Le bruit de la foule est un symptôme de son exaspération et ses yeux gris cherchent, alors que Sandro, non loin de là, se joue être le paon de ses attentions, des éclats dans lesquels se noyer, des indices révélateurs de dangerosité. Il y a, dans l'amoncellement vivant qui pollue le navire, un surcroît de visages méconnus, mais familiers qui ne parviennent pas à attiser les flammes de son intérêt. Il contemple leur présence, la manière dont ils se déplacent avec facilité au sein de l'orgueil de leur capitaine et ses prunelles cavalent, un peu vides, un peu lasses.

Il tourne, lentement, entre ses doigts, une coupe de vin récemment repêchée auprès du barman.

Comme plus tôt, avant que la jeune psychologue renverse sa boisson sur son veston, il s'égare dans la foule, dans l'attente d'une catastrophe. Sandro, toujours en dialogue avec une chevalière, est ce baume à ses sens hérissés. Sa manche est froide, humide, et son humeur est nauséabonde. Les contours de son masque argenté sont ce cadre qui cintre sa vision, qui transforme chacune de ses observations en portrait vivant.

Danaé, qu'il n'avait - pour une raison étrange - pas remarquée jusque là, se  profile dans son champs de vision, tâche de couleur, peinture en acrylique. Il cligne des yeux, regarde son cheminement au sein des autres convives. Les sons se mêlent dans son oreille, il croit entendre Sandro rire - ce qui n'aurait rien d'étonnant vue les prédispositions sociales du consultant -.

Il se repositionne, tout en demeurant à proximité du bar, de sorte à se trouver dans le champs de vision de Danaé, cherchant son regard, jaugeant sa réaction. Lorsqu'il croit avoir obtenu son attention, chose peu certaine vu le va-et-vient des gens, il incline la tête, puis lève sa coupe, imposant ainsi une salutation cordiale.

Quitte à devoir attirer quelqu'un dans sa proximité, vaut mieux qu'il s'agisse d'une créature magique à laquelle il n'attache pas d'affect particulièrement négatif. Certes, la seule fois où ils ont été amené à échanger, ils ont lamentablement échoué une mission de sauvetage et leur échec avait résulté en la mort de dizaines de civils.

But beggars can't be choosers.

Les visages défilent, se succèdent et se mélangent. Des noms flottent contre mes neurones sans s'y accrocher. Trop de monde, en trop peu de temps, j'ai le tournis sans avoir touché à ma coupe de champagne.

Tout a commencé par un ancien patient qui m'a reconnue dans la foule, grâce à mes cheveux sans doute, et a voulu me parler d'un soucis de santé bénin qui le tracassait depuis un moment. Je n'y ai pas vu d'inconvénients et ai répondu de mon mieux à ses questions sans pouvoir l'examiner. Puis il a aperçu une de ses connaissances et l'a appelée pour que, à son tour, elle m'expose un souci. De connaissance en connaissance, et en ajoutant celles et ceux qui m'ont entendue conseiller et ont attendu leur tour, j'ai à peine pu écouter le discours du capitaine, et le peu que j'ai entendu ne m'a pas plu.

Je finis, après beaucoup trop longtemps, par réussir à m'extirper de toute cette masse de rhumes et d'allergies et de petits bobos, et je me dirige vers n'importe où plutôt qu'au milieu de tout ces chevaliers qui se croient en consultation. Mon champagne est chaud et je l'abandonne à un serveur quand mon regard accroche les yeux gris d'Ambrose.

Il lève sa coupe pour me saluer et, m'étant débarrassée de la mienne, je lui adresse un petit signe de la main. J'hésite à le rejoindre, parce que la dernière fois que nous nous sommes croisés des civils sont morts et c'est exactement comme si je les avais tués, ce que j'ai le plus grand mal à oublier. Je me décide en me rappelant que si j'ai semé le groupe d'importuns, ils peuvent me retrouver à tout moment et reprendre leurs questions.

"Bonjour Ambrose."

Je salue doucement, avec un sourire qui se veut amical, en espérant qu'il ne m'a pas vue lisser ma robe verte en chemin. Je suis obligée d'admettre que je suis un peu nerveuse.

"Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Comment vas-tu, depuis la dernière fois?"

Mes yeux repèrent, bien sûr, sa manche de veston humide, et je m'en détourne aussitôt pour ramener mon attention sur son visage. Quelqu'un a dû le percuter, j'imagine, mais je ne lui demanderais pas confirmation. Ça doit être suffisamment gênant comme ça.

"J'espère que ta soirée se passe mieux que la mienne."

Je grimace, parce que les choses n'ont pas bien démarré pour moi et que j'espère, sincèrement, que ça n'a pas été le cas pour lui. Ce n'est qu'en levant, une fois de plus, mes yeux vers les siens que je réalise que malgré les talons hauts qui me tuent les pieds je suis toujours plus petite que lui.

"J'avais cru pouvoir faire de jolies rencontres mais à la place je me suis retrouvée à donner des consultations."

Je soupire, en secouant légèrement la tête. La suite devrait s'avérer plus sympathique. Après tout, même si notre mission avait échoué, Ambrose ne m'avait pas paru désagréable.

Sandro est une pagaille.

Au détour d'un clin d'œil qu'Ambrose a réceptionné à demi tout en guettant l'approche de Danaé, le consultant, et ses grands airs dramatiques, a pianoté sa fougue contre le relief galbée de la chevalière avec laquelle il converse.  Lorsque Danaé atteint sa hauteur, c'est donc un Ambrose un brin plus distrait  que précédemment qui hoche de la tête en guise de réponse à ses propos. C'est sur le constant de Sandro qui appuie un ongle contre le sein de Malaury (?) qu'il finit pas se détourner pour correctement accueillir son ancienne partenaire de galère.

La médic porte une jolie robe verte et Ambrose a envie de foutre la bienséance à la poubelle et de lui poser des questions sur son statut de créature au sein de l'Ordre. Il fréquente un bon nombre d'individus aux background magique, mais se demande quelles genre de restrictions sont imposées à une créature émanant de l'Ordre sans être explicitement confinée au sanctuaire.

Il ne serait pas contre une séance de marchandage pour acquérir une mèche de cheveux ou un bout de peau, accessoirement. Ou de la séduire pour essayer d'avoir plus. Il se ravise, affichant une expression tranquille, quoiqu'un peu lasse.

" Mieux, je vais mieux. J'ai réalisé que l'Ordre ne convenait pas à ma santé mentale et je me suis retiré. Je termine mes études aux États-Unis. Je suis là, ce soir, uniquement pour accompagner Sandro Valencia. ", il désigne, d'un geste équivoque, le consultant qui, près d'eux, tente d'entrainer la chevalière dans une danse improvisée et un brin grossière. Là où il apparait certainement un brin exaspéré par le comportement de l'homme, il se devine un sentiment de tendresse dans lequel il mord vicieusement.

Godammit Sandro.

" Mon partenaire m'a lâchement abandonné pour aller flirter et on a tâché mon joli veston, mais je suppose que ma soirée pourrait être pire. ", lâche-t-il en se désintéressant à nouveau de Sandro pour mieux cintrer Danaé de ses attentions.  Ce n'est pas parce qu'il lui est actuellement impossible d'évoquer ses questionnements et ses envies de troc qu'il ne peut pas ouvrir des portes pour plus tard, lorsque le Ferry Queen ne sera qu'un désagréable souvenir.

Il faut savoir faire des investissements.

" Qu'est-ce qui rend les consultations si désagréables ? ", demande-t-il, désireux d'apparaître loquace, de représenter une bonne compagnie. Il sourit , ravi d'avoir une opportunité de moins feindre son intérêt pour la conversation.

" Je peux faire un effort pour être une jolie re-rencontre.  "