Dans la taverne, les poissons embrassaient l’air par un miracle quelconque et autour d’eux, la fête battait de son plein. Les lumières des néons bleus imitaient la mer, dans un mensonge cruel pour les créatures aquatiques retirées de leur milieu. Les chevaliers mélangés aux invités, eux, tentaient de goûter au bonheur en célébrant une nouvelle victoire.

La lieutenante, elle, était occupée à recevoir les félicitations et les offrandes alcoolisées variées de ses subalternes. Bien rapidement, les offrandes s’empilaient dans son système digestif et elle ressentait de plus en plus les effets étourdissants de l’alcool.

Dans un coin sombre, elle aperçut ce qu’elle aurait pu devenir. Liliane, enfant prodige, maintenant devenu une adulte recherchant toujours l’état second pour fuir sa réalité destructrice et son passé traumatique. C’était comme se regarder dans un miroir déformant des fêtes foraines.  Une vision inconfortable et troublante.

Un shot de trop reçu, mais Tamar se voyait mal de refuser. Elle s’avança donc vers son ancienne rivale, le minuscule verre entre ses doigts probablement assez forts pour le briser.

-‘Sup, fucker.

Le verre se tendit vers Liliane en guise d’offrande pour la paix, peut-être en renversant un peu de son contenu dans une énième maladresse causée par l’indélicatesse de la femme.

-Why are you hiding ? Are we in danger ?

Le ton de l’Irlandaise était moqueur, joueur. Elle était visiblement ivre et avait perdu le peu de filtre qu’elle avait déjà.

-Or… are you once again so fucked out of your mind that you’re dissociating ?

Comme pour la faire réagir, Tamar passa une main devant les yeux vitreux de la propriétaire du bar.

Many years ago...

Il n'était pas tard, mais il faisait gris. L'humidité était oppressante, où du moins, c'est comme ça qu'elle le percevait. Les évènements avaient eu lieu il y a quelque temps maintenant. La chute et la renaissance de l'Ordre. Ça avait été si rapide. Si violent. Lily Anne n'avait pas dormi chez elle depuis longtemps. Enfin, ce qu'il restait de chez elle après... Elle contient sa nausée. Elle n'avait pas eu le choix. On ne le lui avait pas laissé. Sa main avait été forcée. Elle n'avait fait que suivre sa voie. Elle n'avait fait que protéger ses idéaux. Leurs idéaux. La seule différence, c'était qu'elle était plus forte. Meilleure.

Avait-elle des regrets?

Oui. Enfin, non. Ça dépendait. Exterminer sa propre famille avec extrême préjudice ne laissait pas exactement un goût plaisant sur son palais. Mais ce n'était pas ça, le problème. Non. Pas ça du tout. Ce qu'elle avait fait était juste. Ce qu'elle avait fait, aussi brutal, aussi immonde, avait sauvé des vies. Non. Pas de regrets. De l'amertume, certes. De la colère?... Oui... De la colère... brute... sauvage... sans fin... Du dégoût, du mépris... Haine... Courroux...

Elle s'était réveillée, chaque matin de sa convalescence forcée, sereine. Elle se regardait dans le miroir avec fierté, amour propre. Elle avait fait ce qui était juste. Elle en était convaincue. Certaine. Mais ce poid, dans sa poitrine... Lourd... Impitoyable... Rampant... La faisant trembler jusqu'au bout de ses doigts... Cette rage... Immonde... Comment avait-ils osés? Ces traîtres. Ces monstres. Elle n'avait pas sali ses mains, en les abattant comme des chiens, ils l'avaient fait. Ils l'avaient poussée à bout. Elle avait voulu, croire en eux. Elle leur avait tendu sa main, miséricordieuse. Ils avaient voulu la tuer. Elle. Leur propre sang. Et pourquoi donc? Ils avaient déjà perdu. Par avarice. Par soif de sang. De vengeance. Pour répandre un peu plus de carnage dans leur dernier souffle.

Des regrets? Non. La famille Faust avait mérité son sort sordide. C'est ce qu'elle croyait, au plus profond d'elle. Ces dernières semaines l'avaient confirmé. Toutefois, ça ne changeait rien. Le mal était fait. Elle avait changé. Le monde avait changé. Rien ne serait plus comme avant. Elle le savait. Elle le craignait, jour et nuit. Les changements à venir allaient être brutaux. Difficiles. Mais, avec sa famille - sa vraie famille - elle allait les relever. Elle allait les rendre fier. Le nom de Faust s'arrêtait avec elle, et elle allait le redorer.

Il faisait gris. Il n'était pas tard. Lily Anne regardait le sol, pensive, sans tristesse, sans colère cette fois. C'était enfin l'heure de son retour. De sa chambre d'hôtel, elle avait attendu impatiemment ce moment. L'heure de sa prochaine assignation. Sa prochaine mission. L'heure où les heures allaient enfin se remettre à tourner. L'heure où elle allait enfin trouver un sens à tout ça.

"Peut-être rallonger sa convalescence." "On n'est pas sûr qu'elle se soit complètement remise." "Peut-être que reprendre le terrain aussi vite n'était pas judicieux."

Elle avait rétorqué. Elle était prête. Pour être honnête, elle avait été prête depuis le début. Mais elle avait compris, qu'on la mette sur la touche un temps. Si ce n'était que pour les apparences. Elle avait lu la vérité sur leur visage. Elle avait compris. Elle était résignée.

Leurs mots étant doux, gentils, agréables. Leurs yeux, eux? Elle connaissait ce regard. Terreur. Appréhension. Méfiance. Mépris. Dégoût. Ensemble, séparés, ou mélangés. Haha... Elle avait été naïve. Si naïve. Comme une enfant. Elle avait cru, l'espace d'un instant, que tout pourrait redevenir comme avant. Mais si ses supérieurs la voyaient comme ça? Quelle chance avait-elle? Alors elle fixait le sol. Elle n'était pas triste. Elle n'était plus fâchée. Petit à petit, elle n'était même plus pensive.

Elle était résignée. Elle était résolu. Le coeur de la jeune Lily Anne était acier. On ne lui assignerait pas d'équipe. Si elle attendait, si elle suivait les conseils, les requêtes. Elle resterait sur la touche, longtemps, trop longtemps. C'était normal. Elle comprenait.

Le visage hagard, elle s'aventura vers le hall, ou d'autres collègues s'étaient réfugiés pour la pluie.

C'était sa dernière chance. Sa dernière.

Elle se fait foudroyée. On la voit rentrer. Un murmure. Un silence. Soudain. Bruyant. Douloureux. Certains lui adressent des regards en biais. D'autre des salutations courtes, sans croiser son regard. Le sol. Les murs. L'extérieur. Regarder quoique ce soit, mais pas elle. Elle n'était plus l'héroïne de ces lieux. Elle était pariah, persona non grata. On ne l'aimait plus. On l'haïssait, ou on la craignait. Les plus sages étaient juste embarassés de croiser son regard.

Elle expire. Passivement. Lentement. Son coeur durcit. Ses yeux ternissent. Elle comprend. Elle sourit, presque. Il ne lui reste qu'un chemin, aussi difficile soit-il. Elle inspire, gonflée à bloc. Elle n'évite aucun regard, et esquisse un sourire narquois. Elle avance, pas à pas, sans se presser. Le chemin se libère devant elle. Quelques pas, et elle serait dehors. Quelques pas, et elle pourrait respirer, enfin seule. Quelques pas et-

Elle le sent. Très doucement. Presqu'impercetible. Sur le haut de sa chaussure. Le... crachat... Et... elle l'entend. Le-

"Fille de traitre. Get the fuck out."

Elle fige. Elle paralyse. Tétanisée, elle ne sait pas quoi faire. Elle n'est pas prête. Elle n'est pas prête. Chut. Silence. Silence. SILENCE. Elle ferme les yeux. Elle est encore là, au fond de sa poitrine... Aussi impitoyable qu'une nausée violente... Elle remonte... jusque dans ses tripes... Elle la prend. La saisit. La tourne. Continue. Ignore. Ignore. Elle ne peut pas. Elle tremble. Elle-

Saisit l'homme, brutalement, par le collet. Elle pousse un cri bestial. Elle court, vers l'avant. Elle le soulève, d'une main. Les veines dans ses yeux éclatent. Elle n'est que rage. La foule se tasse devant elle, alors qu'elle fracasse l'injurieux avec extrême préjudice contre le mure. Elle applique son avant bras sur sa gorge, et le pousse. Plus haut. Elle explose. Elle n'en peut plus. Elle se mord la lèvre jusqu'au sang. Elle tremble. Elle appuie, plus fort. Des craquements se font entendre. Elle respire, haletante. L'homme se débat. En vain. Il bat l'air. Gratte. Personne n'ose s'approcher.

Elle parle.



Sa voix est calme, mais pesante. L'homme commence à perdre ses couleurs. Quelques personnes font un pas pour l'arrêter. Elle se retourne soudainement, faisant non de la tête.




Elle sourit. Pas comme à l'habitude. Sans chaleur. Sans bienveillance. Son sourire est froid, cruel, carnassier. Ses yeux sont vides.

Elle lâche l'homme, qui s'écrase au sol comme un chiffon.

Elle sort du hall, levant la main en signe d'au revoir.




Elle sort, tremblante.

Elle aimerait que ce soit de terreur. De tristesse. De colère.

Elle se mord la lèvre tentant de contenir l'excitation du mieux qu'elle peut.

Quelques pas plus loin, à l'extérieur, elle croise un visage familier.



Je me lève. Agacée. Un visage du passé que je n'affectionne plus particulièrement. Un fantôme bruyant d'une époque révolue. Persistent. Énervant. Frustrant. J'avais accepté de recevoir la célébration mais je n'avais pas accepté qu'on vienne me faire chier.

Je fais un pas vers elle, avançant dans son espace très directement. Elle est plus grande que moi. Je ne suis pas intimidée. Je ne suis pas intimidable. Mes yeux se verrouillent dans les siens.


Je ne souris pas. Je ne suis pas enjouée. Je ne suis pas même contente. C'est mon espace, ici. C'est à moi. À moi seule. C'est mon domaine. Pour qui elle se prend? Pour qui? Pour. Qui. Je lève ma main droite à la hauteur de son visage. Ma main tremble. Elle est crispée.

Une partie de moi songe soudain à la décapiter là maintenant. Elle m'avait renversé de l'alcool dessus. C'était une punition proportionelle. Non? Non? ... Ok non mais l'idée est agréable. Je soupire. Je radoucis ma main, et lui assène deux petites claques du bout des doigts - un peu trop fortes, je ne suis pas si sage - avant d'accepter son verre.


Je l'avale d'un trait sans broncher.


Je lui bâille ouvertement au visage, avant de me rassoir, ne la lâchant pas d'un regard absolument pas impressionné. L'imitant, j'agite la main entre ses yeux et les miens. Je claque des doigts, pointant une chaise en face de la mienne à la petite table.

Avant qu’elle devienne qui elle était aujourd’hui, la femme forte à la tête d’une équipe. Avant que ses parents ne la quittent. Avant que. Avant que.

Tout s’était écroulé, pour mieux être reconstruit, non sans dommages collatéraux. Lilian était un de ces dommages collatéraux. Il n’y avait que des rumeurs sur son sujet. Des rumeurs d’une scène horrible. Des confirmations d’une trahison. Mais l’Irlandaise, elle, ne voulait rien entendre. Elle ne voulait que garder l’image dorée qu’elle tenait de Lilian. Celle qu’elle tentait toujours de dépasser, celle qu’elle admirait de loin et qu’elle jalousait à la fois.

Depuis le départ soudain de celle qu’elle admirait, l’Irlandaise avait pris sa place sur le podium. C’était à la fois gratifiant et frustrant, puisqu’elle savait qu’elle prenait le pouvoir seulement par forfait. Elle voulait gagner en bonne et due forme. Pas prendre le podium pendant que sa rivale se trainait dans la boue.

-Have you heard of what happened to -

-Shut up, shut up. I heard a thousand times already. It’s enough.

Dans l’air, des murmurs s’élevaient. Tamar, ne voulant pas faire partie d’une scène, se cacha dans un bureau ouvert, sa stature dissimulée derrière une porte entrouverte. Devant ses yeux se dessinait une scène violente. Lilian, par le poids seul de sa personne, tua pratiquement un homme qui l’avait tout de même mérité. Face à tout ça, Tamar se surprit à faiblir de peur.  Sous son corps, ses genoux tremblaient légèrement.

-Fuck, lâcha-t-elle dans un souffle.

Alors. C’était vrai.

La future lieutenante essuya la sueur froide sur son front et sortit de la pièce dans laquelle elle s’était cachée. Ses pas la menèrent dans la cour extérieure et bien sûr, elle tomba face à face avec son ancienne rivale.

-Lilian !

Ses pas, malgré la peur qu’elle ressentait, menèrent à elle. Une fois à sa hauteur, elle parla :

-I’m so sorry for what happened…
Et les voilà, aujourd’hui, totalement différentes. D’un côté, Lilian était devenue cette créature en mode survie qui revêtait un « je-m’en-fous » en guise de défense. D’un autre côté, Tamar qui savourait toujours sa victoire par forfait. L’enfant dorée avait dépassé son adversaire, qui ne voulait plus se battre.

-Lieutenant is fine. Don’t call me boss.

Les titres étaient importants. Le titre de lieutenante, elle l’avait mérité -enfin, c'était ce qu'elle aimait se laisser croire- et elle le portait fièrement sur sa poitrine. Elle ne voulait pas se faire appeler autrement.

En voyant la petite femme se lever, Tamar baissa les yeux vers elle avec un sourire arrogant. Lilian avait cette flamme mordante en elle qui ne faisait qu’agrandir le rictus de la lieutenante, dans un risque qu’elle ne prendrait pas une fois sobre.

-Danger sounds nice.

Sous sa claque, la tête de Tamar se tourna et sa peau brune, rougit. Son sourire arrogant disparut et elle serra les lèvres, réalisant l’erreur qu’elle venait de commettre.

-Fuck you ? Is that an invitation?

Elle s’assit en face d’elle avec un sourire d’ivrogne qui revenait petit à petit.

-Sorry. I just don’t like seeing you like this. Don’t you like to have fun sometimes ?

Tamar fit signe à un serveur de leur donner une autre tournée et avala son verre d’une traite. L’alcool brûlait sa gorge et sa voix ponctuée d’un accent prononcé ne faisait que devenir plus enrouée.

-C’mon, let’s have fun, like the good ol’ days. Kick my ass !

Sa demande fut ponctuée d'un coup de poing donné sur la pauvre table, qui n'avait rien demandé. Sous l'impact, le reste des liquides bougeait légèrement.

Elle n'avait pas particulièrement eut envie de la croiser, là, maintenant. Ses résolutions et sa déterminations toutes jeunes, encore vacillantes, tremblaient encore une fois devant l'écho du passé, toujours si proche, mais inexorablement derrière elle. Regret, amertume, tristesse. Mais, si elle est secouée, ça s'arrête à ça. Elle n'est plus une enfant. Little Lady Faust n'était plus. Elle avait un travail, désormais. Une responsabilité, même.

Lily avait perdu respect, adoration, et confiance, auprès de presque tous. L'anonymat, pour elle, n'avait  jamais été que formalité. Elle avait eu un devoir, en tant qu'icone de réussite. Lily ne devait pas seulement réussir, elle devait personifier succès, valeur, chevalerie. En un sens, pendant les belles années, la jeune fille avait été l'Ordre lui-même, moins humaine que parangon, mais plus humaine qu'inaccessible.

Cette illusion était rompue. Elle en faisait certes le deuil, mais elle en était aussi libérée.

Elle regarde sa compétitrice d'un œil compliqué, qu'elle ne cerne pas vraiment. Les émotions se bousculent, mais elle est solide. Elle comprend le passé, le présent, mais surtout le futur qui l'attend. Elle ne peut plus regarder en arrière.


Ses mots sont durs, et lui font mal, à elle aussi. Son regard se vide de toute émotion. Son expression perd de son lustre, son poing se sert, et elle continue de marcher, tête levée. Déterminée à continuer. Et pourtant, là, maintenant, qu'elle arrive à son niveau, côte à côte, sa lèvre tremble. Vacille. Encore. Son attachement au passé la tiraille, douloureux. Elle doit parler. Elle doit tourner la page. Alors. Après une pause, sa tête se baisse, ses yeux s'assombrissent un peu plus.


Elle soupire, et reprend sa marche, jusqu'au plus profond des abysses, certaine de ce qui lui reste à faire, mais dans l'ombre quant aux conséquences.

***

Je me rassois confortablement, à mon aise, dominant la salle par ma posture seule.


Vu qu'elle cale son verre, je me garde bien de la suivre, et me contente de faire tourbilloner lentement l'alcool dans ma coupe, sirotant délicatement, savourant chaque gorgée.


Les verres tremblent sous son poing. Quelle... provocation juvénile. Ça ma rappelle le passé, un passé que j'ai depuis longtemps derrière moi. Peut-être, la petite fille que j'étais, aurait succombé, mais c'est différent maintenant. J'ai vieilli. Mûrit. Grandit. C'est en dessous de moi aujourd'hui. L'ivrogne en face de moi ne me fait ni chaud, ni froid. Je ne ressens plus ce besoin de domination mâle et basique. Non. Aujourd'hui, c'est différent.


Je fracasse ma coupe au sol, violemment, faisant explosé le verre et le liquide par terre. Rapide, très rapide, je lui assène un crochet assez fort pour qu'elle s'en souvienne bien le lendemain, et assez fort pour l'envoyer au sol de sa chaise, si elle ne s'y attendait pas.

Je me lève.


Je crache au sol, et lève les poings.

Moi? Mature?

Ha ha ha. Et puis quoi encore?

Les mots de Lillian tranchaient comme la tempête de neige après un redoux. Tamar ressentait-elle de la pitié ou de l’empathie ? Pour son adversaire, la ligne était mince entre les deux, et elle comprenait la congère d’insultes qu’elle lui crachait au visage.

À la place de s’excuser encore plus, elle se tut et écouta son conseil qui sonnait plutôt comme une menace. La lumière des néons posée sur elle ne valait rien si elle ne l’avait pas gagnée en bonne et due forme, si elle l’avait obtenue par forfait.

Tamar regarda son ancienne compétitrice s’éloigner et disparut elle-même.

***
-Groupies ? Whish I had more.

Ses prochains mots avaient voilé le regard mielleux de Tamar d’un cirrus d’amertume. Elle avait raison. Stingray avait toujours été meilleure qu’elle et même si elle travaillait comme une folle, elle n’aurait pu la surpasser. Surtout aujourd’hui.

Le verre se brisa sous l’impact et Tamar arqua son sourcil à demi rasé dans un air qui se voulait intéressé. L’impulsivité de Lillian se mariait avec la sienne, dans une buée qui empêchait toute once de jugement.

-I’ll show you I ain’t no bitch, Stingray.

La lieutenante se leva à son tour et renversa sa chaise par sa grande délicatesse, exacerbée par son état d’ébriété avancé. La femme au teint foncé s’avança vers son adversaire et lui mit le premier coup au visage, sentant son poing s’écraser contre le relief de sa mâchoire. Par la suite, elle se recula et se prépara à encaisser les prochains coups.

J'encaisse son coup, solide à ma machoire. La douleur est brûlante, mais pas tout à fait désagréable. C'était rare, de nos jours, que j'encaisse des vrais coups. La plupart avaient assez de jugeotte pour ne pas tenter de me provoquer, et, s'ils n'en avaient pas, ils comprenaient généralement très vite leur grossière erreur. La plupart n'était également pas suffisamment entraînée pour avoir des réflexes qui rivalisent les miens.

C'est malheureux. Je suis supérieure en tout point, mais je suis rouillée. Mes réflexes ne sont pas ce qu'ils étaient, et, sans assistance, je ne rivalise pas nécessairement avec les siens, qui continue d'exercer et de se consolider. Peut-être qu'au final, c'est l'effort qui l'emportait sur le talent.

Ha ha ha. Non. Mais là... remontée comme ça...

Je fais tourner ma machoire une, puis deux fois, ressentant bien l'articulation, exagérant un peu l'ampleur du poing, qui, soyons honnête, n'était pas mauvais. Elle n'avait pas été sa numéro 2 pour rien, et elle avait grandi. Good. Good. Je lève les poings, en position de boxe anglaise classique... avant de changer d'idée, sourire, et les rabaisser.


Je m'approche de la table voisine, qui semble agitée de conversation. Leurs verres ne sont pas sur la table. Très bien. Je m'appuie sur leur table, telle une barman.

Ah. Oui. C'est vrai.

Donc oui euh, je m'appuie sur leur table.


Puis je soulève et envoie valser la table un peu plus loin. J'aurais fait attention à leur réaction mais j'ai d'autres chats à fouetter. Eheh... Fouetter. Je me râcle la gorge, et parle, sans crier, mais avec mes cordes vocales tout le monde m'entend dans l'établissement de toute fâçon.


Pendant que je parle, je marche en cercle indiquant à tout ceux sur mon chemin de faire place. Ils obtempèrent. Ils sont gentils. Je grince quelques "MOVE" aggressifs entre mes dents mais si non c'est tout bon.


Comme pour illustrer, je saisis mon bras, et l'envoie voler derrière le comptoir avec désinvolture.


Je lui adresse un sourire triomphal, carnassier, et jubilatoire.


Baissant entièrement mon unique bras et ma garde, je tend l'autre joue, et ferme un oeil, lui tirant furtivement la langue. Je murmure, à sa seule intention

Son adversaire avait réussi à encaisser le premier coup et se préparait à riposter, tandis qu’elle baissait les bras. L’Irlandaise la regarda faire, un sourcil toujours arqué, dans une mine intéressée, mais toujours perplexe. Lillian était imprévisible. Une petite bombe à retardement, prête à exploser à tout moment. La femme masculine au teint basané restait sur sa garde, prête à parer les coups au besoin.

Mais Stingray s’éloignait et dérangeait la disposition des tables pour leur faire une scène. Elle était sérieuse. Pendant que son adversaire s’amusait à placer la salle et à terrifier les clients, Tamar alla se servir un autre shot, dont le verre s’écrasa encore au sol, dans le but d’enflammer encore plus la salle.

Sacrée Stingray.
Sa fougue lui avait manqué.

La lieutenance se retourna pour écouter les paroles de sa compétitrice, remontant par le fait même les manches de sa chemise blanche, dévoilant des dessins tracés en rouge sur la peau foncée de son bras. Se salir lui importait peu, elle recherchait simplement le confort.

-Fair with me, ma’am.

Ses yeux s’agrandirent légèrement en voyant le bras valser dans la pièce. Lillian était une excellente combattante, mais elle était encore un meilleure avec cet appareil. Tamar, elle, était un poids lourd douée au combat. Ses combats au corps à corps avec des créatures agressives n’étaient pas rares.

-You’re right, dit-elle à demi amusée par tout l’alcool dans son système.

Lillian se jouait déjà d’elle, tendant sa joue pour qu’elle y laisse le premier coup de ce combat officialisé. Mais, contre ses attentes, Tamar se pencha et tendit la jambe pour lui faire perdre l’équilibre, avec un croc-en-jambe assez puissant, bien que plus maladroit qu’à son habitude. Lillian au sol, Tamar se posa sur elle, le poids de son corps sur les hanches de la femme.

-Givin’ up already, or you wanna keep playing ? lâcha-t-elle près de son visage.

Au sol, en position de soumission. Ce n'est pas, somme toute, désagréable. Après tout, c'était une destination peu commune. Ça fait du bien, parfois, de se souvenir de ce que vivent les autres. Pour apprécier l'argent, il faut comprendre ce que c'est d'être pauvre. Une fois de temps en temps.

Des excuses?

Oui. Absolument.

Je suis fâchée.

Son poids sur mes hanches m'insupporte. Je relève le torse, ignorant la pression qu'elle m'inflige. J'approche mon visage du sien.


Mon bras unique lui assène un coup, brutal, vicieux, presque imperceptible au foie. Pas assez fort pour causer des dégâts, mais assez pour couper la respiration la fraction de seconde qu'il me faut pour qu'elle relâche la pression juste assez que je puisse d'un coups la pousser hors équilibre de l'arrière de l'épaule. Serpentine, je ne m'arrête pas là. Mon corps est rapide. Anormal. Même sans mes pouvoirs, je suis rapide, imprévisible, vicieuse. Je glisse autour de son corps, collée, oppressante, tournant jusque dans son dos, passant en la fraction d'un instant en position prédatrice.

Mon bras est autour de son cou, faussement en position d'étranglement. Ma main carresse moqueusement son visage, pleine de tendresse, mes jambes fermement verrouillées autour de sa hanche, fermes, mais sans réelle férocité.

Ma poitrine fermement contre son dos, je mordille furtivement le lobe de son oreille, et j'y murmure, délicatement.


Puis je lâche prise, complètement. Me laisse tomber au sol, sur le dos. Sans ma main, j'enlève un talon, puis l'autre, les envoyant doucement valser sur le côté de notre arène improvisée.

Je reste couchée, paisiblement.