Barry résista à l'envie de croiser les bras et bouder. L'adolescence étant derrière lui, il se devait d'agir en adulte maintenant, mais gosh, que ça pouvait être difficile quand ses deux meilleurs amis se payaient sa tête comme ça. Cela étant, il comprenait. Il ne les aurait pas loupé non plus, si la situation était inversée, et se contenta donc de masquer sa désapprobation derrière sa grenadine.

"Un peu, consentit-il, mais je sais pas. Qu'est-ce qu'une secte irait foutre là-bas ? Il n'y avait personne, pas d'autres cabanes, rien. Et j'ai regardé depuis que je suis rentré, il n'y pas de tribu indigène connue à cet endroit."

Le glock ne lui avait pas totalement quitté l'esprit, cependant. Qui que soit ces chevaliers, João s'en méfiait assez pour préférer les accueillir l'arme au poing.

"En plus, la beuh que j'ai fumé ne cause pas d'hallu. Sérieusement, hein. C'est ce que je me suis dit aussi, mais ça aurait dû le refaire. J'hésitais à retourner dans la jungle, puis j'ai pensé que vous voudriez peut-être venir alors je vous ai attendus."

Possibilité n°1 : tout ce que racontait Barry était absolument vrai, et tout un monde caché n’attendait qu’eux et un peu de beuh pour le découvrir. Mais que faisaient-ils encore assis ici bordel ? 

Possibilité n°2 : la jungle, des substances hallucinogènes, des plantes étranges, il allait au-delà du pire bad trip de sa -certes courte- vie, mais au moins le décor serait de superbes plantes luxuriantes et peu ou prou quelques animaux dangereux. D'aucuns étaient venus au Brésil pour moins que ça.

Possibilité n°3 : Barry se payait leur tête et avait monté un gigantesque canular, les filmait en cam caché, et posterait sur youtube une vidéo de leur réaction et le résultat serait hilarant, et peut-être un poil vexant.

Que de possibilités. Kilian déposa son verre vide sur la table et offrit son plus beau sourire – celui qui lui faisait obtenir des rallonges de temps des profs et de gros pourboires au bar – à ses amis.

«  On teste quand alors ? »

Quel que soit la possibilité, il avait confiance en son bro pour passer un bon moment.

La curiosité de Barry l'a poussé à faire un minimum de recherches avant d'en venir à la conclusion que quelque chose de vraiment chelou se passait dans la forêt. Le fait qu'il n'ai trouvé aucunes traces de tribut dans le secteur ne m'étonne qu'à moitié. Le sanctuaire abritant les Nagas prend place en plein milieu de la jungle, et, même si les humains n'ont pas la capacité de voir ce monde fantastique, au fil des siècles les tributs indigènes ont naturellement apprit à éviter l'endroit. Certain y voit un lieu sacré, d'autre maudit, bien que l'un soit souvent lié à l'autre, quoi qu'il en soit ce n'est pas pour rien que le serpent est un symbole fort en Amazonie, et ça, encore aujourd'hui.
Barry a eu de la chance que son oncle l'ai vite expédié en ville, le sanctuaire est encore aujourd'hui aux mains de la démone Lycerna. Autant dire que ça rigole pas vraiment.
L'idée de les dissuader d'aller se perdre là bas me traverse l'esprit, mais je me rends vite à l'évidence qu'avec ou sans moi ils iront s'y perdre, du coup, vaut mieux que ce soit avec moi. Tant qu'on reste en périphérie du Sanctuaire rien de trop dramatique devrait se produire.
En théorie.

J’engloutis mon verre cul sec pour chasser les quelques inquiétudes qui pointaient le bout de leurs nez et adresse un large sourire aux garçons beaucoup trop enthousiaste à l'idée de se perdre dans la jungle en fumant des bédo.

« En tout cas vous êtes motivé ! Je vais pas rater ça ce serait beaucoup trop dommage. »

Puis de toute façon, c'est sur mon chemin. Même si je me fais grâce de quelques jours de congé, il va bien falloir retourner au boulot à un moment ou un autre.

Ah, voilà ! Enfin une bonne attitude ! Ses amis se montraient dignes du titre et Barry leur adressa son plus beau sourire étincelant... avant de s'emparer de son sac pour en sortir une fourre en carton rigide noire. Il fit sauter les deux élastiques qui la maintenaient fermée et étala sous leurs yeux, entre les verres restés sur la table, plusieurs cartes et une liste.

"Voilà le plan." Il pointa un point sur la carte la plus grande échelle de l'Amazonie. "J'ai mis une croix parce qu'on a bivouaqué à cet endroit. Ici - il indiqua une autre croix faite au feutre rouge, situant un point qui devait être tout juste 50km plus loin que le précédent - ils déforestent beaucoup pour laisser de la place à l'élevage bovin. La Forêt s'étend d'ailleurs moins que sur la carte, elle a quelques années.

Et comme je suppose que vous ne connaissez pas le folklore brésilien... Les Curupiras attaquent normalement ceux qui prennent plus dans la Forêt que ce dont ils ont besoin, donc les braconniers, les chasseurs... Les légendes ne disent pas grand-chose de la déforestation, mais pour moi, ça rentre dans cette case. Personne n'a besoin d'autant de bois.

Mais s'ils ont une apparence de papillons quand on ne fume pas à proximité, je me suis dit que des entomologistes avaient bien dû remarquer quelque chose. Ça n'a pas manqué, et c'est pour ça que j'ai mis la croix là. Il y en a une plus grande concentration à cet endroit, et pas mal d'accidents infortunés.

Donc, ajouta-t-il après un bref silence, si on doit en trouver à coup sûr, ce sera là."

Un plan.
Barry a carrément un plan. Il sort une grosse carte de l'Amazonie et la déploie sous nos yeux pour nous expliquer un peu mieux ce qu'il compte faire, et ce qu'il a découvert. Je l'imaginais motivé, mais certainement pas à ce point. Je me penche sur la carte pour observer les petites croix, prêtant une oreille attentive à ce qu'il disait et tentant de ne pas m’offusquer de sa remarque. Des Curupiras j'en ai croisé un pas plus tard que la semaine dernière ! Il défendait le territoire d'un tapir et ses petits menacé par des chasseurs opportunistes. En tout cas Barry a bien appris sa leçon. Avec la déforestation et la présence de Lycerna les créatures mineurs ont plus tendance à s'en prendre aux humains au abord du sanctuaire. S'il comptait trouver une de ces créatures, c'est effectivement là qu'il faut se rendre.
Je profite de l'intervention de Kilian pour prendre une photo de la carte et des croix avec mon téléphone. Il faut que je compare ces points avec les frontières du sanctuaire que j'ai pris soin de noter dans mon gros carnet d’expédition. Malheureusement je ne peux pas prendre le risque de le sortir sous leurs nez, il contient beaucoup trop de choses qui me grillerait en trois secondes et demis vu les curieux qu'il sont. Et puis j'en profite aussi pour envoyer la photo à mon père et m'offrir une très bonne excuse pour ce geste.

« J’envoie les coordonnées à mon père pour qu'il sache ou venir me sauver si on se fait enlever par des nains..  Ou au moins qu'il retrouve nos cadavres quoi»

C'est dit sur le ton de la plaisanterie bien sûr. Message envoyé, je range le téléphone dans ma poche et prête un peu plus attentions aux interrogations de Kilian.

« J'ai envie de dire que la Jungle Amazonienne n'est jamais vraiment sans danger.. Y'a beaucoup d'animaux dangereux et les braconniers, c'est pas à exclure.. Après depuis quelques années ça devient plutôt à la mode comme destination touristique donc ... »

Même si la plupart des « tours » touristiques se contentent de passer sur les grandes rivières, c'est pas rare de croiser des touristes audacieux en pleine jungle.. et c'est bien ce qui embête l'Ordre d'ailleurs..

« Tu comptes demander au guide qui t'a accompagné la première fois ou y aller en mode Yolo ? »

"J'ai rappelé le guide, mais le correspond n'est pas joignable actuellement."

Sa voix évolua pour imiter celle des messages automatiques, un soupçon de sarcasme pimentait le tout. Le guide était louche, il maintenant. Ça n'augurait rien de bon pour son oncle si les deux hommes travaillaient ensemble. Barry tâchait de ne pas se focaliser là-dessus et traiter les problèmes un par un. Puisque João devait pouvoir voir les créatures et qu'il l'avait surpris à discuter avec un papillon, ils commenceraient par les papillons. Comment retrouver un homme qui n'avait probablement pas envie de l'être s'ils ne comprenaient pas mieux le milieu dans lequel il évolue ?

"Le plan, Kiki, c'est de rouler le long de la forêt le plus loin possible et de finir le trajet à pattes. L'idée n'est pas de mettre les pieds dans la zone sensible, mais d'observer de loin jusqu'à ce qu'on trouve un ou plusieurs curupiras. Après ça, je sais pas."

Un guide hors service, à peine étonnant ça ! Parce que ce serait trop beau de nous simplifier la vie. En fait, je suis assez étonné que ce guide ait accepté de conduire Barry la première fois dans la forêt. Pris au dépourvu par la surprise ou quelque chose comme ça. Quoi qu'il en soit là, on va devoir se démerder solo. Le petit trekking dans la forêt amazonienne ne semble pas spécialement ravir Kilian et ses chaussures neuves. Je crois que le pauvre n'avait simplement pas prévu de se retrouver à crapahuter dans les marais ! Mais ça ne suffit pas pour le décourager, il faut simplement changer de chaussures et s'assurer de ne pas se retrouver à dormir à la belle étoile.
Je sens son regard se poser sûr moi comme une demande de soutiens silencieuse à sa requête. J'acquiesce d'un signe de tête dans un sourire encourageant.

« Je suis d'accord pour qu'on passe par l'étape "changer de fringues" et pour notre sécurité à tous, je crois qu'on devrait effectivement ne pas trop traîner pour ne pas se retrouver dans la forêt la nuit. Même sans nains magiques ça reste un endroit craignos. Les animaux ont tendance à chasser la nuit.. Quand ils ne sont simplement pas venimeux.. »

Je ne parle même pas des Nagas et autres joyeusetés qu'on risque de croiser si on se paume un peu trop prêt des frontières du sanctuaire. L'idée d'avorter le projet me traverse vaguement l'esprit, mais, ne trouvant pas de solution rapide et efficace pour m'assurer qu'ils ne bougent pas leurs petits culs d’Américain de cette belle ville.. Autant renoncer et simplement les accompagner.
Pour le reste, on verra en temps voulu.

« C’est que… »

Barry ne voulait surtout pas décourager ses amis. On n’avait pas toujours la chance d’en dégoter des comme eux, prêts à vous rejoindre au bout du monde pour crapahuter en forêt équatoriale. Restait que l’expédition risquait de prendre un peu plus de temps que ce qu’ils envisageaient. Les points indiqués sur la carte semblaient proches de l’orée de la forêt uniquement parce que l’Amazonie était gigantesque.

« On risque de devoir y passer au moins une nuit, » termina-t-il donc le ton plus bas.

L'expression un poil embarrassé sur le visage de Barry n'annonce rien de bon. En effet, il semble bien décidé à passer la nuit dans la forêt. Toute une nuit. Dans la forêt amazonienne. À proximité du sanctuaire et du démon qui s'y trouve. Je crois que c'est la pire idée du monde, pourtant, une part de moi ne peux s’empêcher de murmurer que ce sera certainement amusant, que je suis né pour faire ce genre de truc et qu'on passe enfin aux choses sérieuses.
Si seulement Barry et Kilian n'étaient pas de simple humain mortel et ignare du monde magique..
Tout aurait été plus simple oui, mais ça perdrait carrément de son intérêt du coup. Cogitant en silence sur ce plan foireux et toutes les débouché possible, l'attention se porte essentiellement sur Kilian et son air à chemin entre l'indignation et la terreur. Un peu surprise de l'imaginer trouillard au point d'avoir la frousse de dormir à la belle étoile, je retiens un rire en réalisant que c'est surtout le manque de confort et le camping façon rustique qui le révulse plus qu'autre chose.

« C'est pas si terrible... Avec un peu de préparation ça peut s'envisager.. Perso j'ai déjà du matériel de baroudeur, à la base je suis pas ici que pour boire des margaritas en terrasse... j'ai déjà fais un petit périple sur le fleuve tout ça.. alors la jungle avec vous deux... Ce sera carrément amusant en faite... »

Une démie vérité c'est toujours mieux qu'un gros mensonge. C'est vrai que ça fait quelques semaines que je navigue un peu partout aux abords du sanctuaire et je compte bien y retourner, à la base, retrouver Barry et Kilian devait être un espèce de week end détente...
Changement de programme ?