Tullio sourit quand le chevalier commence à expliquer que Toria l'a converti lui aussi au métal, Toria qui, justement, était entrée pendant qu'il parlait et s'était glissée de son côté du bar pour se servir son verre.

"Démoniaque, c'est rien de le dire! Un jour elle va me tuer."

Ricane-t-il, alors qu'il continue sa bière et que la chevalière se roule comme un chat sur le comptoir. Heureusement que Lillian n'est pas là, sinon il se serait senti obligé d'éloigner Emanuel. Il lui fait justement lever les yeux au ciel quand il déclare sa presque jalousie. La question, en revanche, l'oblige à réfléchir un peu.

"Alors déjà je viens d'Italie, après… j'ai été au Canada, au Kenya, aux Etats-Unis, au Japon, en France, et en Antarctique."

Liste Tullio, dans le désordre parce qu'au fond comme à part la France et les Etats-Unis où il n'est pas resté longtemps de toute façon, ça a toujours été pour des missions, ça n'a pas grande importance.

"Après on peut pas vraiment dire que j'ai visité, mais… ben sinon la liste se réduirait à rien du tout."

Avoue-t-il avec une petite grimace, avant de ricaner.

"J'ai vu de belles saloperies, ouais. Les fées sont jolies, mais ce sont des connasses. Et j'ai vu des bestioles qui volent des cadavres. Des serpents géants avec une paire de pattes et une paire d'ailes. Et des lutins. Si tu vois un lutin, soit tu t'éloignes, soit tu t'accroches à tout ce que tu possèdes et tu lui mets un grand coup de pied au cul. Ça mord, en plus."

Même si, au fond, ça lui avait plutôt rendu service en l'occurrence, et il adresse justement un sourire amusé à l'ancienne policière.

"Et toi, Toria? T'as bien dû voir des trucs sympa, non?"

Demande Tullio, alors qu'il jette un coup d'œil au verre d'Emanuel. Bientôt vide.

"Tu voudras essayer autre chose?"

Après tout, tant qu'ils ne sont que trois, c'est le moment de se lancer dans les cocktails, surtout s'il en veut un long ou farfelu.

La surface du bar sous son bras est froide, rafraichissante, et Victoria laisse couler dessus sa béatitude dans un long et plaisant soupire.

- Un jour, ça va te sauver la vie, corrige-t-elle Tullio en agitant vaguement l’index pour simuler une sévérité dont elle n’était pas capable dans son état.

Les reflets ambrés de son scotch ondulent doucement, comme le papillonnement de ses doigts sur le verre alors qu’elle prend un instant pour analyser le mensonge dans lequel Emanuel l’entraine, l’hilarité dessinant sur son visage un sourire incrédule accentué par l’arche relevé de ses sourcils expressifs.  

- Quand on fait de la boxe, en particulier, j’aime leur donner l’ambiance, ronronne-t-elle, amusée, prête à rentrer dans son petit jeu : cette semaine, je leur ai mis un groupe danois vraiment bien. Tu le connais, il me semble : Amarok, avec le loup doré…

Dans la pénombre auxquelles elles s’ajustent encore, ses pupilles se dilatent doucement au-dessus d’un sourire détendu.

- Tu sais, ils ont très beau guitariste qui aime porter des cornes pendant ces concerts…

Lentement, expressément, elle ferme les yeux le temps d’un long battement de cils simultané qui s’ouvre ensuite sur des prunelles ambrées comme l'alcool qu’elle porte enfin à ses lèvres. Avec un subtil haussement du sourcil, elle toise ensuite le musicien avec une connivence aventureuse, avant de transférer cette complicité, en plus attendrie et plus familière, vers Tullio qui parle des lutins.  C’est qu’il faisait référence à la mésaventure qui avait provoqué leur rencontre, quelques années plus tôt.  

- Moi … Je suis née dans un sanctuaire. J’ai pas mal tout vu, ou sinon c’est du pareil au même… Je trouve les dryades jolies et assez approchables pour des créatures féériques. Sinon, j’ai vu un dragon, une fois, de loin. Il était beau, mais si je peux passer le reste de ma vie sans en revoir un… Ben, ma vie risque d’être plus longue et je préfère ça, dit-elle, sa voix pâteuse, lasse, mais quand même un peu rêveuse.  

Son verre – dont elle n’avait pris d’un pouce – pâlit déjà à mesure qu’elle le vide, alors quand Tullio propose un nouveau cocktail à Emanuel, elle gémit doucement pour attirer son attention et en demander un de son côté.

- Si Lillian a fait sa commande d’amaretto italien, je t’en prendrais un sour.      

Tullio rapidement au travail, elle se retourne vers l’autre, le toisant un instant.

- Entrainer des recrues, ça m’impose pas mal de limites… Commence-t-elle doucement, si tu es en ville pour quelques jours, tu viendrais échanger quelques coups avec moi ? Ça fait longtemps.

Le petit barman avait pas mal voyagé. Il imaginait sa figure reposante à l'exploration des terres étrangères et visitant le monde et eut un petit sourire. Tullio était ce genre de personne avec qui il était reposant de discuter : il se félicitait même de l'avoir trouvé aujourd'hui, car s'il n'était pas entré dans l'Aquarium, il n'aurait pu constater à quel point le colocataire de Toria était assurément sympa. Vraiment cool. Il semblait en avoir vu, des créatures fantastiques, et Magnussen n'osa sans doute pas le reprendre sur le terme « saloperie », même si sa pensée était toute autre. Il était vrai, les fées pouvaient se montrer taquines, mais elles étaient si belles, au fond...et les lutins, si prompts à protéger leur territoire : chacun avait leur raison d'être et les humains avec leurs flingues et leurs épées n'étaient certainement pas l'espèce la plus sympathique du lot.

Il garda néanmoins cette pensée quelque part dans sa petite tête, ne voulant pas mettre le barman mal à l'aise, et surtout jugeant que le professionnel...ou plutôt que le très privé n'avait rien à voir autour d'un bar, en plus aux côtés de la belle Victoria.

Petit rire. Il regarda son verre : presque vide, oui. Juste un fond en fait. Cela expliquait sans doute l'impression de flottement qu'il avait tout à l'heure et les petits rires si niais qu'il faisait à des intervalles un peu trop réguliers. Sa tête glissa sur le côté, puis il remit sa magnifique chevelure en place.

« Mh...Un verre oui...ce que tu veux dedans, j'suis pas difficile, tant qu'il est plein. », il tend le verre à Tullio, faisant très attention à ce qu'il ne dépassât pas le bar. Bon, dans cette attention, il était probable que son mouvement lui ait vraisemblablement pris dix mille ans et ait été un peu ridicule.

« Magnifiques les fées...elles sont magnifiques. Oh...un dragon...J'adore ce monde, on en découvre tous les jours. Les dryades sont jolies, évidemment, vous avez bon goût. »

Il ne parla pas de la créature qui hantait ses rêves, il préféra plutôt changer de conversation pour le groupe de métal. Même légèrement saoul, un peu rêveur, Emanuel n'aimait pas trop insister sur ce qui avait changé sa vie. Il appréciait garder un léger mystère autour de sa personne.

« Un beau guitariste ? Oh, tu me montreras. Je suppose que tu as déjà fait découvrir à Tullio... »

Ses doigts dansèrent légèrement sur le comptoir, il se leva d'ailleurs de son siège pour se derouiller les jambes, malgré cette sensation de flottement qu'il ressentait depuis tout à l'heure. Il dut se tenir au bar pour éviter d'avoir la tête qui ne tournât trop.

« Echanger quelques coups de boxe avec toi ? Pourquoi pas ? Tu sais bien que je ne dis jamais non, surtout à toi, Toria. Ça me dérouillera un peu, je te le proposerai même tout de suite, mais j'ai peur d'avoir pris un peu d'avance niveau alcool et ne pas tenir sur mes deux jambes très longtemps. »

Très tactile, il posa une main sur l'épaule de Victoria, autant pour s'appuyer contre elle que pour appuyer ses propos. « Tu débauches à quelle heure, Tullio ? Nous pourrions rentrer en même temps et profiter de cette belle nuit, non ? A moins que notre présence dérange ton éventuel patron, évidemment ! »

Clin d'oeil.

Le verre de Toria est vite préparé, et il observe Emanuel lui tendre le sien avec une lenteur exagérée, alors que le chevalier lui laisse le loisir de choisir sa boisson suivante.

"Haha, ça marche, j'te fais quelque chose."

Tullio l'écoute parler des fées, des dragons, des dryades… et ses mains assemblent toutes seules un cocktail, à base de vodka lui aussi, pour éviter les mélanges. Il secoue négativement la tête à la mention d'un beau guitariste. S'il y pense, il fera peut-être la recherche sur internet, tout à l'heure. Ça sera peut-être l'occasion de commander des posters à accrocher dans sa chambre.

"Et voilà. Ça s'appelle… roulade sur la plage."

Il sent ses joues s'échauffer, un peu, mais décide d'ignorer superbement ce fait. Après tout, il a bien le droit de renommer ses cocktails, non?
…
La prochaine fois, il fera une cervelle de singe.
Ça sera mieux.

Il hausse un sourcil quand Toria insinue qu'ils se sont déjà entraînés ensemble et, curieux, prête une oreille un peu plus attentive à la suite… Oh. Ça n'aurait pas dû le surprendre, au fond, qu'il ne soit pas le seul à ne rien pouvoir refuser à la chevalière. Tout comme la proximité soudaine entre elle et Emanuel ne devrait pas le surprendre.

"D'ici une heure, environ. Et t'en fais pas pour Lillian, elle est pas là pour le moment."

Encore un clin d'œil. Ça faisait quoi, quatre maintenant? Personne ne lui avait jamais fait autant de clins d'oeil en si peu de temps, et ça continuait de le perturber et de le faire rougir. Pour rien du tout, évidemment.

"Mais ouais, on pourrait rentrer tous ensemble, ça serait cool."

S'il en croit ce qu'il vient de voir, il faudra probablement qu'il leur tienne la chandelle. Toria lui dirait que c'est une bonne occasion de pratiquer la non-jalousie... ce qu'il trouve qu'il fait plutôt efficacement.

"Mais par pitié, me proposez pas le jeu des 30 questions pour passer le temps."

Plaisante Tullio, en référence à la fois où ils y avaient joué avec Marian, et où ça ne s'était absolument pas bien terminé.

"Genre, je préfèrerais encore action ou vérité."

La conversation continue et Victoria finit par se redresser un peu, avec seulement les coudes appuyés sur le comptoir et son menton dans ses paumes.

- Je préfère encore les jolies créatures humaines, enchaine-t-elle en gloussant après le dernier commentaire d’Emanuel au sujet de la faune magique.

Un banc de petits poissons scintillants nage alors près d’eux, en prenant de longues pauses entre chaque mouvement synchronisé, comme au rythme d’une profonde respiration commune. Alors que Victoria soupire elle-même d’aise, certains s’aventurent autour d’elle, se faufilant même entre les mèches les plus volatiles de ses cheveux fraîchement lavés en encore légers d’avoir été passés au séchoir.

- Non, juste leur musique, rassure-t-elle Emanuel, avant d’ajouter avec un affectueux battement de cils, mais il me voit parfois porter leur T-shirt déchiré comme pyjama, en faisant référence à celui qu’elle avait découpé et transformé en crop top à l’occasion du concert où elle était allée rejoindre lui et Cy en coulisses.

- On va attendre que tu tiennes debout avant d’aller au dojo,rit-elle, et je ne suis pas vraiment d’humeur bagarreuse en ce moment non plus, ronronne-t-elle ensuite doucement en prenant une première gorgée expérimentale, du bout des lèvres, de son nouveau verre.

Après le scotch, l’amaretto est léger et sucré comme son sourire. En parallèle, Tullio sert à Emanuel un verre dont les couleurs passaient de l’orange claire, a foncé, puis à rouge, un peu comme ses joues quand il censure le nom de ce cocktail classique et évocateur. Amusée, elle ne manque pas de lancer un regard moquer à son meilleur ami, avant qu’il annonce la fin de son quart de travail et qu’il parle de passer le temps avec un jeu… Celui des trente questions lui plait, en général, mais elle se souvenait aussi de la catastrophe qui était survenue avec Marian, la dernière fois. Une grimace se dessine donc sur son visage, mais se sublime vite quand il amène l’idée de jouer à action ou vérité à la place.

-Comme c’est toi qui en parles, je vais prendre ça comme une invitation.

Sa voix enjouée est onctueuse, ses yeux, pétillants.

En parallèle, Emanuel, chancelant, avait pris appui sur elle. Tout naturellement, sans vraiment y prêter attention, elle glisse un bras au long du sien pour le stabiliser davantage, l’invitant vaguement dans une accolade distraite alors qu’elle considére encore Tullio et sa proposition.

- Alors… On pose une question à qui on veut, et si cette personne ne veut pas répondre, elle peut demander une action à la place, ou l’inverse, pourquoi pas, décrète-t-elle, en ne faisant aucun effort pour cacher le sourire dantesque lui avait grimpé sur ses joues.

- Du coup, Tullio… Toi et Xander, vous faites beaucoup de roulades sur la plage ces temps-ci ?

Une roulade sur la plage. Emanuel regarda le cocktail en préparation comme s'il s'agissait d'une allusion évidente de la part du barman. En réalité, nous étions à un moment de la soirée où le chevalier n'aurait pas été gêné de rentrer avec Victoria ET Tullio. Bon, il se serait probablement endormi lamentablement dans le lit, aussi, après avoir enchaîné les déclarations amoureuses, mais était-ce si grave ?

Victoria mentionna encore le groupe, et si Emanuel retint un rire, ce fut uniquement pour ne pas se trahir. Il aurait été évident, dans ce cas, qu'ils échangeaient à propos d'un élément qui n'aurait été connu que de eux-seuls et qu'il, par conséquent, ne valait mieux pas évoquer. Il choisit donc de ne pas relever l'allusion à propos du pyjama chemise de nuit, mais il le garda dans un coin de sa tête pour plus tard – il espéra tout de même qu'elle le lavait de temps à autre, hein !

« Je tiens debout très bien, me suffit juste de quelques secondes pour trouver un équilibre stable. », dit-il, les jambes encore un peu en galère pour trouver un centre de gravité digne.

Un léger rire le prit, puis Tullio proposa un action et vérité de très bon goût : un jeu qui ne dérapait jamais, en effet. Lui-même ne dirait jamais non à ce genre d'activités, d'autant plus qu'il trempa ses lèvres dans le cocktails bienvenus. Ne jamais dit non, s'appuyer de manière très discrète mais tout à fait naturelle sur Victoria comme s'ils ne faisaient qu'un. Un autre rire franchit le cap de ses lèvres, tandis qu'il l'écouta poser sa fameuse question.

Attendez, chers auditeurs, il y avait-il un double sens à la question et notre petit barman jusque là suspecté d'être en crush sur Victoria avait-il une passion non déclarée pour un inconnu anonyme ? Ne connaissant pourtant pas le fameux Xander, Emanuel pouffa de rire, faisant tapoter ses doigts sur le bar un peu comme un enfant, content et un peu excité par la future réponse.

Il était vrai qu'action et vérité était un jeu rigolo. Du genre qui pouvait remplir les meilleures soirées. Les contre règles de Victoria lui plaisaient, en plus, il en frémit d'avance.

« Compris et accepté. », fit-il en levant la main en l'air pour promettre, attendant sagement son tour et glissant une petite pique – évidemment assez fort pour que Tullio l'entende : « Quand tu dis des câlins sur la plage, c'est à double sens, évidemment ? Parce que ça change le sens de ta question, hein ! »

Et il se frottait les mains d'avance de cette réponse, à peine subtil et oui, c'était ironique, sur la question précédente.

Tullio ne peut que pouffer quand Emanuel prétend "tenir debout très bien". Il note toutefois de surveiller l'évolution de son ébriété au fur et à mesure que le cocktail descend, et se demande s'il lui servira encore un verre ou pas.

La chevalière le tire de ses pensées en déclarant qu'elle prend ses paroles comme une invitation, et il hausse un sourcil à moitié parce qu'elle a l'air de serrer son collègue contre elle, à moitié parce qu'il est intrigué par les règles qu'elle énonce. Lui n'y a jamais joué de cette manière, il fallait plutôt choisir entre action ou vérité et se débrouiller avec ses regrets ensuite, mais pourquoi pas?

La vraie question qu'il aurait dû se poser était plutôt pourquoi.
Il n'a pas pensé, ou a complètement occulté, le fait que Toria n'était jamais aussi heureuse que quand elle pouvait le gêner, ce qu'elle venait de réussir sans le moindre doute puisque ses joues auraient pu remplacer une plaque de cuisson.
Autant dire que quand Emanuel en rajoute une couche, il se demande s'il n'a pas intérêt à aller se cacher au sous-sol et à faire trois fois le tour de l'île avant de lancer à nouveau une proposition de jeu.

"Jamais sur la plage."

Rétorque-t-il avec une mauvaise foi évidente pour quiconque le connaissant un peu. Le fait qu'il ne réponde pas "non" à l'interrogation était déjà une réponse en soi, d'autant qu'il avait parfaitement compris la vraie question mais… techniquement parlant, ce n'était pas un mensonge. Il n'est pas peu fier de son esquive, et ça mérite bien de vider sa bière. Est-ce qu'il s'en prend une autre? … Allez, suivante.

La question d'Emanuel le fait rire alors qu'il jette la capsule dans la poubelle un peu plus loin et, tandis qu'il réfléchit à sa propre question, lance sa bouteille vide en l'air pour la faire tourner puis la rattrape, sans -trop- de difficultés. Pas assez sobre pour se lancer dans des acrobaties, mais encore suffisamment pour terminer son service, donc.

"Du coup Toria. Qu'est-ce que tu penses de notre cher Emanuel ici présent?"

C'était, clairement, une repompe de la question qu'elle lui avait posée sur Marian, quand ils avaient joué aux trente questions. Il n'en a même pas honte.
Il en a d'autant moins honte qu'il est sûr d'avoir vu quelques regards complices s'échanger de l'autre côté du bar.

D’une main sur l’épaule à des bras qui s’emmêlent, quelque part pendant que Victoria amorçait le jeu, la distance entre elle et Emanuel s’était considérablement réduite. Perchée sur son tabouret, elle le laisse donc se fondre contre elle, encadrant ses épaules d’un bras tandis que ses doigts distraits s’aventuraient dans ses boucles soyeuses.   Quand il questionne sa terminologie, et indirectement le nom de son breuvage, son rire pétille et elle souffle près de son oreille.  

- Ton cocktail… C’est un Sex on the beach, explique-t-elle simplement dans un murmure.

Malgré sa gêne évidente, Tullio lâche en réponse une bombe et la surprise explose sur le visage de Victoria, avant qu’un énorme sourire – de ceux qui sont impossibles à simuler et incontrôlables – ne grimpe sur les décombres de ses joues. Ses yeux, jusqu’ici encore un peu embrouillés par les endorphines, s’étaient instantanément allumés pour regarder son meilleur ami sous une lumière nouvelle ; Victoria avait des questions et elles brulaient maintenant dans ses iris dorés autant que sur ses lèvres qu’elle mord et humecte afin d’en calmer le feu. Moqueries mises à part, elle ne s’attendait pas à une réponse allant dans ce sens et, le sujet étant sensible, elle ne forcerait pas Tullio à en parler plus que nécessaire devant Emanuel, à moins qu’il le veuille. Tôt ou tard, dès qu’ils seraient seuls ensemble, cela dit… Il n’y échapperait pas, ce qu’il pouvait déjà deviner à la lueur curieuse qui persistait dans son regard.

Tout de suite après, elle pouffe doucement quand il lui adresse la deuxième question, tournant des yeux pour encercler et souligner sa prévisibilité. Ç’aurait été mal la connaitre de penser la rendre mal à l’aise avec si peu… Au contraire, elle y répondrait avec un plaisir ludique non-dissimulé.

- Ta question est vague, reproche-t-elle tout de même à Tullio avec une mine théâtralement pensive, feignant d’hésiter en contemplant Emanuel avec un sourire amusé. Ses yeux, courbés et pétillants, cherchent les siens qu’elle trouve immanquablement et salue d’un lent clignement d’yeux tendre.

- Je pense... qu’il devrait modérer un peu sa consommation d'alcool s’il veut bien finir la nuit, commence-t-elle doucement, découvrant ses dents dans un sourire qu’elle approche un peu de sa peau, avant de souffle sur sa joue, et que c’est à son tour de demander une vérité ou une action à quelqu’un.

Oui, ils avaient tous les deux raison : il allait se calmer sur les boissons. D'ailleurs, l'homme aux beaux cheveux repoussa à quelques centimètres de lui, plutôt vers Tullio, le breuvage non terminé. Il était vrai que finir la soirée par terre n'était pas un très bon plan, autant continuer à s'amuser un peu et attendre que la joie éphémère qui n'en serait pas moins joyeuse étant donné qu'il se trouvait avec des amis, redescende. Toujours très tactile, Emanuel tapota l'épaule de Toria, un sourire aux lèvres. Pendant qu'il réfléchit, il regarda Tullio lancer, puis rattraper une bouteille en l'air, d'un air si agile qu'il lui adressa un mouvement du pouce lorsqu'il eut marqué sa victoire.

Victoria.

Sa question fut, en revanche, un peu plus surprenant et il en hoqueta, ne lâchant pas du regard la belle jeune femme. Et écoutant sa réponse, il ne se gêna pas pour rire.

« J'y comptais bien, ne vous en faites pas. »

Donc c'était à lui de donner un action ou vérité. Pensif, son regard fit le tour du bar qui se vidait progressivement. C'était l'ambiance de ces fins de soirée un peu tristesse et même les poissons semblaient suivre de leurs mouvements somptueux les jeunes filles qui prenaient la porte. Lorsque leurs discussions se furent éteintes dans la nuit, Emanuel retourna la tête vers Tullio, toujours le vide en tête sur l'action ou vérité qu'il lui imposerait.

« Ce sera un action, il y a déjà eu deux vérités dans la soirée. », il sortit une pièce de monnaie de sa poche et la lança en l'air comme pour confirmer ce sort. « Oui, face, action. »

Et promis, elle n'était pas truquée.

Le cocktail agissait toujours sur ses mouvements, plus lents, sur son cerveau, plus prompt aux rires et aux blagues vaseuses, mais il savait qu'il n'était qu'une question de temps pour qu'il s'étale sur le bar, les bras croisés, l'effet soporifique le prenant.

« Mon cher Tullio, donc...Tente donc de te gratter le pied avec l'oreille. »

Oui, c'était complètement stupide, voire absurde, mais le bar était presque vide. Sans son petit coup dans le nez, Emanuel aurait sans doute proposé un truc bien plus sérieux (et encore), mais il avait franchi ses limites.

« Celui qui n'accomplit pas l'action ou vérité a un gage, n'est-ce pas ? », dit-il avec un fin sourire.

Tullio lève brièvement les yeux au ciel, sans essayer de dissimuler son sourire amusé, quand Toria laisse éclater un immense sourire puis le fixe d'un air qu'il savait signifier, en gros, qu'il allait avoir droit à un interrogatoire en règle. C'était vrai, au fond, qu'il ne lui en avait jamais parlé. Est-ce qu'il aurait dû? Peut-être, mais il n'avait jamais réussi à s'imaginer lui lancer "Bonjour Toria, tu veux un café? Au fait, j'ai couché avec Xander" et l'occasion ne s'était jamais vraiment présentée.

Elle lui reproche sa question, un peu vague, et y répond avec une pirouette du même acabit que la sienne… mais effectivement, il ne resservira pas le brun tout de suite et, quand Emanuel repousse sagement son verre, il lui adresse un sourire approbateur.

"Attends, t'as vu la place que j'ai ici derrière? C'est un coup à me casser la gueule et péter des bouteilles."

Pouffe-t-il, lorsque le chevalier lui demande d'essayer de gratter… son pied avec son oreille, ou plus vraisemblablement l'inverse. Il descend un bon tiers de sa bière alors qu'il fait mine de réfléchir à s'il va s'exécuter ou non.

"Envoie ton gage."

Déclare finalement le consultant, les yeux plantés droit dans ceux du brun alors qu'il lui adresse son sourire le plus provoquant. Après quoi il se redresse et s'éloigne de quelques bas pour servir un unique shooter sans en révéler le contenu, à l'abri derrière la tireuse à bière.

"Et puisque tu sembles réclamer un peu d'action… Tu vas me boire ça, cul sec."

Tullio revient à sa place précédente et pose le petit verre sur le comptoir, avant de le faire glisser vers Emanuel.

"Sans les mains. Ça va te donner un coup de fouet, tu vas voir."

Et pour cause, il s'agissait de jus de citron. De quoi le secouer un peu et le réveiller.

"Quant à toi..." Il se tourne vers Toria et lui sourit, "Puisque ma question était si vague, tu n'as qu'à nous dire dans quel lieu public tu as déjà fait des roulades, ou lequel te plairait le plus."

C’est au tour d’Emanuel et à en croire le regard qui dure un peu trop longtemps entre eux ; après le sous-entendu – pour bien finir la nuit – dans sa réponse précédente ; à sa main sur son épaule ; à la sienne qui se serre dans ses cheveux ; puis au sourire qui grimpe sur ses lèvres alors qu’elle baisse les yeux vers les siennes, Victoria aurait cru qu’il lui aurait défié un baiser. Ça aurait été facile, et un peu cliché peut-être, mais facile. Dommage, pense-t-elle quand il se retourne vers Tullio pour lui adresser son défi, sans pourtant que cette petite déception ne l’empêche de rire avec sincérité, ses éclats légers et pétillants comme des bulles, en réaction à sa demande saugrenue.

Malheureusement, Tullio n’était pas encore assez soul pour s’y risquer. Par ailleurs, le shooter avancé par ce dernier devant Emanuel l’intrigue et elle attend curieusement de voir sa réaction pour deviner ce que Tullio lui avait préparé. Assurément, de la part de ce grand doux, rien de trop méchant...

La surprise revient plaisamment sur ses traits quand son colocataire s’adresse ensuite à elle avec une effronterie qui ne lui ressemblait pas, mais qu’elle apprécie beaucoup. C’est que ça lui allait bien, la confiance, pour les quelques instants qu’elle dure au moins : Tullio a l’air plutôt fier de lui-même avec sa question, ce qui ne manque pas de l’amuser, d’autant plus qu’elle sait à quel point il va le regretter dans un instant. Elle maintient donc son regard un court moment, pour accentuée sa moquerie, et il n’en faut pas plus pour qu’il rougisse à vue d’œil en réalisant qu’il connaissait déjà trop bien la réponse à sa propre question. Et il aura beau grogner et secouer la tête pour lui signaler qu’il ravalait son interrogation, elle glousse gentiment avant de répliquer, sans malaise aucun :

- La dernière fois, c’était ici-même, sur ce comptoir, commence-t-elle en faisant papillonner ses doigts sur ladite surface, avant d’ajouter dans un ronronnement sournois, avec ta patronne.  

Bien que Victoria sût qu’il n’aimait pas se faire rappeler sa relation passée avec Lillian, cette fois, il l’avait juste trop bien cherché.  

Comme Tullio avait devancé son tour, c’était maintenant au sien.

- Emanuel, souffle-t-elle doucement pour attirer l’attention du guitariste, avant de glisser sa main dans la sienne, s’attardant une seconde plus que nécessaire, afin de lui emprunter la pièce qu’elle lance à son tour pour déterminer la nature de son tour de jeu.

Face : action.

- …Chante-nous une sérénade, lance-t-elle simplement, pour commencer en douceur.  

Un gage. Il regarda Tullio le sourcil un peu relevé, comme s'il voulait bien lui faire répéter ce qu'il avait dit. Un gage. Comme si en disant cette misérable phrase, il avait eu la moindre petite idée du fameux gage qu'il était censé donner. Réflexion faite, après avoir jeté un coup d'oeil au verre à moitié plein en face de lui, il eut une drôle d'idée et rit.

Le défi de Tullio le fit légèrement pencher la tête, mais il ne le refuserait pas. Il fit mine d'ouvrir la bouche, légèrement vexé, mais s'exécuta sec, mettant les mains sur sa tête et se pliant volontiers au jeu. Heureusement que ce cher Tullio était barman, sinon ça aurait dépoté sec niveau conso à régler.

Que ce soit le verre cul sec ou l'étrange condition dans lequel il l'avait bu, ça lui donna un grand coup. Le goût citronné aurait pu le faire bondir au plafond, il se contenta de sortir exagérément les yeux, parut se réveiller soudainement comme s'il s'était précédemment endormir. Oh, putain, c'était pas de l'alcool, ça. Et c'était fort !

Le shoot de citron lui donna la capacité d'attention nécessaire pour écouter les réponses de cette chère Victoria...et ne se gêna pas pour l'imaginer sur ce comptoir-même, avec la patronne de Tullio. Il tapota même un peu nerveusement le bois, pensant de nouveau à Cy : quand elle disait la dernière fois, c'était avant d'être avec son meilleur ami ? Il ne voulut pas gâcher la soirée, mais il se demandait comment il devrait réagir à ce genre d'information.

« Putain, ça fait du bien ! Ah oui ton gage ! A partir de maintenant, tu tentes de faire rimer tes phrases...j'ai bien dit tente, hein. »

L'alcool étant toujours présent dans son sang, même si le jus de citron l'avait reboosté, Emanuel n'eut pas très longtemps cette préoccupation en tête. Déjà, la prochaine action était pour lui, et quelle acte. Il pencha légèrement la tête, prenant son temps pour entrer en scène. Le guitariste mima un micro, fit mine d'accorder pendant un instant son air guitar, posa de manière tout à fait...apropriée un de ses pieds sur une chaises, comme pouvaient le faire ces chanteurs à midinettes et recommença toute une série de clin d'oeil à peine exagérés aux deux compères.

C'est alors que Emanuel ouvrit la bouche.

S'il se débrouillait tout à fait bien à la guitare, avait le sens du rythme ou se trouvait tout à fait libre d'improviser une fois les cordes sous les mains et les paroles si rauques du métal, c'était tout autre chose pour une sérénade, du moins en apparence. Chantonnant en langue danoise, ce fut au début tout à fait inaudible, puis il monta en son. Qu'il le fasse exprès ou que ce soit le mélange d'alcool qui voulait cela, Emanuel chantait faux. Les notes produisaient un son strident et désagréable, même à son oreille.

Il avança la main vers Victoria, comme s'il lui déclarait quelque chose, sa flamme, sa joie ou quelque chose comme ça, les paroles de sa chanson tendant de plus en plus vers le métal tandis qu'il chantait. À la fin, c'était devenu un truc presque juste, mais métalleux. Il s'arrêta alors que le silence dévorait le bar.

« Oups. J'ai fait fuir tous tes clients. Bon, Toria. Action. », il avait récupéré la pièce et le verdict était sans appel. « Je viens de te chanter la sérénade, maintenant, danse la danse de la pluie ! »

Il fit rouler la pièce sur le comptoir : à qui le tour ?