Mal’ fixe le ciel, vautrée dans le cockpit du petit voilier loué pour l’occasion. Elle est en maillot deux pièces, lunettes de soleil sur le nez, et actuellement, son plus gros souci, c’est l’ombre projeté par les voiles sur son corps. Déjà, ça fait une démarcation froide sur son corps à côté du mordant du soleil. Il manque le cocktail, mais après tout, ils sont en “mission”, non ? C’est plus sérieux d’éviter de boire en mission.

“Alcy… Tu vire de bord s’il te plait ? La grand voile me fait de l’ombre, là. ”

Elle minaude un peu, s’étire, apprécie la chaleur sur les marques sur sa peau. Ses poignets et ses chevilles, recouverts d’un branding délicat dont les entrelacs chauffent délicieusement sous l’assaut du soleil. La jeune femme hésite, finit par se retourner pour offrir son dos aux rayons, garde le regard dans le vague. A l’intérieur, sur la table à cartes, quelques paperasses à présenter au gardien lorsqu’ils trouveront enfin l’île. Le GPS leur donne le cap théorique, bipe de temps en temps lorsqu’ils passent au dessus d’un poisson assez gros pour faire croire que le fond s’est soudainement rapproché que la quille ; mais ils trainent un peu, comme toujours.

C’est justement un bip qui la fait se redresser, elle aurait dû prendre un livre, quelque chose comme ça. Elle s’étire et se penche, laissant son regard courir l’étendue bleue légèrement transparente, a un éclat de rire et pointe une forme sombre, sous l’eau. Bien sûr, ils n’y voient rien de très précis, mais ça a l’air gros !

“Regarde, là ! Un dauphin ? Ou une sirène… pense à te boucher les oreilles, si c’est ça, je plonge pas te chercher !”

Elle plaisante, bien sûr, son frère passe avant tout. Puis, ça a l’air plus écailleux, le mouvement est plus serpentin. Ca donnerait presque envie d’aller voir, et elle a un regard vers son frère. Un large sourire, qu’il doit connaître depuis le temps, celui de “et si on faisait une connerie” ?

Après tout, ils doivent juste aller cueillir des putains de fleurs, rien d’épique dans leur mission, ou qui aille à l’encontre de leurs convictions… En attendant, elle a clairement envie de tremper au moins les pieds dans l’eau. Après tout, elle est déjà en maillot, non ? Il suffirait d’affaler les voiles et se laisser dériver un peu. Avec une ligne de vie, elle ne pense pas risquer grand chose…

“Me dis pas qu’on va attendre d’être arrivés pour se baigner ?”

Loup était presque triste. Presque. Être en mission avec sa soeur était de quoi se réjouir au fond. Après tout, il s’agissait de sa petite soeur chérie qu’il aimait par dessus tout et qu’il aimait embêter et protéger et embêter et … enfin voilà.

Maintenant, il y avait quelque chose d’absolument exaltant à être en mission avec d’autres membres des chevaliers et les faire tourner en bourrique avec un faux air de hipster trop déconnecté de la réalité.

Tout comme il y avait quelque chose de terriblement réjouissant de virer de bord à plonger sa soeur dans l’ombre complet. Avec un petit sourire au coin de le bouche, il faisait le décompte jusqu’à ce qu’elle allait s’emporter et l’inonder de mots sororaux.

Quand son cerveau n’arrivait plus à porter attention au désarroi de sa soeur, il fit preuve de clémence et la gracia des rayons de soleil.

– Tout c’que tu vas gagner, c’est des coups d’soleil, trésor.

Loin de lui l’idée farfelue de se dorer la pilule au soleil pour quelques standards de beautés superficiels, et de risquer un cancer de la peau au passage. Bon, il allait éviter de le dire à haute voix, ça, car sinon c’était le spray de menthe qui l’attendait. La menthe, le vrai diable de ce monde.

– T’écouter minauder depuis ta naissance m’a  rendu insensible au chant de sirène, retourna le grand frère.

Mais dans toute sa bonté – et curiosité – il jeta un oeil par dessus bord pour voir de quoi retournait le nouveau bip qui perturbait l’atmosphère sereine de deux étoiles du soir qui n’avait que peu de chose à faire de leur mission. Avec un peu de bol, il allait réussir à faire une jolie photo avec son natel pour l’envoyer à Cy. Loup, le guide touristique, même en plein mer, alors que vous êtes à des centaines de kilomètres, à votre service.

– Oué, ton dauphin, il a l’air d’avoir des écailles quand même, nota Loup en se grattant le menton, le regard rivé sur la silhouette serpentine. Et il est un peu long. Et fin. Ça a l’air chelou en fait, ce truc.

Mais hé, c’était sûrement zen comme créature. En baillant et s’étirant, il jeta un coup d’oeil vers sa soeur.

– Si tu perds le bateau de vue, tu rejoins la terre ferme à la nage, lança-t-il toujours prêt à embêter la petite soeur. Ca te fera des muscles, au moins. Plus vendeur que le teint basané, crois-moi.

Lui-même était en short de bain, le torse couvert d’une chemise légère et ouverte. Il avait voulu prendre le motif hawaïen, mais le veto de sa soeur avait été souligné de sirop à la menthe caché dans sa boisson, donc le trentenaire avait fait une croix sur sa merveilleuse idée. Franchement, ça servait à quoi d’aller en mission si on pouvait même pas s’amuser à être ridicule ?

– Tu tiens à dire bonjour à la bestiole ? demanda-t-il avec un geste de menton vers la silhouette, mais il ralentissait malgré tout le voilier.

Parce que bon, les petites soeurs, c’était injuste. Elles pouvaient demander ce qu’elles voulaient, comme elles voulaient, impossible de les refuser.

Avec la maturité qu’on peut avoir dans la même fratrie, Mal tire simplement la langue. Si elle a envie de lézarder et minauder au soleil, c’est son droit le plus absolu. Elle aime quand sa peau s’assombrit un rien et que le branding qui décore ses poignets ressort un peu plus.

Elle s’intéresse cependant bien plus à la créature qui passe sous le voilier, et a un rire à la remarque de son frère. Elle a la contre-attaque idéale, qui fonctionne pour ainsi dire depuis sa naissance. Loup a l’habitude, d’ailleurs...

“Si tu me fais faire ça, je le dis à papa.”

Elle acquiesce, elle veut aller voir et tant pis si c’est dangereux. Loup - et Cy, également - ont ce mauvais effet sur elle, même si elle sait qu’ils ne sont pas forcément là quand il le faudrait, qu’ils n’apparaissent pas par magie en cas de problème, quand l’un des deux est là, elle sait qu’elle ne risque rien. C’est tellement ancré dans son esprit que ça ne passe même pas par de la réflexion.

D’ailleurs, elle récupère d’avance le matériel de plongée, met la bouteille sur ses épaules, vérifie le détendeur, attache un couteau de plongée à sa cuisse et a un regard vers Loup. Ils sont seuls. Ils ne risquent rien de l’extérieur. Le danger potentiel est sous l’eau, et c’est là qu’elle va.

“Avec une ligne de vie, on peut y aller tous les deux, c’est pas comme si le bateau allait s’envoler… Tu viens aussi ?”

Elle sait, au fond, que c’est un peu de la triche. Parce que si elle insiste assez, Loup craquera, hein ? Il craque toujours, surtout quand le caprice est aussi raisonnable qu’aller voir à deux plutôt que seule une créature potentiellement dangereuse. Puis, leurs téléphone ont certainement du réseau, en cas de souci… Certainement, oui.

D’avance, elle sort la seconde bouteille, se bat un peu avec les palmes. Pratique, mais définitivement pas agréable à enfiler. Elle peste intérieurement de ne pas s’être attachée au bateau en avance, plutôt qu’une fois toute harnachée, et attache un bout surnuméraire au harnais de la bouteille, d’un joli noeud de chaise, avant de s’assurer qu’il est passé à un taquet et que le noeud est bien assuré. Elle a même fait attention à ce que ça ne passe pas par dessus le garde-corps, mais bien dans un des passants fait pour.

“Et d’ailleurs, toi qui parlais de muscles, ça te ferait sûrement du bien, non ? Pour éliminer les cocktails et les bières...”

Un mouvement de tête vers la surface bleue. Puis, sans réellement hésiter, elle se laisse tomber dans l’eau, avec quelques éclaboussures.

“Alleeez, viens !”

Ah, ces petites soeurs. Terrible fléau tout droit venu des abysses. Une punition parentale éternelle pour les grand-frères qui avaient eu le malheur d’être sage comme une image. Ses doigts pincèrent l’arrête de son nez alors que sa soeur formulait cette ô si connu menace qu’elle avait ô si malheureusement l’habitude de réaliser pour de vrai. Sale rapporteuse, aussi insupportable que la menthe !

Bon au contraire de la menthe, il l’aimait bien, ce fléau de grand-frère. Malgré tout, il donnait un coup un peu brusque au voulant pour secouer leur voilier. Même cette menace usuelle ne pouvait rester impunie d’une réaction.

Il toisa ensuite sa soeur, bras croisé, se préparer pour voir cette magnifique créatures clairement sans danger et pacifique qui n’attend qu’un câlin de la part de deux étoiles du soir camouflés en tant que chevaliers. Clairement. Qu’est-ce qui pouvait mal se passer ? Absolument … tout ! A nouveau ses doits venaient masser son nez, soulevant ses lunettes, alors qu’il manqua pas une miette des geste de sa soeur, au moins… rassuré… de voir qu’elle faisait ça comme il fallait. Non, mais, parce que bon, les petites soeurs, faut toujours les surveiller, c’était un fait.

Son regard se posa ensuite plus longuement sur elle. Elle lui demandait de l’accompagner. Bon. Effectivement, il fallait peu de réflexion au grand-frère pour savoir que la seule réponse correcte était oui. Parce que Mal, elle allait disparaître sous l’eau sinon, et il ne pouvait aucunement voir, savoir, réagir, à quoique ce soit qui lui arrivait. Parce que la silhouette inconnue n’était pas la seule créature sous-marine non plus. Parce que tout pouvait aller mal, et qu’il était clairement trop protecteur pour ne pas être prise d’une crise de paranoïa au moment où sa soeur aura disparut sous la surface aqueuse.

Malgré tout, les règles tacites de fraternité exigeaient de lui de garder le silence jusqu’à la supplication sororalle. Même qu’il posa ses mains sur ses hanches, avec un regard réprobateur sur cette insolente qui osait critiquer sa consommation de bière et de cocktail.

Finalement, quand assez de temps furent écoulé pour qu’il soit fraternellement correct d’agir, Loup lâcha un soupir et s’affaira à son propre accoutrement de plongée pour rejoindre sa soeur dans l’eau quelques minutes plus tard.

– Tu m’dois une sortie, grommela-t-il sa revendication usuelle pour suivre les caprices de sa petite soeur.

La nature de la sortie lui importait peu, et c’était plis pour la forme qu’autre chose.

Puis, Loup plongea, curieux malgré lui de voir à quoi ressemble cette créature.