Par réflexe, Tullio récupère la coupe vide que Toria lui tend, et la fait tourner distraitement entre ses doigts alors qu'il la suit du regard quand elle part rejoindre son amie. Il considère, un moment, l'idée de rejoindre Xander. C'est vraiment tentant, mais il est toujours accompagné et… et le temps qu'il se tourne vers un serveur et se débarrasse du verre de la chevalière, il n'est plus dans son champ de vision.

Il a à peine le temps de se sentir déçu que quelqu'un le salue. Un peu surpris par la voix qu'il ne reconnaît pas, il se retrouve face à une jeune femme, plus petite encore que sa colocataire.

"Euh, oui, c'est moi."

Le fait qu'elle connaisse son nom alors que lui ne sait rien d'elle le met mal à l'aise, et le consultant se surprend à lever les yeux au-dessus d'elle pour chercher du regard Toria, toujours occupée, ou Xander, qui n'a pas réapparu. Puis, elle se présente comme étant nouvelle dans l'Ordre, ce qui ne fait que renforcer sa perplexité.

"Oh, euh, enchanté Moira."

Salue-t-il, en déportant son poids d'une jambe à l'autre.

"Vous… on est supposés se connaître?"

Demande maladroitement Tullio, alors qu'il essaye désespérément de se souvenir s'il l'a déjà vue quelque part où elle aurait pu apprendre son nom. A l'Aquarium, peut-être? Non, il est certain que non. Encore qu'avec le masque… Ça serait possible. A moins qu'elle ne l'aie vu au dojo? Il ne faisait jamais attention à qui y était, trop occupé à se plaindre des exercices que Toria lui imposait.
Oui, ça devait être ça.

…
C'est bien la première fois que je regrette ma teinture.

"Euhm, vous… vous vous plaisez? Avec les chevaliers?"

Maintenant qu'il était coincé avec elle, autant essayer de faire la discussion. Ça aurait au moins le mérite de passer le temps.

    J’observais la réaction de Tullio qui ne semblait pas très réceptif, mais surtout sur ses gardes. Mince, j’aurai peut-être dû m’y prendre autrement… Aller ! Pour maintenant, autant y aller jusqu’au bout. 

« Non, à vrai dire, c’est la première fois que nous nous croisons, je ne suis arrivée à Old Fyre que depuis quelques jours, je viens d’Écosse.» 

   Je me disais que lui parler un peu de moi l’aiderait peut-être à s’ouvrir un peu plus. Je ne voulais pas trop me dévoiler pour autant, même si nous serions collègues, je devais néanmoins rester professionnelle. 

    Il n’eut cependant pas vraiment l’air de m’écouter, il semblait perdu dans ses pensées. Qu'est-ce qui se cachait derrière ce regard si mystérieux…? Il faudra bien que je le découvre. En dernier recours, je pourrais toujours jeter un œil dans son dossier, mais je ne préférais vraiment pas. Il semblait si mal à l’aise, mais il relança malgré tout la conversation. Quel soulagement ! 

« Ça ne fait vraiment que peu de temps que je suis sur cette île. C’est grâce à mon ami Xander que j’ai découvert cette organisation et obtenu mon stage de fin d’étude. Vu le discours du Capitaine, je me demande si ‘grâce’ soit le terme adéquat… Bien que Xan m’ait mise en garde, je ne pensais pas que la situation était aussi délicate au sein de l’Ordre. Qu’en penses-tu ? On peut se tutoyer non ? » 

   J’eus l’impression qu’il se détendait légèrement. Était-ce le fait que je lui propose le tutoiement ? Où bien peut-être… L’évocation de Xander ? En y repensant, j’avais bien vu une petite étincelle dans son regard quand j’avais prononcé son prénom. Je devrais peut-être diriger notre conversation sur ce sujet, ça me permettrait de comprendre un peu mieux ses interactions avec les autres chevaliers.

Tullio retient une grimace quand Moira indique que c'était la première fois qu'ils se croisaient. Sa théorie du dojo tombait à l'eau, et il n'avait toujours pas d'explications sur comment, ni pourquoi d'ailleurs, elle avait su le reconnaître au milieu d'une foule et était venue le trouver alors qu'ils étaient des inconnus l'un pour l'autre.

Puis elle évoque son ami Xander, et l'expiration suivante du consultant est chargée de soulagement. C'est, sans doute, le chevalier qui a dû parler de lui à la demoiselle. Il se demande, du coup, ce qu'il a pu lui dire. S'il a été cité au milieu d'autres chevaliers ou pas.

"Euh oui, bien sûr. Après tout, on est collègues."

Acquiesce Tullio, lorsqu'elle propose qu'ils passent au tutoiement Quant à son autre question… il hésite un instant, puis finit par hausser les épaules.

"J'en pense que le capitaine est un putain d'enfoiré, et qu'il en a rien à foutre de nous."

Grommelle-t-il, avec plus de colère dans la voix que ce qu'il aurait voulu laisser paraître.

"J'veux dire… faut quand même avoir une sacrée paire de couilles pour nous obliger à mettre des tenues chics, nous inviter sur un bateau avec du marbre, de l'or et des fontaines à champagne de partout pour ensuite nous annoncer que l'ordre a plus assez d'argent pour qu'on ait des produits frais à la supérette."

Il évite de penser à Anya, dont la seule sanction pour l'avoir drogué et agressé sexuellement a été de devoir prendre quelques cours sous la surveillance d'un chevalier. Et le jour où un chevalier se fait tuer au QG, ils vont faire quoi? Priver le meurtrier de dessert? C'est n'importe quoi.

"Enfin, on va faire avec et espérer qu'il prenne sa retraite dans pas trop longtemps."

Soupire Tullio, en secouant légèrement la tête.

"Après j'pense pas qu'il faille s'inquiéter. Si j'ai bien compris, ils ont survécu à pire il y a quelques années. Mais j'étais pas là, je saurais pas t'en dire plus."

Lance-t-il, pour tenter d'être rassurant. Il ne voudrait pas l'inquiéter pour rien, surtout si elle était nouvelle.

"Du coup… ça fait longtemps que tu connais Xander?"

Autant changer de sujet et parler de choses un peu plus joyeuses, quitte à être coincés sur un bateau autant essayer de passer un bon moment.

     La réponse de Tullio concernant la situation de l’Ordre allait dans le sens des réactions que j’avais observé plus tôt dans la soirée. Beaucoup semblaient offusqués du discours du Capitaine et bien que je ne connaisse pas grand chose à cette organisation, je ne pouvais qu’être d’accord avec lui. Il était aberrant d’être tous conviés à un événement aussi luxueux que celui-ci alors qu’on demandait au chevalier de se serrer la ceinture et de se priver le reste du temps.

     Cependant, je ne pus m’empêcher de penser qu’il y avait autre chose. Un voile sombre était passé devant ses yeux, comme si autre chose le perturbait. Était-ce en lien avec le fameux incident pour lequel je devais le recevoir en consultation ? Il enchaîna assez rapidement sur l’espoir d’un probable changement de hiérarchie. Il espérait que le capitaine parte vite en retraite, ce n’était sûrement pas le seul d’ailleurs au vu des soupirs et des roulements d’yeux que j’avais remarqué dans l’assemblée. Il sembla ensuite s’essayer à un peu de positivisme sans grande conviction.

« Je suis plutôt d’accord avec toi, tout ceci ne semble pas ultra cohérent. J’attends d’en savoir un peu plus pour me faire une idée. Cela dit, mes premières impressions sont rarement trompeuses… »  

      Tullio changea radicalement de sujet en revenant sur Xander. Je ne m’étais donc pas trompé en voyant cette étincelle dans son regard, le jeune homme avait l’air d’apprécier mon ami.

« Depuis plusieurs années oui ! Nous nous sommes rencontrés sur le campus de ma fac, il était en pleine chasse aux Lavellans, mais je l’ignorais totalement à l’époque. En réalité, je n’ai découvert l’univers magique qu’il y a quelques mois lors de son passage dans ma ville. Et toi, tu le connais bien ? »  

     J’espérais qu’il s’ouvre un peu plus, il était difficile à cerner. Je devais garder en tête que le but de mon approche était qu’il se sente en confiance avec moi, et qu’il me voit comme une amie, une alliée et non pas comme une ennemie. Il me semblait avoir lu dans son dossier qu’il avait un passif plutôt compliqué avec un confrère psy… Je sens que ça ne va pas être une mince affaire !

Tullio hoche doucement la tête quand sa collègue reconnaît que ça ne semble pas cohérent, avant d'hausser une épaule quand elle choisit de se faire son propre avis quand elle en saura plus.

"Oh, quand même!"

Lâche-t-il, un peu surpris, quand Moira lui répond qu'elle connaît Xander depuis plusieurs années. Il grimace à la mention des lavellans, même s'il ne sait pas exactement de quoi il s'agit. S'il faut les chasser, c'est forcément une atrocité. Puis, elle lui demande s'il connaît bien le chevalier, ce qui le prend légèrement au dépourvu.

"Euhm… Oui? Enfin, je… Je pense?"

Bafouille le consultant, alors qu'il se sent rougir derrière son masque.

"Ça fait un peu moins d'un an, donc… par rapport à toi j'peux difficilement dire que je le connais bien j'imagine."

Plaisante-t-il, alors qu'il passe une main un peu nerveuse dans ses cheveux.

"J'l'ai connu en mission. Pas mal de chevaliers ont été envoyés sur la même, et on logeait au même hôtel. On était au bar, et il râlait sur les cocktails alors comme je suis barman j'me suis mis en tête de lui prouver que ça pouvait être bon. Et j'ai réussi! Bon, ça n'empêche pas que c'est toujours pas ce qu'il préfère."

Tullio sourit quand il repense à la façon dont la soirée s'était terminée, même s'il ne dit rien à ce sujet.

"Le courant est tout de suite bien passé, et il a prouvé qu'il est digne de confiance."

Son expression s'adoucit, alors qu'il repense à toutes ces fois où Xander lui a montré qu'il n'avait rien à craindre avec lui.

"Et puis ça peut pas être une mauvaise personne, il me confie son chat."

A nouveau, Tullio plaisante pour écarter la conversation d'une pente glissante. Il n'est déjà pas exhaustif au sujet du chevalier quand il discute avec Toria, alors avec une fille qu'il venait de rencontrer… non, définitivement pas.

      Tullio semblait assez embarrassé de parler de Xan, avait-il un faible pour lui qu’il essayait de dissimuler ? Je pouvais le comprendre cela dit, Xander avait beaucoup de charme et son côté grognon pouvait être aussi très attirant.

« Le courant est tout de suite bien passé, et il a prouvé qu'il est digne de confiance. »

       Comprenant sa gêne dans réponse et devinant qu’il cherche à changer de sujet, je rentrais dans son jeu et tournai le sujet un peu à la dérision. Une petite touche d’humour l’aiderait probablement à se dérider un peu !

« Oh ! C’est donc sûrement à toi qu’il envoyait des messages la dernière fois que je l’ai vu ! Il m’a semblé le voir prendre des nouvelles de son chat. Je pense qu’il aime plus cette bête que n’importe quel humain sur cette planète ! »

        Je lui répondis en un éclat de rire. Forcément, Xander et son chat, une grande histoire d’amour ! Enfin bref, si ma mémoire était bonne, l’incident en question devait avoir eu lieu pendant cette longue mission dont il venait de me parler. J’avais besoin d’en savoir un peu plus.

« Une mission qui a demandé le déploiement de plusieurs chevaliers ? Ça devait être un truc super important ! Je viens seulement d’arriver et je ne suis pas encore totalement à jour sur les différentes actions menée par l’Ordre… Tu as éveillé ma curiosité Tullio ! C’était quoi cette mission ? »

         Même si j’avais besoin de connaître un peu cette mission et le ressenti de mon collègue sur la question, je ne pouvais être plus sincère, ah ma curiosité ! Un jour, elle me perdra !

« Vous étiez combien d’ailleurs sur cette mission ? Je ne connais pas grand monde ici, je dois dire, tu aurais beau me donner leurs noms, je ne suis pas sûre que ça me serait utile… »

Tullio rit avec sa collègue quand elle plaisante sur le fait que Xander aime son chat plus que n'importe quel humain. Effectivement, il connaissait peu de gens qui avaient une chance de rivaliser avec Spike dans le cœur du chevalier. Et ça lui fait chaud au coeur de savoir qu'il en fait partie. Puis, Moira revient sur la mission et il hoche la tête avec gravité.

"Ouais, assez. On avait beaucoup de rapports sur des trucs étranges se déroulant dans une école, alors l'ordre a envoyé des chevaliers et des consultants pour s'infiltrer et découvrir ce qu'il se passait."

Résume-t-il rapidement, avant d'essayer de réfléchir lorsqu'elle lui demande combien ils étaient.

"Une quinzaine, je crois? Je suis pas sûr que je connaissais tout le monde. On a bien eu un listing au début mais comme ça a duré toute l'année scolaire d'autres chevaliers sont venus en renfort au fur et à mesure."

Explique le consultant, alors qu'il grimace légèrement.

"Pour finir, on a découvert un énorme serpent caché sous l'école quand il a fait exploser le chantier. Mais cette mission a été atroce d'un bout à l'autre. On trouvait rien, à part des conneries et des mauvaises nouvelles, les témoignages étaient toujours les même… J'crois que j'avais jamais vu autant de gens aussi déprimés par leur boulot. C'est pour ça que tout le monde était pas content ou se marrait quand le capitaine a parlé de difficultés surmontées avec efficacité. On a tourné en rond comme des cons pendant une année scolaire entière."

Tullio soupire, puis secoue la tête. Il n'aime pas repenser à cette mission. Sans doute aussi parce qu'elle n'a pas débuté sous les meilleurs augures, compte tenu qu'il était fâché avec Victoria et venait de se faire agresser. Mais au moins j'ai rencontré Xander.

"Enfin, on a réussi à sauver les gamins, c'est le principal."

Il ne sait pas comment il l'aurait vécu, s'ils avaient échoué au point d'avoir des morts sur la conscience, mais certainement pas bien.

"Mais sinon après t'as des missions qui se passent bien. Et genre des fois j'suis envoyé à droite ou à gauche juste pour mes yeux ou parce que je parle les langues féériques."

Et des fois tu manques de te faire tuer par des harpies. Ou encore un péritios, ces cerfs ailés venimeux qui avaient obligé Toria à sauter en bas d'une falaise.

"Et puis, selon ta spécialité, on t'envoie pas toujours sur le terrain. Sinon le bon plan c'est d'être consultant, comme moi. Si j'veux pas y aller, j'les envoie sur les roses!"

Achève Tullio, en essayant encore une fois de terminer sur une note d'humour.

    J’écoutais attentivement les explications que me donnait le jeune homme. Cette histoire avait l’air plutôt compliqué et semblait avoir été éprouvante pour tous ceux qui étaient intervenus… Surtout si l’Ordre avait dû envoyer du renfort !

« Ah oui quand même ! Une grosse affaire quoi… À voir ta tête, et rien que de t’écouter parler, ça avait l’air quand même bien bien compliqué comme mission, mais surtout épuisant… »  

     Je me voulais compatissante, je ne pouvais qu’imaginer ce qu’ils avaient dû ressentir. Moi-même, j’aurais sûrement eu du mal à tenir toute une année sans avancer, et ce, malgré ma patience légendaire. Peut-être que d’autres chevaliers ou consultants auront besoin de mes services pour tirer un trait sur cette mission, il faudrait que je me renseigne sur ce point…

"Mais sinon après t'as des missions qui se passent bien. Et genre des fois j'suis envoyé à droite ou à gauche juste pour mes yeux ou parce que je parle les langues féeriques. Et puis, selon ta spécialité, on t'envoie pas toujours sur le terrain. Sinon le bon plan c'est d'être consultant, comme moi. Si j'veux pas y aller, j'les envoie sur les roses!"

     C’est à son tour de se vouloir rassurant, après tout, il savait que j’étais nouvelle dans l’ordre. Et je n’avais encore participé à aucune mission. Quand il me parla de langues des fées, je fus totalement ébahie. J’avais appris que les fées parlaient une langue bien précise, qui était inconnue de la grande majorité des hommes, même des chevaliers. Tullio avait vraiment un talent rare, je serai bien curieuse d’en apprendre plus à ce sujet. Mais il m’avait également lancé sur ma spécialité. Hum.. Comment lui annoncer que j’étais la psychologue que l’Ordre, qu’il ne portait pas en grande estime d’ailleurs, lui avait assigné d’office? Bon, le plus simple serait le mieux, je pense.

« À vrai dire, je suis apprentie ici. Je suis en dernière année de psychologie à l’université d’Aberdeen et Xander m’a permis d’obtenir mon stage de fin d’étude ici. Ce stage dure un an, mais il y a des chances que je reste au sein de l’Ordre une fois ce stage terminé. » 

    Je marquai une pause, appréhendant un peu sa réaction, mais ne lui laissai pas le temps de répondre avant d’enchaîner :

« J’ai été adoptée par une famille écossaise pour qui le folklore était très important. Les traditions ancestrales, les créatures fantastiques, ainsi que les contes et légendes celtiques ont bercé toute mon enfance. J’ai été émerveillée de découvrir que tout ceci n’était pas que pure invention ! » 

     J’espérais avoir réussi à faire légèrement distraction et à m’attirer suffisamment sa sympathie pour qu’il ne reste pas focalisé sur le côté « psy ». Son dossier mentionnait clairement qu’il avait eu affaire à des psychologues, voir même psychiatre pendant son adolescence, je craignais - certainement à raison - qu’il ne se ferme à moi totalement….

Tullio se fige quand Moira lui révèle qu'elle est en dernière année de psychologie, et qu'elle va réaliser son stage de fin d'études au sein de l'ordre. Elle lui parle ensuite de ses origines, d'à quel point le folklore était important, mais rien ne retire le goût amer qu'il a en bouche alors qu'il repense à leur conversation.

"Du coup j'imagine que c'est pas Xander qui t'a parlé de moi, hein?"

Il ferme les poings et sens sa gorge se contracter alors qu'il a un léger mouvement de recul. Tout cela avait un air de déjà-vu beaucoup trop prononcé.

"Ils t'ont filé mon dossier, c'est ça?"

Interroge le consultant, mais il n'attend pas la réponse avant de poursuivre.

"Ils t'ont filé mon dossier, et toi t'es venue tâter le terrain."

Il regrette soudain d'avoir tellement parlé. Heureusement, il n'a pas eu le temps de lâcher quoique ce soit de compromettant, ou en tout cas il ne croit pas l'avoir fait. Mais, surtout, il s'en veut d'avoir été stupide. Au fond, il aurait voulu que Xander parle de lui, mais comment lui reprocher de ne pas le faire quand même Toria n'était pas au courant pour eux?

"Putain mais quel pigeon."

Gronde Tullio, alors qu'il se détourne de la future psy. Il a besoin d'un verre, au moins, malgré l'avertissement de Toria. Il ne lui restait qu'à espérer que si quelque chose arrivait ça ne serait pas dans la prochaine demie-heure.

Quelle idiote je faisais ! Bien sûr qu’il a mal réagit, comment aurait-il pu en être autrement ? Je savais pourtant qu’il allait se braquer. Son expression se modifia du tout au tout, passant d’un visage avenant et presque désireux de faire connaissance à un visage fermé et plein de détresse. Un mélange de peur, de désespoir et de colère se dessina derrière ses yeux.

« Putain mais quel pigeon. »

Tullio s’enfuit en un instant après avoir appris qui j’étais réellement. Je n’avais pas le choix que de lui courir après pour m’expliquer. Mon inexpérience se ressentait tellement, c’était la première fois que j’étais confrontée à un patient, et sa situation n’avait pas l’air des plus simple. Comme se faire jeter dans le grand bain, en un instant !

« Tullio attend ! Laisse-moi une chance de m’expliquer. »

Je le suivais espérant qu’il s’arrête pour m’écouter avant d’ajouter :

« Je sais que ce n’est vraiment pas conventionnel comme approche, surtout vu l’aspect professionnel, mais je suis ici, ce soir, en tant que collègue et pas en tant que psy ! Je ne connais personne et je me suis dit qu’autant faire d’une pierre deux coups, je n’ai même pas lu ton dossier. Certes, on me l’a donné et je ne dirai pas le contraire, mais je ne l’ai pas ouvert ! J’ai vu ta photo et je t’ai trouvé très avenant, du coup j’ai juste regardé ton nom et ton prénom… C’était très mal avisé de ma part et j’en suis navrée, Tullio. Je n’aurais jamais dû chercher à mêler vie privée et vie professionnel. Je te prie sincèrement de m’excuser. »

Les pires excuses du monde. Cependant, je pensais chaque mot de ce que je venais de dire et j’espérais qu’il voit à quel point, j'étais sincère. Après tout, c’était la vérité, je trouvais Tullio très attachant et je regrettais presque qu’on me l’envoie de force. Cela crée une tension inutile et tellement contre productive !

« Je voulais simplement te rencontrer ce soir pour ne pas partir avec des a priori et avoir un regard neutre. Je ne voulais pas risquer d’être influencé par ce que j’aurai lu. Je voulais découvrir le vrai Tullio. »

S'expliquer? Elle voulait s'expliquer?! Tullio, lui, n'a aucune envie d'écouter. Il aurait voulu la planter là, avec leur différence de taille ça n'aurait pas été bien compliqué de la semer. Sauf qu'ils sont dans une foule, et que s'il fait ça il va irrémédiablement attirer l'attention. J'ai pas besoin que plus de monde me croie cinglé. Alors il s'arrête et attends, comme Moira le lui demande, luttant pour ne pas croiser les bras en une attitude clairement défensive.

Elle confirme avoir reçu son dossier, et le consultant n'écoute qu'à moitié parce qu'il essaye de comprendre pourquoi. C'est vrai qu'il a été agressé mais c'était loin d'être la première fois. Il finirait par s'en remettre. Et ça n'était pas comme si les têtes pensantes de l'ordre avaient eu l'air d'en faire grand cas.
Alors pourquoi?
…
Est-ce qu'ils pensaient qu'il avait menti? Qu'il avait imaginé si pas la relation, les traitements dont lui et Anya avaient eu besoin étant une preuve bien suffisante, du moins son caractère forcé?
Voilà qui expliquerait la légèreté de la peine qu'elle avait reçue.

"Et donc quoi? On discute comme si de rien était? Comme si t'allais pas te servir de tout ce que je dis pour le retourner contre moi?"

Rétorque Tullio, quand la future psy argumente qu'elle voulait, en bref, faire connaissance avant de lire son dossier.

"J'ai pas b'soin d'un psy, j'vais parfaitement bien."

C'était faux, il le savait. S'il allait parfaitement bien, il n'aurait pas été voir Xander parce qu'il appréhendait le fait de rentrer chez lui, même si maintenant ça allait mieux. S'il allait parfaitement bien, il pourrait faire le premier pas qu'il avait promis à Toria sans avoir à y penser deux fois, il n'aurait pas besoin d'alcool pour pouvoir se laisser aller. Ça n'était, bien sûr, pas le cas.

Mais il ne le lui dirait pas, parce qu'il refusait de se laisser étiqueter comme étant fou une seconde fois. Il n'était plus aussi jeune, ni aussi impressionnable, et plutôt que d'avoir une mère contre lui il avait Toria et Xander avec lui.
Il n'était pas fou, et il ne laisserait personne dire le contraire.