Au-delà de la nausée qui pèse encore dans sa poitrine, Victoria ne reconnait pas l’angoisse qui la saisit à la gorge, qui serre, qui serre et qui fait mal. Elle reste donc immobile un moment de plus, prostrée au-dessus de l’évier, trop convaincu qu’elle sera malade pour oser bouger ou pour même répondre à Tullio. Elle sent sa présence rassurante qui la surplombe, malgré son incertitude effervescente, et finit par se tourner vers lui, prudemment, une main aveugle qui le cherche tout en gardant l’autre bien ancrée sur le comptoir. D’une béquille à une autre; du comptoir à son bras, Victoria se ressaisit, au moins en apparence, puis elle acquiesce finalement avec un hochement fébrile qui se prouve juste un peu trop insistant.

- Ça va mieux, ment-elle avec une toute petite voix, je vais bien.

Victoria se veut solide et elle a toute l’intention de l’être, sauf qu’elle s’effrite quand même un peu encore, et en ayant pleinement conscience des taches que toute cette poussière d’orgueil laisse sur sa fierté.

Elle tente quelques pas, enfin, seule, avec tout l’équilibre d’une personne ivre – ce qu’elle est, en quelque sorte, d’émotions – et chancèle à nouveau jusqu’au bord des larmes. Cette fois, quand elle se penche au-dessus de l’évier, c’est pour s’asperger le visage d’eau froide et tenter d’en éteindre discrètement la brulure sur ses joues.

- Faisons la bouffe, reprend-elle après un moment, la bouffe guérit tout.

Elle aide un peu, quand même, en coupant quelques ingrédients sans oser trop parler hormis pour poser des questions simples : combien de fois Marjan est-elle passée cette semaine? Quelles sont les vertus de cette nouvelle plante colorée sur le comptoir? Est-ce qu’Elana progresse dans ses cours virtuels? dans l’unique but de distraire son esprit en écoutant les réponses. Et enfin, quand il ne reste que quelques préparatifs qui se font mal à deux, elle retourne l’attendre sur le canapé, armée d’un film prêt à être lancée qu’elle prétend avoir envie de voir de sorte à s’enlacer conte lui sans avoir besoin de parler.

Deux heures plus tard, elle se sent bien, là, fondue à moitié sous son bras alors que le générique défile et qu'il ne reste rien à faire hormis souffler un bonne nuit en s'endormant déjà à moitié.