Accoudée à une rambarde sur la terrasse accessible, Lorelei profitait de la sensation du vent sur son visage, du bruit des vaguelettes créées par la lente avancée du Ferry Queen et de la vue de l'océan, rêvant de pourvoir le parcourir d’un bout à l’autre en nageant.

Au début pourtant, elle s’était montrée enthousiaste face à l'invitation en se présentant à 14h pile au port 3, en ayant même fait un effort vestimentaire en portant ses habituelles sandales alors que sa longue robe bleu clair lui cachait presque les pieds. Pour finalement être terriblement déçue :
Il n’y avait presque aucun endroit du bateau accessible, hormis la salle où se déroulait l’événement et sa terrasse, laissant sa curiosité en suspens.
Les masques étaient terriblement décevant. Après tout, elle avait facilement réussi à reconnaître plusieurs de ses connaissances parmi la foule et ne doutait pas qu’on la reconnaîtrait aussi de la même façon.
Tout n’était pas totalement négatif non plus, puisqu’il y avait un buffet. Comme jusque là, elle n’avait fait preuve d’aucun talent culinaire, l’ancienne naïade appréciait toujours de pouvoir manger tout ce qui ne sortait pas de sa petite cuisine qui avait failli prendre feu un certain nombre de fois.

Alors même si elle s’était résolue à rester à proximité de la nourriture, Lorelei avait finalement trouvé refuge le plus près possible de l’eau dès que le capitaine s’était mis à prononcer son discours. Avec un sentiment de solitude qui lui pesait sur les épaules qu’aucun estomac bien rempli ne pourait lui enlever.
Même si elle avait quitté les eux du Rhin pour ne plus affronter une vie éternellement solitaire, ici, entouré d’autant de monde, elle avait  l’étrange impression de se noyer … après tout, elle avait vu bien assez de gens mourir de cette façon pour en reconnaître les signes. Au début, ils se débattaient refusant d’accepter leur fin. Puis finalement, elle pouvait lire la résignation dans leur yeux. Certain trouvait ensuite la force de combattre la mort encore quelque instant avant de trépasser. Peut-être que ce serait son cas aussi.

Finalement tirée de ses pensées par les soupirs désabusés et les commentaires de la foule entassée dans la salle et certain sur la terrasse. Lorelei s’était alors adossée à la rambarde se demandant si c’était les mécontents qui souhaitaient pouvoir nager à contre-courant ou le capitaine qui s’engageait dans la difficile remonter d’un fleuve. Après tout, les vagues ne se lèvent pas s'il n'y a pas de vent. Les tenants et aboutissants lui échappaient encore trop pour analyser correctement la situation et de toute façon et elle n’était certainement pas d’humeur à patauger dans ce genre de réflexion. Malgré tout, le discours lui laissait l’étrange sentiment qu’en s’étant engagée auprès des chevaliers de l’aube, elle naviguait aujourd’hui totalement à l’aveugle.
Le discours terminé, elle reporta son regard sur les eaux qui les entouraient jusqu'à être rejointe par d'autre, peut-être autant attirer qu'elle par le paysage marin qui s'offrait sous leur yeux. Elle s’adressa alors à la personne la plus proche afin de briser la bulle d'isolement qu'elle venait de se créer.

« Il faut sans doute un certain talent pour réussir à rendre autant de personnes mécontentes d’un simple discours. J’espère pour le capitaine que ce n’est pas une compétence qu’il met trop souvent en avant. » Accompagnant sa phrase d’un rire discret.

Ma présence sur ce bateau était assez exceptionnelle, il fallait bien l’avouer. Pour l’occasion, j’avais dû avoir recours à un gardien par intérim, puisqu’il devait toujours y avoir un gardien dans le sanctuaire et que je le quittais, même pour une courte durée. C’était ma curiosité qui avait pris le dessus en réalité. Ma présence ici n’était pas requise, mais je voulais être aux premières loges pour savoir ce que manigancait cet abruti de capitaine. Avec tout ce qu’il avait déjà fait, je voulais savoir quelle était la raison de ce rassemblement. Et je n’avais pas été déçue !

Alors qu’il commençait un discours pompeux et plein d’hypocrisie, la seule chose que j’entendais c’était du bla bla. Un gros con à l’ego surdimensionné, c’était tout ce qu’il était. J’avais vraiment ce capitaine en horreur ! Qu’est-ce que Stan me manquait à cet instant…

Sans vraiment m’en rendre compte et surement parce que j’avais besoin de prendre l’air pour éviter de vomir, j’étais sortie sur la terrasse et m’était accoudée à la balustrade, posant un regard vague vers l’océan et l’horizon. Il devait être aux environs de 15h30 ou 16h, le soleil commençait à se décliner ici, laissant une jolie teinte orangée dans le ciel. Ici, dans l’hémisphère sud, le printemps arriverait dans quelques jours, mais les fins de journées étaient toujours aussi fraîche.

J’étais totalement perdue dans les pensées, pestant intérieurement contre toute cette mascarade et la connerie de la hiérarchie de l’Ordre quand une voix me sortit de ma torpeur. Je tournais alors la tête pour voir d’où provenait cette voix mélodieuse. Une ancienne naïade forcément. Lorelei se trouvait près de moi, contemplant elle aussi l’étendue de l’eau qui s’étendait autour de nous. Je ne la connaissais pas personnellement, mais étant une ancienne créature magique, j’avais eu vent de sa présence à Old Fyre. Le discours du Capitaine semblait avoir marqué les esprits de beaucoup, peu pour de bonnes raisons. La phrase qui sortit de sa bouche était moqueuse, ce qui me tira un large sourire amusé.

« Oh, détrompe-toi, c’est une de ses plus grandes qualités ! » Lui lançai-je à mon tour.  « Angelica de Clairbois, gardienne d’Old Fyre. Enchantée de faire ta connaissance, il me semble que c’est la première fois que nous nous croisons ? »

Je m’étais légèrement approchée et j’avais pivoté pour lui faire face, lui tendant une main en guise de salutation.

« C’est vrai que le discours du Capitaine n’a pas inspiré grand monde. Je crois que les chevaliers commencent à se rendre compte de la connerie de l’homme qui les dirige. C’est pas trop tôt, moi ça fait des mois que je lutte contre lui, que je rentre en gueulant dans son bureau! C’est juste un connard machiste et suffisant… »

Je n’aurai peut-être pas dû cracher mon venin sur cet homme, après tout, je ne connaissais pas les opinions de la jeune naïade avec qui je discutais. Mais ce fut plus fort que moi, je ne supportais plus l’injustice et l’hypocrisie qui régnait au sein de l’Ordre…

« J’aurais préféré te rencontrer dans d’autres circonstances Lorelei, mais ce n’est rien. À l’occasion, je serai ravie de pouvoir discuter avec toi sur la condition de naïade, peut-être pourrait tu m’aider à installer certaines de tes anciennes… Congénères à Old Fyre ? » Tentai-je sans trop d’espoir.

Lorsqu’elle m’annonça qu’elle éviter de croiser plus de monde que nécessaire, je ne pus réprimer mon sourcil qui se levait. Pourquoi était-elle sur ce bateau alors ? Il me semblait que la présence ici n’était pas forcément obligatoire, du moins pas pour les consultants ni pour les civils. Je ne savais pas vraiment dans quelle catégorie elle était. Peut-être faisait-elle partie des chevaliers ?

En ce qui me concernait, je pouvais être directe et franche sur ce que je pensais de la situation, après tout, je ne faisais pas partie de l’Ordre et ils vivaient sous mon toit… Les problèmes de gestions ne me concernaient pas vraiment même si cela avait de mauvaises répercutions parfois.

« Oh, je ne pense pas qu’il faille tant de suffisance que ça pour vouloir le poste de Capitaine. Je ne pense pas que tu l’ais connu, mais le précédent était vraiment un homme bien. Il a plutôt bien redressé la situation après la trahison du Sphinx. Il s’appelle Stan Sorenson, peut-être en as tu entendu parler ? »

J’avais plus ou moins le même âge que sa petite fille Kendra et Stan avait été d’un grand soutien pendant mes premières années en tant que gardienne. Il avait pris sa retraite depuis plusieurs années maintenant, mais je gardais de très bon souvenir de lui. La nomination du nouveau Capitaine était un véritable désastre, il n’avait rien des qualités de Mr Sorenson…

« Entre les problèmes de RH, les missions dangereuses et éprouvantes pour les chevaliers sans vraiment de soutien pour les troupes, je pense qu’on pourrait faire mieux. Le capitaine est juste un planqué qui à oublier ce que sont les missions sur le terrain et qui se croit tout-puissant… »