organisation, les gens sur Old Fyre étaient plus bienveillants que ceux qu’elle avait précédemment pu rencontrer. En réalité, Ollie était déçue. Elle s’était visiblement trompée sur son compte.

Son brusque changement de ton le fige. Il avait l'impression d'être plus à l'aise, d'être en confiance, OK, il essayait de se rassurer, mais... Il essaie d'avancer, de proposer d'avancer, de construire une coopération sur de bonnes bases et il se fait agresser ? Fixe, il reçoit de plein fouet la baffe vocale qu'elle lui balance en pleine face avec son agressivité et sa méfiance. Ses mains se crispent, il essaie de s'empêcher de serrer les poings, de s'enfoncer les ongles dans les paumes. Il reste bloqué, le regard fixé sur elle, pour essayer d'assimiler, de comprendre. Il ne comprend même pas ce qui a provoqué son changement de ton dans ce qu'il a dit. Il aimerait arriver à être cinglant, à lui renvoyer la violence qu'il vient de se prendre mais il sait qu'il n'en est pas capable. Il la laisse finir de parler. Il n'est pas sûr d'avoir compris tout ce qu'elle avait à dire, il est possible que son esprit en ait filtré une partie. Une fois qu'elle a terminé, il laisse passer quelques instants. Essaie de garder son calme. Prend une profonde inspiration. Détourne le regard d'elle. Il voudrait être cinglant, il a les mots en tête, mais il a trop peur pour ça. Il essaie de reprendre le contrôle de lui-même. Il fixe le sol. Son ton se fait plus bas, les mots ont du mal à venir.

"Je... Je crois qu'on s'est mal compris. Je parlais de recherches théoriques pour savoir de quoi on aurait besoin. Se répartir le travail serait plus efficace et plus rapide. On n'a pas besoin d'être à côté dans la même pièce à lire les mêmes bouquins. Si on a chacun nos pistes, on peut les mettre en commun par la suite. Il y a sûrement des sujets sur lesquels tu serais plus efficaces que moi. Les cultures de peau, j'y connais rien. Je peux me renseigner, mais tu dois déjà mieux savoir ce qui existe. Tu as des recettes, tu as des connaissances. Si on coopère, j'ai besoin d'en profiter aussi. Tu peux profiter de mes réseaux, de mon matos, d'autres connaissances que j'ai. Il me semble que c'est gagnant-gagnant, non ?"

Au final les mots coulent tout seuls, pour la rassurer aussi, la calmer. C'est ce dont il a l'habitude. Mais il n'est pas sûr d'en avoir envie. Il n'était pas préparé à ça, et il n'est pas sûr d'avoir envie de le supporter. Il pose les mains à plat sur ses genoux pour les empêcher de se fermer, de trembler, et repousser cette boule qui lui monte dans la gorge.

Elle se calma un peu tout en restant debout, instaurant une distance de sécurité, émotionnelle autant que physique. Elle percevait une fragilité en lui qu’elle n’aurait pas soupçonné. Elle pouvait voir ses poings se serrer, sa posture se contracter et ses jambes se fermer. Il avait l’air de littéralement se replier sur lui-même. C’était assez impressionnant à voir, et elle se demandait si elle avait l’air de la même chose, quand elle réagissait de la même manière.

- Alors on s’est effectivement mal compris. La manière dont tu explicitais ton point de vue était, à mon sens, de se retrouver pour tester nos recherches individuelles. Tu n’as pas proposé de les mettre en commun. Maintenant, si tu veux effectivement une pleine collaboration, une mise en commun totale et entière de nos informations, ça me va.

Sa voix était un peu plus calme, un peu plus posée, mais toujours aussi énervée, en un sens. Elle soupira, se rassit et ferma les yeux. Elle alluma une clope, tira quelques bouffées, et ouvrit les paupières.

- Je risque encore de réagir comme ça. Autant que tu sois prévenu. On s’est suffisamment foutu de ma gueule par le passé, et j’ai tendance à réagir au quart de tour quand j’ai ne fut-ce qu’une seconde l’impression qu’on tente d’abuser de moi, de ma gentillesse, de ma générosité. Bref, je suis pas commode par moments. Vraiment pas commode. A toi de voir si tu es prêt à le supporter. Sinon, je suis une véritable crème.

Elle lui adressa un faible sourire, mi sincère, mi désolé. Elle se rendait bien compte que ses sautes d’humeur avaient tendance à être rapidement hors de contrôle quand ce sentiment précis prenait le dessus, elle devait impérativement travailler le sujet pour mieux le gérer. Mais c’était un processus long, pénible, et les résultats mettraient du temps avant d’être significatif. Cette idée était décourageante, mais contrebalancée par la certitude que ses liens sociaux en sortiraient grandis et plus sains. Et quoi de mieux que de passer du temps avec une personne y étant aussi sensible ? Elle s’en rendrait compte plus souvent et apprendrait certainement à corriger le tir. C’était un bénéfice à ne pas négliger.