Mes yeux s’ouvrirent lentement, encore légèrement alourdis par mon sommeil. Je pris un instant avant de m’habituer à l’obscurité de la chambre que j’avais emprunté dans la journée juste au-dessus de l’Aquarium, ce bar à Old Fyre. Je m’étais installée ici le matin même suite à une mission qui s’était terminée très tôt. Durant ce travail, j’avais peu dormi et j’en avais donc profité ici-même pour rattraper quelques heures de sommeil. La nuit venait d’ailleurs de tombée de ce que je pouvais voir à travers les volets. Une ambiance parfaite pour moi qui préférait vivre de nuit plutôt que de jour, depuis toujours. Peut-être était-ce la raison pour laquelle j’étais devenue une charmeuse ? Ridicule, je m’en rendais compte, mais qui ne se cherche pas quelques excuses pour éviter d’affronter la dure réalité ? Surtout au réveil, lorsque les défenses sont abaissées, les Ténèbres se précipitent et les excuses ridicules se profilent pour les contrer. Surtout après ce qui s'était passé durant cette mission.

Désireuse de me sortir de cette torpeur et d’échapper à mes sombres pensées, je me levais rapidement et commençais mes exercices de Tai chi appris il y a longtemps, propice au réveil musculaire et me plonger dans un état d’esprit plus solide. Il me fallut un certain temps avant de trouver ce dernier. Je terminais ma séance et partie sous la douche. Peu désireuse de continuer à me reposer, je choisis de m’habiller de façon simple, qui mettait en valeur mes formes malgré mon choix de l’aspect pratique qu’esthétique, puis je descendis pour aller dans le bar. Le temps de me préparer, je remarquais que le soleil devait être tomber depuis ou moins deux bonnes heures. J’entrais dans le bar, le brouhaha me frappant en ouvrant la porte. Je me glissais entre les serveurs et les clients pour venir m’asseoir à une place libre du bar. En attendant de pouvoir attirer l’attention de l’un des employés, je laissais mon regard balayer l’assemblée, essayant de repérer quelques têtes connues. Je ne comptais pas rester longtemps dans le Sanctuaire, mais aller à la pioche aux dernières informations ou tenter de garder quelques liens avaient son intérêt, même pour quelqu’un d’aussi solitaire. Je n’étais peut-être pas Chevalière à plein temps, et du genre plutôt à travailler en solo, mais m’isoler totalement n’avait rien de bon.

Je plaquais un sourire amusé sur mon visage, laissant trainer mes oreilles autour de moi. Beaucoup de conversations banales, mais je tomberais peut-être sur une perle à un moment donnée. Ou sur une situation qui pourrait m’amuser. J’avais envie de prendre un peu de bon temps, avec un whisky peut-être ? Ou une bière. Quoique… Je me demandais si elles avaient bon goût. Le problème lorsqu’on voyage autant, c’est qu’on s’habituait au meilleur de certains pays. Je verrais bien ce que pourrait me proposer l’un des serveur. Heureusement, il ne semblait pas y avoir trop de clients, ou trop demandeur en tout cas.

Assise au bar, je n’étais pas spécialement au fait de la façon dont cela se passait ici. Pas que je ne sois pas une habituée. J’allais souvent dans des bars, mais chaque pays avait ses règles, ses façons de faire. Le désavantage de voyager autant, c’est qu’en toutes les cultures, je finissais par m’y perdre – bien que j’ai assez de mémoires. Le plus important c’était de retenir les coutumes qui évitaient de vexer les autochtones, et de finir dans des situations plutôt compliquées. Je parlais par expérience. Certains serveurs venaient immédiatement près de nous pour nous servir, avec ce sourire polie, voir un enthousiasme débordant. D’autres étaient plus blasés. A dire vrai, à force je commençais à savoir quand les gens étaient là par plaisir ou parce qu’ils n’avaient pas trouvés autre chose. Alors j’observais les autres clients, certainement plus habitués que moi à cet endroit, sauf que chacun avait son comportement et je me questionnais plutôt sur le fait que les serveurs aient l’air assez occupé pour ne pas avoir envie que quelqu’un les harcèle pour être servi. Pour ça que je ne serais jamais plus serveuse. Disons que je n’étais pas assez patiente pour supporter tous les abrutis dans les bars et que j’avais fini par cogner quelques clients – les plus abrutis et souvent ceux qui se permettaient des gestes.

Perdue dans mon exploration du comportement humain, je vis du coin de l’œil un des employés s’approcher de moi. Bien, il semblerait que je n’ai pas à continuer mon examen. Je tournais la tête vers lui, remarquant assez facilement le sourire commercial. Je répondis avec un sourire un peu plus amical que ce qu’il me faisait.

« Ce que vous avez de meilleur ? lui rétorquais-je avec une légère pointe d’ironie, aussi polie que ce qu'il pouvait faire. Oui, en terme d'humour c'était bof, mais bon, il en avait certainement entendu d'autres et son sourire invitait à la taquinerie plus qu'autre chose. Blague à part, un whisky sec s’il vous plait. Au moins j’évite de vous faire perdre du temps, ajoutais-je avec un ton plus amusé que tout à l’heure »

Mon sourire se faisait un peu plus ambigu, comme à mon habitude, nullement déconcertée par l’attitude du serveur. A dire vrai, son attitude me donnait plus envie de jouer un peu avec lui. Son comportement en aurait fait fuir plus d’un, mais bon, n’avais-je pas dit que je souhaitais me changer les idées ? Et puis, aucun autre client n’était entré pour le moment et tout le monde était servi.

« Question certainement récurrente pour vous, mais ça fait longtemps que vous travaillez ici ? Je ne passe pas souvent à Old Fyre alors j’aimerais bien me faire quelques contacts, histoire de me tenir au courant de ce qui s’y passe. »

Je lui fis un autre sourire amical, tandis que je sortais mon argent pour payer le verre que je venais d’avoir, le remerciant avec quelques mots et un nouveau sourire. Peut-être que cela suffirait à le dérider un petit peu. Ou alors il fuirait un peu plus, mais il fallait dire que les autres clients avaient l’air plus occupé à regarder leur verre, plutôt que de taper une discussion sympathique. Sauf s’il préférait parler avec ses collègues. Pendant un break aussi… Ou s’occuper – ou faire semblant de s’occuper – d’autres choses, comme nettoyer une dixième fois ce verre déjà propre.

Malgré un ton plutôt ironique, je me demandais comment le serveur allait percevoir ma phrase. A dire vrai, bien que cela soit mon ton relativement habituel, j’avais appris au fil des années que cela pouvait être un test pour en apprendre un peu plus sur les gens. Ceux qui prenaient chaque phrase un peu trop au sérieux, généralement c’était ceux avec qui je m’entendais le moins.

« Faudrait réduire l’offre de la carte. Quoique… Ca serait dommage pour les autres, on ne pourrait pas profiter des meilleurs boissons, lui répondis-je avec toujours ce ton décalé. »

Comme je m’y attendais, ma question sur son travail sembla lui sembler plus qu’agaçante. Certainement que je n’étais pas la première à lui poser et je me demandais combien de personnes par soir pouvait la lui demander. J’aurais pu m’en passer, tout comme j’aurais pu me passer de sa réponse. Mon regard suivait les gestes du serveur, relativement précis, le fait qu’il connaisse l’emplacement des bouteilles. Il était expérimenté. Peut-être pas intéressé par son métier, ou tout du moins par les clients, mais il était assez doué.

Je lui pris la main lorsqu’il revint, lui rendant son sourire.

« Enchanté, moi c’est Araya. Et effectivement, je suis plutôt du genre nomade et Old Fyre n’est pas l’endroit où je passe souvent »

Je n’allais pas raconter ma vie, mais les quelques mots que je venais de lâcher n’était là que pour accompagner le contexte. En tout cas, il avait suffisamment de mémoire pour ce souvenir des personnes qui passaient dans les parages. En même temps, c’était le seul bar sur cette île, voir le seul endroit pour s’amuser un peu et relâcher la pression, donc à force, il devait voir les mêmes visages.

Je laissais échapper un rire entre l’amusement et le sarcasme face à ses mots, tandis que mon regard ne lâchait pas ses gestes avec les bouteilles ne fit que confirmer mon impression sur son expérience. Je veillais aussi à surveiller mes arrières.

« Je préfère poser des questions bateaux aux barman plutôt que d’entendre des histoires dignes des meilleures télé-réalités. Mon ton était suffisamment cassant pour que ma pensée sur ce genre d’émission ne laisse aucun doute. Je ne comprenais pas pourquoi les gens regardaient ces choses. Vos collègues semblent moins enclin que vous à discuter avec moi. Et je rajoutais avec un sourire en coin. Et autant discuter avec quelqu’un d’assez intelligent pour comprendre mon humour. »

Pour certains, cela auraient pu être une moquerie, mais en réalité, cela ressemblait plus à un compliment et j’avais délaissé mon sourire sarcastique pour un sourire un peu plus ambiguë, tout comme mon ton qui avait légèrement changé.

« Et puis, si j’essaie de sociabiliser avec quelques personnes de cet endroit, il vaudrait mieux que ce soit avec une des rares personnes sobres ici. Je pris une gorgée de ma boisson, la chaleur de la boisson venant chauffer ma bouche, puis ma gorge une fois que j’eus profité du goût. Vous êtes seulement barman ici ou vous avez d’autres rôles dans l’Ordre ? »

Ma question était posée simplement, sans jugement dans ma voix. Certains pouvaient mépriser les personnes travaillant dans ce genre de lieu, moi j’étais presque admirative. Ne pas casser la figure aux personnes saoulent, qui devenaient bien souvent stupides avec les heures et les verres…

Un consultant alors… Je me questionnai alors sur le type de missions qu’il pouvait faire. Généralement, et c’était dans l’ordre des choses, nous avions tous une spécialité, quelque chose avec quoi nous étions plus à l’aise, qu’est-ce que cela pouvait être pour lui ? Peut-être devrais-je creuser, qui sait si un jour nous devions travailler ensemble, même si je préférais travailler en solo. Ca avait ses avantages, même en équipe d’avoir un élément se comportant comme un électron libre.

« Ah oui ? je lançais un regard à la salle, mes yeux se posant sur quelques personnes déjà bien saoul, d’autres moins certes, mais tous beaucoup trop… Je ne sais pas. Ce soir je n’avais pas envie de côtoyer ces personnes. Je préfère les créatures dangereuses aux gens bourrés, ajoutais-je en ramenant mon regard sur lui »

Aux gens en général à dire vrai. Peut-être mon côté charmeuse d’ombres ? Ou mon besoin de liberté, ou d’adrénaline. Enfin bref, j’étais plutôt du genre à me jeter dans le feu plutôt que de rester tranquillement chez moi. Mon rythme de vie le prouvait de toute façon.

« Hm… Je dirais que les deux y sont mêlés. Je suis consultante aussi et quand je n’ai pas de missions, mon boulot à côté me fait beaucoup voyager. »

Être mercenaire et offrir ses services à plus offrant payaient plus qu’on ne le pensait, lorsqu’on n’avait pas peur de mettre sa vie en danger ou pour travailler pour certains types de personnes. Ce n’était pas très moral, mais bon, quelqu’un avec une telle éducation ne pouvait pas avoir une morale non ?

« Je vais peut-être rester dans le coin quelques jours. Tout dépend si je me décide à aller à cette soirée sur le ferry et si rien de plus intéressant ne met proposé entre temps »

Cette fameuse soirée… Je pourrais glaner quelques informations intéressantes peut-être. Et en savoir plus sur les rumeurs qui couraient sur une certaine Société… Je lui souris alors qu’il s’éloigne pour faire un cocktail. En attendant qu’il revienne, je continue de siroter mon whisky, mon regard se baladant dans la foule. J’entendais quelques phrases éparses, tirées de diverses conversations. Quelques discussions sans intérêt et des choses beaucoup plus inquiétantes. Des rumeurs qui me posaient questions. Je ramenais mes yeux sur Tullio lorsqu’il revint.

« Vous comptez aller à cette soirée ? questionnais-je en souriant au barman. On pourrait s’y croiser, bien que j’ai des doutes sur le fait qu’on y soit très à l’aise, même si le costume vous va plutôt bien, ajoutais-je avec un petit sourire en coin. Même si je me demande sincèrement si le capitaine se rend compte de ce qu’il fait. »

A se demander ce que ce vieux bonhomme faisait ici. Son prédécesseur était peut-être plus très jeune lorsqu’il avait prit la suite du Sphinx, mais cela n’avait pas empêché qu’il fasse un plutôt bon boulot. L’homme actuel était seulement… vieux et visiblement pas fait pour le commandement.

"Oh, c'est cool."

Lâche Tullio, quand la jeune femme face à lui explique qu'elle voyage pour son boulot, quoique sans développer. Elle explique ensuite qu'elle va peut-être rester, si elle décide d'aller au fameux rassemblement pour lequel il a lui-même reçu une invitation.

"Ouais, je comprends, c'est sûr que ça a pas l'air d'être le truc le plus cool qui soit."

Elle lui demande ensuite s'il compte y aller et il commence par hausser une épaule pour ne pas l'interrompre pendant qu'elle explique qu'ils n'y seront sans doute pas très à l'aise, et il ne peut pas retenir un sourire en coin quand elle le complimente sur son port du costume.

"J'irais sans doute, ouais. Ma coloc' est chevalière, elle me pardonnera pas si j'y vais pas."

Commence-t-il par répondre, avant de lever les yeux au ciel à la question du capitaine.

"J'ai pas hâte de voir ce qu'il va nous raconter, vu comment il a géré la mission au Canada."

Tullio secoue un peu la tête, puis se redresse quand un de ses collègues l'appelle.

"Ah, désolé, faut que j'y retourne. Mais effectivement, on se croisera peut-être à la réception du coup!"

Il adresse un dernier sourire d'excuse à Araya, puis retourne travailler avant de se faire taper sur les doigts parce qu'il tire au flanc.