Dans ce sanctuaire, Angelica régnait comme gardienne suprême. De son côté, Tamar chapeautait une équipe de chevalier, dans un destin tracé depuis qu’elle évoluait dans cette famille prestigieuse. Chevaliers, qui, d’ailleurs, abusaient un peu de l’hospitalité d’Angie. De sa généreuse personne, la gardienne protégeait les créatures ramenées par l’Ordre et laissait même le territoire des Chevaliers s’agrandir.

La lieutenante venait donc au sanctuaire pour une mission de paix afin de rétablir ces inégalités. À vrai dire, elle portait Angie dans son cœur depuis ses débuts ici et elle ne supportait pas de voir les autres lui marcher dessus. La femme représentait une de ses seules amies proches. Tamar s’amenait donc au lieu protégé pour se relever les manches et se salir les mains. Aujourd’hui, elle servirait la gardienne.

Le sanctuaire au début octobre ne changeait pas à cause de son climat, alors que d’autres lieux protégés, ailleurs, ne faisaient que grandir en couleurs et en beauté. À ce temps de l’année, les arbres, avant de mourir, se décoraient de feuilles orangées et jaunâtres. Les feuilles craquaient sous les pas, les animaux sauvages se sauvaient avec leurs provisions dans la bouche à la vue d’un humain dangereux. Ici, les arbres ne changeaient pas de couleur et restaient droits à ce temps de l’année. L’air restait toujours humide. Tamar ressentait déjà les effets de cette humidité étouffante avec son t-shirt noir, ses bottes de combat et son pantalon en toile légère (Elle faisait surtout dans l’utilitaire et non le style, ce qu’on lui reprochait souvent lors des évènements qui demandaient un accoutrement plus chic).

À l’entrée du lieu protégé, on pouvait facilement repérer la gardienne aux airs angéliques. Enfin, un ange qui fume, une apparition quand même moins fréquente… et moins angélique. Les mains dans les poches, la lieutenante arrêta ses lourds pas devant cette figure sainte, un sourire toujours confiant aux lèvres.

-Ang’.

Tamar se pencha pour lui retirer sa cigarette du bec, dans un geste à la fois blagueur et provocateur.

-Je viens t’aider, lève ton cul et cesse de fumer si tu veux vivre plus vieille.

- Tam ! Rends-moi ma clope !

À peine arrivée qu’elle commence déjà à me provoquer. Mais bon, c’est l’une des rares personnes de cet ordre qui est prête à se salir les mains pour m’aider. Et puis… C’est mon amie. On a grandi dans le même milieu, fréquenté les mêmes endroits, rencontré les mêmes personnes. Tamar est l’une des seules amies qu’il me reste. C’est une femme de caractère elle aussi et je sais que sa nomination comme lieutenant de l’ordre a apporté beaucoup de positif. Elle aussi doit se battre pour faire valoir son point de vue et sa parole, mais le jeu en vaut la chandelle. Faut dire que c'est pas courant de trouver quelqu'un avec qui j'ai autant de choses en commun...

- Très bien, écrase la, elle était presque finie de toute façon ! On s’y met ?

Les ruines dans cette partie du sanctuaire sont relativement bien conservées. Ce sont surtout beaucoup de désherbage et de paysagement qui nous attendent. J’ai invité Tamar à me donner un petit coup de main dans cette zone justement en préparation de l’accueil d’un nouvel occupant. Rien d’officiel pour le moment, mais cette partie de l’île est suffisamment à l’écart de la ville pour y mettre une créature un peu moins… Lumineuse !

- Merci de m'aider. Vos chevaliers sont bien contents d’avoir leur QG ici, mais à part au cœur de la ville, personne n’est vraiment très impliqué pour me donner un coup de main. Je suis ravie que tu sois là avec moi !

Cet endroit est envahi par les insectes, ça fait déjà deux fois que j’écrase un moustique qui vient me piquer, j’aurai vraiment dû mettre un répulsif sur moi… Mais en même temps, le Bunyip est une créature aquatique, et ce marais est la place idéale pour lui. L’étang est suffisamment profond pour qu’il puisse s’y cacher et avec un peu d’amour, l’endroit ne ressemblera plus à une zone sinistrée.  

 

-Non. Ça me fera une mort de moins sur la conscience, tiens.

Sans même attendre son approbation, Tamar lança la cigarette au sol et la laissa mourir sous le poids de sa botte cramponnée. Comme les lieutenants qui dirigeaient les soldats vers la mort, les lieutenants de l’Ordre aussi avaient quelques fantômes qui les hantaient. Les missions dangereuses où peu de gens avaient pu être sauvés étaient trop nombreuses. À côté, Angie était là et elle se tuait à petit feu, une cigarette à la fois, comme une inconsciente.

-On s’y met, approuva-t-elle en opinant du chef.

Côte à côte, les deux femmes fortes marchaient d’un pas décidé en direction d’un lieu plus reclus de l’île. Ici, on pourrait facilement mettre une bête vorace sans mettre d’autres créature en danger.

-Je sais. Je veillerai à ce que cela change.  Même si… je ne décide pas tout et que je ne peux pas forcer la main des gens. Je t’aiderai.

Sa voix solennelle suffisait de promesse. À son tour, elle écrasa un moustique avec le revers de sa main.

-Quelle bête veut vivre dans un endroit pareil ?!

Visiblement, si elle fumait, elle aurait besoin d’une cigarette aussi à ce moment. Pour calmer sa frustration, Tamar sortit son petit couteau de son fourreau de cuir attaché à sa ceinture et se mit à tailler la verdure qui n’avait visiblement pas été entretenue depuis un long moment. La nature avait pris le contrôle, empêchant l'étang de bien s'étendre. Autour de la grande femme, l’herbe volait à mesure qu’elle s’activait.

Voyant Tamar sortir son couteau, je l'imite et sors le mien, pour dégager les alentours du marais. Il y a beaucoup trop de végétation à l'abandon. C'est pas mal la même chose partout dans le sanctuaire. En tournant la tête vers les ruines, je m'aperçois que les plantes grimpantes ont envahies une plus grande partie de la structure que ce que je pensais.

« On est là pour préparer l'implantation d'un bunyip. C'est une créature de la région, elle vit surtout en Océanie. Il y a très peu de spécimens, mais j'ai un contact qui a réussi à en localiser un. Il est en train d'organiser son transport. C'est une bête impressionnante qui hante les marais. Sous sa forme déguisée, il ressemble à un buffle d'eau, mais il s'agit en fait d'un esprit gardien de l’eau. Il peut s'attaquer aux êtres humains et plus particulièrement aux femmes et aux enfants qui ne respectent pas la nature. On dit que son cri est effrayant. Un peu comme une sirène, le bunyip a le pouvoir d'attirer irrésistiblement ses victimes à lui et de les pousser à se jeter à l'eau. »

Alors que j'explique tout ça à mon amie, je me relève pour aller jeter un coup d'œil aux travaux à entreprendre pour les ruines. Je ne vois pas la roche glissante qui est cachée sous une motte de terre. Et au moment même où je parle de se jeter à l'eau, voilà que je glisse et me retrouve les quatre fers en l'air dans le marais. Fais chier ! Je suis trempée. Et... c'est quoi sur mon bras?!

« Eurk ! Des sangsues ! J'ai horreur de ça ! Tam, aide moi à enlever ça au lieu de rire de moi !»

Je sors précipitamment de l'eau en secouant le bras, comme-ci ça allait suffire pour enlever cette bestiole. Heureusement que le bunyip n'est pas encore introduit, ça aurait pu se terminer de façon bien pire, mais quand même. Fais chier, fais chier, fais chier ! Faut que j'aille voir si j'ai des vêtements de change dans mon sac à dos. Je suis pas du genre prévoyante, mais j'ai pas dormi à la maison hier soir, j'ai sûrement quelques choses qui traîne...
 

 

Couteau à la main, Tamar arrachait les ronces rebelles tout en écoutant le discours de son amie qui sonnait bel et bien comme une encyclopédie. Angelica pourrait facilement écrire un livre avec toutes les connaissances amassées dans le cadre de son travail.

-Charmante créature, rétorqua simplement la lieutenante.

Il était effectivement mieux de protéger cette créature et de la laisser dans un lieu où elle ne mettrait personne en danger. Pour sa part, Tamar s’assurerait bien de ne plus s’approcher de cette partie du sanctuaire. Bien qu’elle n’ait pas froid aux yeux, elle n’aimait pas se mettre en danger par plaisir.

Ses pensées furent interrompues par un « Splash » sonore, comme le corps d’une femme qui tombe à l’eau. En levant les yeux, l’Irlandaise vit bien que c’était le cas et que la gardienne avait disparu dans le lac qu’on tentait de libérer.

Comme un fantôme des marais, Angie réapparut devant ses yeux, trempée de la tête aux pieds et couverte de sangsues. Face à cette vision, la femme à la peau foncée ne put s’empêcher de rire un peu.

-Désolée, désolée… s’excusa-t-elle en riant toujours.

Tamar s’approcha de son amie pour l’aider à se débarrasser des bestioles. D’un coup sec, elle tira sur l’une d’elles. Cette dernière se détacha de la peau d’Angie, mais ne fit que se reproduire une dizaine de fois dans petit « pop » sonore. Ce fut au tour de la grande lieutenante d’en avoir partout, comme par magie.

-What the….

Par essai, elle planta un couteau dans l’une d’elles, mais de nouvelles sangsues se formèrent sur sa lame.