Quand Toria met un peu plus de puissance dans son coup, l'obligeant à se montrer plus ferme dans sa prise pour l'arrêter, il comprend qu'il va devoir redoubler d'efforts pour parvenir à continuer l'exercice tout en l'écoutant attentivement. Elle commence par déclarer son dégoût pour le modèle traditionnel et, vu comment il a marché pour lui, Tullio ne peut pas lui en vouloir, puis enchaîne sur un parallèle entre les relations et… les constructions? Le BTP? Il n'est pas certain de comprendre.

La suite le déstabilise plus qu'il ne veut bien le laisser paraître. Ou, en tout cas, que ce que l'entraînement qu'il trouve soudainement exigeant ne lui laisse le loisir d'exprimer. Eux, en couple? L'idée lui est déjà venue à l'esprit, mais toujours comme un concept vague et lointain, qu'il n'a jamais espéré voir s'appliquer, du moins pas dans la définition qu'il en a. Les sentiments de la chevalière lui paraissent être quelque chose de si flou, et de si changeant, qu'il n'a jamais osé voir autre chose qu'une colocation et un amour à sens unique.
Alors qu'en fait, il a peut-être juste besoin de brûler toutes ses définitions.

"Tu triches!"

S'exclame Tullio, quand Toria change d'angle d'attaque et, s'il a un peu de mal à organiser ses bras, il parvient tout de même à bloquer le coup avant qu'elle ne le touche. Ce qui, avec la vitesse qu'elle avait adoptée, aurait été plutôt honteux.

"Oh, euh, un peu les deux?"

Bafouille-t-il, quand elle lui demande s'il a quelqu'un en tête ou s'il reconsidère sa proposition.

"J'veux dire… C'est pas comme si j'avais vraiment arrêter de la considérer, c'est juste…" Avoue le consultant, un peu timidement, avant de poursuivre, "Pas le moment? Je sais pas, j'y pense mais… J'me sens pas prêt. Pas encore."

Et quelque part ça l'ennuie, parce qu'évidemment l'idée le tente mais… mais maintenant il est avec Xander. Il est avec Xander et il a envie de sourire, ce qu'il fait à moitié parce qu'il serre les lèvres pour essayer de le dissimuler, sans vraiment y parvenir.

"Mais ouais, peut-être bien que je pense à quelqu'un, faut juste… que j'arrive à me lancer?"

Ça n'était qu'un demi-mensonge, au fond, puisque Tullio avait bel et bien besoin d'arriver à se lancer. Pas pour faire une déclaration, mais pour se laisser aller sans avoir besoin de boire avant.

"C'est pas gagné."

Avoue-t-il, avec un rire un peu gêné.

Ce qu’elle souligne le surprend et elle ne peut que grogner un rire devant cette ironie incommensurable. Ça devrait être clair, pourtant, que leur situation était ce qui se reprochait le plus d’une relation à long terme normale pour elle. Jamais elle n’aurait imaginé cohabiter avec une autre personne aussi longtemps, surtout pas de façon aussi fluide. Or, ils avaient une routine qui avait le potentiel de durer longtemps encore, surtout avec la venue d’Elana dans leur vie, qui, en étant sa sœur à lui et sa bientôt sa fille adoptive à elle, les unissait comme une famille à part entière.

D’ailleurs, il faudrait qu’elle lui parle, éventuellement, de ses plans d’avoir un enfant. Malgré ses prétentions de vouloir devenir une mère monoparentale par tradition, ça affecterait sa routine à lui aussi. Pas aujourd’hui, se dit-elle, pas quand je viens de lui reparler de coucher ensemble. Ce serait un plan pour qu’il se fasse des idées – dans un sens ou un autre – et Tullio ne figurait pas dans sa liste de géniteurs potentiels. Pas parce qu’elle ne l’aimait pas, au contraire, mais dans sa conception un peu atypique de la famille, maman et papa ne s’aiment pas, ne se connaissent pas et ne veulent pas se connaitre plus que ça. Même si elle était prête à faire certains compromis là-dessus, pour elle, Tullio était la personne dans sa vie la plus éloignée de ce rôle.      

- Tous tes adversaires vont tricher, moque-t-elle gentiment en lui envoyant un nouveau coup, sous un nouvel angle encore. Et encore une fois, elle y va lentement, avec l’intention toute didactique de le laisser réussir à nouveau, de vivre une réussite et de prendre de l’assurance. Bientôt, ils pourront échanger des vrais coups et peut-être que les futurs entraînements deviendront pertinents pour elle aussi. En attendant, enseigner était gratifiant quand même, relaxant et confortable. C’était un peu ça aussi, l’intention derrière sa proposition d’intimité, pense-t-elle avec amusement.

- Je me demande bien qui cette autre personne peut bien être, raille-t-elle en tournant les yeux, sans pour autant ralentir sa parade. Évidemment qu’elle savait qu’il s’agissait de Xander. Tullio était ce livre ouvert qui l’avait mentionné juste un peu trop souvent, avec juste un peu trop de timidité ces derniers temps. Cependant, elle ne savait pas si son presque frère était intéressé en retour... Il est discret dans ses affections, lui, contrairement à Tullio.

Qu’importe.

-Dommage que ce ne soit pas le bon moment, parce que la tempête semble bien partie pour durer, lance-t-elle, avec un rire léger et un nouveau coup un peu plus rapide.

"Ouais, mais eux me feront pas la conversation!"

Rit Tullio, quand la chevalière l'attaque sous un nouvel angle en se moquant gentiment de lui. D'autant que cette conversation-là avait pris un tour qu'il n'avait pas imaginé quand il l'avait débutée, et qu'il a maintenant l'impression de devoir choisir entre se concentrer sur l'exercice et réfléchir à tout ça. Autant dire que comme les coups continuent d'arriver, c'est l'exercice qui passe en premier.

"Genre. On sait tout les deux que t'as probablement deviné."

Renâcle-t-il, sans cacher son amusement lorsque Toria roule des yeux en déclarant se demander de qui il s'agissait. Elle le connaissait bien, trop bien sans doute mais… s'ils étaient en couple, selon sa définition à elle, c'était sans doute normal.
Il se sent soudain malhonnête, de ne pas oser lui dire qu'en fait il est avec Xander, parce que ça lui paraissait moins grave avant qu'elle ne lui brandisse les contours de leur relation sous le nez comme une évidence qu'il n'avait pas su voir, et ce sentiment est d'autant plus exacerbé que ça n'a pas l'air de la déranger outre mesure.
Pas sûr, en revanche, que le chevalier le prenne aussi bien s'il débarquait comme une fleur pour lui annoncer que "oui alors chéri en fait quand on s'est mis ensemble j'étais déjà plus ou moins avec quelqu'un, j'espère que ça te dérange pas?"… Non, vraiment, ce n'était pas possible. Pourtant il faudra qu'il trouve le courage et les mots pour lui en parler, au moins un peu, parce qu'il ne peut nier ni passer sous silence le fait que Toria représente une part importante de sa vie.
Il a mal à la tête rien que d'y penser.
Et en plus, maintenant, il lui manque.

Il a du mal à parer le coup suivant, à moitié à cause du fait qu'il est plus rapide et à moitié à cause des paroles de la chevalière. Il lui faut un instant pour comprendre, un autre pour remettre son cerveau en marche et il a l'impression que ça fait une éternité qu'il bafouille quand il arrive enfin à former des mots entiers et à les ranger dans un ordre cohérent.

"Ouais, c'est sûr. Mais au moins j'ai aucun moyen d'échapper à l'entraînement! Quand on sortira de là je pourrais t'appeler Mickey et tu pourras m'appeler Rocky."

Plaisante Tullio, en faisant référence à l'un des rares films dont il se souvient. Même si la proposition est tentante… Il n'a pas menti quand il s'est justifié en disant que ça n'était pas le moment et, même si c'est un argument supplémentaire pour s'abstenir, ce n'est pas Xander qui est à l'origine de ce sentiment.
C'est peut-être même mieux, au fond, que ça vienne de lui et seulement de lui. Il a beau regretter un peu de ne jamais s'être lancé quand il en avait l'occasion, ça aurait sans doute été pire s'il ne s'était senti empêché que parce qu'il avait un petit ami.

"Après je t'avoue que là je commence à avoir les bras qui tirent donc si tu veux me faire faire encore beaucoup de ces trucs, je dirais pas non à un exercice pour les jambes."

- Tu serais surpris. Certains adversaires sont vraiment bavards.

Il y a dans son regard qui dévie vers la gauche et dans le sourire en coin subséquent le fumet d’exemples spécifiques sur lesquels elle ne s’étendrait pas.

Tullio évite ses sous-entendus, de même que ses coups, et elle n’insiste pas. Leur relation lui allait très bien comme ça, sans intimité. Le fait de parler de ses amourettes était déjà un progrès significatif qui la rassurait et lui faisait plaisir.

- Si tu finis avec lui… Commence-t-elle pensivement, avec l’éclat croissant d’une réalisation particulièrement croustillante, tu seras presque mon beau-frère, en fait, envoie-t-elle avec un coup qui le déstabilise un peu plus que prévu.

Autour d’eux, les questions de Tullio sont presque palpables. Devant son air abasourdi, complètement pris au dépourvu, Victoria éclate d’un rire tout aussi solide qui rebondit sur les cloisons métalliques.  

- Oh, tu ne savais pas ? Xander et moi sommes hrr… Se raclant la gorge, elle reprend avec une nouvelle approche, ma mère et la mère de Xander étaient… très proches. Très, très, très proches.

C’est peu dire, elle l’avait presque considéré Eileen comme sa belle-mère pendant quelques années, avant que la mort ne l’emporte.  Étaient-ils demi-frère et demi-sœur pour autant ? Pas tout à fait. Ils n’avaient pas grandi ensemble et ils auraient pu passer leur vie entière sans se côtoyer, cependant, ils aimaient manifestement faire comme si c’était un peu le cas quand même.  

- C’est Eileen – sa mère – qui m’a appris à me battre, d’ailleurs. Enfin, je me suis souvent entrainé avec ma mère également, mais Eileen lui a enseigné à elle aussi.

Tullio commence à fatiguer et il y a des limites à pratiquer le même mouvement dans la même journée, alors Victoria arrête et entreprend d’étirer ses bras.  

- Moi et Xander ne nous étions jamais rencontrés avant que je le recrute, mais Eileen m’a beaucoup parlé de lui en grandissant… Et comme on les a perdues toutes les deux – nos mères – on s’est rapprochés.  

C’était venu naturellement pendant leur séjour à River Stone High, au fil des confessions pour lesquelles il était d'ailleurs encore le seul confident.  Tullio ne savait sans doute pas à quel point ils s’étaient rapprochés, réalise-t-elle, parce que sa relation avec Xander s’était développée pendant cette période où ils étaient en froids à la suite du huis clos familial inconfortable qui avait eu lieu chez les Cavaleri.  

- On va manger ?
Manger et essayer de le motiver à séduire son presque frère, pourquoi pas.