"Bonjour! Comment ça va? Est-ce que ça te dirait de" Oh bordel, NON. Ça sonne atroce. "Salut! Tu vas bien? Tu voudrais pas" MAIS NOOOON !!! Tullio verrouille son téléphone et le range dans sa poche pour ensuite fourrer ses doigts dans ses cheveux avec un grognement frustré. Depuis quand n'était-il plus capable d'écrire un simple SMS?
Ça n'était pas comme s'il s'agissait de quelque chose de compliqué, d'autant que c'était à Xander qu'il essayait d'écrire. Il avait reçu suffisamment de photos de Spike de sa part pour savoir qu'il n'avait pas besoin de se prendre la tête sur le contenu du message.

Et pourtant, il n'avait toujours rien envoyé.

"Hey! Je voulais fouiller le labo de chimie mais j'y connais tellement rien que je saurais pas faire la différence entre du chimique et du magique, tu es libre pour me filer un coup de main?"

Aussitôt tapé, aussitôt envoyé. Fuck, j'aurais dû mieux le formuler que ça. Au grand malheur du consultant, le téléphone ne proposait pas d'annuler le message envoyé, ni ne permettait de l'éditer. Le bon côté c'était qu'il avait au moins réussi à envoyer quelque chose, au lieu de continuer à taper puis effacer chaque message.

D'autant qu'il n'y avait vraiment aucune raison à ça. Ils avaient bu, discuté, avaient re-bu et discuté et… Oui, bon, ils avaient dormi ensemble. Mais ça n'était que dormir, ça ne signifiait rien du tout à part que Xander était quelqu'un de gentil. Il n'avait pas à se sentir gêné ou quoique ce soit. En plus le chevalier n'avait pas eu l'air dérangé de finir sa nuit avec une tête sur son épaule donc… donc stop quoi, merde!

Tullio se retrouve donc appuyé contre le mur à côté de la porte du laboratoire de chimie, à jouer nerveusement avec son téléphone en attendant une réponse qui mettrait peut-être plusieurs heures à venir, si son collègue était occupé.

Un message, qui me tira un sourire en coin lorsque je notais l’envoyeur. C’était rassurant de voir que, progressivement, j’avais de plus en plus de personnes avec qui je m’entendais. Qu’il ait fallu presque une année scolaire et que ça tienne sur les doigts d’une main n’était pas si important : progressivement, j’allais réussi à me sentir à ma place. ”Bien sûr, oui, laisse moi le temps d’arriver.”, répondis-je rapidement, le sourire toujours aux lèvres.

On discutait pas mal. Il était plus facile d’accès que Tori ou Jo, moins bizarre que Lorelei - sans rapport avec sa nature. Attachant, détendu, sympa, tout simplement. Et certainement la personne à qui j’envoyais le plus de photos de Spike, au lieu d’alimenter en secret un instacat au nom de “Luke des papattes velues” comme il se devait vu son nom de naissance. Ca permettait de discuter vaguement avec des passionnés des norvégiens, mais, souvent, j’avais l’impression de parler à des psychopathes.

Il me fallut le temps de coller un post-it sur ma porte “de retour dans 10 minutes” et de trouver le couloir idoine pour rejoindre Tullio, auquel j’offrais un sourire. Même avec Tori, je n’étais pas aussi expansif, mais ça n’était pas si important que ça, au final.

“Là ! Chevalier express à ton service ! ”, annonçai-je avec une fausse révérence. “Besoin de regarder si les profs de chimie jouent pas aux alchimistes à la place d’apprendre à faire du savon à la banane ? C’est une bonne idée.”

Je parlais peut-être un peu trop, mais bon… J’avais encore du mal à savoir comment me montrer amical, sachant parfaitement que j’avais une gueule à faire peur, même si l’apparence était adoucie par les lentilles qui cachaient la disparité chromatique de mes yeux, et m’évitaient de mettre un peu plus mal à l’aise les autres.

“Comment ça va, depuis la dernière fois ?”

En parlant, j’avais essayé de tourner la porte, et soupirai en remarquant qu’elle était fermée. Vraiment, ce lycée faisait tout pour que je puisse passer ma frustration de fréquenter des mini-humains inconscients du danger à longueur de journée : un sourire, un coup de pied dans la serrure…

“Et voilà ! Fais gaffe où tu mets les doigts, certains produits peuvent être dangereux. Si besoin...”

Je récupérai 2 paires de lunettes de protection et lui en tendis une.

“Tiens, c’est pas glamour, mais on sait jamais.”

Je reportai mon regard sur l'étagère, parce que la gomme en forme de chat avait attiré mon attention, et fronça les sourcils en récupérant le papier avec précaution. Je le montrai à Tullio, le tenant éloigné de lui malgré tout.

“On en a trouvé déjà deux comme ça... Ca semble s'emboiter avec le reste, mais je sais pas ce que c'est. Continuons...?”

Les béchers, erlenmeyers et tubes divers s’alignent à n’en plus finir sur des étagères murales. En dessous, des livres poussiéreux s’empilent en contraste sur des comptoirs de travail brillants.  

Vous êtes en train de fouiller les laboratoires de chimie:

Dans le tiroir ou vous avez trouvé les lunettes de protection, il y également quelques crayons, une gomme à effacer en forme de chat et un morceau de papier suspicieux, très similaires à ceux déjà trouvés par d’autres chevaliers.



Vous n’avez aucun moyen de le savoir pour le moment, mais les experts de l’ordre réaliseront bientôt que les symboles magiques utilisés sont complètements incohérents une fois mis tous ensemble.

Après une petite recherche sur internet et une bonne claque dans le front, on constatera qu’il s’agît d'un sortilège de protection téléchargeable en ligne… et absolument pas fonctionnel.  On aura gaspillé pas mal de temps et d’énergie sur cette piste, mais, grâce à vous qui avez trouvé le dernier morceau, on peut enfin concentrer notre énergie ailleurs.

Tullio sursauta presque quand, après seulement quelques instants, son téléphone vibra. La réponse affichée sur son écran lui fit pousser un soupir de soulagement, et il souriait quand il renvoya un pouce vers le haut. Bon, au moins, son message n’avait pas été une catastrophe complète si Xander avait été aussi rapide à répondre.
Il lui fait signe dès qu’il l’aperçoit dans le couloir, avant de lâcher un petit rire gêné à la plaisanterie. Non non non non, ne r… putain j’suis rouge.

"Ouais, euh, merci, c’est… c’est gentil."

Bafouille le consultant, sans que ses joues embarrassées ne dissimulent son amusement qui, lorsque son collègue enfonce la porte d’un coup de pied, se mue en admiration.

"Ça va… plutôt bien ? Je commence à avoir hâte de rentrer, en fait. C'est encore pire depuis que ma sœur a débarqué."

Plaisante Tullio, même si c'est la vérité. Le fait de devoir gérer, au moins partiellement, une adolescente n'aidait pas à ce qu'il se sente en forme. Depuis qu'il était sorti de la rue, c'était la première fois qu'il restait aussi loin de chez lui. Les vacances scolaires avaient toujours été trop courtes, et maintenant qu'il n'arrêtait pas de s'arracher les cheveux à chaque fois qu'il pensait à Elana. Ou qu'il l'avait devant les yeux, d'ailleurs.
Qui aurait cru qu'avoir une sœur pouvait être aussi compliqué et angoissant?

"Un bout de papier?"

Le consultant hausse un sourcil devant la trouvaille de Xander, et se penche un peu pour observer les symboles quoique sans trop oser s'approcher vu comment son ami le tient à distance.

"Ma foi, jusqu'ici a chaque fois que j'ai trouvé un truc quelque part il n'y en avait jamais de deuxième mais ça serait trop con de passer à côté."

Répond-il en haussant légèrement les épaules, avant de lui adresser un sourire en coin alors qu'il commence à tirer une boîte pour en inspecter le contenu. Il y trouve une boîte de gants qu'il tend au chevalier pour qu'il se serve, avant d'en enfiler une paire lui-même.

"Des fois qu'un truc ait coulé, parce que vu la gueule du placard ça va forcément être chelou, que ça soit chimique ou pas. Toi, du coup, ça va?"

Après tout, même s'ils s'envoient régulièrement des messages, ça fait un moment qu'ils n'ont plus passé de temps ensemble. Alors quitte à fouiller toute une salle, autant en profiter pour discuter.

J’acquiesçai à l’envie de rentrer. Je n’avais plus réellement de chez moi, mais j’avais surtout envie de quitter les lieux et la promiscuité des autres chevaliers. Je n’avais jamais imaginé rester aussi longtemps, j’avais pensé que nous réussirions à gérer tout ça en deux, peut-être trois mois, pas quasiment toute l’année scolaire. Ou, vu notre taux de succès, nous aurions pu attendre les vacances et ne pas avoir à gérer les mioches.

“Si j’avais su, oui, j’aurais pas pris le poste de conseiller d’orientation, en plus, écouter les gamins chouiner et essayer de les conseiller sans rien y connaître, c’est une pure plaie. Ca se passe mal avec ta soeur ?”

Ca permettait de meubler un peu, de lui permettre, si jamais, de vider son sac. J’avais beau considérer Tori comme un équivalent de petite soeur, elle était adulte et ne dépendait pas de moi. Là, sans avoir les détails, je ne pouvais pas savoir comment Tullio gérait le fait qu’Elena soit soudainement dans ses pattes, et je n’osais pas demander si un de leur parent n’allait pas débarquer en foutant le boxon pour récupérer la gamine mineure, ou s’ils étaient au courant, ou si Tullio allait se faire emmerder pour enlèvement… Ca ne me regardait pas, au final.

Une fois le papier entre les mains, je ne pus m’empêcher de lui donner raison en acquiesçant, mais…

“Juste au cas où ?”, proposai-je en enfilant des gants.

On avait pas l’air des plus malins, mais ça me rappelait le lycée et ça avait quelque chose d’amusant. J’avais jamais trop suivi en cours, mais la chimie c’était différent. Pas que j’étais bon, mais ça m’amusait, au moins.

“Ca va, Spike n’a pas été malade à nouveau et avec la fin d’année qui approche, j’ai plein de petits qui viennent me demander quelle spécialité prendre l’année prochaine, j’ai fait un mini-quizz pour les aider. Ou les avoir dans le bureau sans avoir à leur parler, au choix.”

Il fallait bien avouer que c’était particulièrement vide, comme pièce, de toute chose anormale. Mais j’eus un sourire en tombant sur des feuilles de TP et le brandis sous le nez de Tullio.

“Avant de commencer par les potions, ça te dirait une initiation à la saponification ? C’est tout con, mais c’est marrant.”

Je commençais déjà à rassembler ce qu’il fallait : ethanol, soude, huile, parfum à la banane - sérieusement, ils n’avaient toujours pas changé ça, par rapport à quand moi j’étais au lycée ? - et récupérai un tube à essai de taille raisonnable.

“On devrait être plutôt tranquilles non ? Puis on est déjà habillés… Les instructions sont simples, et ça donne l’habitude de mesurer un peu ce qu’on met dans les tubes, histoire de pas se tromper d’effet quand on fait des potions.”, expliquai-je en rassemblant le matériel nécessaire sous une hotte. “Ou tu as autre chose à faire, peut-être ?”

On aurait pu aller fouiller autre chose par exemple, faire avancer l'enquête mais... Puisqu'on avait pénétré par effraction dans une salle, autant en profiter ?

"Non non, c'est pas que ça se passe mal, c'est… ça fait moins d'un an que je sais qu'elle existe et, pour être honnête, j'avais plutôt prévu de totalement couper les ponts avec ma famille. Du coup parfois c'est… compliqué. D'autant que j'aime pas la savoir au milieu d'une mission, j'ai toujours peur qu'il lui arrive un truc."

Avait expliqué Tullio, quand son collègue avait eu l'air de s'inquiéter du comportement d'Elana. Pour ça, au moins, il n'avait pas trop à se plaindre. Elle faisait des conneries, évidemment, mais dans les mêmes proportions que les autres enfants de l'école d'après ce qu'il avait pu constater en étant surveillant.

"Oh, c'est cool pour Spike. Et pour les gamins aussi. C'est une bonne idée le quizz."

Il lui aurait bien dit qu'il aurait voulu qu'on lui en propose un quand il était lui-même élève mais… il n'était jamais allé suffisamment loin dans ses études.

"Ah ouais? J'ai jamais fait de savon."

Si le consultant n'avait pas clairement répondu à la question, le sourire qui étirait de plus en plus ses lèvres quand il récupéra les feuilles de TP ne laissait aucun doute sur ce qu'il en était. "Jusqu'à onze heures." Répondit-il machinalement à la mention d'être tranquilles, parce qu'il avait vérifié les horaires de la salle avant de venir la fouiller.

"Rien d'autre, monsieur je pense que le barman qui manipule des émotions en bouteille ne sait pas mesurer des ingrédients."

Se moqua gentiment Tullio, avec un tirage de langue peu élégant, alors qu'il tirait un tabouret et commençait à lire le document.

"Un erle… quoi? Merde, je comprends que la moitié des mots. Genre, te peser neuf grammes de soude pas de soucis mais alors ces histoires de réfrigérant à boules… j'suis perdu."

C'était, peut-être, le bon moment pour avouer au chevalier qu'il n'avait jamais eu l'occasion de terminer ses études, d'abord à cause de sa mère puis parce qu'il avait fugué. Cela dit, puisque Tullio venait de lui avouer qu'il ne comprenait rien et, un peu plus tôt, qu'il n'avait jamais fait de savon, il devait avoir compris tout seul. J'aurais dû fermer ma gueule.

"Je prépare les ingrédients et tu fais les trucs chelous?"

Proposa-t-il pour ne pas trop s'attarder sur l'inconfortable sujet de son absence d'études, posant les feuilles de TP sur la table. D'autant que parler était un bon moyen de faire comme s'il n'était pas gêné.

Je répondis à son tirage de langue par un tout aussi mature, même si je notais encore une fois qu’il droguait ses cocktails sans que ça choque personne. L’ordre, c’était pas vraiment aussi classe qu’on essayait de le faire croire, de toute évidence. C’était le genre d’information qui me confortait dans l’idée de demander, par exemple, à ce que ma bière soit décapsulée devant moi et ne pas boire dans un verre.

“Tu m’en diras tant, tiens… C’est légal au moins, droguer les clients ?”

Je ne dis rien pour le fait qu’il ne connaisse pas une partie du vocabulaire. Il était barman, pas chimiste, et ça n’était pas non plus des termes qu’on utilisait tous les jours. De mon côté, hors potion, d’ailleurs…

“C’est ce machin, là. Et le réfrigérant à boules, malgré son nom fun, c’est juste le tube avec … Des boules en creux dedans, là. L’idée est juste d’augmenter la surface, sur les bords intérieurs, pour les échanges thermiques.”

Je rassemblai le matériel dont on avait besoin tout en parlant, et secouai négativement la tête à sa proposition, retirant mes gants et m’installant à côté de lui, sourire aux lèvres et joue appuyée sur le poing.

“Voyons, quelqu’un qui sait mesurer les émotions en bouteille peut tout à fait gérer tout ça avec juste une vague supervision...”

J’avais rassemblé le matériel nécessaire, et je comptais bien le guider, pas le laisser seul et paumé, non plus. Je le regarde faire, silencieux, avant de soupirer doucement et me redresser pour passer derrière lui. Je récupérai l’élastique qui maintenait une partie de mes cheveux et ramenai les siens d’un mouvement de doigts, récupérant le plus de petites mèches avant d’attacher le tout en arrière.

“Histoire que tu voies ce que tu fais.”, expliquai-je avant de me remettre en place, mes propres cheveux retombant sur mon visage.

Je me réinstallai pour le guider, simplement à l’oral, même si c’était assez simple. Ca nous laissait un peu de temps à tuer, le temps que le produit chauffe, et je m’étirai avec un sourire.

“Ca va, tu t’en sors bien, la prochaine fois, on tente avec des...”

Je me redressai en entendant des pas et, lorsque je réalisai que quelqu’un s’approchait de la porte en râlant, je bondis sur mes pieds et attrapai Tullio par le coude pour l’entraîner vers un abri, le premier qui me sembla adéquat.

Il fallait avouer que se planquer à deux adultes dans une armoire, c’était très con. Qu’on avait pas beaucoup de place, et qu’il était plus grand que moi, juste assez pour avoir un gros plan sur son nez. Je relevai les yeux vers lui, tenant la porte fermée au possible, et lui fis signe de rester silencieux.

"Dis plutôt que tu as la flemme."

Se moque gentiment Tullio, en faisant claquer ses gants avant de commencer à mesurer les ingrédients. Ce n'est pas très difficile mais un peu long, parce qu'il est minutieux. La chimie, ce n'est pas comme une recette de cuisine où il peut y avoir un peu plus d'un truc ou l'autre. Même en pâtisserie, au fond, il était rarement au gramme près. Là, c'était différent.

Il est un peu surpris de voir Xander se lever et le fixe, les sourcils légèrement froncés, se demandant ce qu'il avait bien pu foirer à ce stade. Il se détend néanmoins en le voyant défaire sa queue de cheval, avant de fermer les yeux quand les doigts de son ami glissèrent dans ses cheveux, lui faisant pousser un léger grognement de satisfaction qui s'apparentait au ronronnement d'un chat.
Inutile de dire que les joues du consultant se teintèrent de rose quand il réalisa ce qu'il venait de faire et il n'osa pas détourner le visage de ses instruments quand il se racla la gorge avant de prononcer un petit "Merci".

La préparation se passa bien, le chevalier le guidant efficacement, et quand il ne resta plus qu'à attendre que le produit chauffe, Tullio se permit de retirer ses gants pour laisses ses doigts respirer. Il en retirait la fine couche de talc quand Xander l'attrapa par le coude.

L'instant d'après, ils étaient dans une armoire qui, si elle était suffisamment haute pour que le consultant ne risque pas un torticolis dans les minutes à venir, n'était définitivement pas assez large pour contenir confortablement deux adultes.

Au signe de rester silencieux, Tullio hoche légèrement la tête et s'exécute, même s'il ne comprend réellement pourquoi que lorsqu'il entend la porte de la classe s'ouvrir, et quelqu'un entrer.
La personne dit quelque chose, apparemment, mais il n'arrive pas à comprendre quoi. Entre la peur d'être découverts, parce qu'expliquer ce qu'ils faisaient dans un placard serait encore plus compliqué que d'expliquer pourquoi ils avaient volé du matériel pour faire un savon, et le fait qu'il était atrocement proche de Xander, ce qui colorait lentement mais sûrement son visage en rouge vif, il entendait plus son propre cœur que les bruits extérieurs.

Les secondes s'écoulaient atrocement lentement, la personne dans la classe semblant prendre une éternité à faire ce qu'elle faisait alors que Tullio, lui, avait l'impression d'étouffer. N'osant pas lever le bras pour défaire un bouton de sa chemise, de peur d'heurter un objet d'un côté ou de repousser la porte de l'autre, il referma ses doigts sur le bas du vêtement et tira dessus, dans le vain espoir de pouvoir respirer un peu mieux.

Ça n'arrangea rien, évidemment, et même après s'être obligé à fermer les yeux et à inspirer lentement par le nez, il se sentait toujours aussi oppressé. Pire, ses mains commençaient à trembler et serrer et desserrer les poings n'aida pas. Il avait déjà ressenti ça quelques fois, quand il avait réellement emménagé avec Victoria, et souvent ouvrir une fenêtre et passer la tête ou, simplement, sortir une minute avaient été suffisants pour qu'il se sente mieux. Sauf que cette fois-ci ce n'était pas un appartement spacieux, et qu'il ne pouvait pas bouger. Alors, relâchant sa chemise, il tendit les doigts pour tapoter la hanche de Xander et attirer son attention.

"J'me sens pas bien."

Murmura-t-il, aussi bas que possible, en priant pour ne pas avoir fait trop de bruit et qu'ils ne soient pas découverts.

La personne qui était entrée dans la salle semblait parfaitement mécontente de trouver du bordel en plein milieu, et surtout une source de chaleur sans surveillance. Je restais particulièrement silencieux, immobile, ignorant Tullio pressé contre moi comme si ça avait pu avoir un quelconque effet sur la gêne qu’il devait ressentir. Ca ne serait l’histoire que de quelques minutes, certainement… Et tant pis pour notre savon, ce serait l’occasion de recommencer “mieux” une prochaine fois.

Je sentais que mon condisciple, lui, n’était pas aussi calme que moi. L’idée de se faire prendre devait le stresser plus, alors qu’au pire, avec les cheveux détachés et un brun d’exagération, il aurait été facile de sortir une excuse plus ou moins crédible. Tant qu’on s’en sortait tranquillement, même en se faisant un peu taper sur les doigts, ça irait… Je préférais tout de même essayer de rester discret.

Tout focalisé sur l’intru - quoi que, n’était-ce pas nous ? - je tressaillis lorsque Tullio me toucha, et relevai le visage vers lui, sans noter le comique de situation qui faisait échouer ses lèvres au niveau de mon lobule nasal. Son aveu me laissa brièvement interdit. Je ne voyais pas vraiment ce qu’il voulait que j’y fasse, il pouvait tout aussi bien que moi prendre la décision d’ouvrir le placard… Pourtant, je n’étais pas prêt à en sortir face à un inconnu, et je fronçai les sourcils sous la contrariété de ne strictement pas savoir quoi faire. M’occuper des autres n’était pas réellement là où je me sentais le plus à l’aise. J’avais passé trop de temps seul...

“Ferme les yeux.”, intimai-je dans un souffle.

Je levai les mains, lentement. Le long de ses bras pour qu’il me repère et ne soit pas surpris, puis sur les côtés de sa gorge, jusqu’à les ancrer en coupe sur ses oreilles et lui faire baisser un peu la tête, juste assez pour que nos fronts se touchent. Je lui massai la tempe du bout des pouces, la nuque des autres doigts. Je ne l’empêchais pas encore d’entendre quoi que ce soit, mais j’y comptait bien.

“Concentre toi sur ma respiration. Tout va bien. Tu peux me tenir si tu veux.”, proposai-je, frottant le bout de mon nez au sien. “Si ça va toujours pas, on peut sortir.”

J’espérais qu’il m’entendait toujours, en tout cas… Après ça, je lui bouchai les oreilles pour le couper de la source de stress qui rôdait toujours à l’affût de preuves qui auraient pu le mener au coupable. En attendant, je fermai moi-même les yeux, comme si je pouvais lui transmettre mon calme...

Quand Xander le lui demande, Tullio ferme les yeux sans discuter. Le placard est tellement sombre, avec seulement le fin rais de lumière de la porte qu'ils n'ont pas pu fermer complètement, que ça ne change pas grand-chose. C'est son tour de tressaillir quand il sent le chevalier remonter ses mains le long de ses bras, et il se laisse manipuler sans résister quand il lui fait baisser la tête. Malgré les parois du placard qui menacent de l'écraser, il réalise qu'il ne s'est pas crispé quand le contact a eu lieu, même une fois les doigts placés sur sa nuque et ses tempes, ce qui place son ami sur la liste extrêmement réduite des gens à qui il fait entièrement confiance… où Victoria était la seule à figurer jusqu'à présent.

"Je sais, c'est juste…" Le consultant s'interrompt, parce que ça n'est clairement pas le moment de se lancer dans de grandes explications. "Merci."

Le nez qui frotte contre le sien lui tire un sourire, mais ça n'empêche pas que ses mains tremblent encore quand il les pose sur les bras de Xander, un peu plus haut que ses coudes. La position a beau être gênante, elle lui semble tout de même plus naturelle que s'il gardait les bras le long du corps.

Il faut plusieurs inspirations à Tullio pour que, lentement, il commence à se décrisper. La tension qui s'était installée dans ses épaules se relâche, et les battements de son cœur se font moins assourdissants quand il prend sa première véritable inspiration après ce qui avait semblé être une éternité.

Quand il estime se sentir suffisamment mieux pour pouvoir attendre plus sereinement que la personne dans la classe s'en aille, il remonte ses doigts jusqu'aux poignets du chevalier et, doucement, lui écarte les mains quoique sans faire un geste pour se redresser ni le lâcher.

Le plus difficile à supporter se révèle finalement être les quelques secondes après que, enfin, l'enseignant soit sorti de la classe mais où ils devaient continuer de se tenir immobiles et silencieux alors que tout ce que le consultant voulait, c'était ouvrir la porte du placard d'un grand coup d'épaule. Mais même quand les pas se sont suffisamment éloignés, et qu'il relâche enfin Xander, il fait l'effort de sortir calmement, comme si tout allait bien, mais sa démarche incertaine le trahit.

"Merci, je sais pas… je sais pas comment j'aurais fait sinon."

Adresse-t-il à son ami, un sourire gêné aux lèvres.

"Et j'suis désolé, si j'avais su… je t'aurais p'têtre pas laissé me tirer dans ce placard sans au moins te prévenir."

Achève Tullio, en passant une main nerveuse dans ses cheveux.

Tout en douceur. Le rassurer, lui faire oublier où nous étions, la situation, juste se vider la tête et ne pas paniquer. Je sentis progressivement la tension quitter son corps, les battements de son coeur revenir à la normale, contre mon propre torse. Doucement, calmement, pas à pas. J’aurais pu lui montrer quelques astuces pour ne pas laisser la panique prendre le dessus - j’en avais vraiment eu besoin, au début, ma première chasse, j’avais cru que j’allais me pisser dessus de trouille - mais ce n’était pas le moment. Plus tard.

J’écartai mes mains à sa demande, sans faire de bruit, les laissant retomber le long de mon corps avec les siennes. A part ça, je ne bougeais pas, attendant que les bruits à l’extérieur se taisent. Quelques mots bien sentis, un peu de bougonnement, puis notre homme fut parti, enfin. Je relâchai un soupir, vidant enfin pleinement mes poumons, et attendis encore un peu.

Ce fut Tullio qui décida de sortir en premier, et je le suivis en m’étirant par réflexe, avant de secouer la tête lorsqu’il s’excusa. Après tout, j’étais celui qui l’avait trainé dans un petit coin exigu et obscur, je n’allais pas ronchonner parce qu’il avait des réactions incontrôlées..

“Non, t’inquiète, c’est à moi de m’excuser, sur le coup… j’ai pas pensé à autre chose, je voulais juste pas qu’il nous repère. Alors qu’on aurait pu simplement dire qu’on avait entendu du bruit… Désolé, c’est le premier truc qui me soit passé par la tête.”

Je lui fis un sourire contrit, un peu proche d’une grimace, avant de regarder tout ce qui a été rangé, notre savon pas fini jeté. Tant pis pour cette fois. J’ai quand même un soupir et fais un mouvement pour le plan de travail.

“Bon, c’est rapé pour le savon… Mais on pourra se faire une session dans un coin plus tranquille ? Tu pourras passer, ou… on voit ça en rentrant à Old Fyre, et voilà.”

Je m’assurai une dernière fois que nous n’avions rien oublié, et ouvris précautioneusement la porte pour couler un regard à l’extérieur. Les couloirs étaient à nouveau déserts...

“C’est bon, on peut y aller. Je dépose ça en rentrant, si tu veux, et… Je t’envoie la prochaine photo de Spike ?”

Une manière de dire qu’on restait en contact. Qu’il pouvait m’appeler ou m’envoyer un message, mais que je le ferais aussi… Pour une fois que je tombais sur quelqu’un avec qui je m’entendais, je devais faire des efforts pour entretenir ça, même si ça me donnait l’impression d’avoir l’aisance d’un pingouin sur la banquise…

Un dernier geste de main et je filai de mon côté du couloir, comme s’il ne s’était rien passé...