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Angel of small death and codeine

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Mar 30 Juin - 16:11

Points : 0
Messages : 71
Habitation permanente : Living Mirage, Old Fyre, et entre les deux.
Occupation : Chercheur en tout.
Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
Quelque part, ailleurs. La vibration, l'élan, des miroirs qu'on traverse, d'autres songes et d'autres fumées : c'est ailleurs, presque ici, mais le reflet se brouille. C'est un même visage, c'est un même nom, mais celui-là s'est offert à la nuit quelque part près du tombeau d'un poète de Shiraz et a bu jusqu'à la lie le sang et le vin mêlés au fond du calice. Les dates s'emmêlent, les âges se figent : Paris clignote des lueurs vagabondes et fait un foyer idéal pour le couple de voyageurs qui rôde dans le noir pour se nourrir de tièdes joyaux et de grands crus tout frais tirés. Les Années Folles secouent leurs sequins et leurs gloires pour oublier les horreurs de la décennie passée, et Nour qu'a eu vent de la guerre que par de lointains récits parvenus jusqu'à l'autre bout des Routes de la Soie découvre le goût de l'Occident.

Dans la pénombre du soir qui tombe, quelque part à l'heure où le rideau tombe sur la ville, ils sont deux et ils errent de leur pas de flâneur entre les terrasses des cafés et les lampions allumés. Les apparences sont trompeuses. Pile, Nour porte beau ses quarante ans émaciés par les voyages, sa silhouette filiforme de marcheur infatigable qui flotte un peu dans son costume bien coupé. La peau brûlée par le soleil découpe un visage anguleux sous les boucles très noires encore, traits saillants et fine moustache par-dessus le sourire où s'embusquent les crocs. Face, Nishat promène son visage d'éternel angelot, gracieux comme une jouvencelle et rond comme une petite pomme au profil de médaille sous un soleil de cheveux crêpus. Le visage avenant s'arque comme un croissant de lune sous le collier de barbe et dessine le reflet d'un autre temps. Ils sont sans âge, tous les deux, et vont avec dans le fond de leurs yeux la même lueur de faim lancinante.

Ils glissent parmi la foule, s'enfoncent dans la nuit pour attendre que passe l'heure trop sage et que viennent les obscurités complices où les cabarets interlopes ouvrent leurs portes aux faunes discrètes et confuses qui cachent leurs attraits sous de chastes masques. Le secret, c'est tout un art, quand il faut cacher ce qu'on est, doublement. Mais c'est si facile, à la longue, il ne suffit que d'un regard, d'un mot, et Nishat capte l'imprudent dans son hypnose. Nour le regarde faire, comme souvent, parce que c'est lui qui sait mieux y faire : six siècles versés dans l'art de se faufiler, d'échapper au soupçon et de plier la volonté des humains comme un docile papier. Lui fait pâle figure, deux-fois nés tout juste entré dans ce monde-là, celui qu'il découvre à tâtons.

Le couple s'est attablé autour de leur vin favori, en attendant de pouvoir se repaître de celui, infiniment plus enivrant, que leurs ventres affamés appellent de tous leurs vœux. Nishat, la cigarette glissée au coin de la bouche, suspend son geste, et grimace. La flamme s'est rabattue sur la mèche du briquet et il fixe quelqu'un, sans ciller.

- Azizam, je crois que quelqu'un nous a suivi.
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Mar 30 Juin - 17:43

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Age : 32
Habitation permanente : Constamment sous le ciel.
Occupation : Fuir l'ennui avec acharnement.
Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea

ANGEL OF SMALL DEATH AND CODEINE
I just want to sleep
Please, let me sleep.



Quelque part.
Japon, 2024.

Piaillements et vibrations, ils hurlent, ils tournent, ils balancent leurs têtes en ces mouvements inégaux, irréguliers et Joshua, Joshua, il y a trop de bruit autour de moi. Les enfants hurlent et pleurent, le paysage est découpé en ces reliefs humains qui ne cessent de gesticuler, et j'attends, j'attends que la femme finisse de remplir son papier, qu'elle me donne le droit de récupérer mon bébé. Sumire est en larmes, et je tends les bras, je tends les bras, le visage fermé, avec dans le coeur une envie de frapper, de hurler. Il est rare, m'a t-elle dit, que deux parents du même sexe soient amenés à s'occuper de leur enfant. D'habitude, elle m'explique, d'habitude on ne voit pas ce genre de chose là, c'est rare que ça existe, que ça arrive, et je la fais taire.

« Did they got sick again ? »

L'anglais la pétrifie, mais je ne genrerais pas Sumire. Elle a déjà mégenré, elle a déjà assuré, -oh, seigneur-, qu'elle ne l'avait pas revu vomir. Kojiro m'a envoyé un message, à la nouvelle, et Joshua, Joshua, je veux tellement les détruire, ces humains qui ne méritent pas de s'occuper d'eux, qui ne savent pas prendre soin de mon bébé. C'était mon erreur, mon erreur, et Kojiro s'en veux, Kojiro nous a envoyé, sur notre groupe à trois, que cela ne recommencera pas. Qu'on ne laissera plus Sumire à la garderie. J'anticipe déjà les gastros, j'anticipe ces difficultés d'un parenting pour lequel je ne me sens pas particulièrement qualifié. Mais les enfants continuent de hurler et je veux m'écarter de là, je veux retourner à la maison, pour que Sumire Noah puisse se reposer. Dans mes bras, épuisé, les joues rouges, mouillés, they're now half-asleep, and love, love, I am pretty sure they're getting more and more beautiful, aren't they ? Let's never, ever, baby, put you in that kind of hell. Celui des autres, celui dans lequel ton humanité se heurte à une exposition sans possibilité d'interaction. Trop d'humains, bébé, et tu es trop jeune, tu es trop jeune.
Je suis désolé. Rentrons te reposer, Sumire Noah.

I'm so tired, oh god, I'm so tired.

(…)

Ça vrille encore dans ma tête et la migraine est un témoin moqueur, cynique, qui se fait les pattes contre mon cerveau, à mon manque de sommeil, à mon incapacité à filtrer correctement les sons. Les hurlements des tout-petits sont les pires bruits, car ils activent une cortysole qui me fait toujours, trop souvent, me flétrir. Et là, maintenant, avec Momo qui a récupéré Sumire entre ses bras, maintenant que j'ai pu me coucher, je suis cette carcasse absurde, stupide et endolorie, qui fixe mon plafond, et je ne le vois pas, je ne le vois plus, je voudrais simplement dormir. Il n'est pas quatorze heure, Kojiro et Joshua ne rentreront pas à la maison avant dix-huit heures, et j'ai les doigts tendus sur une pression de mon corps, sur une tension dans mes muscles. I'm tired, mother, I'm tired. Je babille le prénom de Joshua, en l'imaginant avancer face à son amphithéâtre, je l'imagine poser les yeux sur Takihide qui doit assister à son cours, et j'hésite, j'hésite rien qu'un instant, à me rendre là bas, à me projeter pour le regarder. J'hésite, mais mon corps ne suit pas.

Are you tired, Zakuro ?

Yes, god, I am so exhausted. Je murmure pour moi-même, et presque aussitôt, dans l'acceptation du fait, ça fait tomber mes paupières, ça me fait refermer le volet de ma conscience.

Let's sleep just for a bit, now.

Je ne dors pas, je rêve d'un Paris dans lequel j'ai les yeux ouverts. Ah, ah, fuck. Je marmonne, je tourne sur moi-même, et mon épuisement devait être lourd, parce que je suis incapable de me réveiller. En soupirant, vaguement, avec cette pensée pour les Black Clouds qui doivent être en train de naître, que je fais polluer dans cet univers, je tourne sur moi-même.

Un Paris illuminé de guirlandes éléctriques, un Paris noir de nuit et de charmes trop européens. Je connais le lieu, j'y étais il y a peu de temps. C'est différent de Berlin, c'est moins élégant, plus spacieux, et ici, il n'y a pas d'univers en train de se dévorer, il n'y a pas de bébés eugéniques et de scientifiques mal intentionnés, et s'il y a en a, s'il y en a, cette nuit, Joshua, je me dis que je m'en fous, que ce ne sont pas histoires, pas mon intérêt. Je suis juste là, et ma conscience s'étire en une considération des cabarets devant lesquels je suis apparu.

Un type, un peu ivre, me regarde en clignant lentement les yeux, et j'abaisse les miens, exaspéré, vers le jeans noir que je porte, vers le t-shirt sombre. C'est passe-partout, je voudrais croire, mais probablement pas ici. Le type se relève, me marmonne un truc goudronné par l'alcool, par un accent trop français pour mon patois québécois, et je le regarde s'éloigner, je le regarde s'éloigner.

Allons bon.

« Hm... »

Je cherche des yeux, quelque chose, quelqu'un. Un truc suffisamment subtil, un truc suffisamment bavard, pour m'expliquer, mais pas m'emmerder. Je sais, je sais que je suis pieds nus, je sais que je suis trop grand, je sais que j'ai la gueule de vos petites chinoises, mais messieurs, messieurs, franchement, je n'ai jamais aimé la France, encore moins Paris et ses charmes de prostitutions cachées dans l'ombre, alors, please, please, est-ce que ce serait possible de passer outre les détails trop malvenus de cette visite impromptue ?

Pourquoi diable ai-je choisi de me projeter sur cette version de Paris ? Je fouille des yeux les poubelles, à la recherche d'un journal. À la recherche d'une date. Et éventuellement, après avoir trainé quelques minutes sur des pavés sales, en relevant les yeux vers une tour Eiffel achevée depuis bien longtemps, je considère ce jour de juin 1929. Trois ans avant la Grande Dépression, et cette année, cette année, il me semble que Georges Clémenceau va mourir. Dans cette ville, peut-être en ce moment-même, on a Jean-Paul Sartre qui baise Simone de Beauvoir, et je lâche le journal, en considérant autour de moi. C'est sale, ça pue l'alcool, mais je ne peux pas m'empêcher, je ne peux pas, de me dire qu'il y a cette illusion de grandeur, et que c'est facile de m'y laisser prendre.

J'ai la nuit devant moi.

(…)

Ils ont l'odeur du cuir tanné et  du sable qui leur colle à la peau. Du musc chaud et je les regarde, je les regarde depuis plusieurs minutes déjà. L'un d'eux à les cheveux aussi bouclés que les miens, et je devine un héritage orientale, j'assume une exposition trop violente au soleil de mon père. Je les suis, depuis quelques instants déjà, à explorer les ruelles trop ouvertes, trop riantes de ces quartiers nocturnes, festifs, et je me demande si l'un d'eux n'est pas un loup-garou, si le Gévaudan n'a pas envie de se manifester, ce soir, bien loin de ses terres, sous une forme basanée. Mes yeux courent sur le profil de celui dont les lunettes réfléchissent les éclats glauques des cierges dont on a illuminé les coins de tables.. Je suis immobile, j'attends sans trop savoir quoi, et le serveur qui vient me demander si j'attends répète sa question, les yeux penchés vers mes pieds nus.

« Je suis avec les messieurs. Je crois. »

Il n'a pas l'air plus sûr que moi, mais tourne son visage, avec sa parfaite petite moustache vers eux, et je tente, du coin des lèvres, un sourire poli. Puis abandonne mes initiatives de bienséance, et en posant mes mains sur les épaules de l'homme, pour y appuyer une pression menaçante, j'établis soudainement que je ne peux pas attendre. Pardon, pardon.

« Je vais aller les voir. »

C'est après tout le regard fixe de l'un d'eux qui m'a attiré, de base. La force, sur ses articulations, vient presque plier ses genoux, et bégayant, terrifié comme un rongeur, il s'esquive, alors que je marche vers eux. Ils ont l'air humains, trop humains, mais ne sentent pas l'humain, ne me font pas percevoir l'humain. Et c'est peut-être la couleur de leur peau, la forme de leurs cheveux, ou celles de leurs yeux qui m'attirent. Toujours est-il que je m'avance, un peu raide, un peu embarrassé, pour venir les considérer, et me dresser, trop grand corbeau, au dessus de leur table.

« Hm. »

Je ne sais pas vraiment quoi dire, je ne sais pas vraiment, rendu là, comment je dois m'imposer. J'ai décidé que je voulais les regarder, il y a plusieurs minutes déjà, parce qu'ils se distinguaient, mais c'était absolument idiot de ma part de décider que je pouvais instaurer un discours. Je suis un idiot.

« I'm sorry. I'm a bit lost. »

Je tourne les yeux vers le serveur, lequel est allé cherché du renfort. On les voit, dans un coin de l'établissement, se plaindre auprès d'un de ses collègues roux, et les yeux sombres du français tombent sur mes orteils. Je mords ma lèvre, mord ma stupidité, à pleines dents.  

« Very much … lost.  »

Débile. Alors à la place, je souris, je souris, et je me dis que ce soir ne sera peut-être pas une mess complète si je parviens, rien qu'un peu, à déterminer ce que je veux, ce que je peux faire là.

« You're both awfully pretty. Je ne parle pas très bien français, I feel like my accent would be humoured here, so please, pray tell : what are two good sir like you doing here ? »

Mes yeux tombent sur le vin, j'enfonce mes phalanges contre ma mâchoire.

« Ça a l'air absolument dégueulasse... »

Bravo, champion, bravo. Exceptionnel, Zakuro. J'essaie, du bout des lèvres, de me rattraper. Et relève les yeux vers les prunelles sensationnelles de celui qui me regardait.

« You were staring at me. »

Ni une question, ni un constat : un mélange des deux, que mes intonations handicapées font se forniquer en une sorte de bruit rauque, et je veux savoir, je veux savoir s'il y a une raison particulière à cela. Deux jolis messieurs de l'Orient, et je suis là, je suis là.
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Mar 30 Juin - 18:40

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Habitation permanente : Living Mirage, Old Fyre, et entre les deux.
Occupation : Chercheur en tout.
Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
Pile et face, quatre yeux très noirs sous de semblables paupières, longues, lourdes, langoureuses comme des yeux de chats qui percent en amande dans des visages façonnés d'une autre argile que la pâle glaise d'ici. L'homme a envoyé le serveur sur les roses avec une sorte de facilité inconsciente, presque maladroite et pourtant très décidée : il est des leurs, avec son vêtement étrange et ses pieds nus sur la moquette cendreuse. Comment pourrait-il en être autrement ? A force, entre gens d'outre-nuit, on se reconnaît comme des frères, par un million de signes bien plus subtils que l'accoutrement. La seule énigme qui demeure, c'est la nature exacte de cet égaré surgi de nulle part.

Nishat finit d'allumer sa cigarette et le faisceau de son regard ne quitte pas l'étranger qui se penche sur leur tablée, l'air de ne pas savoir vraiment ce qu'il fait ici, mais fermement décidé qu'il ne peut être nulle part ailleurs, en même temps. Accoudés à la table, les deux hommes regardent leur troisième larron avec un brin d'amusement qu'ils échangent d'un coup d’œil.

« You were staring at me. »

Nishat feint de ne pas se méfier et glousse comme une jeune fille.

- Parce que tu nous fixais, l'ami. Mais le compliment est apprécié, et je te le retourne.


C'est lui qui parle le premier et assortit ses paroles d'un gracieux geste de la main qui feint une petite révérence pleine d'une arrogance ravie. L’œil brille sous les longs cils, quand il le dévisage encore, et Nour lâche un petit rire qui lui escalade les joues pour plisser légèrement ses paupières cernées.

- Et que crois-tu qu'on fait, ici ? Lâche-il d'un ton légèrement moqueur.

Son anglais est bien moins fluide, marqué par un fort accent : cela ne l'empêche pas de couler une sorte de nonchalance que rien n'a l'air d'atteindre.

C'est l'incongruité de la question qui le fait rire, à dire vrai, parce que dans la pénombre tamisée du lieu qui s'embrume de la fumée du tabac et d'autres substances un peu plus délétères, les verres trinquent et se vident, les dés roulent, des billets glissent de main en main et une chanteuse à la tessiture un peu trop grave susurre des airs licencieux près du piano. L'évidence même, et il ne sait pas si c'est de l'innocence qui pousse l'interrogation, ou bien une naïveté surnaturelle. Est-il à ce point fasciné par eux qu'il n'a même pas regardé où il mettait les pieds ?

- Aux dieux de la boisson, c'est l'heure de verser quelques libations. Et puis le vin n'est pas si mauvais, tu sais.

Ce disant, il lève son verre à son adresse et le vide d'un trait, sans le lâcher de ses longs yeux rieurs.

- Ce que veut dire mon ami poète, c'est que nous avons la ferme intention de nous rendre scrupuleusement et scandaleusement ivres, ce qui devrait nous prendre environ d'ici jusqu'au matin,
reprend Nishat avec le plus grand sérieux. Mais enfin, pour la tranquillité de tous et pour assurer la longévité et le succès de cette cruciale entreprise, je crois qu'il est nécessaire que j'aille rassurer le personnel de la maison. Messieurs, si vous voulez bien m'excuser.

Tandis que son amant se lève pour s'occuper de la diplomatie, Nour tire une chaise et invite le troisième larron à s'asseoir, non sans porter sur lui un regard curieux. C'est que l'on croise de drôle d'oiseaux dans leur monde nocturne, mais celui-là, c'est une nouveauté.

- Ce n'est pas la première fois qu'on nous remarque de la sorte, observe-il, un ton plus bas, mais c'est rarement sans raison. Qu'es-tu ? De toute évidence, tu es loin, très loin de chez toi.

"Qui" est une question qui viendra plus tard. Ni le ton, ni le regard ne trahissent toutefois une quelconque hostilité, mais il semble sur ses gardes, un tout petit peu, avec ce calme étrange que peuvent avoir parfois les chats et les oiseaux de proie. Il guette, sans avoir ce vernis d'insouciance enjôleuse que Nishat arbore à tout propos. Nour est infiniment plus sévère, avec sa longue face où les yeux s'escamotent parfois dans le reflet de ses lunettes rondes.
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Sam 18 Juil - 15:31

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Occupation : Fuir l'ennui avec acharnement.
Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea

Somewhere else.
Paris. Année 20.
Ailleurs.

I don't know the fuck I'm doing here, love.



Ils ont le faciès de ces chats qui vous regardent, de ces chats qui vous contemplent, de ces chats de qui l'on espère l'affection, et qui jamais, jamais, ne se laissent toucher. J'inspire, les prunelles dilatées, et ils sont ces individus sur qui je veux étirer le spectrum de ma curiosité. J'ai une panique dans le coin de mes valves, un stress qui s'étire sous mes pieds nus, et je respire, je respire, en m'asseyant près d'eux. Ils acceptent le jeu, acceptent la présence, et les inspections trop profondes des serveurs deviennent des soupçons qui s'étiolent. Nous n'avons pas la même peau, -je le regrette presque-, mais il y a cette acceptation, cette intégration, et j'enfonce, debout et penaud, contre la dalle bien propre, mes orteils sales, mes ongles poussiéreux. I am pretty,  I know that, et mes commissures, je les étire en ces angles aigus, et il y a cette main qui voltige.

Je suis un idiot, et je ne sais pas vraiment ce que je fais là.
Mais cet instant est joli.
Si doublement intéressant.

Une main qui voltige. Le mouvement qui s'achève. Je le fixe, l'éphèbe trop vieux qu'il est pour en réclamer le nom. Des yeux noirs, une auréole sombre de boucles autour du crâne, et je voudrais vraiment tendre la main, en cet instant. Je voudrais tendre la main, toucher ces cercles qui accrochent la lumière et les souvenirs de mon enfance, et j'ai la pensée tournée vers mon père, vers le sable, vers les cheveux qui hennissent. J'ai la pensée tournée vers l'Iran qui pulse dans mes veines, j'ai la pensée tournée vers cette chaleur qui irradie sur leur peau, qui irradie dans mes gènes.

Je souris. L'autre répond. L'autre répond, et mes yeux qui se posent sur l'autre ont ce même élan-, peut-être, d'une affection trop violente. Hi, there, hi.

« What you're do-. Oh. I'm. »

Je fouille, des yeux, la pièce. Pendant un instant absurde, je suis un étudiant idiot qui doit répondre à un test dont je ne suis pas sûr de la réponse.

« … Drinking ? »

J'ai ce stress qui vient aiguiller, de nouveau, dans ma poitrine, et mon souffle qui se suspend sur l'attente, rien qu'un instant, dans l'appréhension angoissée d'avoir échoué, de m'être trompé, et de devenir soudainement inintéressant parce que je n'ai pas bien répondu. Mais il y a des verres, il y a une bouteille, -peut-être même le fantôme de certaines autres, avant ou après, mais Joshua, Joshua, le temps n'existe pas-, il y a le décor rougeoyant de cet environnement dans lequel on laisse flotter les effluves d'une fragrance sourde, sucrée, et l'alcool qui flirte à mes narines font bousculer l'équilibre de mes synapses. They're drinking, aren't they ?

N'est-ce pas ?

Je vérifie, presque, en fixant, très consciencieusement, cette foutue bouteille que je hais déjà. They're drinking, Joshua. J'ai une confirmation, de la part de cet homme aux yeux en puits, aux yeux suffisamment profonds pour que je veuille enfoncer mes doigts, ma langue dedans. Je lui souris, tout doucement, en considérant les rides dans le coin de ces yeux. Terriblement jeune pour l'univers, beaucoup plus vieux qu'il n'en a l'air, n'est-ce pas, n'est-ce pas ?

« Dyonisos ? He was the god of drinking, right ? Drinking and dolphins ? »

Je ne suis soudain plus sûr. Depuis combien de temps n'ai-je pas parlé de la mythologie grecque ? Depuis trop longtemps, depuis au moins la filière d'Histoire à l'université, depuis l'époque où mes soucis quotidiens ne consistaient pas à ce mélange organique de bébé humain et de meurtres interdimensionnels. Ils ont, tous les deux, cette vibration sourde qui n'a rien de proche à ce que je connais.

Les poings fermés, les yeux probablement un peu trop écarquillés, je les considère, et je veux savoir ce qu'ils sont.

« Ce que veut dire mon ami poète, c'est que nous avons la ferme intention de nous rendre scrupuleusement et scandaleusement ivres, ce qui devrait nous prendre environ d'ici jusqu'au matin. »

Ça n'est pas tant une réponse, mais ça confirme que je n'ai pas échoué au test, et je souris, doucement, timidement, parce que la plaisanterie est cette caresse douce contre mon intellect angoissé. « Scandaleusement ivres », je répète l'expression en arrondissant mes lèvres, avec cette forme appréciative d'un anglais qui coule entre leurs lèvres avec une ressemblance de baiser. J'ai soudain cette pulsion voyeuse, et l'homme n'a pas fini de parler, et je fixe sa bouche.

« Mais enfin, pour la tranquillité de tous et pour assurer la longévité et le succès de cette cruciale entreprise, je crois qu'il est nécessaire que j'aille rassurer le personnel de la maison. Messieurs, si vous voulez bien m'excuser. »

C'est moi qui ai un hochement de tête, reconnaissant, et je le regarde s'éloigner, avec mes doigts qui manquent presque de s'accrocher aux plis de ses vêtements. Mais il s'éloigne déjà, et une chaise se tire, la main trop mince, trop délicate, absolument magnifique de cet homme est cet instrument d'un mouvement qui s'approprie mon attention. Je m'assied.

« Thank you. »

Des yeux se baissent. L'homme me considère, avec cette interrogation dans ses prunelles. Moi, je veux les lui lécher.

« - Ce n'est pas la première fois qu'on nous remarque de la sorte, mais c'est rarement sans raison. Qu'es-tu ? De toute évidence, tu es loin, très loin de chez toi. »

J'allais répliquer qu'on ne me remarque jamais, mais les mots ne sortent pas, parce que je réalise qu'ils ne sont pas vrais. Parce que je remarque qu'il s'oute avec cette aisance dextre, et ça me fait ciller, rien qu'un instant, pour apprécier le moment étrange, surréel, d'une rencontre qui ne devrait pas pouvoir avoir lieu. Il est quelque chose, ils sont quelques choses qui représente une réalité bien plus proche de la mienne que ces hommes au comptoir, que ces femmes dans le cabaret. Je souris, incertain, je souris suspicieux, je souris parce que je ne sais pas quoi dire, pas quoi répondre, et pendant rien qu'un moment, je me sens juste consciencieux.

I am never too far away from them.

« I am-. »

J'ai l'éloquence d'une baleine crevée.

« I just tought you were beautiful. An as far as I'm concerned, I have tendancy to look out for beautiful things. I suppose … I suppose I'm here because I was just ... »

Parce que je cherchais à fuir une réalité dans laquelle ce que je trouve beau est devenu douloureux ? Mes humains, mes amis qui ne me reconnaissent pas, et le son de mon coeur qui s'est brisé, quand Joshua a murmuré qu'il pensait que je l'aimais moins ? I'm far away, I do know that. Dans un Paris des années 20 avec deux démons en provenance des terres de mon père. J'inspire.

« I … -don't really know what I am. »

The Sky. A ronin. Zakuro. Alive. Here. Les définitions deviennent ces aiguilles que j'enfonce dans ma peau, et qui, sur le moment, ne m'apportent aucune satisfaction. Je lui souri, inspecte ses lèvres avec une envie de mordre, de manger, de disséquer.

« But that's not the important question here, really. What are you, dear ? You look. »

Je pose mes coudes sur la table, pose mes yeux sur la bouteille, et fronce les sourcils.

« You look. Human. I guess. »

They're probably not some of others Joshua's irradiated peers. No. I would be able to feel it, to recognize it. Non. Mes mains se tendent, je sépare la distance, et du bout des doigts, je viens caresser l'angle d'une mâchoire droite. Mes ongles, tout doucement, accrochent le rebord d'un méplat que j'ai envie de mordre, que j'ai envie de voir Joshua mordre. They're so pretty. So old and inhuman and pretty.

« But you feel like clouds. You feel like night. You feel like deep octave, and … no, no. You do feel like a pensato. Yeah. That's it. Yeah. That. »

Mes doigts glissent, se relèvent de la mâchoire pour venir jusqu'à l'oeil et mon pouce s'arrête, trop pensif, sur le relief d'une pommette aussi haute que les miennes, juste sous la cerne.

« You're like a pensato. A freaking nice pensato. »

J'ai ce sourire furieux, ravi. Maintenant, le stress redescend.

«  What is your name ? What's their name ? »

Je le lâche, et ça glisse entre mes doigts avec une ressemblance à de la violence, mais je saisis ses doigts, je le fixe, fasciné.

« How old are you ? Where do you come from ? Since how long do you know each other ? Are you queer ? Do you live together ? Are you in love with them ? What is their name ? Do you have a reason to be here ? Tell me about yourself. »

Je veux savoir, je veux savoir, je-
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Dim 19 Juil - 4:15

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Occupation : Chercheur en tout.
Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
Nour reste immobile, comme seul un vampire sait l'être : ni souffle, ni battement de cils quand il n'essaie plus vraiment de paraître humain, parce que de toute évidence, le jouvenceau qui lui fait face ne l'est guère plus. Il se fige et ses yeux s'ouvrent, scrutent, détaillent. La figure brune découpe ses arêtes saillantes dans la pénombre tamisée qui infuse à peine sa douceur à l'usure aride qui a servi de ciseau pour modeler la chair. C'est un profil d'oiseau de proie, un profil de statue, comme ces ombres vénérables qu'on déterre encore dans les déserts d'Irak. A travers lui c'est un autre soleil qui fait percer sa clarté, mais c'est un soleil éteint, passé, qui a tourné au crépuscule depuis longtemps déjà. Le visage seul et les mains, calmement jointes sur l'angle de son genou passé par dessus l'autre racontent une histoire qui se suggère, touche par touche. Calame, encre de Chine, vin de Tabriz, et un costume taillé sur mesure dans un drap couleur de sable.

La main de l'autre se tend et se pose, comme un papillon. L'aile d'un oiseau, le toucher d'un enfant fasciné qui cède enfin à cet irrépressible élan qui pousse chaque âme à vouloir effleurer ce qui l'absorbe et l'obsède. Nour sait que ce désir là est présent chez tout le monde, mais peu y cèdent. Lui, il ne semble pas réfléchir, parce que tout ce qu'il a en tête comme un fer porté au rouge, c'est la curiosité. Il la sent jusque dans le bout des doigts qui se posent sur sa joue, froide. Il ne cesse de fixer celui qui a éludé la question de son identité comme si elle importait peu mais déjà Nour sait qu'il y a du sang vivant qui coule dans les veines battantes, là, juste là, derrière la fragile barrière d'épiderme qui escalade sa pommette. ça lui rappelle sa faim qui danse et brûle au fond de de son ventre, et dans ses yeux elle paraît brièvement à la manière d'un aileron de requin qui fendrait des eaux opaques.

C'est un papillon de nuit bel et bien vivant qu'ils ont attiré, ce soir. Nishat saura quoi faire de cette information. Nour ne sait pas encore ce qu'il en pense, partagé entre une sorte d'agacement ombrageux et un amusement moqueur qui manque sans doute de charité. Il le fixe toujours, des gouffres ouverts dans la prunelle, et finalement, il s'anime, et cesse de ressembler à une statue dont le regard vrille et brûle tout ce qui se trouve dans son faisceau. Sa main se retire de celle de l'étranger, elle glisse, sable et encre : des mains de voyageur et des mains de poète, qui ont l'usure du cordage et le modelé du travail autant que la marque indélébile des usages de l'écrit.

Il écrase élégamment le reste du mégot qui fume entre ses doigts et allume une autre cigarette, puis se sert un verre de vin qu'il s'abstient de proposer à l'étrange curieux, à en juger par sa réaction un peu plus tôt. Il prend son temps, c'est visible, mais surtout, il réfléchit et jauge, presque, s'il est digne de donner une réponse. Le bras longiligne s'est rejeté en travers du dossier de sa chaise et sa silhouette interminable se déploie nonchalamment en travers, il aspire, longuement, la fumée bleutée, et puis daigne enfin ouvrir la bouche.

- Pensato, ânonne-il une ou deux fois, comme pour se faire le palais à la saveur nouvelle d'un mot inconnu. Pensato. Une pensée ?

Nour rit, tout doucement, sa voix frôle et vire et chantonne dans sa gorge. Sable et cendre, la rocaille coule ses sonorités qui s'entrechoquent avec cette même joliesse âpre comme une gorgée d'alcool fort.

- Tu perçois de drôles de choses, mon ami. Ce que je suis, c'est un secret mais mon nom, ah, je peux bien te le dire, allez. Je m'appelle Nour. Quant à mon sémillant camarade, c'est Nishat. Tu devines déjà que nous ne sommes pas d'ici, de bien des façons.


Il oscille du chef avec amusement, disant cela, parce que la coquetterie de l'immortel va parfois jusqu'à cacher ses énormes secrets derrière des banalités allusives comme celle-là.

- Nos raisons d'être là, eh bien, comme tout ce beau monde, je présume. Il désigne la salle d'un revers de main. Boire, fumer, dire un peu de poésie quand nous serons suffisamment ivres, nous moquer des puissants, grouiller dans le noir en faisant tout ce que la clarté du jour réprouve et ne permet pas de faire. Et puis, nous irons dire des prières à Dieu quand l'heure sera propice, et nous serons d'horribles mécréants amoureux de la lumière du Miséricordieux.

Son menton aigu s'est posé dans la paume de sa main, et il paraît songeur, rêveur, peut-être. La douceur s'immisce, mais elle est lointaine : c'est un songe qui est sien, qui est leur. Ses jambes croisées et sa posture sur le siège le font ressembler à un portrait de dandy qui sourit avec une candeur surprenante et bien évidemment feinte, parce que la sévérité naturelle de ce visage plein d'arrogance ne peut vraiment admettre l'innocence.

- Le reste, je te laisse le deviner par toi-même.


La main tournoie sur elle-même, à ces mots, et sème un long serpentin de fumée que dissipe le sillage de Nishat qui réapparaît avec une bouteille de champagne.

- Nos agapes se dérouleront sous de bons auspices, désormais,
clame-il en ouvrant les bras comme un sauveur qui amènerait le Salut sur terre sous la forme d'un sang christique blond et pétillant. Avec un petit quelque chose pour faire pardonner cet accueil si peu civil, de surcroît.

D'autorité, Nishat remplit plusieurs coupes, et en fait glisser une vers le visiteur.

- De quoi parliez-vous, pendant que j'avais le dos tourné ? De moi, j'espère ?


- De toi, un peu, sourit Nour qui semble toujours se déployer un peu plus quand il se trouve pris dans la radiance de son âme sœur.

La question de l'étranger trouve ici une réponse évidente. Ils se parlent un langage secret, tous les deux, qui ne doit pas seulement à l'usage de leur langue natale qui referme parfois sur eux le secret de leurs propos. Ce sont les mots dits par les yeux, par les gestes, par leur façon de s'accorder l'un à l'autre dès qu'ils se trouvent dans le même espace, comme des danseurs qui, d'instinct, retrouvent le tempo.

- Notre ami qui ne sait pas ce qu'il est me presse de questions, reprend Nour. J'allais lui proposer un jeu. Qu'il devine, et nous agréerons peut-être à raconter l'histoire qu'il quémande.

Les regards s'interrogent. Un haussement de sourcils, un hochement de tête, quelques bribes persanes glissées tout bas, et puis Nishat rit et bat des mains, légèrement.

- Cela m'amuse. Faisons donc.


Pile et face, de nouveau les regards fixent : Nour dont l'altière sévérité écornée par l'âge s'altère un peu dans la clarté de son astre jumeau, et Nishat qui exsude une cruauté candide appétente comme un miel d'arsenic.
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Dim 19 Juil - 16:35

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Occupation : Fuir l'ennui avec acharnement.
Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea

Somewhere else.
Paris. Année 20.
Ailleurs.

Our hands and your eyes.



Pensato.
C'est un mot que j'ai appris en suivant les doigts de Lawrence lorsque ceux-ci suivaient les partitions déposées sur le piano du Daily Dose.Pensato, c'est un mot que j'ai appris alors qu'il m'expliquait, en faisait jouer ses phalanges sur les miennes, avec ses cheveux blonds déployés. Je lui souriais, probablement, comme je souris doucement à l'homme qui répète. À l'homme qui, éventuellement, se dévoile à demi, et j'ai, dans le creux de la paume, une réponse.

Vampire.

« Nour. »

Je répète son nom, et ça sonne entre mes lèvres comme un début de sortilège.

« Nour and Nishat. You belive in God, Nour ? 本当に* ? Really ? »

J'ai un sourire pour les libations, pour les moqueries doucereuses, et alors que je veux questionner, alors que je veux interroger, l'autre homme revient, et il y a trop de douceur et d'amour dans les yeux de Nour pour que Nishat ne représente pas quelque chose de trop précieux pour lui. J'ai ce ronronnement d'appréciation, et alors qu'il me tend un verre que je ne pourrais pas boire, je réalise, soudainement. Les noms, les noms.

« I am Zakuro. Nishat. You name is a mix name, too, right ?

Je tapote mes ongles contre le verre.

« And, Nour, you were saying you're going to be in love with the light of the Merciful. You, you're the light. Your name, it does mean « light », right ? You both have pretty name. »

Mes yeux glissent sur eux, et ils s'accordent trop bien, tous les deux. Mes yeux se plissent, mes lèvres qui s'étirent, et je les admire, je les admire un peu, en appréciant l'harmonie tranquille de leurs rythmes qui s'embrassent. Je voudrais exhiber Joshua, je voudrais leur montrer ma moitié, je voudrais pavaner, en joli paon que j'aimerais être. Ils sont si jolis, si jolis.

« Notre ami qui ne sait pas ce qu'il est me presse de questions. J'allais lui proposer un jeu. Qu'il devine, et nous agréerons peut-être à raconter l'histoire qu'il quémande. »

J'ouvre la bouche, la referme, ai ce sourire un peu embarrassé, et mes idées qui explosent sont ces geysers qui bullent dans les recoins trop arrondis de mes synapses. Ça rebondit et ça explose, tandis que Nishat a ce rire adorable. Il bat des mains, un peu comme Subaru.

« Cela m'amuse. Faisons donc. »

Ils sont si doux, si précieux ensemble, et peut-être bien que ça me rappelle aussi un peu Takihide et William. Ils sont si doux, si précieux, et je ne sais pas trop comment appréhender le fait que j'imagine qu'ils appartiennent à une définition de légende. Je considère le verre qu'on a rempli pour moi, et je croise mes jambes sous moi-même, en considérant les motifs de la nappe. Je dois deviner, je dois considérer, et je sais que je n'ai aucune chance de parvenir à un résultat très satisfaisant. Mais ils sont ces individus qui me donnent envie de poursuivre le moment trop parfait de trois immortels, et je mords mes lèvres, beaucoup trop satisfait.

Très bien, très bien, je peux jouer à ça.
Alors.

« Vous vous êtes rencontrés … durant les Croisades. »

C'est comme cela que tout commence. Par des idées que j'enguirlande, que j'accroche entre elles, et je leur souris, leur sourit, en tournant mes yeux vers l'un d'eux.

« Nishat, tu appartenais à un couvent, et tu as été converti par un prêtre qui t'a arraché à ton pays, dans la péninsule arabe, alors que tu avais 8 ans. Tes parents collectionnaient les chèvres et les chevaux, et vendaient du lait de chèvre. »

Je m'inspire de l'histoire de mes grands-parents, peut-être un peu. Avant quelques siècles en plus, avec des couleurs de fantaisie qui m'amusent, et j'essaie, doucement, de dresser le parcours d'une vie que je veux imaginer.

« Lorsque tu es arrivé ici, on t'as appris le latin vulgaire, l'italien ainsi que le français. On t'a appris les prières et les libations, mais aussi à manier l'épée. On t'a dit que ce serait pour l'amour de dieu, et que tu tracerais le chemin jusqu'à Jérusalem, que l’Église devait récupérer. Tu as appris à te battre pour Dieu, dans l'objectif d'aller récupérer la ville sainte. »

Du menton, je désigne l'autre homme. Mes yeux se plantent dans les siens.

« Toi, Nour, tu appartenais aux peuples seljoukides. Tu étais un guerrier ghulam, avec un arc, et un cheval. Lorsque tu as rencontré Nishat pour la première fois, quelque part en Syrie. Il y avait des éperviers, Nour avait le dessus, grâce à ses pouvoirs vampiriques acquis grâce à une vampire perse qui l'avait séduit dix ans auparavant. Jeune vampire, donc, qui, n'avait pour possibilité de tuer ses instincts que sur le champ de bataille. Tu t'es engagé dans l'armée, sans que tes supérieurs ne suspectent jamais ta nature, et on louait tes exploits aux combats. Le seul homme à avoir vu tes crocs, tu l'as crucifié sous le soleil, sur les plaines sablées de Qom. Il n'y a personne qui pouvait suspecter ce qui était. Tu étais béni par le ciel, et tu dévastais les adversaires. C'est tout ce qui comptait. »

Du bout des doigts, je saisis un verre auquel je ne touche pas. Je fais tournoyer le vin dans le verre.

« La bataille qui opposait les Croisés contre les guerriers seljoukides s'est étiré sur des heures, jusqu'à ce que le ciel deviennent noir. Nishat, alors que les trompettes ont sonnées pour la retraite. Le Révérend Samuel s'était fait décapiter, et toi, toi, tu étais en train de courir pour ta vie, avec une côte fêlée. »

J'ouvre les doigts de ma main libre, mime une explosion.

« C'est ce moment où le temps n'existe pas. La poussière flotte devant tes yeux, et tu as mal, tes oreilles sont bouchées par le sang, et le casque qui devait te protéger, il a été défoncé par un tir de lance qui, miraculeusement, a manqué ta tempe. Tu es tête nue, et contrairement à la moitié de tes camarades, tu as la couleur de la peau de ces êtres que vous deviez pourfendre pour l'amour du Christ, tu as la couleur de la peau de ces barbares qui, on le murmure dans les camps depuis hier, dévorent la chair ennemie. Tes idées tournoient, et tu ne sais pas si c'est vrai, mais tu es terrifié, parce qu'en ce moment, ton cerveau pompe à grand coup d'adrénaline. Tu as peur. Tu ne sens même plus la douleur de ta hanche défoncée par le coup manquée de hache que tu as su esquiver. Tu es blessé, probablement trop, mais tu ne le sais pas. Et soudain. Soudain. »

Je suis penché par dessus la table, avec les yeux écarquillés.

« Cette ombre qui te submerge, et tu crois, rien qu'un instant, que c'est un épervier qui est descendu trop bas. Ce genre de pensées irrationnelles qui te paraissent logiques sur le coup. Un impact, dans ton dos, et tu es projeté contre le sol, dans la terre et le sang. Tu n'entends plus rien, tes oreilles sifflent avec des acouphènes, et soudain, tu réalises que c'est un homme, penché sur toi. Tu vois ses yeux, tu vois sa bouche, et il est figé au dessus de toi, et toi, tu perds trop de sang. Tu perds conscience. »

Des fumées dans ma tête, dans ma voix.

« Quand tu rouvres les yeux, il fait nuit, and your body is numb. You cant' move, you can't say anything, and suddenly, the pain. Everything becomes fire. You scream, you scream, and none is coming. Then, it's black. »

Un peu de vin qui gicle.

« Retour en arrière. Nour, tu es assis sur cet homme qui te regarde, avec les yeux écarquillés. Il est trop jeune, il a la même couleur de peau de ces hommes qui t'ont engagés, et tu as le sang de ces italiens, de ces européens étalé sur les phalanges. Ton arc est brisé depuis longtemps, et tu as presque manqué de te laisser déborder par les instincts vampiriques. Mais en cet instant, qui ressemble à tous ceux dans lesquels tu as massacrés tes adversaires, il y a quelque chose de différent, rien qu'un peu, et ça te fige. Il suffirait d'un mouvement, et tu n'aurais plus qu'à te relever et à poursuivre le reste de ces soldats qui fuient. Un seul mouvement et cet être disparaît dans l'oubli, dans le néant de tous ces visages qui comme lui avant, n'existent plus dans ta mémoire. Mais il a quelque chose de trop, ou peut-être une absence de quelque chose, et ça ne marche pas, tu es figé. Les hommes hurlent et s'écroulent autour de toi, la bataille continue, c'est une future victoire pour ton camps, mais tu ne t'y intéresses pas. Tu es concentré sur lui. Il te regarde, et tu as ce penchement, vers lui. Il se passe quelque chose, et au lieu de refermer tes dents dans sa carotide, dans ce mouvement prédateur qui représente la destruction organique et martiale de son être, tu hésites. Ça ressemble presque à un baiser. C'est autre chose. Il a perdu conscience. Ce que tu sais, c'est que quelques instants plus tard, outré par ton propre comportement, tu le traines à l'abris derrière un amoncellement de corps. La nuit est jeune. La transformation, si elle a lieu, si il y survit, va le prendre lorsque la lune sera haute. »

Je peux me figurer les hurlements, la souffrance. Je peux imaginer les doigts qui battent l'air, la chair qui se transforme.

« Tu l'as regardé naître en silence, sans te manifester, jusqu'à ce qu'il devienne autre chose. »

Et puis ?

« Puis lorsque ça a été fait, on entendait les corbeaux, les éperviers, et les mourants qui appelaient, en se taisant progressivement. L'odeur, l'odeur immonde, et Nour, tu t'en es allé. Tu t'es penché sur lui, a regardé ses yeux, et tu as disparu. Parce que tu ne savais pas quoi faire, que ce n'aurait pas du se passer ainsi, et que les heures de silence, à attendre que ça ait lieu, n'avaient pas apporté de réponse. Tu t'en es allé. »

Parce que la douleur était trop forte. Parce que la vie est compliquée. Parce qu'en ce moment, c'est trop difficile à supporter.

« Vous vous êtes revus neuf ans plus tard. Quand en Azerbaïdjan, les cavaleries lancées les unes contre les autres se sont écrasées en ce mouvement tectonique. Combat inutile, massacre dans les plaines, Nishat, tu es resté debout au milieu des cadavres, et cette fois, il n'y avait pas de douleur, il n'y avait pas de peur. Juste les répétitions absolues et un peu désuètes d'une croyance qui commençait à se dissiper un peu plus à chaque fois. Tu étais debout, et tu as vu cet être apparaître dans le brouillard de sang. Tu as pensé que c'était un survivant, tu as levé ton épée, juste pour vérifier les couleurs de son camp, et tu l'as immédiatement reconnu lorsque tu as vu ses yeux. Vous vous êtes regardés. »

Je me tais.

« Vous avez décidés de devenir fermiers. »

Yes. Expectations.

« Donc vous vous êtes enfuis, vous avez voyagé jusqu'à dans les Alpes, vous avez achetés des chèvres, et malgré des années de conflit à vous adapter l'un à l'autre, à vous adopter, vous êtes devenus meilleurs amis. Nour, tu avais un crush sur cette chanteuse d'opéra, et elle t'avait promis de te marier un jour. Tu ne pouvais pas l'oublier. »

Je hoche la tête, doucement.

« Mais toi, Nishat, furieux de ta condition, incertain quant à ton destin, tu as commencé à douter de tes possibilités de choix, tu regrettais le déterminisme de ton existence. Une nuit, tu t'es enfui par la fenêtre. Tu t'es rendu jusqu'à la capitale française, et tu as retrouvé la femme. Elle n'a pas crié, quand tu lui as enfoncé les doigts dans la carotide. C'est Nour qui a hurlé quand il a découvert ce que tu avais fait. Vous vous êtes battus, et Nour, blessé, tu t'es enfui très loin, très longtemps. Votre séparation à duré presque un siècle. »

Je ne pourrais pas, moi. Je refuse de penser à Chess.
Soixante ans, c'est presque un siècle.

« Et puis un soir, Nishat, tu l'as retrouvé. Allongé dans l'ombre d'un batiment, assoiffé, blessé par un ennemi plus vieux, plus terrible. Nishat, tu l'as récupéré entre tes bras, et tu l'as fait boire ton sang. La liaison entre vous est devenu plus sourde, plus lourde, c'est devenu autre chose, vous ne pourriez plus jamais faire comme s'il n'y avait pas cette connexion, désormais. Vous avez volé jusqu'au centre de l'Europe, où vous vous êtes installés. Pendant près de trois siècles, sans entièrement l'assumer, vous avez fait la navette entre le même lit et des distanciations rivales. Jusqu'au dix huitième, dix-neuviève siècle, où un clan de chasseurs de vampire vous a retrouvé. Vous vous êtes battus pour votre vie. Sans l'intervention de Nour, Nishat aurait été condamné, cet hiver là. Vous avez trouvé refuge dans les clochers de Berlin. »

Berlin, ça sonnait joli.

« Vous avez trouvé refuge dans les bras l'un de l'autre. »

Yeah.

« Et vous vous êtes battus. Ensemble, vous étiez invincibles. Ensemble, vous étiez terribles et magnifiques. Ensemble, vous étiez ce duo que ni les hommes, ni le temps ne pouvait rompre. Et vous voilà, aujourd'hui. »

Vous voilà, dans ces pages du temps que l'on écrit avec l'encre éternelle du Zeitgeist. Il est temps de conclure, et je veux poser le meilleur point qui soit au bas de ces paragraphes intéressés d'un entrelacs de vie que j'ai rendu malléable entre mes doigts. Je me dis que Joshua serait fier de moi, et que Kojiro, probablement, me traiterait de dork. Il est temps de conclure.

« Et vous êtes donc des fermiers. »

Je hoche la tête, doucement, avec cette satisfaction tranquille. Quelques instants de silence, avant que je ne relève les yeux, vers les deux hommes. J'ai un sourire de fin du monde sur la face, et une satisfaction beaucoup trop furieuse dans le coeur. Je suis prêt à recommencer ça autant de fois qu'il le faudra.

« J'ai raison ? »


*hontoni ?

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Sam 25 Juil - 17:39

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Nour Alizadeh

Nour Alizadeh
Nour oscille du chef, comme un serpent, et sourit. Il sourit souvent, d'une autre façon que Nishat qui brille et chatoie comme un soleil : certaines personnes sourient avec la bouche, Nour le fait parfois avec les yeux. L’onyx et la fumée, et l’encre, encore l’encre, comme si du noir le plus pur, tout doit être tracé. Il y a dans certaines langues deux mots pour dire cette couleur. Il y a le noir qui rôde, mat, froid, celui qui a la couleur de la suie et des choses mortes, et puis il y a celui, brillant, dense et profond, qui est le noir du peintre, des pierres sacrées et des ciels nocturnes : celui-là, il porte sa propre clarté d’oxymore, le noir soleil du poète. Là voilà, sa lumière, celle dont Nishat s'est éprise autrefois, sa propre clarté bien à lui.

- On trouve Dieu dans bien des choses, et bien des lieux, Zakuro, répond-il, et sa voix de basse, vibrante comme un violoncelle, évoque l'amorce d'un de ces chants de mystiques qui évoquent l'amour, le vin et la foi dans le même élan.

Il semble bien que l'ancien libraire d'Ispahan ait trouvé les trois.

L'âme de conteur qui habite la tête bouclée de Nour se ravit que Zakuro accepte leur défi, et en glissant un regard en biais, il voit déjà Nishat tendre tout grand le piège de son attention parce que s'il y a quelque chose qu'il aime plus que faire des contes, c'est bien de les écouter. La première phrase a capté son attention et Nour sait que c'est aussi parce que Nishat serait presque assez vieux pour qu'elle soit vraie. Il s'est accoudé à la table, le menton dans ses doigts repliés contre sa bouche qui sourit, un index effilé qui presse le long de sa joue, jusqu'à sa pommette aiguë. L'écoute déploie son filet dans le brouhaha de la salle, mais ici, tout semble faire silence, parce que Nishat l'a ordonné.

Nour écoute, lui aussi, et il sourit, se berce de l'histoire filée par la voix de l'étranger et son timbre si particulier. Il se laissent embarquer à loisir par ce grand homme frêle comme une jouvencelle et à peu près aussi gracieux : de temps en temps, parce que quelque chose leur évoque leur propre passé ou les amuse, les deux hommes rient sans bruit, se regardent, dialoguent du bout des yeux sur d'anciennes choses passées et des coïncidences qui les divertissent au fil du récit. Autour d'eux le paysage du bar s'efface dans la pénombre et laisse place aux lieux que le récit évoque et qui, a bien y songer, a pour les deux exilés voyageurs le goût d'une terre natale. Brièvement, dans le tout petit interstice qui sépare les mots, l'atmosphère se sature de chaleur et de sable, la lumière vibre comme un tambour, rendue presque tangible par son écrasante présence qui pèse sur le monde d'un bout à l'autre de l'horizon. Ils se souviennent du désert, ils se souviennent de la couleur du ciel et des dunes sous le vent de la steppe, et de l'ombre suave des jardins qu'on y garde comme des écrins, les plus précieux trésors.

Et puis tout s'arrête, sur une conclusion happée par un bref silence durant lequel les amants se regardent et puis rient d'un même ensemble. Il n'y a pas de méchanceté dans leurs sourires et dans les yeux qui brillent alors que l'un rallume négligemment une cigarette pendant que l'autre boit quelques gorgées de champagne.

- C'était une belle histoire, et bellement contée.


C'est Nishat qui parle le premier, la voix douce et feutrée, avec ce timbre délicat, un rien plus clair que celui de son compagnon. Il sourit encore, cette expression accrochée aux paupières, avec un tout petit peu de douceur et de songe, quand il se penche pour jeter quelques cendres dans la coupelle près de lui. Peut-être qu'enfin il trahit son âge, et la lente accumulation des strates de temps qu'il a traversées et dont il ne parle jamais.

- Il y a du vrai, dedans. C'est vrai, j'ai été fermier, et j'ai été soldat aussi, mais je n'ai jamais été ni moine, ni chrétien. Cela m'aurait plu, je crois, autrefois. Mais je n'aurais pu le rester bien longtemps : je suis un oiseau voyageur et je n'ai jamais aimé rester en place très longtemps.

Un sourire fuse, tracé en coin dans la joue droite, et il adresse un regard moqueur à Nour.

- Il y a du vrai, et il y a du très vrai,
reprend-il. En voilà un qui ne sait guère tenir son cœur en laisse quand un joli visage le lui ravit.

Et puis les voilà pensifs, tous les deux, à se regarder dans le miroir que leur tend leur compagnon du soir qui a brodé une tapisserie de péripéties sur le frêle canevas de leurs seules présences et de leurs traits. Ils échangent un regard, un hochement de tête, puis Nour reprend :

- Je crois que cette histoire en vaut bien une autre en échange, c'est amplement mérité.

Il reste silencieux, un instant, et semble réfléchir intensément, puis sourit.

- C'est à Ispahan que tout commence. Nous y sommes nés, lui et moi, bien qu'à des siècles de distance.


C'est là que tout commence. La voix se déploie, calme, marquée par cet accent caractéristique qui donne une musique nouvelle aux syllabes et leur imprime le fantôme d'une autre langue. C'est comme les premières mesures d'un chant, d'une musique qui marque le rythme et pose ses premiers accords, avant que tout ne s'envole.

- C'est étrange, à quel point l'histoire se répète : lui et moi sommes nés dans une Ispahan plus ou moins en ruines, réduite à l'ombre d'elle-même. C'est peut-être pour cela que nous l'aimons tant, parce que nous savons combien elle est fragile malgré tout, et combien de fois elle a été détruite au cours du temps. Mais voici : quatre cent ans nous séparent et pourtant nous voilà semblables sur tant de points : natifs du même pays, de la même ville, et avec dans le sang le même goût pour la poésie et le vin.

Une pause, il considère un instant Zakuro avec amusement.

- Tu semblais croire que c'est moi, l'aîné. Il n'en est rien. Je n'ai encore qu'un âge bien anodin, j'ai tout juste dépassé mes quarante ans. Nishat est bien plus âgé, même si la coquetterie l'incite à faire des mystères sur ce sujet.

Un large sourire vient à Nour qui ne regarde même pas son amant : il sait que celui-ci fait des mines et lève les yeux au ciel. C'est qu'il faut être prudent, après tout, mais les deux en font une plaisanterie car rien ne les amuse plus que de rire des choses graves.

- La vérité, mon ami, c'est que notre histoire est infiniment moins houleuse que la tienne et j'en serais presque désolé si je n'en étais le premier protagoniste. Ce qui nous a fait nous croiser, ce sont nos voyages : moi, j'ai toujours eu l'âme aussi vagabonde que la sienne. ça m'a pris très jeune, quand mon oncle Hassan m'emmenait avec lui jusqu'à Téhéran pour ses voyages d'affaire, puis dans ses pèlerinages. Un jour j'ai été assez grand pour faire le Hajj, tout seul, et j'ai pris le voile blanc pour m'en aller jusqu'à La Mecque : de là, je suis parti plus loin encore, et je crois bien que c'est sur le chemin du retour que j'ai rencontré Nishat.


- A Bagdad, complète ce dernier. Je revenais de Syrie, je crois.

- C'était dans la maison de ton ami, tu te souviens ?


- Mehdi, oui, je me rappelle. Un fabuleux chanteur, cet homme. Il avait eu le nez cassé pendant une rixe quelques années plus tôt. Cela lui donnait une diction tout à fait affreuse, mais par je ne sais quel miracle du Miséricordieux, son chant était toujours aussi divin.

- Après cela nos routes se sont séparées pour un temps mais par un curieux hasard, je n'ai fait que le trouver sur ma route, où que j'aille, de Jérusalem jusqu'à Samarkhand. C'était comme s'il faisait tout pour s'y trouver... Ou bien que le destin avait déjà écrit une partie de l'histoire, qui sait ? Et voilà qu'on se retrouve ça et là, alors que nous errons. C'est des années que j'ai passées à accumuler les petits boulots pour survivre : fermier une ou deux fois, il est vrai mais bien plus souvent traducteur, garçon de café, secrétaire ou balayeur. Et le soir, j'allais dans les fumeries et les cafés pour boire et dire de la poésie, et écouter celle des autres.

- Et moi j'allais sous ses fenêtres pour lui dire quelques vers, selon l'art très noble et très antique de tous les amoureux transis de ce vaste monde,
sourit Nishat avec une fierté de paon qui irradie presque littéralement.

Infime concession permise par la pudeur naturelle de Nour, ce dernier baisse légèrement les yeux (des ombres, sur ses joues : les cils sont longs comme ceux d'une femme) et a ce sourire tout doux, tout rentré, qui vient bien plus droit du coeur que tout ce qu'il a dit ou fait jusque là. Le reste se dit sans paroles : ce sont les mots de l'un et de l'autre, cette secrète parenté de l'âme, qui leur a ravi le coeur à l'un et à l'autre.

- On a voyagé, un temps.

Voilà que le récit se fait parole jumelle, la voix de l'un finit là où commence l'autre, les phrases s'emmêlent.

- Il a fallu songer à me marier, à fonder un foyer, parce que l'âge était adéquat.


- Et finalement rien de tout cela. Mais je t'ai épousé un peu, non ? On a bu à la même coupe, après tout.

- Et je suis entré dans la nuit.

- Et tu es entré dans la nuit.

Un silence. Les paupières battent comme pour s'embrasser dans la profondeur du regard.

- J'ai regardé mon dernier coucher de soleil tomber sur les toits de Jérusalem. C'est étrange, d'avoir franchi ce seuil dans la ville trois fois sainte, et là où Issa a versé son sang, moi, je l'ai bu. Depuis, nous courons encore, d'un bout à l'autre du monde : nous allons courir toujours, parce que c'est ainsi.

Il est calme, Nour, quand il parle. Calme comme l'homme qui possède tout ce qu'il désire, à peine tenaillé par des faims éphémères qui se tarissent dans des averses de sang frais. Il n'y a pas de regrets, pas de retour possible, dans cette fuite qui les a menés d'un horizon à l'autre.

- Je ne sais que te dire de plus, reprend-il. Alors, oui, tu disais vrai, quelque part : nous avons trouvé refuge dans les bras l'un de l'autre, quoique les raisons aient été infiniment moins tragiques.
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Angel of small death and codeine

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