Marjan avait remarqué mon air emprunté lorsque j’avais lu le texto que Victoria venait de m’envoyer. Il ne différait pas tellement des précédents, mais à chaque fois ces propositions rendez-vous pour quelques heures de pure folie me remuaient fortement ; même après quoi, quatre ? Cinq fois ? je me demandais encore si je ne me trouvais pas en plein délire. Ce sentiment était peut-être lié aux conditions particulières de nos rencontres : toujours inopinées, furtives, et avec une mise en scène hautement élaborée pour que chacun puisse trouver un certain plaisir dans des conditions de sécurité correctes. Il avait fallu de la patience et du talent pour me plier à tout ceci, et encore plus pour que l’expérience réussisse réellement pour elle et pour moi. Je n’aurai su dire où s’était situé le point de bascule, mais peut-être le fait de réaliser que je pouvais renouer avec cette partie de mon humanité que j’avais enterrée m’avait aidé à lui faire davantage confiance jusqu’à pouvoir m’abandonner - tout en maîtrise - entre ses bras. J’avais toujours su que nous avions une alchimie physique hors du commun, et l’expérience m’avais donné raison plus que nécessaire. Cependant, maintenant que j’y avais pleinement goutté, ma faim d’elle grandissait de manière exponentielle.
Ma fille et moi avons donc mangé dans une atmosphère étrange ; moi parlant peu, la tête déjà perdu un étage plus bas, et Marjan parlant avec entrain, ravie de pouvoir me partager les expériences multiples et extraordinaires de sa journée. Elle s’était inquiété de me voir manger peu, mais je ne pouvais rien avaler : ma bouche était trop envahie par le goût de l’italienne. J’en étais fébrile. Et je bandais déjà en me rappelant la saveur de ses lèvres entrouvertes contre les miennes, le délicat amalgame doux et acide de sa transpiration qui ruisselait le long de son corps tendu… Tant et tant de sensations auxquelles il ne valait mieux pas que je repense tant que j’étais en présence de mon enfant. Aussi, je l’avais envoyé se coucher assez tôt et, pour passer les minutes qui séparaient l’heure de notre rendez-vous – et me détendre - je m’étais jeté sous une douche froide, longtemps. Très longtemps. Je voulais tuer toutes les minutes qui me séparaient de sa venue express depuis New York. New York… je me demandais quelle genre de mission pouvait la retenir autant de temps là-bas, et plus encore pourquoi elle restait toujours extrêmement vague lorsque le sujet revenait dans la conversation, comme si elle était gênée ou en avait honte. Ce non dit m’intriguait d’autant plus que j’avais des difficultés à me figurer ce qui pouvait réellement embarrasser Victoria ; cette femme n’avait aucune gêne. Ni aucune pudeur… De toutes évidences, elle ne me faisait pas assez confiance pour partager ce genre de chose, et cela me convenait tant que ça n’altérait pas nos relations charnelles occasionnelles.
Une fois sorti de la douche, j’ai versé du café dans un thermos et j’ai réuni quelques cupcakes que Marjan avait cuisinés dans l’après-midi avec quelques litchis dans une boite. Pour moi, la journée s’achevait, mais pour Victoria, elle ne faisait que commencer, aussi avais-je dans l’idée de lui proposer un bon petit-déjeuner, et j’avais une idée assez précise de la manière dont nous pourrions manger la crème qui recouvrait les pâtisseries… Je n’avais même pas honte de détourner de manière si salace ce que les mains innocentes de ma fille avaient fabriqué avec amour.
L’heure approchait et ma nervosité s’intensifiait. Je ne cessai de jouer avec le pendentif que j’avais ressorti de son rangement pour l’occasion. Cet objet que j’avais tant honni était aujourd’hui tellement sécurisant et indispensable. Après avoir vérifié que ma fille dormait profondément, je me suis glissé hors de l’appartement à pas feutrés et ai pris la direction de celui de Victoria. Elle devait être rendue à l’heure qu’il était. Elle devait m’attendre, peut-être habillée, peut-être à moitié nue, et je l’imaginai languissante dans une position suggestive et qui laisserait pourtant un peu de mystère sur son magnifique corps dont j’avais essayé d’apprendre les courbes et les creux par cœur. A mesure que je descendais, l’excitation montait, et c’est infiniment nerveux et fébrile que je toquai à sa porte.