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To the Edge of Everything

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Mer 31 Juil - 13:08

Points : 0
Messages : 36
Age : 30
Habitation permanente : KMO, Hiryuu : 05 rue de la Chance, app: 32 ou la Chambre 110 de l'université KMO ou chez Zakuro.
Occupation : Étudiant en psychologie | Mangeur d'âmes.
Kohaku Joshua Mitsumasa

Kohaku Joshua Mitsumasa
To the Edge of Everything
Is it enough to breathe ?
Is it enough to die ?


I DON’T KNOW. I DON’T KNOW. I DON’T KNOW. I DON’T KNOW. I DON’T KNOW.

From : Chess
To : Litchi
13:22 26/07/2013

Aujourd’hui, j’ai décidé que je voulais être une toile, un canevas blanc sur lequel on allait peindre. 
Tu viens peinturer avec moi ? Tu ferais tableau alléchant.
 Parc Bougu. Tu sauras me trouver. ♥

-

De l’aquarelle grise pour cacher une étendue azure ne correspondant pas au tempérament capricieux de la planète en ce jour. Des teintes passant de l’argent au charbon cohabitaient parmi les marshmallow stratosphériques géants qui polluaient le monde stellaire. Il s’agissait d’une journée morne comme tant d’autres, et près d’un pont décrivant une demi-lune au-dessus d’une marre, se tenait mon enveloppe corporelle. Le bitume de la structure s’effritait légèrement, l’érosion à la fois naturelle et artificielle, laissant des bouts de gravier de tailles variables venir éclabousser, de temps à autre, l’eau trouble de la marre. L’une de mes paumes longeait cette eau brouillée et grisonnante, y trempant ses phalanges aux ongles peinturlurés d’orange et de vert, percutant distraitement les morceaux rocailleux qui flottaient sans le moindre souci. Une planète mise sur ‘avance lente’, bloquée dans son parcours, coincée entre deux trames temporelles, des cliquetis d’horloge qu’on ne pouvait plus entendre car ils avaient cessé de retentir.

Je voulais voir le ciel. Pas la citée atmosphérique couleur fer qui progressait lentement au-dessus de ma tête, non. Je voulais le bleu, la stratosphère d’eau et d’intemporalité, le vent sur ma figure et le bruit pétillant de l’existence. Tout ce que cette journée morose n’arrivait pas à m’offrir, de la vibrance, de l’exaltation, une explosion de vitalité qu’elle soit humaine ou non. Mes extrémités mouillées se refermèrent sur la terre molle de la marre érigée par la main de l’homme et entretenue par son intégrité brillante ─ha ha─ , se resserrant sur des cailloux faiblards. Je sentais les particules terreuses me filer entre les doigts, s’enfuir de ma poigne comme des oiseaux-mouches sous-marins, comme les ninjas que j’avais observé courir dans les airs au dojo que Zakuro m’avait fait découvrir il y avait déjà plus d’un an. Si au moins il avait s’agit d’une palette arc-en-ciel qui quittait ma paume, atteignant sa liberté pour teindre l’étendue aqueuse de sa beauté j’aurais pu rendre le monde plus intéressant. Si j’avais pu transformer cette terre humide en peinture, les nuages ennuyants qui rampaient dans les airs auraient adopté de nouvelles teintes. Un arc-en-ciel, comme celui dont j’avais habillé les mots de la pancarte présentée au réfectoire, celle que trop peu avaient réussi à intelliger.

Je retirai ma main de l’eau crasseuse d’un geste tout aussi ample que vif, n’hésitant pas une seconde à me matraquer la joue avec, m’assénant une gifle. Le claquement de la chair contre la chair, les bouts de ciment miniaturisés picorant ma peau et l’espèce de concoction d’argile sans avenir se logeant dans mes pores. J’imaginais, plus pour me faire plaisir qu’autre chose, pleinement conscient du fait que ce qui me trainait dans le visage n’était rien d’autre que de la vase brunâtre, que cette boue matte et vaseuse arborait un aspect royal. Bleu sombre bordé d’or ou rose picoré de vert, quelque chose de vivant, d’ardent. Les canevas, les cobayes, ne brillaient pas de leur disponibilité en cette journée blafarde si bien que je n’avais d’autres choix que de devenir ma propre peinture. Mais jouer avec soi-même peut devenir lassant, écœurant, lorsqu’on désire mieux ou plus, lorsque notre intérieur nous hurle sa faim et son envie de sentir l’existence. Je me demandai, distraitement, retrempant ma main dans l’eau sale pour mieux pouvoir la ramener à mon visage, comment Chess se sentait lorsqu’il ne trouvait aucune âme adéquate pour se sustenter. Ressentait-il le même vide qui me poignardait présentement, cette même colère silencieuse, cette envie de gueuler contre tout et rien ? Comment savoir . . . Sénécal ne semblait pas avoir envisagé la possibilité d’un manque d’âmes, de la disparition de la drogue humaine.

Je m’étais réveillé chez Yume Namida, entre des draps devenus familiers, dans une chambre que je considérais presque comme la mienne. Un tas de mes vêtements entassés dans un coin, informe et malmené, comme cette créature effrayante que la plupart des gamins imaginent en train de ramper sous leur lit, mon téléphone portable déposé sur le sol non-loin du lit, illuminant parfois la pièce d’un faisceau bleuté  annonçant les heures qui défilaient. Près de moi s’était tenue allongée, cheveux d’ébène éparpillés dans tous les sens, moue renfrognée dépourvue de la moindre parcelle de grâce, la petite silhouette de la locataire des lieux. C’était devenu une habitude plutôt qu’un avantage lors des jours où je sortais trop tard, m’enrouler dans les couvertures de Miss Namida, une habitude écœurement normale pourvue de tous les filaments affectifs communs se rattachant généralement à ce genre de comportement routinier. J’aimais pouvoir me rendre dans l’un habitacle où l’on attendait ma présence, où l’on voulait de moi. Une petite douceur dans les mœurs. Heh. Donc oui, je m’étais réveillé chez Yume Namida avec cette soif de vivre, de voir vivre, dégustant déjà mes nerfs, m’étais éclipsé de ses draps et vêtu à la hâte, lui laissant un thé vert, gage de bonne santé, ainsi qu’un petit mot lui sommant de passer une agréable journée pour tout au revoir. L’air lourd contre mes cheveux désordonnés, contre mes lentilles agencées à mon verni et cette lancinante soif de voilactée me broyant les os. J’avais attrapé mon téléphone portable, avais pianoté sur les touches une invitation, avait apposé une idée. Pour me perdre dans l’échafaud d’une journée délectable plutôt que décevante.

Oui, je voulais voir le ciel. Un sourire et la plus belle couleur du monde, celle que mon immatérialité blanche et transcendante ne pouvait que désespérément désirer dévorer. Absolument, dans mes yeux et sur ma langue, bourrant mes sens de sa présence. Le ciel, le ciel.  Je me redressai sur mes coudes, délaissant mes méandres matinales et ma joue couverte de glaise du même coup, me retournant pour partir à la recherche de mon reflet dans la surface opaque de la marre. Aucune réflexion, que du sable tournoyant dans les confins aqueux, du limon terne, monochrome.

Ugh.

Mes jointures vinrent fendre la poisse granuleuse de la marre sous le pont d’un geste vif, perçant la pellicule opaque pour venir s’immerger. Un coup de poing laissant tout le loisir à l’eau brusquée de me vriller d’une pluie de gouttelettes grises. Grises, grises, grises, frustrantes, dérangeantes, à annihiler. Trop d’une couleur tue la couleur, or something like that. D’autres coups suivirent ce premier heurt, la démarche impliquant d’abord mes mains, puis ensuite mes genoux, de sorte à ce que bien vite, mon t-shirt blanc avec un imprimé de raton-laveur pourvu de lunettes fumées roses, ainsi que mes jeans se virent complètement trempé et salis. Le tout collait inconfortablement à ma peau, me rappelant vaguement la poisse que Honour Boy m’avait envoyée à la figure dans le réfectoire, quelques semaines plus tôt. Avec une odeur moins malveillante, dégoutante, toutefois. Le tissus imbibé de liquide se pressait contre mes côtes, enlaçait mes cuisses et démolissait mes bottes noires aux semelles épaisses, pourtant je ne m’arrêtais pas, fracassant la surface autrefois lisse tel un caneton démoniaque, respiration saccadée et grommellements insatisfaits filtrant hors de mes lèvres. On brise le reflet, l’absence de reflet et tous ces horripilants détails qui nous laissent en proie en un mécontentement vorace.

Je n’ai pas peur du noir, car dans le noir, il nous est impossible de se voir. J’avais pensé cela dans la rame de métro sombre où Zakuro avait plaint Alice tout haut et, maintenant, je songeais à ma haine contradictoire des reflets, difformes, difformes, trompeurs. Je ne détestais pas les miroirs pourtant, eux, ils étaient utiles, intrigants, mais . . . Je n’ai pas peur du noir, ni de cette eau sans tréfonds, pourtant je déteste la perspective de ne rien pouvoir sentir ou voir.

Absence de pensée, de logique, retour sur Beaudoin et ses déclarations folles de ‘vous êtes malades monsieur Mitsumasa, pas malade comme la plupart des gens que vous croisez dans l’hôpital, non, votre maladie à vous se trouve plus haut, ici, dans votre tête. On ne la voit pas. On appelle cela ta gueule, ta gueule, ta gueule. Disparait connard de gris, décampe criss de sacarament de vieux binoclard à la con. Donnez-moi le ciel, les gens et toutes ces belles, belles, magiques, fascinantes choses. Ou taisez tout, faites tous basculer au blanc, à l’immatériel et laissez-moi rire, rire, rire. Pour l’éternité.

L’eau giclait dans tous les sens, mon corps se heurtait aux morceaux de pont immergés, combattant la monotonie et les pensées et cette réfutation catégorique de ce qu’on me prétendait être, de ces chuchotements de peut-être et de pourquoi qui n’en finissaient jamais vraiment de résonner. On s’en fout, on s’en fout. Je monologuais tout haut, syllabes disloquées, phrases alambiquées, les lettres sautillant de l’est à l’ouest comme des prédatrices carnassières et damnées. Pourquoi cette colère juste parce qu’une journée ne correspondait pas à mon tempérament ? Ou plutôt parce que j’avais décidé d’être une horrible toile humaine, peinture-moi, peinture-moi. Jusqu’à ce que ta peinture ait décapé ma peau et que tu puisses taper tes phalanges sur mes os. Mais ne me tue pas, absolument pas, cette eau sale, marre de dégoût plutôt que de recrudescence, ne correspondrait pas à mon tombeau imaginaire.

Il n’y avait personne dans le parc dominant une part de la surface du quartier Bougu, pas un  passant pour venir tâcher le décor de ses réactions, de ses tons. Peut-être était-ce car le ciel présageait un orage dans lequel nul n’avait envie de se retrouver coincé ou peut-être était-ce simplement car les gens avait mieux à faire un Vendredi après-midi que de déambuler sordidement dans l’une des aires ‘vertes’ les moins reluisante de la ville de Keimoo. Dans tous les cas, ma cacophonie ne pouvait perturber que quelques animaux abandonnés, fripouilles relâchées dans une nature de béton dénaturé, avec pour toute pitance à espérer des rats se dissipant près des plaques d’égouts et des rebus d’aliments humains à moitié périmés.

Je repensais à Yume, enroulée dans ses couvertures, au thé vert fumant qui avait sûrement refroidi à l’heure qu’il était, me disant une seconde que la chaleur de l’innocence aurait valu mieux que cette excursion dans de la glaise grise. Je faisais une bien piètre toile, pas tout à fait un cobaye, puisque j’étais celui que je voulais être, mais soucieux de paraître comme tel pour octroyer à quiconque passerait le loisir de s’approprier la situation que je présentais. Comme un jeu, n’est-ce pas ? Si on le voit, on peut se joindre à la partie, right ? Un soupir grommelé, avec des esquisses diagonales de Baudelaire chantonné, une toile grise et des pommettes saillantes, un paysage monochrome et des cheveux incrustés de poudre de pont.

Je voulais voir le ciel.

Et lorsque mon rônin apparaîtrait, pourfendant le temps de ses ongles plus acérés que des lames, je chercherais sa carotide de mes dents, croquerais la peau et susurrerais, susurrerais comme un mourant :

« Peins-moi. Je t’en prie, aller, peinturlure-moi. »

Et laisse-moi te peindre en retour. Bien évidemment.

Je m’accrocherais à ses muscles plutôt qu’à ses os et chercherais, chercherais la couleur qui me fuyait comme les virus fuient la guérison. J’enfoncerais mes doigts dans ses épaules et tenterais de percer la peau pour ajouter du rouge au bleu, pour tout dévorer. Puis je répèterais ma litanie, ma question. Sans supplier, j’ordonnerais d’une voix au sourire sous-entendu, au rire pointu, mais pas tout à fait présent :

« Peinture le monde avec moi. »
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Mer 31 Juil - 13:18

Points : 0
Messages : 138
Age : 32
Habitation permanente : Constamment sous le ciel.
Occupation : Fuir l'ennui avec acharnement.
Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea

Le filet d'eau froide cingla sur mes phalanges, s'éparpillant en des éclats venant heurter le reste de ma peau, dans la complaisance d'un soulagement nerveux. Les yeux fermés, j'ignorais le reflet que me hurlait ce miroir tapissé au mur accrochant le lavabo, dans son étreinte carrelée par l'ivoire, et silencieux, j'entrouvrais mes lèvres pour la fuite d'une expiration lente. Souffle. Souffle calculé, douceur, lenteur, et maîtrise de la respiration. Au delà des murs des vestiaires, les hurlements de la foule qui résonnaient dans de grands éclats, échos aux combats qui se gagnaient, échos aux combats qui se perdaient. La troisième manche venait de débuter. J'ouvrais les yeux. Déception. Tellement de déception. Mes prunelles chutèrent sur l'ivoire d'un lavabo que j'essayais de froisser entre mes doigts.(…)
flash back

Le coup explosait sur mon pariétal, faisant voler en éclat ma réactivité, me figeant sur place. Le « Tchiaaahoooooo » braillard résonnait dans le gymnase, acclamé par la foule qui soutenait mon adversaire, faisant vibrer en moi le frisson d'un défaite. Migi-men de bordel de merde, parfaitement ajusté, parfaitement rasant. Le shinaï se releva, décrivant une courbe sur laquelle je posais mes yeux, avec une sorte de désespoir, pour ignorer le drapeau que levait les arbitres. Et ce drapeau ce n'était pas le mien. Merde. Un sifflement mental, un crissement de mes dents, et je m'immobilisais. Son kiai m'avait figé, son kiai m'avait figé, répétais-je, épouvanté par la compréhension des choses. Échec. Échec échec échec. Défaite. Perdu. Dégage hors de la route, t'as perdu, Fea. Je saluais. Reculais. Sortais de la zone de combat. Déposais mon shinai. Et l'arme abandonnée au sol, toute la vie, tout mon univers en cet instant ne devint plus qu'une succession de mouvements, axé sur mon envie de vomir. Arracher mon men pour libérer mes mèches folles, m'écarter dans des pas précipités, ôter mes protections de mains et de bras avec des gestes fébriles, et chercher du regard, chercher du regard un endroit ou quelque chose à quoi se raccrocher.
Au secours, au secours.

« Zack ! Zack ! »

Les yeux brouillés par une rage calme, une amertume dans la bouche, je courais presque, dans une chute en avant, dans un besoin de disparaître, de tomber, de hurler. Dans mon dos, ils acclamaient le vainqueur. Je sentis les doigts d'un camarade se poser sur mon épaule, violer l'axe de mon désespoir, et me planter de face face à lui. « Calme toi ! Ecoute. Tu as perdu le shiai, mais tu as un score de 2 à 3. Ils ont noté ta technique, alors tu vas en repêchage. Concentre toi ! Tu n'as pas encore perdu ! Tu peux remonter si tu bats, lors de la première poule. Ensuite, tu dois gagner encore deux fois, et s'il n'y a pas d'éliminatoire, tu gagnes. S'ils sautent, tu vas devoir te battre trois fois. Concentre toi sur cette idée, tu peux le faire. »Mes doigts devinrent raides, ma mâchoire se crispa. Dans ma poitrine, mon cœur crevé par le sentiment de perdition se gonflait lentement d'espoir. En repêchage. Ok. Donc possibilité de combattre encore, de frapper toujours.  Okay. Se calmer. J'inspirais.
Bloquais l'air dans ma poitrine.

« Voilà ! T'es prêt ? Tu te concentres. Ils ont encore un quart d'heure d'éliminatoire, et puis il y a les repêchages. Va boire un coup dans les vestiaires, tu seras appelé ensuite. »

Je titubais jusqu'aux vestiaires, délaissant le gymnase. La compétition d'aujourd'hui était importante, et pratiquée, elle assurait une fière remontée de niveau. C'était orgueilleux. Purement orgueilleux. Mais j'avais eu envie de gagner, envie de battre, et de tenter. Perdre à un point par un Migi-men, à quatre minutes trente neuf tordait ma cognition dans ce désir sale que de vomir. Mais les repêchages étaient un espoir. Une chance à saisir à deux mains. J'ouvrais la porte du vestiaire, cherchais le lavabo, et allais me pencher au dessus. Un espoir.Mais une défaite. fin du flash backMon front frappa le robinet de zinc, dans un « poc » sonore, et je restais prostré au dessus de la cuvette albâtre, désespéré par le monde et moi-même. Bordel. A mes pieds, il y eut une vibration, dans le sac que j'avais jeté au sol, en rangeant à l'intérieur mes protection. Secondes après secondes, entrouvrant les yeux, je reconnaissais les couinements de mon portable, qui se fit insistant, m'indiquant que je venais certainement de recevoir un message. Soupirant, je me relevais, récupérais mon sac, fouillais à l'intérieur, en dérangeant le bordel organisé qu'il contenait, et en tirait mon portable. Les lettres agencées entre elles sur l'écran m'informèrent d'un message qui était innatendu jusqu'à là.

From : Chess
To : Litchi
13:22
26/07/2013
Aujourd’hui, j’ai décidé que je voulais être une toile, un canevas blanc sur lequel on allait peindre. Tu viens peinturer avec moi ? Tu ferais tableau alléchant. Parc Bougu. Tu sauras me trouver. ♥

Un sourire étira mes lèvres, dissipant la frustration, éteignant la colère, noyant le doute. Résilience assurée, par la simple réception de ce mail, par l'idée qu'il y avait derrière, et par la proposition qui s'en dégageait. Je tapotais, brusquement guilleret, les mots de réponse à son message, envoyant presque aussitôt, en cliquant sur l'option « envoyer ».

From : Litchi
To : Chess
13: 25
26/07/2013
« Je suis en compet'. Je serai en retard. Mais attends un peu, s'il te plaît. Je me dépêche. »

Le micro de la salle hurla dans chaque partie du local gigantesque qu'il était l'heure des repêchages. Je rangeais le portable, récupérais mon sac dans lequel je tirais mes protections, et retournais vers le gymnase et ses aires de combats. Le même camarade, un Takahashi, m’accueillit, me marmonnant des conseils que je n'écoutais pas, concentré sur un vide absolu. Lentement, avec précision, je gantais mes doigts, glissant autour de mes paumes et de mes poignets les protections qui remontaient jusqu'aux avant-bras. J'avais perdu en me concentrant trop sur le regard et pas assez sur la vision. Là où j'avais cherché la précision de mon adversaire, j'en avais perdu son rythme. Le souffle pénétra entre mes lèvres, tandis que dans mon dos, quelqu'un se chargeait, -certainement ce même Takahashi-, de régler mon Do, serrant les sangles entre mes omoplates. Il vint applatir ses mains sur le galbe de protection sur ma poitrine, et me présenta mon Men, que je récupérais entre mes doigts. Ses lèvres s'arquèrent sur des paroles sans sourire.

« Concentre toi. »

Je mis le Men sur ma tête, refermant en un claquement sourd les lacets à mon occipital. Je m'avançais. L'autre, face à moi, fit de même. Nous vînmes effleurer le sol de nos rotules, nous agenouillant à moitié sur le sol, le shinaï dressé devant nos visages respectifs. A ce stade là de la compétition, observer le visage de notre adversaire à travers le mengane ne représentait plus un réel intérêt. Il n'y avait plus que sa forme et le mur à abattre qu'il représentait. Pourtant, au delà de la distance imposée par les arbitres entre nous, je cherchais son regard. L'y trouvait, et ce que j'y lus me favorisa ma détente. Le hajime résonna au milieu de la salle, et dans le silence de mon vide, je me propulsais sur lui.

(…)

Debout devant mon adversaire, du coin de l'oeil, j'observais les arbitres prendre place. La salle s'était tût, et il s'agissait du dernier combat, du dernier point. Les bras frémissants, les doigts endoloris mais refermés avec précision autour du shinaï, j'observais, au travers du grillade mengane, les yeux arrondis de mon adversaire. Ses lèvres entrouvertes sur un souffle qu'il essayait de récupérer le plus vite possible. Son léger déséquilibre sur la gauche, et sa main droite aux os touchés par la douleur. Les yeux plissés, mes prunelles fendues sous la lucidité des choses, j'attendais. L'arbitre principal leva ses deux drapeaux.

« Hajime ! »

Je frappais. Il dévia, et plongea son arme vers ma tempe. Exactement de la même façon dont il, -lui, très précisément-, m'avait battu, une heure plus tôt. Migi-men. J'éjectais sa lame, plongeant sur lui. Il me propulsa, se jeta sur le côté, et je suivais. Je suivais, encore, et il frappa en tsuki, cherchant à atteindre ma gorge. Son poignet faiblit, j'explosais l'extrêmité de son shinaï, déviant la trajectoire. Ma poitrine se crispa, mes poumons se gonflant dans l'air emmagasiné, et feulant le kiai, abattais un hidari-men. Les arbitres hurlèrent la fin du combat, et sautillant en arrière, les lignes de mes yeux courbées par ce sourire victorieux. (…)« Quatre victoires ! Quatre victoires d'affilées ! C'était excellent ! »Takahashi hurlait sa joie, et je trépignais, en ôtant mes protections. L'horloge tournait, et j'observais les spectateurs se rassembler sur la zone de remise des prix. Le président de région et l'organisateur étaient en train d'appeler au micro les différentes factions et équipes, avant de procéder à l'appel d'honneur des remises des prix. En tout et pour tout, l'achèvement de cérémonie prendrait encore deux bonnes heures. Je disposais mon men et mes kote dans les mains de Takahashi, glissant mon portable dans mon obi, récupérant simplement mes zoori.

« Ecoute. Je ne veux pas des médailles et de la coupe. Représente toi pour moi, si tu veux. J'y vais. »
« Hein ? Mais tu … ! »

Je n'écoutais pas la fin de sa phrase, courant jusqu'à la sortie.

(…)

Et je hurlais. Je hurlais ma joie, dans ma tête, et par le simple fait de franchir la normalité d'une ville, habillé en hakama, en veste de coton noir sportif, et en zoori. Je m'en fous, je m'en fous, murmurait mon sourire, je suis heureux, simplement heureux, j'ai gagné, et ça n'est pas fini. Il y avait tellement bien plus important que les médailles. Tellement bien plus intense, bien plus fascinant. Je descendais du métro en remarquant presque avec détachement que je n'avais pris aucune affaire en dehors de mon portable, et courais jusqu'au parc. Il serait facilement trouvable ? Calmant mon allure, je pénétrais dans les terrains sylves, cherchant des yeux. Le cherchant des yeux. Il me fallut quelques minutes avant de remarquer les bruits d'éclaboussures, dans une zone isolée du parc. Je. ...Peux savoir ce que tu es en train de faire ?

M'approchant en silence, usant du pont de bitûme qui se faisait arcane exhibant ses gestuels, je descendais sur la rive boueuse, venant m'installer près de lui. Le hakama s'imbiba d'eau, venant flotter autour de mes hanches, dansant dans ses tissus épais et martiaux autour de mon bassin. Il y eut contact, un contact bien plus intriguant que les combats que je venais de quitter, contact bien plus moqueur, mais auquel j'étais bien plus attaché, et refermant ses mains autour de mes épaules, je lui accordais, une fois de plus, cet adjectif ternis sous son immatérialité. Dantesque.  

« Peins-moi. Je t’en prie, aller, peinturlure-moi. »

Je lui souriais. Refermais mes bras et mes mains sur son dos, enserrant contre ma poitrine la joie intense, le sentiment de rire. Une couleur ? Le rouge. Le rougeoiement heureux de l'être content, de l'être assouvi. Le rouge, qui sous ses ongles aux desseins amusés dans sa cruauté joueuse, s'entrelaça en un filet consciencieux, sur mon épaule, coulant avec douceur jusqu'à ma poitrine. Le rouge, absolument.

« Peinture le monde avec moi. »

Je lâchais son dos, plaquant mes paumes contre son visage, contre son nez, ses paupières et sa bouche, mes deux mains contre sa face, pour sourire.

« Première couleur. Couleur de la victoire. Elle est vibrante et chaude, et c'est moi qui l'est créée. »

J'écartais mes doigts, abandonnant mon sourire. Et la saleté de l'eau, et le gris de ce ciel, et les couleur de ton corps. Des lentilles colorées, du vernis assorti. Ou du verni coloré et des lentilles assorti. Mon regard s'égara sur le T-shirt bigarré par le lichen aquatique qui sillonnait sa poitrine recouverte fièrement par le raton-laveur aux si étranges lunettes, me faisant hausser un sourcil. Sérieusement ? Un raton-laveur ?

« Kohaku fait la carpe. C'est une première ça. »

Peindre ? Qu'il m'offre ses doigts, j'en ferai mes pinceaux. Je ramenais ma dextre à mon épaule, palpant les griffures de ses ongles sur mon articulation, et je récupérais le carmin, que du bout des doigts, je vins étaler sur ses lèvres trop pâles. J'y déposais aussi les miennes, pour un baiser sourire, une caresse rouge. Une seconde. Je reculais, m'emparant de son poignet, le trainant à moitié en dehors de l'eau.

« Si je peignais au dessus de ton lit un chat ? Sur le mur, là ? En rose ! Un chat en rose au dessus du lit de monsieur la Carpe ! »[/list]
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Mer 31 Juil - 13:19

Points : 0
Messages : 36
Age : 30
Habitation permanente : KMO, Hiryuu : 05 rue de la Chance, app: 32 ou la Chambre 110 de l'université KMO ou chez Zakuro.
Occupation : Étudiant en psychologie | Mangeur d'âmes.
Kohaku Joshua Mitsumasa

Kohaku Joshua Mitsumasa
Et elle était là, la couleur, juste devant moi, belle, vibrante, parfaite, avec un sourire à la largesse infinie, qu’on aurait pu utiliser pour teindre le ciel de son bleu absent. Je m’accrochai, comme anticipé, aux membres qui m’encadrèrent, des bras d’intemporalité stellaire, nullement dans le but de restreindre, mais plutôt dans celui de communiquer, plaquai mes paumes trempées contre des contours abdominaux présents, courbant juste assez les doigts pour imposer le constat d’une griffure blanche. À son sourire s’agença le mien et je papillonnai mes lentilles dans l’univers merveilleux de ses iris. Un sourire, une demande et toutes les possibilités perdues dans l’horizon qui accompagnait l’existence fluide de Zakuro Fea.

Des calleuses sur mon visage, lisses et familières, qui prononcèrent mon désir de simplement me perdre dans ma contemplation du ciel, avant de m’étendre dans l’arc-en-ciel de mon impulsivité, jetant des couleurs où bon me semblerait pour le simple plaisir de trancher raide la monotonie qui avait malencontreusement enveloppé la journée. Des résidus d’agacement dans mes phalanges, spectres mesquins qui farfouillaient entre mes synapses à la recherche d’un coin de mon esprit ne se voyant pas embrumé par la sensation de se griser, par la sensation de vouloir sentir le poids de la voilactée inondé mes gencives. Sur le bout de ma langue planait le goût de l’humanité sous son voile monocorde.

Oh, toi. Et la victoire qui perlant dans tes pupilles et ton sourire, ton sourire, et le carmin sous mes ongles voraces qui se permettaient de faire ce que mes dents contre ta gorge n’osaient pas entièrement faire. Je ronronnai un rire, roucoulant, dodelinant, songeant au fait que cette victoire, réussite colorée, n’existait peut-être qu’à sens unique. Ton opposant avait-il ressenti la défaite, avait-il cru, ne serait-ce qu’une traitre seconde, être ton ennemi ? Bien sûr, vous vous teniez au cœur du brouhaha de la compétition, mais . . . Gagner et perdre, perdre et gagner, des notions à broyer et à réécrire, des perceptions mattes, vacillantes. Des poussières sous mes doigts qui voletaient dans le vent de cette planète en orbite mouvant.

Je gloussai, dans l’apposition du baiser sourire, me fondant à son mouvement pour le poursuivre, pour attraper sa lèvre inférieure de mes incisives et tirer un bonjour qui étirait mon sourire d’exaltation. Le goût du ciel et les souvenirs sous mes paupières, des jets de lumières et de sang et donne m’en plus veux-tu bien ? Ma silhouette hors de l’eau et le désordre trempé de mes vêtements contre ma peau, avouant des contours anguleux, escarpés. Je secouai ma forme, sentant les nerfs se crisper autour des os, relavant le menton pour le jauger entre critique et béatitude disloquée d’alambique.

Ses yeux, des empreintes matérielles de félicité, que je m’envisionnais souvent couvrir de ma dentition, juste pour les tenir dans la chaleur de ma cavité buccal, doucement, sans brusquer les connections optiques. Adoration simple saupoudré du plaisir de la savoir entièrement, complètement, mien. Je susurrai muettement le ‘tu m’appartiens’ qui grouillait contre mon palet, lâchant ma fascination de son regard pour l’observer, l’apprécier, en entier. Un hakama de noirceur, préalablement remarqué, entre deux éclaboussures et bras contre mon dos pressés, signalant la présence d’un dojo, d’un combat, quelque part dans l’équation racontant l’avant de son arrivée dans le parc délabré de Bougu.

Je ricanai, glissant une paume poisseuse dans mes cheveux vêtus de limon gris. Encore des combats de croyances sordides, Litchi, des bouillabaisses d’honneur et de respect, tout aussi abjects que restreignant ? Décidément, certaines choses ne changeraient jamais peu importe combien de fois on les recréerait, peu importe les sermons qu’on y apposerait.

Je souris, dantesque, plus encore qu’il me prétendait l’être, découvrant des dents claires, une affinité crue et les retours de constats, contredisant ma propre envie par les mots. N’aurais-je pas dû le laisser peinturer le monde en paix, se conformant à mes vœux et souriant parce que son sourire était si vaste, presque poétique ? Non, non, absolument pas. Les colorations se devaient être authentiques, puisées dans le néant de nos âmes, dans les fentes craquelées qui nous définissaient. Ou pas. Ou pas. Le vol s’agençait bien au jeu, brusquant les gens qui cracheraient de nouvelles couleurs pour remplacer les anciennes, plus vibrantes, plus passionnelles.

Qu’en penserais-tu, love ?

« Ta couleur, tu l’as créé ou tu l’as volé ? »

Des syllabes se délectant ses pensées à venir, la manière dont il se recourberait face à l’affront qui se dissociait de la cohérence de ma missive pour sauter par-dessus des marches d’escaliers, défiant la gravité. Montre-moi, rônin sculpté de mon intérieur. Pretty please, pretty please, soit aussi satisfaisant que coutume te prouve être.

Je réduisis à nouveau la distance nous séparant à néant, traçant des arabesques habituées par-dessus le tissu de son vêtement, tentateur et amusé. Sous mes doigts, du bleu, du bleu de pêche sous les phalanges qui remontaient jusqu’à ses clavicules, pourfendant le couvert de l’habit des dogmes. Son bleu à lui. Mon favori. Je pressai mon visage, dirt be damned, contre ces dites clavicules, déposant la suite du baisé rouge sur leur chair et y ajoutant un trait calculé de ma langue, oscillant sur mes talons et remontant jusqu’à son cou par l’intermédiaire du muscle. La texture de son épiderme, la forme de sa pomme d’Adam, le rythme de ses respirations et des détails tourbillonnant contre ma bouche ouverte en un sourire curieux. Je le barbouillais de ma salive, couleur de la transparence, cherchant à nouveau cette carotide préalablement attaquée dans l’intention de la remordre, de la tâcher, encore, encore et encore. À défaut de goûter le sang, je me plairais à admirer le vilain violet qui peindrait le canevas de sa peau à saveur de sueur, salée, familière. Je la violentai donc, fracassant gentiment mes dents, balayant brusquement ma langue, jusqu’à ce que l’abus me semble suffisant, convenable, y mettant fin par l’intermédiaire de paroles soufflées, murmurées.

« Je faisais le chat dans l’eau. C’est très différent. Firstly, il fait pas de ‘o’ obtus avec sa bouche,  secondly, il les mange, les carpes. Et thirdly, il lave le rônin intemporel. Nya. »

Nya.

J’appuyai une pommette sur son épaule couverte, la droite, sondant les parcelles ébène de ses cheveux qui entrecoupaient le ciel gris comme des tâches d’encre, comme cette feuille brouillée de noir qui me racontait, lorsque je regardais sur mon mur à l’Académie, que l’absence de couleur les enfermait toutes et que seule la convergence, le blanc, arrivait à lui échapper. Ils se magnifiaient. Souhaitais-tu toujours me magnifier, Litchi ?

Tu étais pourtant si beau en bleu, le noir t’étoufferait, t’éteindrait, comme le goudron se heurtant aux océans, ou la fumée des usines se heurtant à ton ciel. Une calamité virulente. Tu magnifiais davantage en surplombant le monde et l’espace, chaque visage, chaque cœur, chaque cerveau, roulant le temps entre des empreintes digitales, l’accélérant et le stoppant comme bon te semblait.

L’immatérialité. L’intemporalité. Comme le chat que j’imaginais déjà se dresser sur l’un des murs de l’appartement de Yume, criard, gigantesque et très absolument souriant. Les traits talentueux de Zakuro le rendraient assurément vivant, ses dessins vibrant de la vie que j’osais croire mes écrits possédant, trop orgueilleux, toutefois, pour daigner les montrer à autre chose que mon Cheshire en peluche. Je n’avais besoin que de mon unique confirmation, après tout.

Néanmoins, tranquillement installé contre sa forme, regard heurtant la monotonie du décor, de manière moins connexe qu’avant son arrivée, plus détachée, je considérais vraiment faire basculer ce félidé de couleurs, aux dents tranchantes d’âmes hurlantes, dans la réalité. Un blason, un emblème, un symbole.

« On peut peindre le chat chez Moonbeam. Rose, violet, gris avec des yeux d’un blanc lunaire. Dans le salon, ce serait chouette. Et on peindrait un jardin de roses à demi-colorées dans la salle de bain, avec l’esquisse d’une séraphine de feu coincée dans les ronces. »

Un sourire à la pensée qu’il pourrait bien le faire, presqu’aussi facilement que j’enfilais des vêtements. Et puis, si la peinture s’avérait inaccessible à son art, nous pourrions faire appel à l’ange ingénue, Dawkins et son évolution fourbe, pour remplir les traits crayonnés de beauté. Je mettrais mes talons et mes lentilles rouges, dédicaces pour l’occasion.

Je soufflai encore un rire, toujours un rire, à l’image, à l’exaltation, au fait d’être l’insoutenable légèreté, et attrapai sa joue du bout de mes ongles peints, portant à nouveau mes lèvres contre les siennes en contact profond, excessif, gardant les yeux grands ouverts pour m’accorder le luxe de sonder ses iris. Je préférais garder les yeux ouverts pour mieux le dévorer, l’assembler. Absolument.

« You’re mine. »

À moi, à moi, à moi. À moi. Une réaffirmation constante, sucrée, amère et pigmentée d’outrance et de jalousie verte, de sagesse jaunie et de mine, mine, mine, you fucking you. Je t’ai construis, je t’ai érigé, je t’ai trouvé, tu m’appartiens et je ne te laisserai pas partir, jamais. Si je te perds, je franchirai espace et membranes surnaturelles pour te retrouver, tu es à moi.

Je soufflai sur son visage, soufflai la vase salissant ma peau, et le salissant lui aussi par mon intermédiaire, ouvrant et fermant lentement les yeux, posément. Revenant au constant de base, surmonté d’une interrogation, à la couleur de la victoire, chaude, heureuse. Je la sentais, ancrée tranquillement dans mon abdomen, lovée et rassurante. Une teinte célébrée qui me semblait plus alléchante dans la perspective où elle avait auparavant vécu dans l’existence d’un humain, inconnu à mon parcours, mais foulant tout de même un sol japonais non-loin du mien.

« Je me demande avec quelle couleur ton adversaire a remplacé celle que tu lui avais volée. »

Recrudescence. Les gens évoluaient, malgré la stagnation dans laquelle ils s’enfermaient souvent, évoluaient et fleurissaient, s’adaptaient. Recrudescence, plus souvent trouvée dans un sentiment que dans des flammes, basculant tout de même les visages en quête de changement, d’un renouveau qui laisserait leur existence bifurquer dans une nouvelle direction. Une pensée pour Yui, mirage et empereur de son monde de verre, une pensée pour ce garçon à la batte, dans le métro, qui n’avait pas hésité, agissant sur l’impulsion, une pensée pour cette gamine dont le père avait été abattu vicieusement, tué par un jugement brutal.

Je clignai des yeux, m’écartant de Zakuro, farfouillant le centre de ma lèvre inférieure de ma langue, lorgnant le monochrome, le gris, l’eau sale, le pont détruit.

« Viens. On va sonner à la porte des appartements du coin, savoir si quelqu’un voudrait bien nous donner un peu de peinture ou des colorants quelconque. »

Parce qu’on accepterait de filer des trucs à un inconnu couvert de merde et son copilote baraqué arborant un hakama taché. Sans parler du sang et des lèvres rougis qui ne dissimulaient pas grand-chose. Je souris, gloussant tout haut, rouge, bleu, blanc, violet, vert. Bien sûr qu’ils accepteraient. Nous saurions nous montrer convaincants.

N’est-ce pas, hm ?

Absolument.
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Mer 31 Juil - 13:31

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Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea
Mine, mine, mine, mine, ciel, ciel, immatérialité, toi.

J'avais gagné, et je l'avais annoncé. Mais ce n'était pas dans dans l'optique de briller de cette couleur que je voulais simplement tenir entre mes mains, sans l'étaler sur mon front. C'était une couleur que je voulais partager, parce qu'elle filtrait mon cristallin dans une nuance différente à une autre, ni meilleure ni pire, mais appréciable dans mon humeur. Une couleur qui me faisait me sentir mieux que si j'avais été dans une continuité de défaite d'un improbable combat.  Elle marquait la fin d'un temps devenu trop scolaire, et l'achèvement de cette supposition qui se bordait de dogmes démagogiques. Une couleur qui avait pulsé mes mouvements, qui avait éclaboussé le coup final, et qui avait heurté celles de la défaite, dans un camaïeu s'harmonisant avec soin. J'avais couru, franchissant la ville dans un mélange de formes qui rutilaient sous les éclats de couleurs leur correspondant et cela s'achevait dans l'éclatement de ces couleurs qui se noyaient toutes entre elles pour ne former rien de plus intouchable, insaisissable que l'immatérialité.

Et les mèches blanches tournoyaient, tâchées par la vase. Le blanc, le blanc qui se salissait et que j'accueillais dans mes bras, contre le bleu d'un vêtement se voulant traditionnel, d'une armature légendaire d'un besoin scolaire de rechercher l'illusion d'un passé qu'ils ne comprenaient pas, ces organisateurs de tournois trop faibles, trop inintéressants. Les adversaires étaient bons, mais dénués de ce que je cherchais.
Bonjour, toi.

Mes bras se refermèrent sur son corps, et j'accusais le coup de ce souvenir dans lequel j'étais nettement plus grand que lui. Tu avais grandi, Chess, depuis la fontaine, depuis le genou. Je refermais mes mains sur ses omoplates, cherchant une prise à son corps trop pointu, pour l'accrocher totalement de mon regard, l'englober tout entièrement, cette immatérialité qui ne se saisissait pas. Le détail des couleurs que son blanc amusait : le orange et le turquoise, sur ses mains, à l’extrémité de ses doigts, tachant ses ongles avec une précision qui ne me faisait que me heurter à ses yeux, fasciné comme l'est le papillon par les flammes. Chaque lentille était un jeu qui me laissait spectateur et stupéfait de le voir s'approprier ainsi les couleurs qui paraissaient sur son corps.

« Ta couleur, tu l’as créé ou tu l’as volé ? »

Volé, bien évidemment. Elle avait été notre possession à tous les deux, et à partir du moment où nous nous rencontrions dans l'optique d'un combat, c'était pour s'arracher cette victoire qui ne se divisait pas, justement. Elle était à lui comme elle était à moi, mais parce qu'elle était à lui, je lui avais ôté pour la faire mienne.

« C'était un combat scolaire. Je l'ai volé. À pleines mains. »

Je cherchais son oreille, son tympan, cet accès de ma voix à sa cognition, pendant que ses mains traçaient sur mon corps les dessins qui me faisait me perdre dans le frisson de son existence. Hah. Ses doigts ouvrirent les pans du vêtement sur ma poitrine, et je cherchais l'équilibre vaseux du support nous servant de sol, pour ne pas tomber sous les mouvements effectués.  

« Ce n'était pas un combat important. Ce ne sont plus des combats importants. Je vais arrêter le kendo,  mais je voulais gagner cette compétition. Alors, je l'ai volé, parce que je n'y accorde plus d'importance. Oh, je voulais t'offrir cette couleur, parce que... Heh ! Arrête ça ! Hey ! »

Éclats de rire, sa main ayant laissé place au muscle visqueux et pâle résidant au fond de sa bouche. Sa langue arpentait les reliefs d'un baiser qu'il avait  apposé avec le pourpre de nos lèvres sur mes chairs. Je riais, ululant sous la sensation trop tactile  et la tension de mon corps à la fois trop raidi et si parfaitement apaisé face au geste.  Je riais, déconcerté, déstabilisé, pendant une seconde mais satisfait pour l'éternité qu'il existe et qu'il soit ce qu'il soit. Satisfait de l'idée qu'il puisse être en train de tapisser la surface de mon derme d'une salive transparente dans laquelle s'emprisonnaient les pigments pourpres de mon sang barbouillé dans le creux de ma gorge. Je serrais mes doigts sur les os si fragiles, si humains, dans l'idée de calmer mon rire, de le retenir de me faire rire, mais il monta jusqu'à dans la gorge, et à moitié déséquilibré par l'instabilité d'un sol dont la surface ne jouait pas en la faveur de notre position debout, je m'esclaffais, continuant à le tirer hors de l'eau.

« Je faisais le chat dans l’eau. C’est très différent. Firstly, il fait pas de ‘o’ obtus avec sa bouche,  secondly, il les mange, les carpes. Et thirdly, il lave le rônin intemporel. Nya. »

Et nous atteignions finalement la sortie de cette eau trop sombre pour que je ne puisse m'y plaire réellement, si ce n'était autrement que par le fait qu'elle ait été le berceau de notre rencontre en ce jour, et qu'elle était le point de départ, cette fois-ci. Je pensais à la fontaine de la dernière fois, et ce parallèle avec le point d'eau. Mes lèvres esquissèrent un sourire, se drapant de l'amusement de cette carpe qui flottait gracieusement dans mon esprit, nuançant mes pensées par les éclats de lumières de ses écailles froides, trop froides, si froides... Le chat rose revint, plus amusant que jamais à imaginer, posé sur une surface que je voulais être un mur.  De la peinture plein les doigts, les joues roses, les mèches de nos cheveux peut-être saupoudrées par les flocons de peinture. Des flocons qui tourbillonnaient, et qui me faisaient penser à une pensée qui restait inaccessible : une pensée, un souvenir qui m'échappait, mais qui me semblait pourtant si proche, collé à ma peau.

Le chat était évidemment très différent de la carpe, Kohaku. La carpe était le symbole du phallus, et cela ne te correspondait absolument pas : c'était trop attaché à la réalité, trop enraciné dans quelque chose qui ne me plaisait même pas à moi pour que nous puissions seulement le supporter. Tu étais le chat, le chat souriant, et pour ceux qui crachaient dans ton dos, j'avais entendu le nom des animaux dont tu te jouais à porter l'identité. La vipère, l'hermine... Il déposa sa mâchoire contre mon épaule, et j'abaissais mes yeux sur sa carotide tendue, mes doigts venant en effleurer la ligne exhibée. Dans une inspiration lente, je soulevais ma poitrine, pour le plaisir de la sensation de le sentir légèrement soulevé contre mon corps.

« On peut peindre le chat chez Moonbeam. Rose, violet, gris avec des yeux d’un blanc lunaire. Dans le salon, ce serait chouette. Et on peindrait un jardin de roses à demi-colorées dans la salle de bain, avec l’esquisse d’une séraphine de feu coincée dans les ronces. »

Je n'écoutais qu'à demi, concentré sur son visage, sur les lèvres qui souriaient à moitié. Ce sourire. Ce sourire qui m'obsédait.Absolument, nous pourrons aller chez Yume. Absolument. Je souriais distraitement. Elle serait ravie de me voir, l'adorable enfant armée contre ma personne, dévastatrice de mon existence. Elle me frapperait avec ses armes de ménagère, et je périrai sous les coups d'un poêle. Ce serait charmant, n'est-ce pas ? Mes doigts glissèrent, mes bras arrondissant la position dans laquelle il se tenait, assurant ma tenue, la sienne, notre gestuelle à moitié campée dans la réalité du monde, à moitié enracinée dans quelque chose d'autre, qui n'appartenait qu'à nous. Mais en tellement mieux que les banalités des histoires d'amour. Pas de banalité, pas de normalité, pas de règles, pas de limites, pas de loi, pas de. La possession. Sa possession. La mienne.  

Sa bouche conte la mienne dans un baiser devenu violenté par l'intensité que je lui accordais, l'importance venue s'installer entre nos lèvres. Et ses yeux ouverts, grands ouverts, comme des lucarnes fixés sur moi, mes doigts se crispant dans ses mèches tâchées, contre sa nuque, tandis que je noyais un rire au fond de sa bouche, plissant mes yeux sur les courbes de mon gazouillement. Je riais, l'embrassant, encore, encore, mille fois encore. Embrasse moi. Encore, encore, et quand tu ne le feras pas, tu seras là, toujours. Je ne te lâcherai pas des yeux, Chess.  Je ne te lâcherai pas, car je l'ai hurlé de mon âme, de ma violence, de mon désir, de mon besoin, de mon corps, de mon cœur. Je l'ai hurlé, tu es mien.

« You’re mine. »

Ascensensorialité, absolument. Le néologisme nécessaire pour expliquer mon sentiment, je respirai la cassure de ce baiser, mes lèvres réclamant cette phrase que je hurlais en silence. Tu es mien, tu es mien, Kohaku Joshua Mitsumasa, Chess, tu es mien. Mien, mien. Je te le répéterai à l'infini, et tu me répondras l'inverse, l'opposée de cette réponse assurant que j'étais tien. Construction de tes mots, de tes actes, de tes dires, j'étais tien, et je ne le reniais pas, jamais, mais tu étais mien.  L'ascenseur du sentiment, de la sensorialité, dans mon corps, dans ma poitrine, je m'étais figé sur un souffle, sur une respiration, que je repris doucement, la récupérant comme l'on referme ses doigts sur la main d'un ami. Continuons à marcher ensemble, vie, pour continuer à être ce que nous voulions être.

« Je me demande avec quelle couleur ton adversaire a remplacé celle que tu lui avais volée. »

Je lui répliquais un sourire. Au final, le mot « vol » serait revenu fleurir ses pétales moqueurs sous ta langue, hein Chess ?  Et si je t'avais dit que je l'avais créée, cette couleur ? Que j'en avais assemblé les pigments par chaque geste, chaque respiration, la mienne et celle de mon adversaire. Il n'avait pas été mon ennemi, durant ces instants de chorégraphies brutales et dictées par l'instinct du corps. Il n'avait pas été mon ennemi, et aucun d'entre n'avaient été mon ennemi. Le seul à prétendre à ce rôle là, je l'avais couché sur le sol du métro, mes lames dans ses poumons. Il n'y avait pas de haine, dans le combat de kendo. Il n'y avait pas de haine, et il n'y avait plus ce que je cherchais. J'arrêterai de pratiquer le kendo de cette manière. La voie du sabre ne s'ouvrait pas au respect scolaire d'un club sportif. J'avais répondu que je l'avais volé. Qu'est-ce que tu aurais fait, si je t'avais dit que je l'avais créée ?

« Si je le recroise, je lui demanderai pour toi. »

Moment d'imagination, puis quelques pas.« Viens. On va sonner à la porte des appartements du coin, savoir si quelqu’un voudrait bien nous donner un peu de peinture ou des colorants quelconque. »« J'embrasserai ce quelqu'un, ricanais-je. Parce qu'il sera sans doute une personne assez exceptionnelle.  

Ou alors, ce sera simplement un beau malade, n'ayant aucune considération pour le jeu, et répondant par un désir de sociabilité. Ou peut être qu'il t'aura trouvé sexy, sur le coup, couvert de limon... »

Laissant un large sourire s'étaler sur ma face, je posais mes yeux sur son raton-laveur barbouillé par le gris de la mare, le rose des lunettes noyé sous les couches d'une crasse végétale et assombrie par la pourriture. Peut-être que si cette personne existait, elle serait une Alice. Ce genre d'Alice que j'avais critiqué dans le métro ? Tout le monde était une Alice, à partir du moment où existaient déjà les autres personnages, n'est-ce pas ?

 « Il faudra que tu me lises Aliss, un jour. Si ça te tente. »

Et puis le souvenir me revint, quand je me mis à penser à cette idée du Québec que j'avais. Cette idée de neige qui tourbillonnait sur le fond d'un ciel noir, et d'un paysage déchiqueté par ses montagnes si différentes d'ici. Un endroit à caribou, où le sucre se cultivait dans des arbres, et où on mangeait des frites en les appelant autrement. Un pays dans lequel il y avait l'auteur d'un livre, qui avait écrit un livre, et ce livre qui avait fait un saut dans le temps, dans l'espace, dans la dimension sociale, pour devenir quelque chose que je ne cherchais pas particulièrement à définir. La pensée me revint, parce qu'elle était associée au flocon, mais pourtant si différente, et elle me figea sur place, le temps d'une demie-seconde, le temps que j'entrouvre mes lèvres, puis que je me remette en marche, en mouvement enthousiasmé, venant sourire au vent.

« Oooh, j'ai une nouvelle ! »

Une nouvelle ridiculement enthousiasmante pour moi : du même niveau qu'un enfant ayant reçu une carte de collection rare et cherchant à l'exhiber fièrement. Ignorant le regard que posèrent les premiers passants sur nous, ignorant leurs commentaires, dans un changement perceptible de mes foulées qui devinrent plus excitées, plus bondissantes, je tendais les mains devant moi, pour transposer l'idée sur le support de l'oxygène autour de nous, mes yeux s'incrustant sur les détails de l'invisible, cherchant la meilleure manière d’amener le sujet, d'expliquer avec précision le détail, mais en étant capable, aussi, de transmettre à Chess ma joie, mon ravissement, mon plaisir enfantin. La bouche ouverte sur une explication qui ne prenait pas de structure correcte dans ma tête, je balayais des yeux les trottoirs que nous foulions, et puis mon regard se posa sur une Suzuki, à l'arrêt, à quelques mètres de nous. Un sourire ravi fendit mon visage, et je la désignais : « Moto ! » Le mot sortit d'entre mes lèvres, rempli de tout ce que je voulais, et je me stoppais sur place, crispant les poings dans le sentiment brusque d'une joie euphorique

.« Oui, oui, oui, pépiais-je en sautillant sur place. Une moto ! Je n'étais pas sûr d'avoir le permis, donc je ne voulais pas tellement en parler, mais comme je l'ai, j'ai le droit de crâner, hein ? »Je riais, souriais, marchait comme un gamin, amusé, ravi, excité, et, chose étonnante, en proie à une sorte de timidité, d'avidité de la chose. « Comme je n'étais absolument pas sûr de réussir, je n'avais rien dit. Je pense que Senta se serait sérieusement foutu de ma gueule, et Kojiro m'aurait imposé ses cours sur les règles et sur la rigueur de l'apprentissage, et ç'aurait été une épreuve assez dure à surmonter, sérieusement... BREF. »Je vins épingler sa poitrine, tapotant sur son plexus solaire du bout de ma phalange, lui balançant un sourire doux, mes prunelles fendues dans un éclat doucereux.

« Le savais-tu ? Les samuraï ne pouvaient avoir de chevaux de leur propre chef. Il fallait qu'ils en informent leur seigneur, si ce n'était les seigneur eux-même qui le leur passait. Le chien docile que représentait le samuraï n'avait pas le droit de savoir se déplacer où il voulait, quand il le voulait. La corde autour de son cou était mesurée. »

Ma phalange se fit moins accusatrice, plus douce, et je vins effleurer une clavicule proéminente sous cette peau étirée au dessus des os trop pointus. Ma fascination pour ces os qui promettaient presque en hurlant de déchirer cette peau qui ne s'étalait que trop sur ce squelette anguleux. Une peau étirée comme de la pâte à crêpe trop mince, sur un arbre aux branches mortes faisait la vision la plus approchée de ce que je voyais du corps de Chess. Mais indubitablement, cette anatomie me plaisait.

« La moto est peut-être l'élément moderne qui me fascine le plus, en vu de ce qu'elle est, de la sensation qu'elle fait remonter jusqu'à dans ton ventre, et pourtant, de cet enracinement indistinct à une réalité qui ne s'établit pas. Autant je n'envisagerai jamais passer mon permis voiture parce que cela va à l'encontre de ce que je crois, autant la moto est quelque chose qui ... »

J'abandonnais des mains son corps, me laissant trop obnubilé par l'angle de son os.

« … transcende. Quand j'étais petit, j'ai souvent rêvé de Musashi sur une Honda Transalp. »

L'instant d'un silence me permettant de me perdre dans cet anachronisme qui vint envahir ma tête, puis je saisissais les joues de Chess pour déposer un baiser sur son front, mon pouce insistant sur le coin de ses lèvres, de ses sourires qu'y devaient s'y cacher par milliers. Je m'élançais vers la première épreuve, la première porte sur notre droite, et me concentrant sur la première porte chiffrée impaire, allais frapper au panneau de bois noir d'une résidence bon marché. Après quelques instants de non-action, la porte s'ouvrit finalement sur un petit monsieur d'une quarantaine d'année. Relevant jusqu'à mon visage un regard passablement correct, les sourcils froncés, il m'étudia avec un soin grave, ses lèvres closes en une figure stricte.

« Bonjour monsieur. Excusez-moi de vous déranger, est-ce que vous pourriez nous passer de la peinture, s'il vous plaît ? »
« Je n'ai pas le temps, au revoir. »

La porte se referma en un claquement sonore, et je me retournais vers Chess, haussant un sourcil désabusé, faisant demi tour, et revenant vers lui, un sourire un peu triste sur les lèvres, me perdant dans le constat triste de cette première réaction.

« Bien. C'est un échec concluant quant au premier essai. »

Dans un glissement de regard, mes yeux vinrent accrocher le mouvement de volet d'une main qui disparut rapidement de mon champ de vision, tandis que la voilerie légère et blanche du rideau vint battre une mesure douce, puis s'immobiliser finalement contre la fenêtre. Les reflets d'une luminosité trop importante m'empêchaient de voir si le quarantenaire s'était caché, ou s'il était resté caché derrière sa vitre, à nous contempler sans craindre que nous lui rendions son regard. Je souriais à Chess.

« Si on ne parvient pas à récupérer de la peinture à Keimoo avant une heure, je te kidnappe et je t'emmène dans les montagnes. Il y a la couleur verte, que je voudrais qu'on essaie d'attraper, là bas. Par là-bas, j'entends la région du Kento. Tu as déjà entendu parler du mont Nantai, de la préfecture de Tochigi ?  »

Soulevant les mèches venues s'humidifer lors de l'étreinte de Chess, je tirais un lacet bleu hors de ma veste, et ramenant les cheveux en un chignon épais sur le haut de mon crâne, attachais ensemble les mèches sombres, posant mes yeux sur Chess.

« Récapitulons. Gris sale, dans le petit étang du parc, rouge sang, bleu, blanc, immatérialité, et couleur victoire. Nous sommes à cinq couleurs pour le moment. »
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Mer 31 Juil - 13:32

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Kohaku Joshua Mitsumasa

Kohaku Joshua Mitsumasa
À s’y prendre comme je m’y prenais, avec des paumes et des lèvres trop voraces qui sillonnaient sans tenue, retenue et détenue la moindre surface, quitter la quiétude morne du parc de Bougu, berceau de mon arrivée dans l’Orient, gouffre de gris béant et de souvenirs qui se perdaient dans les filaments d’or des chevelures de deux individus, promettait une fatigue ardente qui laisserait s’écrouler les corps lorsque le soleil se recroquevillerait derrière l’horizon. Si mes intentions se profilaient dans l’apposition des divers coloris qui composaient mon intérieur sur l’immensité du monde ( régurgiter les couleurs avalées, vomir les couleurs dérobées ), elles sous-entendaient une consommation des fluides arc-en-ciel qui tremblaient dans l’atmosphère des êtres, ces âmes dans lesquels je mordais à pleine dents dans le seul but de sustenter mon immatérialité par leur matérialité, par tout ce qu’ils renfermaient.

Des couleurs partout. Certaines qui naîtraient de mes doigts, de mes yeux et de ma langue, vibrantes d’audace et d’irréalité, d’autres qui émaneraient d’ailleurs, des trophées reconfigurés en mieux, semés aux quatre vents pour être de nouveau consommés plus tard lorsque le temps et les gens les auraient brusqué de leur recrudescence, les auraient changé.

Lui demanderais-tu vraiment, Zakuro, à ce garçon barbouillé de défaite, ce qu’il avait trouvé pour remplacer ce que tu lui avais subtilisé ? Advenant que tu le recroises et que la question déboule hors de tes lèvres, de quelle manière se présenterait-elle ? Se ferait-elle reine de la désinvolture, désintéressée et hasardeuse ou  évêque des secrets, murmurée et tentatrice ? Glisserais-tu tes doigts le long de la courbe  de sa gorge en l’interrogeant, fractionnant le bleu éthéré de tes yeux derrière le rideau sombre de tes cils pour mieux lui imposer ta sature ? Moi, je le ferais, mais du noir se perdrait dans du noir, l’ébène de mes cils s’avalant dans le néant de mes iris, et mes doigts glisseraient jusque dans le creux de ses clavicules inconnues pour mieux les serrer et je lui murmurais, je lui murmurais, dis-moi tout. Dis. Moi. Tout.

Ma langue barbouilla ma lèvre inférieure de sa présence et mes cils s’entrechoquèrent sur ma ligne d’eau. Dans l’apposition de ce que nous étions, il était ce colosse aux prétentions archaïques, refaçonné dans une absence de moule, entre des paumes translucides qui étaient devenues le berceau de son évolution, de son état stellaire. D’anciennes retombées s’écoulaient parfois d’entre le coton aérien des nuages, de vieilles paroles remplies de banalité, des gestes contenus qui se heurtaient trop durement à la réalité, et, dans ces moments je le fixais, silencieux, pour mieux contempler les restes de son humanité.

Cette humanité que j’observais actuellement sourcil levé, lui assénant mentalement le constat que la personne qui nous ouvrirait la porte ne serait que ce qu’elle était, un pigment non-descript dans un jeu qui se jouait à l’échelle universelle et qu’un regard ne suffirait pas pour la dévorer, pour voir à l’intérieur. Peut-être serait-elle exceptionnelle, peut-être serait-elle malade, peut-être me trouverait-elle sexy, des peut-être sucrés, des hypothèses à la volée. Mais rien que des peut-être qui, comme des têtards gigotant dans l’eau, se regroupèrent au bord de mes dents pour être prononcés en une phrase nette.

« Je suis toujours sexy. »

Phrase sourire qui transplana dans l’air au même moment où le nom d’Alice résonnait, un engrenage de quatre mots s’évaporant dans le néant,  quasi-inaudible, célébrant ses obsèques au moment précis de sa naissance. La couleur de la finalité virevoltant un instant contre ma rétine, insaisissable, rapidement effacée par le renouveau qui s’installait. Par le souffle d’Alice grillant mes synapses. Une nouvelle phrase,  puis nous avancions, quittant les décors grisonnant du parc pour nous aventurer dans ceux de la conurbation locale. Des immeubles gris, toujours les mêmes, qui malgré la couleur qui rayonnait près de moi, bleu, violet, victoire, me remplissaient toujours autant de ce sentiment désuet, me donnaient toujours autant envie de les voir s’envoler en flammes. Jaunes, orangées, rouges.

Il faudrait me contenter de les peindre avec les teintes que nous trouverions qu’il s’agisse de la peinture obtenue ou des babioles que nous trouverions sur notre chemin. L’idée de barioler les murs des lieux publics ne me déplaisait pas et j’appréhendais avec ardeur le moment où je pourrais tremper mes doigts dans une gouache quelconque pour troubler le gris désopilant de la ville. Je peindrais des univers alternés, passant de mon pays des merveilles à celui de ceux qui ne se l’étaient pas encore imaginé.

Tressautement. Et quelqu’un appellerait la police, peut-être, et après réflexion, cette journée ne pouvait qu’être intéressante.  Je ronronnai, perçant une énième fois la silhouette de Zakuro du regard, observant le rônin intemporel me parlé, regardant d’abord ses lèvres se mouvoir, ses yeux pétiller, avant de m’accrocher au sens des paroles qu’il prononçait. Une . . . moto ?

Mes yeux suivirent les siens jusque sur l’un des dit véhicule à deux roues et je le contemplai distraitement, critique, songeant à demi qu’il m’apparaissait étrange de voir le ciel chevaucher quoique ce soit. Que serait-elle ? Une étoile filante égayant son immensité, un météore traçant sa course au cœur de sa gravité ?

« De quelle couleur la veux-tu ? »

Parce que dans mon vaste petit monde de perceptions, l’apparence du tas de ferraille qu’il obtiendrait adoptait des tons d’importance capitale dans mon esprit. Ce serait un véhicule que j’utiliserais au travers de lui, non ? Que je m’approprierais avec ou sans son consentement, de la même manière dont je m’étais approprié sa personne et tout ce qui l’entourait. Ses vêtements, ses amis, ses croyances, sa vie. Après tout, il était mien jusque dans la racine de ce qui le composait. À moi.

Mine. Indubitablement.

« Je suis certain que tu vas en prendre une noire, hm, that sure seems like something you would do. Tu me laisseras la décorer, juste un peu ? With your blue. For your blue. »

Il sautillait, soudainement retombé à l’âge primaire, ses gestes respirant cette excitation propre aux enfants qui dénote une joie débordante. Un enfant émerveillé et dépassant les deux mètres, gambadant d’une manière telle que sa silhouette n’empêcherait personne de lui demander s’il avait perdu sa mère. Je ricanai, le sourire qui s’était ancré comme une perpétuelle présence sur mes lèvres s’accentuant quelque secondes avant de s’adoucir. Pour lui. Et pour cette exubérance ravie qui venait brouiller les contours monochromes de la rue et des bars devant lesquels nous passions.

J’agrippai son doigt lorsqu’il vînt le déposer contre mon plexus solaire, glissant un ongle sur sa longueur et ne cherchant pas à me perdre dans ses prunelles, mais y arrivant tout de même. Son bleu me percuta comme à chaque fois, enrouant mon souffle, engommant mon cœur, et je me surpris à ne pas me lasser de cet aspect répétitif de mon existence, à ne pas détester l’idée de m’enraciner dans le descriptif de la sensation que ses iris me procuraient. Le ciel, sans le moindre doute, éternel, infini, immatériel. J’entrouvris les lèvres, stoppé dans mes mouvements, mes jambes s’immobilisant dans ma contemplation de son être, mon attention se focalisant sur tout ce qu’il représentait.

L’entièreté du monde dans ta loupe. Mon rônin, toi. Regarde-moi, regarde-moi toujours. Perce ma transparence de tes pupilles. Effraye-moi d’un papillonnement de tes paupières.

Parfois, le sais-tu, je me demande de quelle manière tu me vois.

Je suivis son mouvement jusque sur ma clavicule, baisant ses mots des yeux, reconvertissant métal et roues en chair et os, le spectre imaginé d’un cheval remplaçant la vision du motorisé. Je l’entendais hennir et les véhicules qui nous dépassaient adoptaient dorénavant les contours de caravanes menées par des bœufs. Nous échangions de place avec l’archaïsme de l’époque de ses convoitises. Musashi disparaissait, cuisses pressées contre la coque luisante d’une moto et Zakuro déambulait, armé de ses wakizashis, sur les terres d’un Japon trop vieux pour que je cherche à m’y intéresser la plupart du temps.

Un moment passa durant lequel je lui lançai un sourire suffisant, inclinant mon menton vers le bas pour pouvoir l’observer au travers de mes cils. Dans ma tête, les bovidés mastiquaient du fer et les véhicules à moteur carburaient à l’herbe fraîche, les deux tranches d’âges entrant en collision sans que je n’arrive à considérer appartenir à l’une ou à l’autre.

Il ne leur appartenait pas non plus.

« Mais . . . tu n’es pas un samurai, tu es ce rônin qui s’est détaché de la terre et du temps, tu es le Ciel. Tu choisis pour toi-même. »

Ose me contredire.

Les calleuses de ses paumes contre mes joues m’obligèrent à dresser l’échine en une ligne droite que le contact de ses lèvres sur la peau et les mèches encore humides me collant au front se chargea vite de rompre. Aussitôt déposait-il son baiser qu’il se retirait, que mes épaules s’affaissaient et que mon dos se courbait dans la poursuite inconsciente de son contact. Il filait vers l’entrée de l’une des maisons et je perdais pied à demi, me blottissant contre  du vide.

Je le suivis du regard, oscillant entre agacement et fascination, tel un chat qui dédaigne son détenteur tout en cherchant un moyen de lui quémander plus de nourriture. Obnubilé par le goût de son âme contre ma langue, énamouraché de sa prestance qui me portait souvent à des niveaux non-explorés de mon répertoire émotionnel.

Transcendant.

Peut-être la moto le serait-elle, s’il la montait.

Juste peut-être.

Dubitatif, je m’approchais, me faufilant sur le trottoir pour remonter jusqu’à la hauteur du guerrier stellaire au même moment où un homme à l’expression austère ouvrait la porte de la résidence sélectionnée comme première candidate pour notre mission colorée. L’échange, si l’on pouvait appeler cela un échange, fut bref et se solda par une porte claquée sous nos nez, ainsi qu’une absence flagrante de peinture ou de couleur quelle qu’elle soit. Je fronçai légèrement des sourcils, vrillant la cloison fermée d’un regard bouillonnant.

Zakuro parlait d’un échec et le bouillonnement de mes prunelles prenait la forme d’un rire sifflé, amusé qui s’écartelait et se mutait posément en un fracas monstrueux  ( ne m’avais-tu pas considéré être le Diable, Hell, darling ? ), en un hurlement qui se désaxait en des angles aigus, montant en écho dans la rue et dérangeant assurément la plupart de ses locataires.

Je placardais mon effervescence contre la moue désabusée de Zakuro, martelant de ma voix, de la transparence qui coulait hors de mes pores le radar auditif des humains à portée. Ma peinture se créait du vide, se déversait à partir du néant. S’il refusait de m’en octroyer une forme matérielle, je pouvais toujours m’accorder le droit de lui manifester sa présence en usant de ses autres sens. Les limites de la vue n’étaient pas celles de l’ouïe et pullulaient maintenant dans le cerveau de cet homme les teintes de l’agacement et du jugement.

Ce fut dans une toux rauque, asséchée, que mon hurlement s’éteignit et que je me tournai, raclant allègrement ma gorge, dans la direction de Zakuro pour le fixer, les yeux plissés, le sourire large.

« Je crie aux loups parce qu’il ment. Il ment parce que je l’ai décidé.  »

Parce que c’est évident.

Coulante de sophismes, une manifestation de logique gauchère qui présentait la mauvaise joue et qui regardait les paupières fermées. Je l’avais décidé et Zakuro souriait. Comme la couleur de la fin s’était estompée pour retourner se vautrer dans mon estomac, celle du jugement s’en allait, remplacée par une acceptation prometteuse, débordante. Il proposait comme un garçon qui cherche à tester les eaux d’une machine qui ne tinte pas d’une manière qu’il sait prévisible, me proposant une heure, une échelle de temps, alors que j’aurais probablement préféré qu’il prenne sans demander, qu’il oublie les minutes pour placarder ce que je l’avais réalisé être.

Oublie le temps, le temps n’existe pas.

Tu es intemporel.

« Les couleurs du monde au péril des couleurs de l’humain ? »

L’interrogation n’était qu’un déguisement qui servait à jouer un peu avec la notion de oui que je sous-entendais sans trop vite le dire. Un amas de mots dont je n’aurais pu réellement expliquer la signification, sorti sans réflexion, dans un assentiment d’une suggestion qui me convenait à moitié. Nous n’avions pas vraiment besoin d’attendre une heure, right ? Non, pas vraiment. Absolument pas.

Le bleu du lacet qu’il avait utilisé pour attacher ses cheveux s’éclairait lorsque la lumière grise qui parvenait à percer le couvert des nuages le heurtait, égayant l’encre sombre de ses mèches, m’obnubilant. Bleu. Pas exactement comme celui de ces yeux. Cela voulait-il dire que nous affichions deux bleus à notre palmarès ? Ce même podiums dont il énumérait tranquillement les vedettes.

Hm.

Oui. Bien sûr que oui. Des bleus par millier que nous engloberions dans une seule catégorie, prévisible, bancale, mais appropriée. Les mots d’affiche deviendraient donc tous des catégories, rouge sang deviendrait tout simplement rouge et contiendrait en son sein l’agacement, l’hémoglobine et les lèvres.

Lèvres.

J’envahis de nouveau son espace personnel, laissant mes mains valdinguer contre sa peau sans ménagement ou retenue, mon index traçant le passage passé de ma bouche sur sa chair, un sourire torve tordant mon visage, illuminant la bordure d’une canine, d’un souvenir récent.

« Six. Il y a le violet sur ta peau, aussi. Juste . . . »

J’appuyai.

« . . . là. »

Je ricanai, papillonnant des paupières à la manière d’un gamin qui veut se faire paraître plus innocent qu’il ne l’est réellement, abandonnant ses clavicules et son cou pour glisser mes doigts dans ses cheveux, grimpant les contours de sa tête, puis m’en éloignant jusqu’à en percuter le lacet. Ou plutôt, jusqu’à en arracher le lacet pour mieux pouvoir le fourrer dans ma poche.

Je l’enroulai autour de mon pouce, ma main dissimuler par le couvert du tissu, mes dents pinçant ma lèvre inférieure dans un mouvement habituée, dans une moue joueuse.

« Emmène-moi, là-bas, à Nantai. »

Aujourd’hui, j’étais le canevas du monde tout autant qu’il était le mien.

Et puis, mes folies gouacheuses pouvaient attendre mon retour dans l’enceinte de l’Académie. Une visite dans le local du club d’art, au creux de la nuit, muni du fidèle passe-partout que j’avais choppé à Swanny me permettrait de barioler mon quotidien ( leurs quotidiens ) de teintes différentes de celles que j’avais l’habitude de voir. Un bris dans ma routine et un peu plus de paperasse sur le bureau de mon CPE favori.

Merci d’avance,  Monsieur Saitô. Je choisirai un truc tout beau pour ton bureau.

Heheh.

« Aller, Za-ku-ro. On s’y téléporte comment, hm, jusqu’à tes montagnes ? »


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Mer 31 Juil - 13:40

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Occupation : Fuir l'ennui avec acharnement.
Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea
Est-ce que je peux disséquer ton blanc pour afficher toutes les couleurs qu'il contient ?



Je voudrais parfois répondre aux mots de chaque phrase qui se répercutaient dans mon appréhension de toi, quand tu parlais ou me regardais. Cette envie d'édifier une capacité supérieure à celle que je ne possédais déjà, pour tendre les doigts là où je posais les yeux sur les vibrations soufflées, ton souffle entrechoquant des syllabes qui me faisaient me perdre dans le constat de leur sens, dans la compréhension de leur présence. Une envie d'affranchir les lois de la physique pour mélanger tes mots à un continuel présent qui coulerait en boucle au travers de mon corps, pour cette structuration complète, totale, de mon observation sur ce qu'il me fallait oublier si je ne faisais que l'écouter. J'aimerais parfois que mon cerveau soit cette éponge qui ne possédât par la moindre limite de la mémoire, pour que chacune des résonances de ta voix soit ensevelie quelque part sous mes tempes. J'y croyais sans doute un peu, appréciant néanmoins cette étrange restauration d'un automatisme qui me faisait te redécouvrir à chaque instant où mes yeux heurtaient ce que tu étais, pour que mon âme toute entière ait envie de se fondre dans ma volonté de te comprendre, toujours.

Tu me laissais sans voix, et tes mots me hurlaient un silence que je voudrais te communiquer, pour qu'en le partageant, tu effleures mon âme et dévore ces sens que je t'offrirais tout entier si je ne possédais cette barrière de chair que tu te plaisais à toucher de tes mains et de tes souffles. Tu me laissais hors d'haleine alors que j'avais esquissé une immobilité calme, et tes mots se faisaient les tsunami de ma perception. Si je ne parlais pas, est-ce que tu saurais lire tous les mots de mon regard ?

Tu es toujours sexy. Oh oui.
Mes lèvres étirées en ce sourire qui cherchait à dévorer tous les sentiments que je ressentais à l'instant, comme pour les concentrer en une bulle qui, dans la compression de l'étau de ma cage thoracique, se ferait ce point de gravitation de mes idées plus légères que notre humour.

Mes lèvres sur ta glabelle, le souvenir trop grisant de cette proximité de nos corps, et cette envie, assurément de te serrer dans tes bras, contre mon buste, par plaisir de ressentir le battement léger, fragile, d'un cœur que tu me cachais sous ta poitrine. Ce cœur-là qu'il me prenait parfois l'envie de simplement écouter pour entendre la manifestation la plus basique, la plus vitale de ton existence, et de ta présence contre moi, sous mon regard. Te savoir en vie, sans crainte ni d'un avant ni d'un après, sans projection aucune du moindre souvenir ni de la moindre imagination, une appréciation de ce rythme binaire qui effrénait le mien, paniquait mes sens, me tuait patiemment de savoir que tu le possédais, mon souffle brisé sur ce constat. De l'adoration, murmuraient mes sens, quand mes yeux fermés cherchaient dans le noir un écho à ton regard.

Le ciel s'éclaircissait.
Doucement, au dessus d'un monde qui s'étalait sans couleurs, les nues se dégageaient d'une toile qui se peignait seule, sans artifice, porteuse d'une beauté ciselée par l'ombre et le soleil. Le vent, messager devenu cavalier effréné au travers des cumulus  qui, se désagrégeant, devenaient des touches pastels sur une surface rendue poreuse par les caresses d'un temps en mouvement.


« De quelle couleur la veux-tu ? »

Je retournais mes yeux vers lui, prenant conscience du poids de son regard, cherchant à apposer le mien contre le sien, avec cette satisfaction, alors, de posséder le noir et le bleu tout à la fois. Cette sensation, dans une élégance de la surprise agréable, de pouvoir lui répondre sans même avoir à lui offrir des mots ; lui répondre simplement en le regardant, en me faisant regarder, simplement parce qu'il me connaissait, du bout des doigts, jusqu'au fond de mes yeux, jusqu'à ces motifs de ses dents sur mes mèches.  Je n'en doutais pas. Des heures et des heures à le regarder, certes. Mais des heures et des heures accumulées, portées au dessus de la tête, durant lesquelles j'aurais pu comptabiliser l'étreinte de ses prunelles contre mes cheveux, ma peau, ou sur mes yeux. Mes yeux, ses murmures sifflants à leur égard plus qu'au mien, et ce sourire distrait qu'il avait parfois, quand je posais mes phalanges sur sa joue ou son épaule, pour le ramener à terre, et détacher son regard de ce que je ne pouvais voir de moi-même. Il répondit, me donnant envie de mourir de plaisir sous ses mots.

« Je suis certain que tu vas en prendre une noire, hm, that sure seems like something you would do. Tu me laisseras la décorer, juste un peu ? With your blue. For your blue. »

Je me détournais de lui, un sourire sur les lèvres. Je t'adore.

« Nope. »

(…)

Un cri, roulement de sons aux glissendi m'offrant la résonance d'une mélopée presque funèbre qui, la porte refermée, m'avait fait me retourner vers lui, avec la prunelle arrondie par une recherche de compréhension de la signification qu'il apposait à son acte, à ses actes, tandis que je revenais vers lui, sa manifestation animale ayant roulée en un rire que j'accueillais maintenant, son visage venant se positionner quelque part contre mon buste, insufflant à ma peau la chaleur qu'il ne dégageait que trop, animal d'un pays froid. Une envie de courber les épaules pour me renfermer dans ce qu'il m'offrait à être : les rôles s'échangeant ; moi dans ses bras, camouflé de la surface du monde par son corps tuant ma présence. Cache moi, des fois. Ses rires se turent finalement, ébouillantés et transformés ; une quinte de toux qui me fit poser sur lui un regard presque inquiet, une interrogation quasi maternelle, un besoin de m'assurer que tout allait bien.

Il y eut des mouvements, tout allait bien, et il se remit à sourire, tandis que j'abandonnais de quelques pas la zone de la maison me refusant la couleur. Ailleurs. Je trouverais bien ailleurs. Chess se mit à sourire, d'un mouvement de ses lèvres qui embrassait tous les reliefs de son hilarité. Je restais pensif : après tout, je pouvais très bien récupérer les couleurs du monde dans celles qu'il avait déjà.

« Je crie aux loups parce qu’il ment. Il ment parce que je l’ai décidé.  »

J'entrouvris les lèvres, dans un souffle surpris, un « oh » murmuré. Une désinvolture contre ma bouche, rampant le long de mon dos, tandis que je haussais les épaules, abaissant mon regard jusqu'à ses paumes, relevant mes commissures en une pointe esquissée de mon sourire, tournant mon visage vers le reste d'une ville que j'envisageais se teindre des ombres de ces loups invoqués par leur simple présence sous-jacente. Une heure, une proposition ; je ne voulais pas interférer dans son jeu, mais l'initiative n'était pas résignée, et son œil se chargea d'une teinte qu'il m'apposa, que je soutins, comprenant néanmoins que mes propositions n'étaient pas assez correctement formulées.


« Les couleurs du monde au péril des couleurs de l’humain ? »

J'eus un sourire d'excuse, préférant garder le silence. Tant pis pour la politesse enfantine, quand bien même un rire jouait déjà son existence dans ma poitrine, et que je balayais des yeux les images d'horloges qui s'étaient installées dans ma tête.  Mais les couleurs persistaient. Alors je murmurais, récapitulais, mes doigts dans mes cheveux, mes yeux contre l'orage de ses iris. Gris sale, rouge sang, bleu, blanc, immatérialité, -haha-, et couleur victoire. Trop peu de couleur, à peine de quoi tracer un trait sur le canevas de sa volonté. Ses yeux, pourtant, avaient attrapés quelque chose que son silence me cachait. Resserrant le lacet, dans un claquement sec, j'abaissais mes bras, observant, attendant, ce qu'il était en train de nourrir dans le remous de ses pensées. Une étincelle, un éclair flagrant mais à l'instant fugitif qui me kidnappait dans sa compréhension de ce qu'il ne me montrait pas, et il ouvrit la bouche, levant la main, capturant ma respiration du bout de ses doigts.


« Six. Il y a le violet sur ta peau, aussi. Juste . . . »

Mon souffle coupé.

 « . . . là. »

Implosion.
L'impact décisif : mes paupières frémirent, se soulevant légèrement pour ce constat d'absence d'agression, et pour ce constat de son œil sur mes lèvres, avant qu'un silence ronronnant ne s'élève de l'intérieur de mon esprit quand ses doigts vinrent trouver mes clavicules, faisant de celles-ci les bienheureuses sacrifiées d'un autel qui s'offrait à la décadence assurée de mes ressentis sous ses phalanges. Un diagnostic :  Les couleurs du monde devaient s'entretenir sous ses doigts ; j'estimais que c'était une nécessité à la journée. Je ne souriais plus, lapidé par le poids que j'accordais au contact brusque, apposé avec délicatesse. Il riait, et sous ses sourcils, il y avait tout un univers qui me laissa un instant pantois, avant que je ne décide de reprendre contenance, fermant une seconde les yeux. Une seconde alourdie par la chute de mes cheveux qui vinrent frapper ma nuque, mes épaules, mes omoplates. Je rouvrais les yeux pour voir le lacet entre ses doigts, ses doigts allant jusqu'à sa poche. Contre ma joue, les mèches brunes avaient une odeur de désinvolture, le vent les balayant contre ma peau. Ah … ses doigts dans mes cheveux était assurément ce qui me manquait le plus quand j'étais seul. Ce qui, par le simple souvenir, résultat d'une situation erronée d'absence, suffisait à me vider des mimétismes de vie.

« Emmène-moi, là-bas, à Nantai. »

Il n'était que très absolument souriant, le nom du mont glissant entre ses lèvres avec cette facilité qui me donnait envie de lui demander de le répéter pour qu'en posant sa bouche contre la mienne, je me permette de lui dévorer les sonorités japonaises de la montagne.

« Aller, Za-ku-ro. On s’y téléporte comment, hm, jusqu’à tes montagnes ? »

Je vins frapper contre son front de ma phalange, soupesant un battement irrégulier contre son os galbé.

« Nous nous y rendons de la manière la plus excitante qui soit. Le train. »

Je me baissais un instant à sa hauteur, pliant mes rotules, mes phalanges chuintant entre elles, tandis  que j'approchais mon visage du sien, désirant alors ardemment me noyer dans ses yeux, tandis que j'entrouvrais les lèvres.

« Le train est un joli endroit pour admirer la palette de couleur, tu ne trouves pas ? »

(…)

Les saccades du train provoquaient ce malaise quotidien d'une difficulté à tenir bout. Les rotules secouées par les branlements d'un mouvement, qui au mieux de nous transportait, s'équilibrait perfidement à cette politique de nous faire tomber. Ayant avisé une banquette victorieusement évidée par le soulèvement du séant de l'homme qui venait de descendre à la station sur laquelle les portes venaient dernièrement de s'ouvrir, et qui l'avait chevauché juste auparavant. Les portes métalliques étaient ouvertes sur un flot humain qui s'enfuyait et s'engouffrait. Mes doigts sur le poignet de Kohaku, je l'avais tiré avec moi pour nous diriger en travers des bras, bustes,  jambes, et épaules diverses, et nous frayer un passage, mouvements brefs mais chaotiques, pour finalement atteindre la banquette de cuir élimé. Comme un ponton jeté sur une marée humaine qui se déplaçait en travers de l'allée centrale, près de la fenêtre, je m'y installais, attirant Kohaku jusqu'à moi, pour l'installer sur mes genoux, des femmes et des hommes venant s'écraser lourdement à nos côtés, dans des bruits matelassées de chair s'affaissant, et le cuir des banquettes expirant sous les masses additionnées. Je balayais, d'un revers de la cheville, les paires de jambes importunes qui se dressaient trop proche de nous.

Calant mes omoplates contre la verticalité placardée d'un dossier cru, je ramenais mes bras, en les soulevant contre ses cuisses, pour venir le ceinturer, déposant ma gorge contre sa deltoïde mince, et ma mâchoire sur son épaule. Les portes se refermèrent, et le train se remit en branle.
Autour de nous, quatre personne. Trois en face de nous, assis sur la banquette qui faisait dos à l'entrée dans le train, et une grosse femme, assise près de nous, sur notre droite. La fenêtre était à gauche, tandis que les fragrances d'un parfum gras s'élevaient des drapés violets outranciers que la grosse femme portait. Elle avait sur le front un filet moucheté, et son maquillage rappelait celui, grossier, d'une actrice de théâtre dramatique. Silencieuse, elle fixait le vide, son œil perdu sur la droite. En face, trois hommes ; dont l'un singulièrement âgé, presque écrasé par les deux autres contre la droite : son épaule débordant dans l'allée centrale, son visage décrépi à moitié caché par le port des lunettes de soleil aux verres fumés qui s'étalaient sur son nez trapu. Les deux autres hommes étaient le genre typique des salary-men angoissés par l'heure. Juillet était chaud : et l'un d'eux avait ôté sa veste de costume noire, laissant ainsi apparaître la chemise blanche aux aisselles auréolées de transpiration, sa cravate à moitié défaite, dans une recherche certaine de commodité, de fraîcheur. Il sentit mon regard soupeser sur son front, car il tourna les yeux vers moi, ses sourcils lourds se fronçant. Je l'observais nous jeter un regard à la dérobée, ses yeux s'emplissant d'une expression mi-incrédule, mi-méprisante : de ce mépris que les adultes trop usés par la vie peuvent avoir envers ceux qui n'appartiennent pas à leur entourage. L'autre homme ne nous regardait simplement pas, son regard tourné désespérément vers la fenêtre.  Mes doigts appuyèrent sur les os du bassin de Chess, et je ramenais ma poitrine contre son dos, exerçant une pression légère contre lui. Je murmurais.

« … un joli endroit pour admirer les palettes du monde et, à l'instar de la ville, des spécimens du musée humain qu'est la vie. »


La femme, percevant certainement le murmure qui n'était adressé qu'à lui, tourna la tête, en un mouvement nerveux, et sembla considérer alors notre présence d'un œil absent, fixe. Une seconde, où ses prunelles se déposèrent complètement sur nous, comme si elle nous voyait, mais sans nous regarder vraiment. Un spasme, au niveau de ses lèvres, se traduisit alors en un sourire, mais elle avait tourné la tête, recouvrant sa position initiale, avant que je ne m'en assure complètement.

Mes lèvres contre les mèches blanches, je me laissais aller à la simple observation du paysage qui défilait, quand je pris soudain conscience du poids du regard de l'homme sur mes cuisses ouvertes, Kohaku installé dessus, mes bras l'y ayant immobilisé avec satisfaction. D'abord, une question idiote : « Sans doute est-il surpris que je porte encore, -haha-, mon kimono ? ». Et puis le constat de ce pli près de sa lèvre, son expression médisante, et le regard furtif, ensuite, des deux autres hommes à ses côtés, qui papillonnaient sur moi ou Kohaku. Des regards, brefs, mais qui appuyaient, petit à petit, tandis que l'idée semblait se renforcer dans leur crâne.

Mes doigts, avec douceur, appuyèrent une pression contre les plis des vêtements qui s'entassaient  au dessus de son aine, de ses hanches, et mes ongles crissèrent contre la fibre textile. Il y eut un arrêt ; et la femme en violet se leva, comme au ralenti, s'arrachant à un rêve dont nous devions faire parti, à ses yeux. Sans un regard pour nous, elle entra dans l'allée centrale, et après quelques pas, ne fut plus visible : tandis que j'entendais les portes s'ouvrir pour libérer les passagers à la gare que nous venions d'atteindre. Le décompte ne se fit même pas : un homme jaillit, le visage défiguré par des traits usés par sa vie : et en projetant à peine un regard sur nous, vint s'asseoir bruyamment près de nous, son coude heurtant mon épaule. Je lui jetais un regard, pensif, avant de détourner le visage, mes paupières à semi abaissées, dans une rêverie mesquines, tandis que mes lèvres attrapaient une mèche de cheveux blanc, soulevée contre ma bouche. Un mâchonnement taquin, qui m'arracha alors un sourire, presque directement contre sa gorge, tandis que j'enfouissais mon visage dans ses cheveux. Je fermais les yeux, respirant son odeur, mes doigts glissant sous l'élastique de ses vêtements. Dans des gestes lents, minutieux, mes ongles, mes phalanges, puis toute la largeur de ma paume, ma main passa sous son haut. Du bout des doigts, puis avec une affirmation progressive, je vins déposer mes mains sur son ventre, mes paumes embrassant les galbes doux d'une peau soulevée par sa posture contre la mienne. Sans la  voir, j'imaginais maintenant cette peau albâtre, qui s'étirait sous mes doigts, douce, porteuse de mille sensations qui me donnaient envie d'être ailleurs, là, avec lui. À la place, mes lèvres ayant cessé de sourire pour simplement porter dans leur interstice une mèche seule qui se faisait crépitement gypse contre ma langue.  Quelque part, sous son dos, sous ma poitrine, mon cœur venait d'enclencher le démarrage d'un rythme qui s'affolait, tandis que du bout des doigts, sur son ventre, mes mains passaient. Ma cheville vint flirter avec la sienne, mes rotules glissant sous ses tendons, mes mains remontant, tandis que je veillais à ne pas soulever son haut.  Il me sembla, un instant, que ma propre respiration s'affairait en des modulations sifflantes, et appuyant contre son estomac, brusquement, j'enfonçais mon visage contre son épaule, sa gorge, les yeux fermés, la bouche pincée contre les vêtements qui le couvraient encore. Mon violoncelle humain.
Comme un déferlement nerveux, mes mains abandonnèrent son ventre, glissant violemment sur ses côtes, mes doigts plongeant dans les reliefs d'un corps maigre offert à ma contemplation, avant de s'incruster dans les détails d'une échine nue sous mes doigts. J'embrassais son épaule, mes mains se résignant à abandonner son corps, mais avant, juste avant, mes pouces vinrent trouver le creux évidé de ses clavicules, et tendant la peau qui s'y étirait, appuyant avec constance, mes ongles y dessinèrent les surfaces saillantes, tandis que mon esprit s'enfonçait dans une contemplation kinesthésique de ce détail si intime de lui, si tendre, et si trop offert à mes envies de mordre dedans.  
Je t'adore.

(…)

Abandonnant le train qui repartait derrière nous, je jetais un coup d'oeil à la gare à laquelle nous nous étions arrêtés, et à ses reliefs insalubres. Le village était pauvre, point direct vers les montagnes. Mes doigts glissèrent, attrapant la nuque de Kohaku, suivant la courbe de son occipital pour m'enfoncer, presque violemment, dans les mèches blanches, avant de le lâcher. Des odeurs de poissons, de produits toxiques et de peinture. Une laideur pour les sens, normée dans ses contingences, qui me donnait envie de pointer du doigt tout ce qu'il y avait à sublimer. Des tentacules sombres et grises et des nuances de glauques, des pêcheurs recourbés et ignorant les touristes qui se faisaient les corps perdus et décalés aux milieux des paysages dans lesquels on ne s'attardait que par idée de connivence. Oh, piteuse humanité de l'instant. Un coup d'oeil au ponton, et son air de torii démembré : une impression d'avoir cette porte ouverte sur un quelque chose d'immatériel, qui me donnait envie de me précipiter. Je me penchais sur le rebord, pliant les rotules pour, en tendant la main, toucher l'eau grise.

« Les couleurs de l'humain au péril des couleurs du monde. »

Le ciel ne se reflétait même pas dans l'eau. Je me laissais tomber en avant. Mouvement lent, chute rapide, le bruit de l'eau explosant dans mes oreilles. Des bulles, du noir, de l'oxygène en suspens, et ma poitrine compressée, mon corps comprimé, le lin venant étreindre ma peau, le froid et la pollution aussi. Des striures d'algues, des visages humains contemplatifs et imaginaires, une terreur enfantine, et la vase sous ma semelle. Je remontais, pour venir percer. Le ciel, au delà de la silhouette de Kohaku, me parut terne. J'inspirais, cherchant son regard. L'eau clapotait contre ma poitrine, et j'y restais, une moue désabusée sur les lèvres.

« Il fait sombre, en dessous. Des couleurs sombres. »
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Mer 31 Juil - 13:40

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Occupation : Étudiant en psychologie | Mangeur d'âmes.
Kohaku Joshua Mitsumasa

Kohaku Joshua Mitsumasa
L’apposition d’une empreinte digitale contre ma glabelle me fit frémir un rire qui s’incrusta contre le calcaire de mes incisives et que je soufflai contre le sourire d’un rônin plus grand que nature. Je mordais les mots qu’il prononçait, fendant l’air de mes dents pour mieux pouvoir progresser jusqu’à ses lèvres. Je vidais les tremblements de mes gloussements dans la caverne de sa bouche, les entrevoyant se noyer dans sa trachée, secouant et vibrant, créant ainsi un étouffement  rendu particulier par sa friabilité. Un étouffement porteur de la réminiscence d’une centaine de gouttelettes s’abattant sur ma silhouette, porteur du souvenir de ce jour ayant trop rapidement filé, mais qui avait suffit à tout changer.

Je sentais encore la brûlure translucide de l’eau qui gonflait ma gorge et qui se dévidait aux commissures de mes lèvres et je substituais à son existence la vase d’une salive que je laissais engluer les parois de la gueule de Zakuro. Un souffle aqueux, une morsure incolore dans le déluge des couleurs que nous amassions et un filet mi-limpide, mi-trouble s’affaissant sur son menton au rythme de ma réponse. Mes lèvres rougies, mon souffle court et ses yeux, ses yeux.

Des couleurs.

« Ça fera l’affaire. »

Le train; une agglutination d’essence humaine avant le heurt de l’immatérialité contre le vert intarissable de la nature.

Te rappelles-tu les couleurs du métro, Zakuro ?

-

La cacophonie s’exhibait dans une apposition méthodique de la routine humaine. Les sièges s’affaissaient, les souffles s’éviscéraient et les prunelles s’entrechoquaient, barbouillant le canevas de la locomotive d’esquisses d’anonymat bruyantes. Une forte odeur perlait jusque dans les moindres recoins du compartiment, attachant à la sueur brutale de Zakuro et à mes relents poisseux, une cousine plus acide, née de l’inertie, d’un état de confinement allongé. Les fumets peuplaient l’espace, imposant un étouffement partiel dont il m’était impossible de me soustraire.

Zakuro m’avait entrainé à l’intérieur du train, me transportant au travers d’un rideau de visages et d’expression pour mieux m’installer dans le confort de son étreinte. Il exhalait une chaleur qui ne se mariait que trop bien avec la strangulation nasale qui s’imposait avec la foule grouillant routinièrement dans le train. Une chaleur étouffante, que la vase de Bougu avait ternie, mais que le corps de Zakuro ravivait, engluant mon sang et mes processus cognitifs. Ses doigts valsaient et sa bouche traçait. La sensation de ses phalanges creusant une tranchée brûlante contre la peau de mon aine, grillant les capteurs nerveux qui s’agitaient dessous, et remontant le long d’un chemin que lui seul connaissait, à la manière d’un aventurier qui trace sa propre carte au trésor.

Je me refusais de ciller sous les démonstrations affectives de cette poigne qui avait trop souvent suffit à me faire perdre le fil de ma cohérence, battant doucement des paupières tout en dévisageant les clients du réseau ferroviaire japonais d’un air méticuleusement impérieux. Les trois hommes cordés devant nous me paraissaient propice à mon analyse oculaire, tirant un portrait typique duquel on aurait pu tirer de nombreux constats peu reluisant.

Zakuro tirait sur les mèches collées à ma nuque, électrifiant ma colonne vertébrale de son contact, pressait son torse contre la proéminence de l’ossature de mon dos, et j’observais d’un œil fixe la silhouette d’un vieil homme écrasé par une jeunesse elle-même assiégée par le poids de ses responsabilités. Il y avait là la démonstration probante d’une réalité dans laquelle on enrayait certains détail au point où l’acte d’ignorer se faisait de manière suffisamment systématique pour être qualifié de simple oubli. Ni un, ni l’autre des bureaucrates ne semblaient se rendre compte que le vieil homme chevrotait des jambes pour parvenir à rester dans son siège, aucun des deux ne semblaient avoir remarqué que chaque nouvel utilisateur de la ligne de transport percutait son coude avec une force qui semblait manquer de renverser sa maigre silhouette à chaque fois. Les cadres de leur existences respectives ne leurs permettaient pas de déroger de l’abject routine qui les empêchait de considérer se lever pour offrir davantage de confort à une tierce personne.

Toutefois, rien ne les empêchaient de me remarquer, moi. Ou plutôt de remarquer les agissements trop ouverts de deux individus dont les apparences se chargeaient déjà de souligner une certaine différence, un certain écart du moule commun. Il n’y avait aucune gêne dans la curiosité méprisante qui embuait leurs iris, simplement la présence d’un jugement normatif qui cherchait à nous intimider.

Mais que voient les voyeurs si ce n’est que ce qu’ils veulent bien observer ?

Une femme pourvue de formes qui lui auraient valu une appartenance certaine à une noblesse passée quitta le siège près de nous, créant momentanément un cessez-le-feu à cette joute visuelle que j’entretenais avec le trio d’inconnus installés en face de nous. Le vieil homme, brindille décharnée, bousculée par des bourrasques et ignorée par des branches plus solides, s’était joint au sifflement déplacé des regards quelques minutes avant que la dame ne se lève.

Je me cambrai contre Zakuro, m’enfonçant dans les contours d’un corps me faisant momentanément office de  trône. Un trône bouillant, dont le matériel me chauffait la chair à blanc, un trône surplombant les toiles arachnéennes des cognitions décevantes d’individus trop parfaitement manufacturés. Les paumes de Zakuro s’égarèrent dans les hauteurs de mon t-shirt, troublant le tissus et élaborant davantage la carte au trésor qu’il semblait tracer. Je retins un ronronnement, profitant de l’étouffement atmosphérique qui s’exprimait avec chaque craquement du train pour accorder un immense sourire à nos trois observateurs. Mes lèvres se fendirent dans l’expression une voracité tout désignée, agressive et impérieuse, et l’une de mes paumes se souleva, dévoilant quelques centimètres de la peau dérangée par Zakuro, pour venir tirailler l’une de ses boucles folle.

Ce ne fut que lorsque ses pouces caquetèrent contre le derme s’étirant sur mes clavicules que mon sourire clignota, s’égarant dans un hoquet plaintif qui s’accompagna d’un tressautement automatique de mon bassin.

So much for remaining unaffected.

Je grognai une insatisfaction départagée, mes doigts s’enroulant autour des mèches d’encre avec une agressivité vengeresse.

Constriction.

Étouffe-moi. Étouffe-moi.

-

Si la cacophonie répétitive du train avait laissé place à la tranquillité évasive d’un endroit peu populeux, les odeurs, elles, s’en donnaient toujours à cœur joie. Se mêlaient à des litanies aqueuses, des effluves dérangeantes, des composés chimiques enlacés dans une baise fougueuse qui n’avait de subtil que l’incapacité de l’œil à l’observer dans l’immédiat.  Je jetai un regard sur les alentours, mon silence certainement révélateur de mon désappointement, vague, embrouillé. Il n’y avait pas vraiment de mots à mettre sur ce village grisonnant. Les tons de gris strangulaient les contours du paysage et régulaient le moindre détail, offrant un festin peu appétitif aux yeux. Le train avait été une latence agréable, renvoyant à ma pupille les éclats d’une humanité colorée qui valdinguait entre deux instants.

J’avais envisagée les montagnes moins tristes, davantage comme un univers où la verdoyance des végétaux faisait la cour à la prestance du bleu. Le ciel ne s’était toutefois pas découvert pendant notre périple en train et offrait la même monotonie déroutante qu’au moment où j’avais contemplé les sonorités de mon ennuie dans la vase du parc Bougu. J’avais joué dans la vase en cherchant les couleurs, dodelinant à contre-sens d’un ennui qui m’avait éprouvé, qui m’avait donné l’envie de placarder les restes d’un festin humain d’antan sur sa surface défraichie. Des couleurs. Des couleurs.

Soit. Keimoo se trouvait loin derrière et le seul élément du décor s’adonnant à être coloré était rattaché à ces bras que je tirais à ma suite, les dégageant des couleurs sombres tournoyant sous l’eau, vers les hauteurs d’un lieu que j’avisais hasardeusement être le mont préalablement mentionné. J’enjambais la première marche des escaliers menant vers des altitudes inconnues en m’assurant de pouvoir continuer à fixer les iris de Zakuro sans encombre. Un pas vers l’arrière, puis deux.  Une démarche dépourvue de grâce, encombrée d’une minutie exagérée. Nous étions des paillettes d’iridescence dans un décor qui n’avait, aujourd’hui, rien de bien particulier à offrir. Si je voulais voir des couleurs, il ne me suffisait que de regarder droit devant, que de laisser mes yeux percer les siens.
Un sourire. Puis deux.

Je te regarde. Et tu es si indubitablement stellaire.


« . . . contre un arbre, ça te dirait ? »

-

What was Wrong is Right
Eating away at your skin,
Screaming out your guilt.


Mai 2014

« Le cours de Zakuro finit à quelle heure ? »

Le silence que je rompais était notre gîte à l’abri de la cacophonie des déboires qui ne servaient qu’à nous écarter de nos parcours studieux. Mes phalanges perdues dans les longueurs encrées ses cheveux, mes yeux débordant de par-dessus son épaule, je profitais de sa compagnie tranquille pour rattraper les lectures de nos cours de psychologie. Le silence était notre gîte et cette chambre universitaire, notre enclos. Je le contraignais souvent de grimper dans les hauteurs des dortoirs pour gagner cette pièce, comme un secret murmuré que nous n’avions pas encore trouvé l’utilité de partager à voix haute.  Il n’y avait jamais que nous deux pour occuper cet espace de réflexion destiné à ma critique de penseurs connus, de techniques thérapeutique malhabiles, jamais que nous deux pour renverser du thé sur mes draps entre deux paragraphes. Lorsque Subaru ou Swan passaient pour quémander mes notes ou mon expertise, il ne restait jamais comme seul preuve de son passage qu’un nombre de tasses double à celui que mon unique personne requérait.

Le silence.

Kojiro ne releva pas la tête, tourna la page comme si je n’avais pas pipé le moindre mot.

« À 17 heures. »

-

Le blond prince ne sourcillait pas, renvoyait à Karine un sourire pourvu d’une politesse précautionneusement polie, rayonnant d’une pratique calculée qui ne se permettrait pas de laisser filer la moindre information compromettante. Ou plutôt, la moindre information tout court. De tous les jeunes individus qu’elle avait dépassés avant d’en arriver à ce jeune homme, recommandé par les bons soins du charmant Senta Hong Gil-dong, ce jeune européen était décidément la dernière personne qu’elle aurait cru pouvoir considérer comme proche de son fils. Sa prestance s’opposait de manière viscérale à l’agressivité arrogante de Joshua, ne rimait en aucun point avec incendies criminels, vandalisme ou menaces. Et si les apparences, Karine en convenait, se faisaient souvent trompeuses, la position qu’occupait le jeune homme au sein de l’Académie confirmait l’impossibilité qu’il ait pu être une source de comportements problématiques.

Elle avait cru que Senta, au final, s’était peut-être  trompé, jusqu’à ce que le jeune homme blond vienne confirmer ses dires, dépeignant Kohaku comme son ami le plus proche, comme un étudiant aux notes étonnantes et à la personnalité flamboyante. Lawrence Evelynn tournait ses phrases de sorte à ce qu’il soit impossible de lui reprocher un manque de courtoisie, mais ne divulguait rien d’autre que des anecdotes se contentant de survoler la surface d’un être que Karine, aussi difficile lui soit-il de l’admettre, connaissait trop mal. Trente minutes après le début de leur échange, elle quittait les locaux du comité des élèves, penaudes, et avec pour seules certitudes les prouesses académiques de son fils et la preuve d’une amitié suffisamment nouée pour déclencher un instinct de protection. Lawrence n’avait pas semblé manquer de sincérité, avait prononcé chacune de ses paroles avec une affection presque déroutante.

Kohaku n’avait jamais vraiment eu d’amis, au Québec, si bien que sa vieille nourrice, Sophia Carter, avait été la seule figure d’attachement ayant constitué son univers. Il y avait quelque chose d’inespéré dans l’existence de gens comme Senta ou Lawrence, qui arrivaient à mettre des mots sur l’identité de son fils sans que ceux-ci ne soient chargés de craintes ou d’agacement. Si cette journée s’avérait peuplée de bouches fermement cousues telle celle de Lawrence Evelynn, elle pourrait au moins se dire que d’avoir envoyer sa progéniture au Japon avait été un bon choix, qu’elle n’avait pas tout raté.

Elle arriva devant le local que lui avait indiqué Senta quelques minutes avant 17h, se distrayant en observant les étudiants qui la dépassaient avec une certaine nostalgie. Lorsque Kohaku avait quitté le nid familial, il terminait tout juste son secondaire, sans les honneurs suffisant pour lui permettre de décrocher son diplôme. Son départ au Japon s’était fait promptement, dans un élan de crainte disgracieuse que Karine arrivait toujours à voir contre les murs de leur trop grande demeure. Elle avait beau frotter de toutes ses forces, les bévues ne s’effaçaient jamais.

Jamais vraiment.

Lorsque les élèves commencèrent à quitter le local du cours, elle reconnu sans problème le colosse qu’elle avait entrevu le jour de son arrivée, alors que Senta l’avait conduite à Kohaku.  Il était difficile de ne pas se rappeler d’une telle silhouette, à la fois imposante et liquoreuse, un mixe de détails qui habituellement s’opposaient – un peu comme ce personnage blond au sourire trop brillant et son fils au sourire trop inquiétant –.

Elle s’approcha sans gêne, touchant le dos de l’étudiant du bout des doigts pour manifester sa présence et lui souriant, professionnelle sans chercher à l’être, engageante.

« Vous êtes Zakuro Fea, n’est-ce pas ? »

Dépendamment de sa réaction, elle lui demanderait peut-être comment il avait rencontré Kohaku, lui demanderait de lui parler de leur amitié, des bons moments comme des mauvais. Elle s’égarerait peut-être sur le cas de la jolie Yume, lui demanderait s’il s’agissait d’une personne sincère. Toutefois, elle lui demanderait surtout de lui parler de Kohaku, de ses intérêts, de ses rêves, de ses manies, de ses phobies, chercherait à peindre le portait d’une entité qu’elle avait trop vite oublié et dont elle cherchait à se rappeler.

Elle nota, alors qu’il se retournait vers elle, qu’il avait les yeux bleus.



From : Chess
To : Litchi
17:06 07/05/2014

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Mer 31 Juil - 13:42

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Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea

    Hey there, you.



    Mes pensées se rapporteront, à jamais, à ce jour-là, tu sais. Celui où tu m'as rencontré, où je t'ai regardé, et durant lequel se sont noyées, sur un canevas bien moins vierge que celui-là, les couleurs intempestives de ton existence pulvérisant la mienne, massacrant mes idéaux, de ta conscience faisant bouillonner mes veines. Un jour de septembre, ensoleillé, ensanglanté, rouge, bleu, couleur de tes bottes, goût de ta lèvre ouverte, de tes yeux harponnant les miens, dans une hétérochromie artificielle, et ton envie de me planter tout autant que la mienne de te dévorer. Ce jour-là, tu sais, tu as fait tellement, j'ignore si tu le sais réellement. Les mots chancellent, nos expériences accumulent des rires et des sourires aux harmonies parfois hasardeuses, et les récits qui s'enchaînent commencent toujours de manière un peu bancale, comme des amants maladroits qui effleurent entre eux leurs doigts sans oser se prendre la main. Je voudrais, je voudrais une fois, peut-être deux, porter à ma bouche tes doigts, et baiser tes phalanges, en abaissant les paupières, en revivant septembre, en recommençant cette journée, sans rien y changer. Ni les doutes, ni les colères, ni les angoisses, ni les déceptions, ni les orgueils, ni les maladresses. Et cette envie bouscule en moi la boule dans l'estomac-la gorge serrée-le frisson glacé, cette étrange et tendre envie de pleurer que l'on éprouve dans ces moments trop forts, trop intenses, trop dantesques. Un peu comme je te l'ai déjà précisé dans une lettre de décembre.

    Je me souviens du métro. Évidemment.

    Je me souviens de cette violence en moi, de ce tremblement furieux à l'idée que je puisse te perdre. De cette terreur qui a poursuivi mes nuits après que j'ai perforé ses poumons, en les déchiquetant, pour m'assurer qu'il ne bougerait plus, qu'il ne t'attaquerait pas. J'ai cauchemardé l'idée que tu puisses disparaître, choisir de t'en aller, que je ne t'intéresse plus, et que ton jeu se termine sur un « merci, c'était amusant, au revoir ». J'ai été terrifié à l'idée que j'aurai, dans un conditionnel mortifère, pu ne pas bouger, et que le sang ait pu couvrir bien plus de surface que ton poignet. Conserve tes veines intactes, ne me fais plus jamais le coup du séisme, de cette fragilité du corps qui se rompt, qui s'ouvre sur une vie qui t'échappe. Je ne veux pas que tu ailles dans une dimension dans laquelle je ne pourrais pas te contempler comme je le fais aujourd'hui.
    Je me souviendrais toujours du métro.
    Et je continuerais à fanfaronner pour ne pas te dire à quel point j'ai été effrayé.

    -
    Il s'agissait ici d'un wagon différent. Ici, pas de sous-terre aux parallélisme de cercueils troublants. Pas de lueur verte, néon électrique étouffant l'atmosphère pour plonger les faces humaines en un filtre létal. Rien que ta chaleur et mes doigts, la puanteur de nos corps, comme une plaisanterie mauvaise, gamine, qui surplomberait les envies premières d'une motivation quotidienne. On échangerait, probablement, et plus tard, sur des dynamiques colorées. Ici, les couleurs se concentraient sur des panels de chairs que j'aurais du tendre avec plus de vigueur, encore. Pour, en comparaison à ce jour-là, à cette nuit-là, compenser la timidité de ma découverte sur toi, de ma contemplation interdite, de mes rougeurs trop rapides, de mes lèvres mordues pour ne pas crier d'effroi et d'autre chose. Pour compenser les lascivités confuses, j'aurais pu effectuer, avec plus de sentimentalité encore, la prise en main d'une vigueur si peu éhontée, si violemment désirée de ta peau, de ta chair. Pour contrer l'ombre planante d'un souvenir de métro, pour accentuer l'écho violent de notre première nuit, de ta bouche sur la mienne, de ton oxygène sur ma langue, de tes cils sur les miens. J'aurais pu en profiter bien plus. Dans ce métro, à contre-sens de la réalité, je remontais ma main, caressant et touchant dans une volonté de faire s'envoler ton souffle pour te distraire à la véracité de l'instant et brûlure l'ozone, encenser le zéro parfait d'un éther que je cherchais à faire exploser. Crisser les censures d'une population trop hexagonale dans ses positions pour continuer, toujours plus, à te tirer vers moi, t'amener vers moi en bousculant vers l'arrière, et répandre les mots et les excuses, sifflées, bien plus tard, quand j'aurai atteint le point culminant d'un effarouchement de tes sens. Je t'aurais entraîné, en te faisant grimacer sur un gémissement indistinct. Mon affect se serait transformé en libation pour ta peau. Plaise aux dieux qu'ils se veuillent indécents quand je me figurais être en mesure de faire rougir les humains sur la banquette face à nous.

    Mais peut-être malgré moi cette auto-défense ; nous avions un public, et je n'étais, au final, que trop peu partageur. Je te voulais à moi, pour moi, complètement et seulement. Mes yeux irradiaient cette possessivité sur leur visage humains, trop humains. L'avais-tu senti, à cet instant, par dessus ton épaule ? Oh les voyeurs, amour, voient des tas de choses.

    Mes pensées flottaient sous l'eau, et je m'étouffais dans mes idées de toi.

    -

    La montagne ne grandissait jamais réellement d'une autre manière que parce que nous nous en rapprochions. Et sous les monticules de cette eau dans laquelle j'effaçais les odeurs rances du combat pour lui préférer la pollution humaines des industrialisations qui se rencontraient sur ma peau, après que je sois remonté sur le parapet en assurant qu'il n'y avait que des couleurs sombres là dessus, je me rappelais, bien évidemment, que le noir était, pour tes yeux, devenu une de mes nuances préférées. Un noir équilibré de manière à embellir le blanc. Je n'achèterais pour rien au monde la couleur de tes pupilles, puisque tandis que tu me saisissais la manche et que s'égouttait au sol les lichens détrempés d'une seconde baignade anticipée, la couleur de tes yeux se figurait la plus parfaite.
    Le vent soufflait, en exhalant des vapeurs dont je ne distinguais ni la nature, ni la motivation de leur existence, mais qui nous poussait à nous éloigner, pour nous enfoncer dans une voie plus sauvage, plus pratiquée, aussi. La montagne s'ouvrait, en écartant sur notre chemin les doutes d'une journée que j'avais vu se présenter sur des intérêts trop brusques, trop détachés de mes motivations de calmes apaisés. Les marches défilaient, et moi je progressais, tiré en avant par une force qui défiait le cosmique et les physiques trop relatives. L'univers entier aurait pu se dandiner, je ne me concentrais plus que sur lui. Ses yeux, son sourire.

    « . . . contre un arbre, ça te dirait ? »

    Et la passion qui naît en secret. Mes lèvres s'ouvrant sur un babillage d'enfant, sur une réclamation timide, surprise par son initiative à l'équilibre entre la violence et la furie, sœurs complices dans une tendresse qui me prenait au cœur. J'effleure, Joshua je papillonne, comme sur la pointe des pieds dans un ballet dont je ne connais pas la chorégraphie mais qui résonne dans mon sang, je me penche, et je saisis, globalité inconnue de l'essence de notre être, la captation superbe d'un instant qui se perd entre mes lèvres, chuchotée contre les siennes.

    Des arbres, conifères et autres sapins, qui escaladaient les remparts d'une existence qui ne pourrait bientôt plus disputer la nôtre, laquelle trop radiante, trop radieuse. La montagne gisant sous mes genoux, tandis que je pressais mes paumes en ces malléabilités de chair que j'amenais à moi. J'avais l'impression, parfois, qu'il suffirait que tu m'entraînes vers le bas pour que je sois en mesure d'être complètement détraqué. Des expériences à tenter, comme d'autres, lorsque les temps se seraient brisés, galvanisant nos sens au dessus de nos raisons. Et parfois, dans la nuit, nous pourrions imiter la compréhension tranquilles des hérastiques facettes de nos présences horizontales.  Des bulles, qui se déployaient dans l'atmosphère, l'azote évoluant en des circonférences de respirations devenues chargées, et je posais ma bouche sur l'ourlet de sa lèvre, en déployant les épaules, les nues, la voûte et le kimono abandonné. Les passions ont le goût du trop peu, de cette déstabilisation de l'âme.

    La mienne s'accrochait à ce qui était au plus près, une ancre de chair et de blanc sur laquelle je fixais le poids de bien trop de chose. Comme celui du corps, comme celui du cœur. Les babillages d'enfant se taisent, laissant place au bruit léger d'un occipital, le tien, que j'amenais contre l'écorce d'un arbre, d'une main. L'orientation de ton regard aurait suffit à me faire mourir sur place, dear, si la luminosité n'avait joué dans l'ombrage que projetaient les cils sur tes pupilles. Oh, il y a des propositions qui ne se font pas, qui ne se défendent pas. Dans un chuintement, j'abandonnais la notion de propriété à l'habillement, dégageant la ceinture noire de mes reins. Étouffons nous, étouffons nous. Le nœud vint s'enrouler au niveau de ses épaules, et je le tirais à moi.

    « Nous ferons un nid ... »

    Je plantais un baiser, puis mes dents, profondément sous sa trachée. Sous mes genoux, la veste de kimono tirait sur mes rotules, transformant mes appuis que je glissais pour m'étirer contre lui, en accentuant la souplesse de mon évolution gymnastique, encerclant ses épaules de mes avant-bras, venant titiller la courbe de sa gorge par mon rire qui commençait à résonner dans la montagne. Comme un chaton caracolant que j'enveloppais de mes bras, de mon regard, je le serrais contre ma poitrine, en étudiant l'irrévocable contraste de sa peau, encore trop vêtue, et de la mienne à la mélanine plus foncée. Les tons châtains de l'écorce qui griffaient mes bras tiraient mon regard à se concentrer sur les ambroisies pâles de ses épaules sous mes doigts.

    « …  - de nos corps, aux aiguilles des sapins … »

    Ma voix partit dans un éclat de rire, tandis que je remontais la main le long de ses vertèbres, le brusquant contre moi, cambrant ses reins pour l'aligner sur l'axe de mon corps, tandis que mes doigts perdaient leur chemin entre la pommette et les cheveux. J'appuyais son front contre le mien. Il n'y aurait pour porte close que l'ombre et l'absence d'humains. L'haleine rieuse, les battements de mon cœur dans un rythme fastidieux, je déployais ma paume contre son pectoral, réprimant un frisson motivé par la fraîcheur, caressant, appuyant au dessus d'une poitrine sous laquelle résonnaient des tempos écho au mien. En glissant ma main sur sa joue, coulant mes doigts dans sa gorge, j'embrassais en souriant, amenant ses cheveux vers l'arrière.

    «  … - qui nous tomberont dessus. »


    -

    « […] And there are many things I want to convey, but the words I hold never seem to suffice. »


    Février 2014.

    Mei.
    Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei Mei. Le prénom qui se répétait en boucle était un fantôme qui n'appartenait ni au passé ni à l'avenir mais qui stagnait dans un présent me rongeant, et j'avais la sensation que s'abattait sur moi l'acide d'une condition ne dépendant que de ses vérités. Kojiro avait eu la bouche baignée d'un sang dont je l'avait fait noyer ses dents, sa langue, en cherchant à noyer dans le fluide vital les terreurs animales d'une perdition gigantesque, effroyable, cherchant à noyer dans ses yeux ce que mon regard ne me semblait plus pouvoir transmettre, cherchant à noyer dans les amas sanguinolent d'une gueule que je lui éclatait les horreurs que je commettais. Mais la haine était passée, et au milieu de flammes qui n'existait pas, je m'accrochais aux épaules maigres, en plongeant mes lèvres dans les mèches blanches, pour justifier mon acte, ma présence, cette volonté de franchir le seuil d'une distanciation que je ne supportais pas.
    La douceur d'une réconciliation avait eu l'effet d'un baume qui avait reconstitué, en un ciment étranger à toute rancœur, les liaisons floues d'une relation indistincte entre Sasaki, Kohaku et moi. Des formes succinctes présentaient à mes souvenirs les hanches tournoyantes de Momo qui dansait, tandis que j'élevais les flammes au dessus de mon visage, dans une bénédiction silencieuse à la rage qui me dévorait, et dont je me débarrassais. Des adieux à la couleur trop criarde, pour plonger dans les revues médicales des lames pointues, monochromes, qui glissaient sous les côtes, plongeant jusqu'au cœur, et gravaient dans les souffles d'un lien le prénom de l'Hirondelle. Je l'avais trop détesté, à m'en épuiser, à m'en lasser. Dans des dimensions où les limites s'abandonnaient à elles-mêmes, se transformant en des frontières que j'avais voulu atteindre par la rancœur, par la colère, il avait fallu cette soirée de proximité, une averse trop violente, la pluie acharnée, pour que je me résigne à me rendre chez lui, pour m'abriter surtout de moi-même. Et il avait accepté, dans le silence calme d'un sourire en mesure de calmer mes humeurs. Il avait accepté, tout comme il avait du accepter Joshua et sa perdition. Dire que j'avais jalousé.
    En rouge, à imaginer le noir et le blanc couchés l'un sur l'autre.
    En rouge, pour bien marquer le temps.

    Je suis intime avec l'idée d'éternité.

    Savions nous, à ce moment-là, que nous douterions ? Les cumulonimbus étaient passés, mais je sentais toujours dans ma poitrine la lourdeur terrifiante de leur trace orageuse abandonnée. Jamais plus, murmurait mon cœur.

    -

    Mai 2014.

    « Veuillez poser vos crayons, et retourner vos feuilles. »

    La voix claqua comme une règle de bois datant avec les phalanges trop tendres de doigts écoliers, expédition punitive, laquelle exprimait l'échéance trop vite arrivée d'un compte à rebours achevé. Momo releva la nuque en un mouvement cassé, à l'instar d'un automate ayant puisé dans ses dernières ressources pour effectuer un déplacement ultime. Mon crayon glissa d'entre mes mains crampées, et réprimant un juron, je tendais et détendais mes doigts, recherchant dans la tension à retrouver à l'extrémité de mes phalanges une souplesse galvanisée par l'exercice. La fatigue réprimée jusqu'alors, -révisions dantesques qui avaient fait se succéder trois nuits sans sommeil-, s'abattit comme un prédateur vicieux, lequel aurait  attendu patiemment que sa proie, dans un espoir illusoire, croyant le distancier, coure jusqu'à la folie, jusqu'à l'épuisement complet de cette armature de chair et de muscles tendus à vif, écorchés par l'effort, laissant s'écouler forces et énergie en dehors de ce corps qui le trahissait. Le prédateur vicieux en voulait à mon équilibre entier, et le crayon me parut indistinct. Je cillais. Le blanc de mon bureau d'examen devint le reflet d'un blanc plus intense, dans lequel se floutait milles autres couleurs, et un sourire étiré.

    « Es-tu ok ? »

    La voix de Momo, comme une main qu'elle n'aurait pas oser tendre par elle-même, vint effleurer mon oreille, et je retournais ma face souriante, dépitée, vers elle, tandis que les feuillets des dossiers complets de l'examen étaient récupérés, acheminés vers le bout des tables, les surveillants scrutant avec attention à ce qu'aucune fraude ne soit effectuée.

    « Müüüde. »

    Je tendais mes épaules vers l'arrière, étirant mon dos, déroulant mes vertèbres. La tresse brillante de Momo était rejetée sur sa poitrine droite, et les cheveux accrochaient, en des raccords rebelle, l'angle courbé, là où devait se trouver la pointe du sein.

    « Je n'ai pas saisi le sens de la question 97.b, et j'ai fait l'impasse dessus. Je n'aurais pas un score total. »
    « Fea, tu ne peux pas espérer me vaincre partout. »

    Elle partit d'un sourire quand ses yeux se confrontèrent aux miens ; lesquels devaient illustrer l'amusement pernicieux que je ressentais brusquement. Je me levais, étirant les muscles ankylosés d'un corps qui me paraissait plus lourd et douloureux qu'il n'aurait du vraiment l'être. Cependant, ce n'était pas exactement comme si je choisissais de me fier à l'humanité et à ses illusions de la douleur. J'absorbais le silence et le calme d'une tension nerveuse éprouvée, puis réprimée. Mes pupilles étrécies, je tendais les doigts, capturant sous mon pouce la fourche d'une mèche soyeuse, noire et brillante. Il y avait dans cette couleur les caractérisations d'une définition humaine à laquelle ne m'attirait plus les nuances. Un noir trop simple, trop épuré et stagnant dans son essence pour pouvoir espérer convoiter des hauteurs dans lesquelles se cueillaient, sur le rebord des phalanges, les courbes sinueuses d'une mâchoire effleurée par des mèches blanches. L'âcre du junkie hilare, tout à moi complètement, au delà de la fatigue, de l'éprouvement humain d'un corps matériel.

    « Chûripu-san. »

    La douleur n'existe pas, mais je dévore la fatigue et l'éprouve si suavement.

    « Je suis tellement content que cet examen soit achevé. »

    Le mot « tellement » prononcé en un soufflement ravi qui lui avait arraché un sourire. Elle partageait l'émotion. Mais j'avais conscience que contrairement à moi, elle irait déstresser, en sortant de cette salle, par une réunion secrète avec la personne de Lawrence Evelynn Swanster, et qu'ils fumeraient ensemble, quelque part. L'aiguille décalée, le cap désaxé, l'attention du monde concentré sur autre chose, Momo s'engagea dans une déclaration passionnée sur les révisions, que je n'écoutais pas. Sortant de la salle, je suivais le déplacement des élèves jusqu'au seuil du bâtiment, franchissant les portes avec l'impression de recevoir la terre entière sur les épaules, mon corps choisissant cet instant précis pour réclamer une dizaine d'heure de sommeil. Je plaignais mon squelette de devoir supporter cent kilos de muscles. Durant quelques secondes éthérées, le calcul me parut faux, et je fermais les yeux, bousculé par quelques étudiants, tandis que mon cerveau s'activait à se remémorer le poids d'un squelette humain, afin que mon addition quant à la charpente de mes muscles se structure sur une composition plus équivoque. Dans ma poche, à l'instar d'un animal caché, mon portable vibra.  
    On effleura mon dos, et la pression s'accentua sur une demie seconde.

    Un sourire, mais pas le sien, son visage, mais différent.

    Le monde venait d'enfler, comme une bulle de plastique ayant explosé au contact d'un kérosène trop brûlant. La bulle avait disparu, remplacé par le cratère fumant de l'illusion remplacée, et je contemplais, les prunelles étrécies, ce qui était en train de s'établir à mon cerveau comme une réalité fixe, appartenant à un instant que j'avais oublié de saisir par la respiration. À la place, mes lèvres entrouvertes, et mes yeux qui captaient la lumière faisant exister les choses. Momo, qui continuaient de blablater seule, remarquant soudain que je m'étais figé, et se retournant vers nous. Nous ; ce cadre bizarre de moi et elle, ce elle qui se découvrait dans toute sa sémantique, cette personne que je contemplais sans savoir quoi faire d'autre, m'interrogeant sans pouvoir réfléchir structurément à la chose, à des pourquoi et des comment qui voltigeaient sous mes paupières, immatériels, mais bien plus humains que jamais, bien plus palpables et temporels que tout ce qui était faisables. J'avais, j'avais-

    « Vous êtes Zakuro Fea, n’est-ce pas ? »

    Je refermais ma bouche, mordant mes lèvres. Oh.

    « O-oui. »

    Inclinaison maladroite, réflexe trop humain, trop maternisé de l'éducation reçue, mais mes yeux ne se pliaient pas à cette politesse sociale qu'avait voulu m'imposer Nami. Ils couraient sur elle, sur son visage, sur sa silhouette petite, mince, sur cette exclamation violente que je me faisais d'elle. Je l'avais vu, de loin, n'osant me rapprochant quand elle avait rencontré Yume. Ici, en cet instant, c'était un étrange miroir déformant, une réalité humaine de ce qui ne l'était pas, et je cillais, mes yeux incapables de lâcher ce visage qui m'obsédait, les traits connus, mille fois parcourus retrouvés en ce moule de chair féminin, maternel, trop différent de lui, et en même temps, empreinte physique de ce que je côtoyais par sa réalité. Cette arcade à la courbe soulignée par des sourcils dont l'inclinaison était parfois hérissée par quelque fureur que je rectifiais du bout des doigts, cette bouche que je préférais quand elle était étirée par ses sourires, cette mâchoire qu'il venait parfois claquer contre l'épaule de Kojiro, dans un geste qui m'arrachait un froncement de sourcil faussement outré, et le déploiement de cette gorge sur laquelle je venais enfoncer le bout de mes doigts, pour la voir se teinter de croissant violacées. Et Senta, parfois, riait de lui en disant qu'il avait une gueule angélique. Je n'aurais pas imaginé qu'on me confronte à celle de sa mère.

    Je me redressais complètement, scrutant les différences. Il y en avait une principale. Pas les mêmes yeux, pas ces prunelles de jais, ces yeux d'orages et de démons dans lesquels je perdais mon humanité, ma temporalité, pour y retrouver bien plus. Dans un mouvement lent, je passais le bout de ma langue sur le centimètre externe d'un rebord de lèvre, assénant à mon corps l'ordre d'une récupération totale. Le choc était électrique, mais je ne pouvais pas tolérer plus. Humaine, songeais-je. Pas Joshua. Se situait là la différence la plus ultime, la plus extrême. J'étais heureux qu'elle n'ait pas ses yeux.

    « Excusez-moi, vous m'avez surpris. Vous êtes Mrs. Mitsumasa, n'est-ce pas ? »

    Je récupérais mon sourire, glissant la main dans le pli de ma poche, tapant de l'ongle contre le téléphone portable, tandis que de l'autre, je rejetais en arrière les mèches trop longues, trop sombres, qui glissaient sur ma mâchoire. Un regard rapide, déploiement panoramique d'une surveillance alerte, mais je ne voyais nulle part la silhouette pâle d'un être que ma conscience chérissait, et qui, en cet instant, aurait probablement pu, par sa présence, expliquer la situation. Je reposais les yeux sur Karine.

    « Laissez moi vous inviter à prendre un thé. La cafétéria est juste là, si vous voulez bien m'accompagner, ce sera plus agréable pour discuter. »

    Sans vraiment chercher à voir où en était Momo, je m'engageais, le plus tranquillement possible, vers les restaurants universitaires, avec la sensation un peu étrange d'être un Orphée qui craignait l'Eurydice le suivant. Ressortant la main de ma poche, le portable glissé entre mes doigts, je l'ouvrais, détaillant d'un coup d’œil l'écran qui affichait la présence d'un nouveau message non-lu.



    From : Chess
    To : Litchi

    17:06 07/05/2014
    Coffee ?

    Mes dents s'enfoncèrent dans ma lèvre inférieure, appuyant dans des tapotements aux pressions irrégulières.


    From : Litchi
    To : Chess
    17:12 07/05/2014

    « Hey. 20, au moins, en transfusion.  <3
    Est-ce que tu es au courant, dis moi, que ta mère est ici, avec moi ? »


    J'envoyais le message, avant d'en retaper immédiatement un autre, tandis que j'arrivais face aux portes de la cafétéria. Un regard en arrière, bref, me fit heurter celui de Karine. Je me concentrais sur le portable.

    From : Litchi
    To : Chess
    17:12 07/05/2014

    « Je suis à la cafet de l'université avec elle. »


    Rangeant le portable dans ma poche arrière, je tirais la porte, l'amenant à moi, et me rangeant sur le côté, pour laisser Karine passer devant moi. Mes yeux la suivant, j'allais nous installer à une table, les lieux étant calmes et relativement silencieux durant cet horaire de cours. Je commandais, sans oser vraiment m'avancer sur une conversation pour le moment, attendant que nous soyons complètement face à face. Quand l'on déposé des tasses face à nous, je récupérais l'élastique, allié quotidien attaché en permanence à mon poignet, et récupérant la totalité de ma crinière, je tirais en arrière mes cheveux, les attachant en un chignon strict, ne laissant pas une mèche dépasser.

    « Est-ce que je peux vous demander s'il y a un problème pour que vous veniez me voir ? Nous ne nous étions jamais rencontré auparavant, alors je suis un peu … surpris. »

    L'étais-je ? Assurément. À ses yeux ? Je n'avais aucune idée de quelle image elle se faisait de moi. À quoi ressemblait le type que je devais représenter, habillé en noir, jean et T-shirt de la même nuance, doc martens blanche aux lacets noués autour des cheville, et mon sac de cours débraillé, tout cela face à une tasse de thé ? J'observais son maintien quasi professionnel, ses cheveux longs et colorés, et ses yeux différents, repères visuels auxquels je m'accrochais pour ne pas regarder autre chose.
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Mer 31 Juil - 13:43

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Age : 30
Habitation permanente : KMO, Hiryuu : 05 rue de la Chance, app: 32 ou la Chambre 110 de l'université KMO ou chez Zakuro.
Occupation : Étudiant en psychologie | Mangeur d'âmes.
Kohaku Joshua Mitsumasa

Kohaku Joshua Mitsumasa
Mes pas avaient eu vite fait de s’imposer contre le carrelage du bâtiment universitaire, résonnant comme des déclenchements de tirs, comme la manifestation à feu ouvert de la puissance mécanique d’une arme automatique qui ne cesserait sa pluie fatale que lorsque sa cible – et les dommages collatéraux l’entourant-, auraient été abattus. S’exhibait, dans mon parcours, une précision à laquelle j’avais arraché la friabilité de mes déplacements habituels. J’avançais, filtrant au travers de la marrée disparate des étudiants vagabondant dans les couloirs, vrillant des yeux les insignes des locaux que je dépassais avec une attention adoratrice. Pas celui-là, nope, mauvaise combinaison de numéros, ah-ah-ah. Je freinai, devant la porte, mes sandales crissant contre les tuiles cirées du sol, et m’empressai de bifurquer à contre-courant des élèves qui quittaient encore la salle. Si le tourbillonnement blanc calfeutré d’arc-en-ciel que je représentais indisposait la populace de par sa démarche irrévérencieuse, celle-ci avait appris à ne plus relever mes actions. Les gens du cursus d’histoire, du moins ceux partageant les cours de Zakuro, préféraient ignorer l’impertinence de Kohaku Joshua Mitsumasa et ne soulevaient ses apparitions qu’au travers de murmures qui s’égaraient dans la cacophonie des anecdotes et rumeurs universitaires. Je fouillai les gradins de l’amphithéâtre d’un regard hétérochrome – bleu, rouge, pour le titillement d’un souvenir qui jouait toujours dans ses yeux comme un film – dessinant mentalement les traits auxquels je voulais m’accrocher. Habituellement, il dépassait la plupart des têtes qui l’entouraient et il n’était jamais bien difficile de croiser l’intensité de ses iris dans  le grouillement d’une foule. Je n’avais qu’à relever la tête, une inclinaison vers le haut, qu’à négliger le pullulement d’une société que j’avais lavé de sa peau, pour le retrouver.

Mes doigts s’aplanirent contre la cloison de la porte. Vraisemblablement, Zakuro avait déjà quitté la classe. Ma langue heurta mon palet dans l’apposition usuelle d’un agacement que je ne pouvais diriger que contre sa non-présence. Je tournai les talons, mes phalanges traçant le cadre de l’entrée, et retrouvai le couloir, ainsi que les poissons bipèdes qui parcouraient sa longueur, cherchant des yeux un élément qui pourrait m’éclairer quant à la location du pourfendeur des âges. Je ne mis pas longtemps à trouver un indice qui susceptible de  jeter des flammèches à l’intérieur de ma lanterne et le considérai avec un dédain à peine contenu.

Momo. ( Mei avec une tresse et le fantôme d’une cigarette au bec. Mei avec des souliers de ballerines cloués aux pieds. Mei avec une bouche de satin sirupeux que je rêvais de cimenter. )  Momo l’éventuelle borgne de ce cœur qu’elle n’avait pas su rendre aveugle à Zakuro. ( Les coeurs ont des yeux, oui, et le sien fixe ma création avec une douceur qui courrouce mes ardeurs. ) Je la regardai passer le coin du couloir, imbibée d'un noir qu'elle avait assurément cherché à lui voler. En vain, parce qu’on ne trouvait pas de noir dans les pixellisation enivrante de son bleu.

Mes sandales claquant contre le sol, je la hélai, transperçant de mon corps l’algorithme des âmes qui picoraient mon chemin comme la donnée erronée de l’un de ses nuages de points que mes professeurs de mathématiques avaient dessiné sur le tableau blanc, lorsque je fréquentais encore les écoles du Québec. Je les tassai sans ménagement jusqu’à l’atteindre, elle, Momo – pas Mei, pas des chansons mortes contre le gravier –  heurtant son épaule  de la mienne dans ma hâte.

Elle se recula dans un geste imperceptible et rencontra mon regard avec une contenance que j’eus envie de fracasser contre celle de Swan jusqu’à ce qu’elles explosent en une série de paillettes holographiques, jusqu’à ce que les craquelures, veinures mal colmatées, déjà visibles dans leurs extérieurs trop lisses s’évincent et s’émiettent, giclent.  Mes doigts cliquetèrent contre mes cuisses sous l’impulsion engendrée par les images, mais je freinai tous mouvements à son endroit, articulant une interrogation sèche quant à la localisation de Zakuro.

Sa réponse, quelque chose dans les lignes d’un rônin se dirigeant vers la cafétéria sans qu’elle arrive à le suivre, eut à peine le temps de franchir ses lèvres que j’avais déjà tourné les talons.


-


Elle le détaillait, ses pupilles grimpant et descendant sur la surface colossale de son corps avec une avidité  réminéscente de celle qu’on décèle chez les acheteurs potentiels d’une marchandise dispendieuse.  Elle le détaillait comme on détaille une réponse si évidente qu’on se targue et s’embarrasse de ne pas l’avoir trouvé avant. Son menton relevé, elle se laissait sombrer – cornée, iris, pupille – dans la contemplation édifiante d’une vérité que son fils avait voulu tenir éloignée d’elle.

Lors de leur soirée mondaine dans un restaurant certainement trop balisé pour convenir aux nuances éclatées de sa progéniture – affublée d’un sourire latent et d’un magenta qu’il était impossible d’associer à une quelconque formalité –, Yuu avait su tenir la conversation loin de zones qui auraient pu susciter une quelconque altercation, s’égarant dans des questionnements usuels relatifs à la scolarité de son fils, le félicitant brièvement quant à sa rémission physique à la suite du séisme qui avait ravagé la ville. ( Le cœur de Karine s’était serré à la mention de cet événement tragique. Elle s’était revue se ruer dans la direction de son clavier pour attraper les premiers d’avion qui lui tomberait sous la main, s’était revue frapper son bureau de ses poings  en apprenant que les lignes aériennes avaient été temporairement bloquées. Elle avait revu le visage placide de son mari, constipé dans une inquiétude qu’il dédaignait et sur laquelle il ne voulait pas s’attarder. )

Joshua, contre toute attente, n’avait pas cherché à provoquer des flammèches, se montrant calme, quoiqu’excessivement distant, chacune de ses syllabes semblant vibrer de significations supplémentaires à celles qu’il leur donnait le droit d’écouter. Ses phrases s’étaient faites simples, directes, et il avait souvent écarté ses yeux des leurs pour les porter sur sa compagne, cherchant une validation à son comportement. Il y avait eu quelque chose de contenu dans l’attitude qu’il avait affiché à l’égard de la jeune femme, quelque chose qui avait ébloui Karine. Joshua, elle se rappelait au moins de ça, n’avait jamais été le genre d’enfant à faire preuve de mesure, de douceur, et tout ce qu’elle avait cru connaître de lui s’était vu écarté par la présence de Yume. Elle avait l’impression que les années de séparation qui avaient suivies son départ du Québec avaient façonné un être ne correspondant plus du tout avec la fureur, la folie.  Pourtant, dès qu’il ramenait son regard à eux, ses parents, il se transformait à cet être dissonant au regard froid et au sourire aux angles inquiétants

Yume, délicate et presque nerveuse dans son accoutrement scintillant, n’avait pas scillée face à son comportement, visiblement habituée aux nuances folles qui filtraient trop rapidement entre les doigts de Karine. Elle s’était aussi prêtée aux jeux des circonstances, ses yeux pétillant de curiosité, alors qu’elle répondait docilement aux dialogues lui étant lancés, ses phalanges valdinguant contre le tissu de la chemise de Joshua.

Il y avait eu quelque chose de très vrai dans cette rencontre, quelque chose qui lui avait, malgré tout, semblé faux. Aussitôt que son horaire le lui avait permis, elle avait remonté les fils sociaux menant vers son fils, cherchant à éclater des mystères et à estomper sa culpabilité.

Zakuro, de par-delà d'un thé fumant, ramena ses cheveux vers l'arrière, les nouant dans un mouvement que Karine suivit du regard, investiguant le langage corporel du jeune homme d'un revers de ses yeux pers. Elle se rappelait de sa silhouette se découpant contre celle de Joshua, lorsqu'elle avait revu son fils, après tant d'années passées à ne voir de lui que les rares clichés que Sophia daignait lui montrer  – une rivale de cœur au pied lourd, rongée par une amertume qui avait abreuvée l'enfance de son enfant –, elle se rappelait leur brève proximité, des paumes quittant des épaules à la hâte, et cela ne rendait que sa scrutation du japonais plus intense. Si elle se heurtait encore face à un portrait élimé, face à des lèvres ne formant des vérités qu'à-demi mot, il ne lui resterait qu'un dénommé Kojiro à visiter. Ensuite, elle devrait s'avouer vaincue, se résoudre à laisser l'existence de son fils perdurer dans un inconnu qui semblait lui siée à merveille.

Elle porta son thé à ses lèvres, alors que Zakuro la questionnait, testant précautionneusement les eaux de sa présence. Encore une fois, une telle délicatesse humaine, un siège, un breuvage et des formules usuelles lui semblait s'écarter du profil préconçu dans lequel elle casait sa progéniture, barbouillant l'image du bambin qui mordait ses oncles et ses tantes à défaut de les saluer de traits de crayons plus gracile, plus fluide. Karine considéra cette perspective d'un sourire, soufflant la condensation émanant de son gobelet avant de répondre d'un ton prévenant.

« Il n’y a aucun problème, rassurez-vous. Simplement, comme vous venez de le dire, nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant. J’ai décidé de profiter de ma visite à Keimoo pour rencontrer les amis de mon fils. »

Elle tinta son gobelet de thé contre le sien.

« Apparemment, vous en faites parti. »

Ses interrogations fourmillaient le long de sa gorge, excitées et insistantes, mais elle ne pouvait se résoudre à toutes les lâcher simultanément. L'incompréhension qui en résulterait ne serait nullement profitable à l'acquisition des morceaux de son fils, ne lui apprendrait rien d'autre que comment perdre sa crédibilité en face des étudiants de la prestigieuse Académie de la ville de Keimoo. Chaque chose en son temps, elle n'avait pas fait tout ce chemin pour effrayer le pauvre garçon. Sa seule présence dans cette cafétéria était déjà un accomplissement, déjà une source d'informations importantes.

« Votre ami Senta m'a référé à vous lorsque je lui ai demandé des nouvelles de mon fils. Kohaku est un garçon très . . . privé. Il ne me raconte pas grand chose. »

'Privé' n'était pas un mot qui s'agençait à Kohaku, du moins, pas à cette version sauvage et folingue qui avait quitté le Québec dans un silence tout aussi acharné que pesant. Il cadrait sa méfiance, combustion glaciale, contre les figures d'autorité qui restreignaient sa force vitale. Il persifflait sa haine au travers des calculs disloqués de sa pensée, triturant avec une férocité latente des liens dont il voulait se défaire. Il y avait quelque chose d'étouffant dans la constatation ferme que son fils ne l'aimait pas. Quelque chose d'encore pire dans le fait de l'accepter. Et elle palliait le tout dans un halo de résilience qui la poussait à vouloir se rattraper.

Il avait frappé Beaudoin, avait poussé Yuu, mais, elle, il ne l'avait jamais touché. Elle aimait se dire que cela comptait pour quelque chose, que quelque part, dans les profondeurs de souvenirs châtiés, résonnait encore la proximité maternelle qu'elle lui avait trop peu longtemps prodigué.

Elle sentit tout de même Zakuro tilter, dans un clignement de paupières interdit, contre l'usage du mot erroné et ne put empêcher la formation d'une boule nerveuse dans le creux de son estomac. Cette réalité dans laquelle elle ne connaissait son fils que de nom et d'âge était bien réelle, bien tangible et bien douloureuse.

Elle inspira un rire poli, soufflé.

« Savez-vous pourquoi il vous a recommandé vous plutôt qu'un autre ? »

Elle ne voyait le reflet de son fils nulle part dans ce colosse aux mèches furieuse et au regard stellaire, elle ne réceptionnait aucune similitude dans leurs mouvements. Pourtant les faits stipulaient le contraire, renvoyaient à des atomes crochues s'accommodant sous le derme. Debout, côte à côte, Zakuro devait dépasser Joshua d'une bonne tête . Ses bras, déposés contre ceux de son fils, se révélaient indubitablement au moins deux fois plus large. Elle n'avait pas, en face d'elle, quelqu'un qui aurait pu être forcé dans un rapport coercitif de par la violence illogique de Joshua. Non, cet étudiant avait la force visible de se rebeller contre n'importe quels sévices. Il ne s'agissait pas d'une victime.

Qu'avait-il vu dans Joshua, alors ? Qu'avait-il vu de ce monde qui lui échappait ?

« D'où vous connaissez-vous, tous les deux ? », demanda-t-elle, thé entre les doigts, usant de sa curiosité désespérée comme motivateur et du professionnalisme de son expressivité comme béquilles à ses émotions conflictuelles.


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Mer 31 Juil - 13:44

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Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea

    Doutes empilés, humeur interdite.

    Je suis immobile dans un tunnel,
    et je ne me vois pas dans le noir.

    Je ne sais pas ce qui se passe.



    Veillant à ne pas commettre d’impair, incapable de déterminer quel combat se jouait en cet instant, j’observais se défiler les possibilités du moment, dans cette rencontre imprévue, impétueuses, laquelle se dessinait progressivement comme l’étalement succinct d’instants inconfortables. J’ignorais à quoi s’ouvraient les champs qui s’entretenaient dans la continuité de cette entrevue, et j’ignorais comment appréhender le moment. Elle sourit, ses mouvements disposés en une suite de gestes trahissant la parfaite maîtrise de son instant, et calquant mon attitude sur son aise apparente, je cherchais à refréner l’anxiété qui naissait de cette réunion pas particulièrement désirée.


    « Il n’y a aucun problème, rassurez-vous. Simplement, comme vous venez de le dire, nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant. J’ai décidé de profiter de ma visite à Keimoo pour rencontrer les amis de mon fils. »

    Les derniers mots, dans une appellation qui ne me renvoyait pas à Joshua, qui ne lui correspondait pas,  me firent crisper les mâchoires, et durant un instant, je combattais l’idée de la détromper. Son humanité n’était pas autorisée à essayer de le rattraper de manière aussi vicieuse, je ne le tolérerais pas. Comme esquive, j’offrais un sourire, tentative douloureuse de passer outre. Mouvement, détail, elle fit claquer ses dents contre l’ivoire, et j’eus du mal à ne pas percevoir le reflet de Joshua dans cette attitude.

    « Apparemment, vous en faites parti. »

    Comme un test prédateur, nos regards entrecroisés, je répondis à l’affirmative, sans oser ouvrir la bouche, acquiesçant simplement par un mouvement léger de la tête. La prudence, sous la forme d’une carte que je jouais du bout des doigts, me permettrait peut-être de trouver la meilleure attitude à adopter face à l’individu qu’elle représentait. Mes prunelles s’étrécirent, tandis que je réfléchissais. Elle n’était pas un danger. Rien en elle n’inhalait l’imposition d’un rythme en mesure de brusquer le mien, et par un simple examen visuel, il était facile, -trop-, de comprendre qu’elle n’avait pas la force physique pour me blesser en aucune manière que ce soit. Pourtant, elle représentait un point que je n’avais pas imaginé figurer sur ma ligne de parcours. S’imposant contre moi, comme un repère que je cherchais à ignorer, elle se voulait un instant que je ne désirais pas. Je ne pouvais pas l’effacer, aussi …

    Inspirant brièvement, en plissant les yeux, je l’observais rire, notant avec une pointe de satisfaction qu’elle ne lui ressemblait pas tant par rapport à ce que que j’avais pu intensément craindre. Elle restait un reflet, une illusion qui n’appuyait pas sur le  calque de mes perceptions. Elle brusquait, et crissait les feuilles de mon mental, assurément, mais elle ne modifiait rien, ne changeait aucune chose. Elle n’avait pas son sourire. Il était inimitable.


    « Votre ami Senta m'a référé à vous lorsque je lui ai demandé des nouvelles de mon fils. Kohaku est un garçon très . . . privé. Il ne me raconte pas grand chose. »

    Les antonomases s’étaient succédées sur le rebord de ses lèvres sans que je ne puisse discerner les relations quelconques que cela entretenaient avec la réalité. Senta, avais-je pensé durant une seconde, était assurément à des années-lumières de ma perception, probablement trop rédhibitoire, de l’amitié. C’était un premier point, le seul qui aurait du, si la phrase ne s’était pas continuée, me choquer. Mais sous l’épithète à Joshua, le choc se valait. Pour un mot reçu, équivalait un impact de sourcils entre eux, et j’avais cillé, sans m’en empêcher, marquant la cassure de son rythme par le bris de mon impassibilité irritée. La surprise qui piquait, comme une aiguille enfoncée sous le mauvais nerf, avait remué en moi la désagréable sensation d’appartenir à un univers en désaccord avec un autre, lequel se voulait adversaire dans ma perception de Joshua. Que savait-elle réellement de lui, avais-je envie de la questionner. Je m’en empêchais, dans une politesse targuée par l’éducation de Nami, qui en cet instant, venait me ferrer, dans ma norme sociale.

    « Savez-vous pourquoi il vous a recommandé vous plutôt qu'un autre ? »

    Comme une vague s’abattant sur les digues de mon cœur, jaillirent les sentiments d’une adoration possessive. Et mes yeux dans les siens, dans cette escarmouche provoquée, provocante, il y eut cette envie suffocante de lui répliquer la sentence propre à Montaigne et La Boétie ; parce que c’était moi, parce que c’était lui. Que savait-elle ? L’essoufflement vertueux d’une volonté d’être l’unique, d’être l’acrasie de la raison, d’être rien qu’à lui, pour lui, toujours et sur l’absolu profond d’une temporalité que je tisserai de mon bon-vouloir. Une pulsion de désir et de rage, qui me motivait à n’exister que pour me considérer comme l’unique regard qui méritait de l’observer.  Cette intensité jalousive de vouloir répondre qu’il m’appartenait et que je me damnerais pour son sourire et ses murmures. Elle ne savait pas.

    Les mots me manquèrent, et je contemplais, les lèvres entrouvertes sur un souffle coupé par la tuerie de mes sentiments, patientant une autre stimulation, veillant à recouvrer le rythme pour répondre correctement. La question était importante, je ne voulais pas en fausser la réponse, et le silence, quoiqu’inadmissible, était pour l’instant une unique figure de substitut afin de pouvoir construire au mieux ce que j’avais à offrir. Joshua, songeais-je, était trop dans mon être. Un trop qui ne se qualifiait pas autrement que par un tout. Un « trop » d’intensité, un « tout » dans l’inconditionnel. Elle était une mère, avait-elle à comprendre ? Une crispation dans mes doigts me fit effleurer l’arpège d’une angoisse.

    Nos yeux ensemble, dans une recherche opposée. Que savions-nous l’un de l’autre ? Je lui souris. Je savais son nom, elle connaissait le mien, mais nous ne possédions l’un et l’autre que les images que nous étions construits, par imagination, de ce rôle que nous devions tenir dans l’existence de Joshua. Et, sans pouvoir le fonder avec certitude, j’avais l’impression que le prénom de « Carter » tenait un rôle plus important, au vue des coups de téléphones, que celui de « Karine ».

    « D'où vous connaissez-vous, tous les deux ? »
    « D’Internet. »

    Ma langue glissa sur mes lèvres, mon sourire étirant les chairs asséchées d’une mimique tendre, qui se vouait à une politesse raffinée par l’expérience, et maîtrisée par la cordialité à offrir en cet instant. J’avais envie de hurler, mes instincts raisonnables rendus trop primaires face à l’humanité de cette femme qui me renvoyait le reflet de ma mère, et je ne savais comment considérer les formes de son visage, lesquelles ne voulaient pas être acceptées par mon cerveau comme les siennes. Je voyais un masque déformé de Joshua,  je voyais des détails pliés et froissés, qui me renvoyait à la perception génétique d’une réalité transformée en origami. Mes yeux fouillaient sa face, et je devinais mon trouble trop apparent, presque autant que je savais que j’apparaissais crispé face à elle. Mes doigts se serrèrent.

    « Je ne m’attendais pas réellement à vous rencontrer un jour, vous savez. »

    Lawrence n’aurait probablement jamais eu cette approche. Douceur et délicatesse, deux vertueuses maîtrises propre à son individualité, qu’il aurait déversé en un miel, allant jusqu’à le glisser dans la bouche et les yeux de son interlocuteur, pour le charmer, au-delà de cette approche probablement frustrée que j’occasionnais. Mes yeux abaissés sur les doigts de la femme, j’en devinais les mouvements de phalange et l’autocratie de ses sentiments, avant de relever les yeux vers elle. Il y avait ce fossé entre nous, et je pris, doucement, l’option de le franchir.

    « Son répondeur laisse à penser que vous n’êtes pas en très bons termes. »

    Je n’avais aucune envie d’aplanir devant elle le sujet de son humanité, et en cette seconde précise, je réalisais à quel point il était aisé de s’éloigner des schémas attendus en la norme sociale. Elle était sa mère, et qu’étais-je, très probablement, à ses yeux ? Le constat du répondeur était une pique tout autant qu’une défense, et je ne savais pas réellement où il déboucherait, mais j’avais la sensation que ne pas aborder les sujets que je maîtrisais, en me laissant simplement dévoiler, serait occasionner une absence, une case vide qu’elle n’arpenterait pas. Maintenant, il était facile de comprendre pourquoi elle était là. Comme un acte désespéré, que je ne pouvais ignorer, je réalisais que les univers nous séparant était infranchissables. Je pouvais très bien, pour ne pas me déranger, pour ne pas perturber quoique ce soit, la laisser seule. Elle voulait des réponses. Est-ce que j’avais réellement envie de lui fournir des réponses ? Je ne cherchais pas à me considérer comme une personne en mesure d’abandonner les autres dans les trous, en particulier quand ceux-ci tendaient les mains vers moi, en réclamant mon aide. Mais. Est-ce que cela valait pour elle ? Il m’avait structuré, et, les yeux abaissés pour ne pas croiser le regard de la femme, je considérais ma position. Avait-elle  l’argent nécessaire pour se permettre un billet d’avion inutile jusque là ? De manière indirecte, il valait mieux ne se concentrer que sur le fait que j’aie son numéro de téléphone. C’était déjà un bon indice. Mais il y avait énormément de lâcheté à le reconnaître. Je ne pouvais pas chercher à essayer de l’apprécier. Mes doigts accrochèrent la tasse de thé délaissée jusque là, et je pressais mes phalanges contre l’ivoire.

    « Joshua et moi couchons ensemble. On parle, on sort ensemble. Des fois, il glisse ses mains dans mes cheveux, et récemment,  je vais chez lui pour qu’il m’aide à réaliser certains devoirs. Le plus souvent, il vient dans mon appart, et on joue à la console, ou bien on promène le chien.  Il arrive que, parfois, on fasse des choses qui ne soient pas très recommandables, et qui nous vaudraient un blâme ou une heure de colle si la direction de l’académie l’apprenait. Je le fais monter sur la moto pour apprécier sa présence derrière moi, et lui s’amuse à en démonter le moteur quand je ne le regarde. J’ai eu un accident avec, et il m’a tellement hurlé dessus, que j’ai cru que j’allais mourir devant la frustration ressentie à l’idée que je pouvais le perdre. Il m’apprend des choses, et je l’écoute souvent. J’ai parfois l’impression d’être un idiot, et je me demande comment il peut me tolérer. J’ai pleuré de fatigue le jour où je l’ai rencontré, et aujourd’hui, il m’arrive de ne plus pouvoir pleurer du tout, devant la terreur que j’ai à l’idée de le perdre. Je ne suis pas autorisé à toucher à ses produits de décoloration pour cheveux, mais je lui parle parfois de mes études en physique, et il m’écoute patiemment, même si le sujet n’est pas passionnant. Il vient parfois ficher ses doigts contre mes clavicules, et il me griffe le dos quand nous faisons l’amour. Il a changé Senta, en mieux, et il transforme à long terme mon ami Kojiro. Il dessine incroyablement mal. »

    Mes doigts abandonnèrent l’ivoire, et je vins poser ma paume contre ma joue, appuyant mon coude sur la table. Mes yeux la fixant, il me parut que ses yeux avaient la délicatesse de ces choses qui ne sont pas aussi fragiles qu’elles en ont l’air, mais qui ne peuvent, malgré tout, pas résister à la violence du temps qui s’abat. Elle était humaine, et durant quelques secondes, je pris en compte l’idée de la trouver belle femme. Elle était quelqu’un d’existant, et qui devait se soucier de lui.

    « Joshua est important. »

    Il aurait été plus facile de parler de cela à n’importe qui. « N’importe qui » n’aurait probablement pas compris, mais n’importe qui n’aurait pas fait monter en moi ce frisson dans lequel je distinguais angoisse et un désespoir sous-latent. Contre ma mâchoire, mes doigts se crispèrent. Elle avait à comprendre, car ce que je lui disais, je ne considérais pas cela comme des mots jetés au vent. Doucement, dans un élan rival, je précisais.

    « Pour moi. »

    Elle était quelqu’un, j’en étais un autre, et notre affrontement s’équivalait, sans que je ne comprenne pourquoi il existait. Je ne savais pas ce qui avait amené à ce moment, et je n’étais pas sûr de pouvoir l’assumer complètement. Mais il existait, et elle était là, imposant par sa présence l’assurance que je lui transmettais ce qu’elle voulait obtenir. Instant cristallisé par sa contemplation pensive, j’évitais de bouger, et le temps parut glisser au ralenti sur les cils de la femme. Mes réponses étaient trop évasives, mais je ne pouvais pas lui fournir plus de détails.  

    Sous les couches de vêtements et de chair se devinait l’emballement de son coeur, de ses poumons, et les lèvres fermées, dans un silence ambiguë, je nourrissais l’envie secrète d’avoir accès à ses pensées. Les interrogations flottaient, et entre nous, l’instant tendu d’une réflexion muette.

    Alors, modifiant ma position, pour briser cet instant d’immobilisme qui coulait depuis trop de secondes, je tendais les doigts, en faisant glisser mes phalanges sur les spires de vapeur, et gardant les yeux baissés sur les reflets troubles du thé. Avions-nous avancés sur le terrain de cette conversation ? J’ignorais beaucoup d’elle, j’ignorais si je tenais à savoir plus que ce que je possédais déjà. Son visage, comme connaissance, était déjà un poids particulier sur ma conscience. Je pris de le choix de lui faire remarquer.

    « Vous lui ressemblez un peu …- »

    Mes pensées évaluèrent, et je livrais, sur un ton entre deux fréquences.

    «  - mais je ne suis pas sûr de pouvoir accepter de voir l’homme qui a des yeux comme lui. Je ne sais pas, en fait, si, en me laissant le choix, j’aurais tenu à discuter avec vous, ici. Maintenant. On est une expérience l’un de l’autre, là. C’est neutre, mais ça ne plaît pas beaucoup. »

    J’avais l’impression d’être rendu au statut d’un poussin pataud, d’un chiot encore aveugle, trop offert et trop à découverte. Secouant brièvement la tête, pour cacher un soupir irrité, je feins l’intérêt pour mon thé que je ne buvais pas, avant de questionner, avec une sensation d’un malaise sous-jacent, en équilibre entre timidité et réfutation. Je me sentais mal depuis le début de cette conversation, et cela n’allait pas s’améliorant.

    « Si je n’avais pas répondu à votre question, vous seriez repartie avec l’impression d’avoir perdu votre temps. »

    Sans croiser son regard, mes prunelles posées sur le vert décoloré du macha, je marmonnais, incertain.

    « Je crois que je tenais à vous éviter cela. »
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Mer 31 Juil - 13:45

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Age : 30
Habitation permanente : KMO, Hiryuu : 05 rue de la Chance, app: 32 ou la Chambre 110 de l'université KMO ou chez Zakuro.
Occupation : Étudiant en psychologie | Mangeur d'âmes.
Kohaku Joshua Mitsumasa

Kohaku Joshua Mitsumasa
Elle écoutait parfois le message préenregistré qui servait de répondeur à Kohaku, les yeux fermés et le dos posé contre le mur de sa cuisine, en se murmurant qu'il y avait eu, indubitablement, assurément, une époque durant laquelle il l'avait appelée 'maman'. Dans ces moments, loin des pupilles scrutatrices de Sophia et de l'expressivité tranchante de Yuu, elle ne songeait pas aux subtilités du conditionnement - toutes les génitrices s'appellent 'maman' - et refusait de réfléchir, ne serait-ce qu'une seconde, au sens que son fils attribuait à la nomenclature associée aux figures d'autorité inhérente à l'enfance, à l'adolescence - elle étouffait l'insécurité viciée qui tordait son œsophage et qui transformait le sens de sa maternité en un échafaud disgracieux et suintant d'échec -. Elle préférait se dire que son fils, que son Kohaku Joshua et la soie de ses cheveux noirs, était comme tous les autres garçons et que 'maman' restait ce terme universel qui ne pouvait être vicié par le temps, par les circonstances d'une enfance partagée entre la colère et les paumes flétries d'une vieille dame qui jetait de l'huile sur un feu d'abandon -.

Elle écoutait parfois le message préenregistré qui servait de répondeur à Kohaku en s'imaginait que son fils l'aimait. Zakuro, ses yeux plissés dans une intensité qui la laissait frissonnante, lui servait une leçon d'humilité.

Karine masqua sa grimace derrière sa tasse de thé, laissant son regard heurter celui de Zakuro dans une prétention qu'elle voulait convaincante. Elle ne chercha pas à le contredire, ni à se justifier, et, le visage toujours à demi-dissimulé, se contenta de hocher la tête. Oui. Oui, elle non plus ne s'attendait pas à rencontrer les proches de Joshua. Elle profitait juste d'une occasion, transformait une obligation en possibilité. Oui, elle avait conscience de ne pas être en bon terme avec sa progéniture. Elle souhaitait simplement tenter de remplir le fossé d'un manque qu'elle avait elle-même creusé.

Oui.

Et le garçon, trop grand, réceptionnait la perche qu'elle lui tendait, accueillait son désespoir égoïste d'une réponse.  Ses mots déviaient de ceux que lui avaient servis les autres individus qu'elle avait abordés, sans toutefois y être complètement étrangers. Il ne passait pas par dix chemins, ne s’habillait pas des prétentions abracadabrantes dont avaient fait preuve les autres, dont avait fait preuve le charmant blondinet – Lawrence – qui avait précédé sa rencontre avec Zakuro. Il n’y avait pas de fausseté dans ses propos. Au contraire, elle tressaillait sous le poids d’une honnêteté qui se faisait tranchante, blessante.

‘Pas en très bon terme’ était peu dire, mais si la claque orale était la seule chose qu’elle avait besoin de subir pour en apprendre davantage sur son fils, elle tendrait l’autre joue sans hésiter. Elle avait rarement l’occasion de faire un pas dans sa direction, de tendre les doigts vers la forme blanchie par davantage que de simples modifications corporelles.

Karine craignait ce qu’elle pouvait trouver, mais ne souhaitait pas, du moins pas en cet instant, pas dans cette cafétéria un peu trop bruyante, détourner son regard. Elle aurait inévitablement le temps de s’éloigner, de se retrancher de l’autre côté de l’océan une fois les affaires terminées. Si la réponse la déstabilisait trop, elle n’aurait plus jamais besoin de regarder en arrière. Peu importe sur quelles genres de réalités elle tomberait, elle aurait le choix de poursuivre ou de fuir. Pour le moment, elle désirait simplement savoir et saisissait une opportunité qui ne se présenterait peut-être plus de le faire.

Zakuro reprit la parole et les incisives de Karine claquèrent contre sa tasse sous l’effet de la surprise. Il y avait de la couleur dans les mots du garçon, des teintes qu’elle alliait – malgré elle – aux mimiques dont Kohaku avait fait preuve durant son enfance et son adolescence. Elle revoyait l’intensité avec laquelle il s’exprimait, les moulinets de ses mains et la vivacité de ses yeux. Elle l’imaginait aux côtés d’un chien qu’il appréciait assez pour ne pas l’éventrer. Elle l’imaginait démonter une moto entière, puéril et obstiné, motivé par une affectivité qu’elle n’avait plus cru possible depuis le diagnostique de Beaudoin. Elle l’imaginait entouré de gens – d’amis – sur lesquels il était en mesure d’exercer une influence positive. Elle l’imaginait gribouiller des chatons tordus dans la marge de ses cahiers scolaires. Elle imaginait, usant de sa tasse comme on userait d’un bouclier, une boule de chaleur anxieuse appuyant contre son diaphragme.

La notion de sexualité la perturba vaguement, la laissant s’accrocher un peu plus au rebord de son récipient pour masquer la torsion disgracieuse de sa bouche, mais elle ne releva pas son inconfort de peur de mettre un terme au dialogue. Elle ne pouvait toutefois point s’empêcher de relier ces affirmations avec le visage de celle qu’elle avait rencontré au restaurant plus tôt dans la semaine, de se demander qui était Yume Namida, qui était cette jeune femme qui avait lissé la férocité du visage de Kohaku d’un simple regard et sur laquelle il avait déposé les perles d’une douceur méconnaissable ? Qui était-elle si l’individu assis en face d’elle était celui avec qui son fils entretenait une relation intime ?

Karine inspira posément, relâchant la poigne qu’elle exerçait jusque là sur le récipient de son thé et dévisagea Zakuro sans chercher à dissimuler, cette fois, sa curiosité. Les questions qui découlaient des propos du jeune homme s’inscrivaient sur sa peau à la manière de jeux d’ombres, mouvantes et libres à l’interprétation. Elle ne savait simplement pas par où commencer, dans quelle direction s’élancer.

Elle pianota sur les paroles du colosse, glissant sa langue contre les ridules de son palet. La notion d’importance énoncée par Zakuro lui fit considérer leurs ressemblances et elle les visualisa installés de côtés opposés d’une clôture qui renfermait des étapes de la vie de Kohaku Joshua. Pendant un instant, elle considéra que cette importance pouvait devenir un facteur qui la reliait, elle, Karine Dubois, à la personne encore méconnue qu’était Zakuro Fea, un sentiment susceptible de les unir.

Elle se, toutefois, tenait du coté d’une jeunesse qu’elle considérait comme on considère une courtepointe ravagée par le temps. Son côté de la clôture était parsemé de trous béants. Pendant un instant, elle s’était – encore, parce qu’elle n’admettrait jamais vraiment avoir relégué son rôle de mère à une autre, n’admettrait jamais avoir pris pour acquis l’entièreté d’une vie qui ne lui appartiendrait jamais – voilée la face, avait arraché ses lauriers à Sophia. Au final, c’était elle, cette vieille dame suintante d’aigreur et de cynisme, qui serait en mesure d’adéquatement se positionner en face de Zakuro, d’échanger son ressenti contre le sien. Son côté de la clôture, à elle, ne devait pas être jonché de gravas informes et d’espaces laissés vides par un surplus d’absences. Non.

Karine se retint de grincer des dents.

« Votre ouverture et votre honnêteté sont très appréciées. », souffla-t-elle de la plus séante des manières.

-

J’avais dépassé l’entrelacs temporel qui me séparait de la cafétéria, mes chausses claquant dans une hâte qu’il me tardait de déverser sur le flot chaotique des cheveux de Zakuro. Le bout de pêche atrophié qui lui servait de collègue n’était plus qu’une mauvaise particule contre laquelle j’avais eu le malheur de devoir me frotter. À la place, mes synapses filtraient, à l’intérieur de mon cerveau, des propositions miraculées que j’avais dégoté sur les médias sociaux de Lawrence – l’hôpital, pour la charité, organisait, en soirée, la peinte de l’un de ses murs et proposait aux participants de payer une poignée de yens pour s’amuser. Là où je n’avais que faire des dons qui seraient récoltés en l’honneur des enfants malades, l’idée de laisser courir mes doigts couverts de peinture grasse sur l’étendue d’un mur trop terne avait de quoi me charmer. Des couleurs contre le faciès d’une société monochrome. La monotonie qui, pour un vague instant, se chahutait d’arc-en-ciel.

Bien entendu, –car je ne saurais admettre le contraire– Zakuro serait de la partie et son regard deviendrait ce canevas que je chercherais à transcrire contre les fondations de la ville. Ses yeux ouverts contre des univers inédits seraient ces espions qui contempleraient les infirmières et les patients défiler dans la nuit.

Et les enfants de l’hôpital seraient des réceptacles récoltant l’argent de circonstances qui ne les aiderait pas vraiment. Et Momo serait loin à s’enliser dans des rêveries où le sourire de Zakuro à son égard serait autre chose que platonique.

Ce serait merveilleux.

-

Il avait poursuivit son dialogue –monologue d’une foulée de minutes auquel elle se retrouvait suspendue–, avait tressaillit contre le relief d’existences dont la combinaison des génitalités en était venu à  équivaloir le néant, à générer une parcelle d’immatérialité fulminante. Il avait tracé, de ses yeux trop clairs, les traits d’entités qui avaient bourgeonné en une créature qui n’existait que pour apprendre à s’engendrer hors des confins de leurs matérialités. Il avait d’abord soufflé contre les contours de son visage à elle, contre une ressemblance qui, visiblement, lui insufflait un sentiment d’ambivalence, quelque chose qu’il voulait peut-être nier. Puis, il s’était hérissé en un rejet catégorique de la silhouette de Yuu, fermant momentanément un visage qui avait jusque là cherché à demeurer ouvert. Ses yeux, disait-il, étaient les mêmes que ceux de Kohaku. Elle ne savait pas si elle cautionnait cette perception.

Karine l’avait observé, l’observait toujours, réceptionnant les bribes d’individualité qui se décollait de sa peau avec une curiosité qui se gangrénait posément.  Elle s’imaginait les recoller contre les épaules de Joshua, se targuer de récréer un puzzle qui ne s’agencerait peut-être pas. Ils étaient cette expérience inégale et la neutralité de Karine, au sein de cet échange, se transformait posément  en dépit. La situation présente, songea-t-elle, aurait bien différente si Carter s’était tenue dans la chaise qu’elle occupait.

Karine mordit sa joue pour taire un soupir et contempla les manières de son interlocuteur se disposer autour d’un thé qu’il ne buvait pas. Leurs malaises, à la fois communs et opposés, lui rappelaient ces fongi qui gagnaient du terrain en tissant un réseau sous-terrain, invisible à l’œil nu.

Au final, peut-être que tout ceci ne servirait pas à grand-chose, peut-être que la culpabilité n’était pas un motif suffisant pour revendiquer son rôle maternel. Peut-être qu’il était trop tard.

Peut-être qu’elle n’aurait jamais du craindre la violence d’un enfant qu’elle n’avait jamais su comment regarder dans les yeux.

Peut-être.

Elle déposa sa tasse et le claquement de la porcelaine fut avalé par la cacophonie de la cafétéria. Elle inclina la tête en signe de politesse, accordant à Zakuro un sourire brodée contre une courtepointe de démoralisation.

« Merci, c’est très aimable à vous d’avoir pris le temps de me répondre malgré votre ressenti. »

Ses phalanges vinrent effleurer la surface de son thé rendu tiède par les latences qui tempéraient leur discussion et elle inspira une goulée d’air profonde. Là où leur contact était scindé entre Joshua, cet étendard qui leur était commun,  et les différentes perspectives qu’il en avait, elle décelait, malgré tout, une dévotion déferlante dans les tréfonds de ce gigantesque garçon. Une seconde, elle s’imagina ses bras se refermer sur la forme frêle de sa progéniture, s’imagina les teintes contradictoires de leurs mèches saigner l’une dans l’autre. Elle se demanda comment ébrécher la surface de cette intimité, se demanda comment changer cette notion de temps perdu en temps gagné. Elle se demanda comment enquérir son aide.

Peut-être n’était-il pas trop tard.

« Pourquoi auriez-vous préféré ne pas avoir à me rencontrer ? »

Il lui fallait simplement essayer.

Peu importait, au final, que ce jeune étudiant la trouve mal avenue ou trop prompte. De son expérience, tenter sa chance avait toujours été le moyen le plus opportun de récolter des bénéfices. Là où Kohaku était concerné, elle n’avait jamais su comment bondir au premier rang, comme s’écarter du sentiment strident que lui imposait son fils. Elle n’avait jamais su comment assumer son rôle de parent, comment être une mère tout en étant une gestionnaire. Elle comprenant la réticence de Zakuro, entrevoyait très bien la rancune et la dérision. Kohaku Joshua n’avait jamais compris comment mâcher ses mots.

« Et pourquoi . . . », une hésitation. « Pourquoi Kohaku est-il important ? »

Le portrait que Zakuro lui avait présenté dépeignait une version fonctionnelle de Joshua, une vision de lui sur lequel un diagnostic de maladie mentale n’aurait pas dû être apposé. Une version différente de celle qu’elle avait observée lors de leur restaurant familial, moins faussée, moins décalqué sur un modèle de perfection sociale. À la culpabilité pouvait s’ajouter l’espoir – celui de s’être trompé, celui de pouvoir être ‘maman’, celui de savoir son fils capable d’aimer –.

Elle inspira une seconde goulée d’air et son index s’enfonça dans son thé jusqu’à la jointure.

« Je . . . Nous. Je réalise qu’il est peut-être trop tard pour tenter de réparer une relation qui a été laissé à l’abandon pendant trop d’années. Si je suis venue vous parler, aujourd’hui, c’est pour me donner le courage de construire un pont entre mon fils et moi. »

Elle approcha sa main de la sienne et effleura  les doigts du colosse.

« Aidez-moi à poser la première pierre. »
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Mer 31 Juil - 13:48

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Occupation : Fuir l'ennui avec acharnement.
Zakuro J. Fea

Zakuro J. Fea
Il y a trop de gens autour de nous, et brusquement, des élans agoraphobes viennent faire trembler mes mains. Ce n’est pas vraiment comme si j’étais effrayé, mais il y a une angoisse qui me tenaille, et tout autour de moi, ces stimulations bipèdes deviennent des sources de bruit qui me donnent envie que le monde se taisent, que le silence éclate. De cette manière, peut-être que mon stress va se raviser, tourner les talons, et je serais en mesure d’assumer complètement mon appréhension à l’égard de cette femme. Encore une fois, je la contemple, en essayant d’éprouver la sensation de découverte. Pourtant, elle ne m’apparait pas autrement que comme le miroir déformé de quelque chose que je ne connais que déjà trop. Je ferme les yeux, le temps d’un battement de paupière, et c’est suffisant pour que le filtre de Joshua soit évaporé, pendant quelques secondes. Pendant quelques secondes, je crois que je parviens à la voir telle qu’elle est, humaine et détachée, appartenant à ce brouillard d’individus qui crépite tout autour de moi.

Je la vois grimacer en m’écoutant.. Mes yeux s’étoffent d’une expression alourdie par le malaise. J’aimerais bien me lever, m’excuser et m’en aller. Les sentiments qui se mélangent, entre le poids de l’anxiété sociale brusquement établie, et cette lâcheté impromptue deviennent des poids qui m’écrasent sur ma chaise, ploient ma colonne, et me forcent à rester sur ma chaise. J’ai conscience, je ne le sais que trop, que ma franchise et l’honnêteté sont des lames que je lui enfonce sur la gorge.  Pourtant, je considère qu’il fallait réellement que je soulève ce détail du répondeur. Simplement parce que sinon, cela aurait été comme garder une porte entrouverte, sans chercher à satisfaire ou à combler le vide qui existait derrière. Comme un élément déplacé dans le décors. Maintenant, il me semble que tout est en ordre, que la situation, en se débloquant, a permit d’avancer sur un autre plateau. Comme dans un jeu vidéo, j’en suis rendu à autre tableau. Il est impossible, cependant, de nier que le level de difficulté vient d’augmenter, et le boss à affronter est plus terrible que le précédent. Je ne sais plus vraiment ce que je dois faire, quel est le rôle à remplir. Je sais simplement qu’elle me fixe, et que son humanité tout entière qui me toise me paraît reliée à tout ce monde dans la cafétéria. Que dans sa solitude et ce désespoir écrasant qui émanent d’elle, elle est en communication quasi religieuse avec tout ceux de son espèce, tout ces individus autour de nous.
J’ai sur la peau la sensation désagréable d’être plongé dans un bain de sangsues.

Ses incisives claquent contre la tasse. C’est un petit bruit, minuscule, qui me fait trahir un minuscule sursaut, et j’arrête de remuer mes mains, je les immobilise, en les abattant d’un coup de regard. Elles tombent, mortes, sur mes cuisses, et je fixe la femme en me demandant si elle me trouve bizarre. Est-ce que je ne me fausse pas ? Je ne devrais pas, probablement pas, penser comme ça. Mais juste parce qu’elle est sa mère, parce qu’elle est quelque chose, j’ai l’impression que je devrais savoir me comporter. Un peu comme n’importe quel individu de mon âge devrait savoir plaire à ses beaux-parents. Une fille, près de notre table, renverse son café sur elle, et devient en quelques instants l’attention de tous les regards. Mes pensées canonnent, et mon cœur bat un rythme épouvanté. Je n’ai pas besoin de penser comme ça, je songe. Elle n’est qu’humaine, et le respect n’est pas nécessaire. Je n’ai pas besoin de penser comme ça. Ma question vient la percuter, et je vois dans ses yeux tout une surprise qui me délivre de mon propre stress. Elle est fragile, peut-être plus que moi, et je dois savoir être en mesure d’apprendre à m’améliorer, à transcender ces terrifiantes sensations d’être accroché au sol. L’humanité qui m’effrayait il y a quelques instants vient de se transformer en un plasma, mou et informe, que je ne distingue plus vraiment. Mes yeux se sont accrochés aux siens, et je considère les mouvements nerveux de ses cils. Elle n’est pas lui. Elle n’a été qu’un utérus. Une transmission de génome, un moule, certes. Mais elle n’est pas lui. Il n’a rien, véritablement, de ce qu’elle est. Mes mains ne tremblent plus.

« Votre ouverture et votre honnêteté sont très appréciées. »

Je n’écoute plus vraiment. Je la fixe, et j’essaie d’imaginer l’intérieur de ses organes, plus tôt, lorsqu’elle s’est retrouvée enceinte de lui. J’essaie de l’imaginer, encore auparavant, couchée, les cuisses écartées, avec le pénis de son père engouffré dans son vagin. La visualisation apaise mes nerfs, et l’espèce de rumeur bourdonnante des humains environnant devient un silence. Mon calme est récupéré, et mon cerveau se concentre sur cette image d’accouplement improbable. Je n’arrive pas à imaginer un visage sur l’homme qui la pénètre. J’imagine seulement un buste, des jambes aux tibias poilus, des bras à moitiés repliés, des veines qui suintent, et le pénis. Mes yeux cillent, ma vision se trouble, et je réalise qu’elle s’est mise à me parler, sans que je ne l’entende prononcer le début de ses sentences. Mes doigts fusent, dans un réflexe trop poli, et je saisis de nouveau la silhouette d’une tasse de thé à laquelle je n’ai toujours pas touché. Je sais très bien que je ne le boirais pas. Il a ce goût trop prononcé d’un déterminisme qui m’irrite.

« - très aimable à vous d’avoir pris le temps de me répondre malgré votre ressenti. »

Je secoue la tête, avec cette sensation un peu ahurie de ne pas être la personne concernée par ses propos. Comme un imposteur, je découvre sans vraiment me laisser surprendre que toute cette situation a eu lieu parce que je me suis fait imposer une rencontre que j’aurais préféré esquivé.

« Pourquoi auriez-vous préféré ne pas avoir à me rencontrer ? »

Je ne réponds pas, pas immédiatement, et elle continue sur sa lancée. D’abord Kohaku, le questionnement sur son importance, avec cette hésitation qui me laisse penser qu’elle ne pourra jamais complètement me faire confiance. Une sensation, trop vive, qui vient me faire réaliser que oui, peut-être, cet instant ne devrait pas exister. Il se réalise de cette manière, et je ne peux pas l’empêcher. Mais je peux, je le peux vraiment, faire en sorte de modifier la course des choses.

« Je . . . Nous. Je réalise qu’il est peut-être trop tard pour tenter de réparer une relation qui a été laissé à l’abandon pendant trop d’années. Si je suis venue vous parler, aujourd’hui, c’est pour me donner le courage de construire un pont entre mon fils et moi. »

Elle essaie de continuer à imposer un rythme, et ses doigts qui m’effleurent deviennent un piège que je ne vois que trop s’approcher. Je pourrais me mettre à lui expliquer, je pourrais m’en aller. Il me suffirait de repousser la table, de m’écarter de cette chaise, de cette table, de cet endroit, et de traverser en quelques pas pour franchir la porte, et pour ne plus la voir. Elle pourrait me suivre, crier mon nom et attirer sur nous les regards, mais je doute qu’elle le fasse. Je doute vraiment, en cet instant précis, qu’elle fasse plus que ce qu’elle essaie déjà.

« Aidez-moi à poser la première pierre. »

Je n’ai pas à dire que j’avais peur.
Je n’ai pas besoin de revenir là dessus. J’écarte ma main, doucement, et le contact cesse. Je ne la lâche pas des yeux, pour ne pas perdre de vue la pensée qu’elle n’est qu’humaine. Elle viendra à mourir. Elle viendra à s’enfoncer plus profondément encore dans sa réalité, dans ses perceptions, et j’ai conscience, -ou je dois continuer à m’y attarder-, que ce ne sera pas notre cas. Pas la sien, pas le mien. Je ne peux pas établir de parallèles là où il n’y en a plus, et m’enraciner ne sera que régressif. Peut-être va t-elle continuer à être triste. Peut-être sera t-elle en paix avec elle-même.
Quand je serais fort, quand je serais le Ciel, j’aiderais les gens qui m’appelleront au secours.

Pour le moment, je ne peux pas.

Mon silence n’est pas un refus. Mon silence est simplement une tour, de laquelle j’explore les horizons, en essayant de déterminer la surface des possibles. Il ne me semble pour le moment pas envisageable de fuir. Je n’en ai plus le besoin, et ce sera déshonorant. Mais plus, je réalise que j’ai possiblement d’autres options, sans avoir cependant à me soumettre entièrement à un désarroi dans lequel elle veut me plonger. Je ne peux pas répondre à sa demande, je ne peux pas participer. Je ne suis pas là pour être un architecte.

Je ne suis qu’un observateur.

« Kohaku ... »

Je décide de répondre à la question la plus aisée. Celle qui me permet de n’avancer sur aucun des terrains imposés.

« Kohaku est important parce qu’il m’a permis de m’améliorer. Il est entré en collision avec ce que j’étais et me permet désormais de voir au-delà des limites que je m’étais imposé. Je progresse. »

Pas en cet instant même, peut-être pas. Non, je suis terrifié, alors je ne progresse vraiment pas. Mais je choisis, au moins, d’essayer de ne pas fuir.

La fille qui s’est renversé son café dessus se met brusquement à pleurer. Sa date, un quidam quelconque, paraît très mal à l’aise, et essaie d’éponger son chemisier avec une serviette en papier. Les tables voisines se sont retournées vers elle, et observe la face rougie de l’étudiante sanglotante. Une serveuse, gênée, esquive la table, tandis que sa collègue, au bar le plus proche, lui fait des signes de la main, en lui intimant de s’approcher. Des gens, un groupe de lycéens, se met à ricaner, et j’observe Karine.

« Excusez moi. »

Je me lève, en promettant de revenir d’un léger signe de la tête ; je ne vais qu’aux toilettes. L’abandonnant brièvement, je traverse la cafétéria, en contournant la table de la fille et de son café renversé, avant de pousser la porte de la salle d’eau. Tandis qu’elle se referme derrière moi, je sors de la poche mon téléphone portable, et lance l’appel, en refermant la porte d’une cabine derrière moi. Enfermé dans l’isolation d’une bulle en bois, verrouillée par un loquet métallique, j’amène le téléphone à mon oreille, et mon dos vient glisser contre la paroi de la cabine.

Peut-être bien que je me trompe. Peut-être bien que je devrais arrêter, ranger le téléphone dans sa poche, et simplement aller m’excuser. Parler de lui. Continuer sur sa lancée à elle, et l’aider. Peut-être que je devrais faire ça, et ce serait une bonne action. Je n’ai réellement pas la prétention d’être un héros, et mon attitude me surprend, mais je sais que je ne peux pas l’aider. Je ne suis pas encore en mesure de faire ça. Pas avec elle. Pas maintenant. Parce que je me trouve idiot, et trop inadéquat. Mon dos glisse encore, et je finis pas venir m’asseoir au sol, les tonalités du téléphone résonnant progressivement dans ce lancement d’appel. Je ramène mes genoux à la poitrine, et tente, sans vraiment y parvenir, de calmer les battements de mon cœur. Je me sens mal, et j’ai l’impression coupable d’avoir mal choisi mes actions, mes choix.
Je réalise considérablement que je ne suis pas assez fort.

Réponds, maintenant. J’ai besoin de toi.

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