J'aurais tellement de choses à te dire, Zéphyr, si tu savais. J'aurais voulu pouvoir me tourner vers toi quand j'en avais besoin mais tu viens, à l'instant, de finir de me prouver que ça ne sera jamais le cas. Tu ne seras jamais là comme je voudrais que tu le soies, parce que tu es trop occupé à t'enfoncer dans ton idée de la protection. Tu penses m'éviter toute souffrance de cette façon mais, la vérité, c'est que tu m'empêches seulement de guérir.
Je ne sais pas de qui tu parles en parlant d'eux, à qui tu ne fais pas confiance. Est-ce que tu penses aux humains? Ou seulement aux chevaliers? Peut-être, après tout, que ça n'a pas d'importance. Peut-être que les chevaliers ne sont que des humains, ni pires ni meilleurs. Peut-être que la seule différence c'est que les chevaliers accueillent des chasseurs à quelques mètres des créatures qu'ils sont supposés protéger alors que le reste de l'humanité se contente de tout détruire, aveuglément, sans se dire que peut-être il faudrait laisser un peu de place aux autres espèces.
Je suis triste, en fait, de constater que j'ai plus foi en ton espèce que toi. J'aurais pourtant toutes les raisons de décréter que je déteste les humains, que je ne veux plus les côtoyer. Après ce qu'Ether m'a fait… quoiqu'en fait il n'a rien fait et c'est ça le pire. Je sais que je radote, comme une vieille femme sénile, mais c'est difficile de penser à autre chose. Et toi, Zéphyr, tu ne peux même pas m'aider.
Est-ce que tu es seulement capable de comprendre ce que je ressens? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que tu ne vois rien. Tu n'as pas vu que j'étais malheureuse. Pas vu que je me sentais seule, pas vu que j'ai abandonné mes robes au profit de pantalons que je n'ai jamais affectionnés. Et je t'ai dit, plus d'une fois, ce que je te reprochais. Pourquoi j'étais si en colère après toi.
Je t'ai expliqué, à plusieurs reprises, que tu m'étouffais. Que j'avais besoin d'air, qu'il fallait que tu me fasses un peu confiance. Mais tu en as été incapable, tu as refusé de changer et, aujourd'hui, je craque. Je craque parce que j'étouffe sous le poids de tes regards vigilants, parce que je n'arrive plus à m'épanouir dans le carcan de tes idées vieillottes.
"Donc tu ne fais pas confiance à ta propre organisation?"Je questionne, quand même, le nez plissé et la voix aussi tranchante que mes couteaux les plus affûtés. Je t'en veux tellement, Zéphyr. Je t'en veux et, tout compte fait, peut-être que ce n'est pas en eux que tu n'as pas confiance. Peut-être que c'est en moi. Après tout, tu dois encore me voir comme une enfant. Comme la pauvre chose en cage qui t'a supplié de l'emmener. C'était un coup bas, je le reconnais, quand je me suis fait passer pour plus faible que je ne l'étais et que j'ai menacé de m'ôter la vie si tu ne me sortais pas de là.
J'imagine que c'est ce que vous appelez un retour de karma.
"Enfin tu comprends."Je raille, et j'ai conscience que c'est méchant, quand tu me demandes si ne plus jamais me revoir est vraiment ce que je veux. Le pire, dans cette histoire, c'est que ça n'est même pas ce que je veux. Ce que je veux, je ne l'obtiendrais jamais. Et tu sais pourquoi? Parce qu'en un peu plus d'un an et demi, tu m'as prouvé que tu n'étais pas capable de changer. Tu me traites exactement de la même façon, et tu ne vois même pas que j'ai grandi. Pour ça, Zéphyr, je te déteste.
Je te déteste alors que j'aurais pu tellement t'aimer, si seulement tu avais accepté de me voir pour ce que je suis. Mais tu ne vois que ce que tu veux bien voir et tu as tout gâché.
J'ai bien entendu que tu as du chagrin, et de toute manière je me doute que ça ne doit pas te faire plaisir comme conversation. Mais tu insistes, en exigeant que je te regarde dans les yeux et que je me répète. Est-ce que tu te rends compte d'à quel point tu te montres autoritaire avec moi? Ou ne serais-ce que d'à quel point je déteste ça? Non, bien sûr que non.
Tu es tellement aveugle que j'en ai envie de t'arracher les yeux. Tu ne me verrais pas moins.
Mais si c'est ce qu'il faut pour que je puisse te voir disparaître de ma vie, je veux bien t'obéir. Je veux bien me laisser faire, une toute dernière fois. Mes mains sont toujours pressées contre la table quand je me penche vers toi, pour que nos visages soient proches, et je te regarde droit dans les yeux comme tu me l'ordonne.
"Zéphyr Wright, je ne veux plus JAMAIS te revoir de toute ma longue, longue vie de créature magique."Je ne me suis pas exactement répétée, mais ça ne m'empêche pas de me sentir satisfaite quand je me redresse et que je relâche cette pauvre table. Je vais, enfin, être débarrassée de toi. Je vais pouvoir faire ce que je veux, quand je veux, sans que tu ne me juges d'après des valeurs dépassées. Je pourrais regarder des séries télévisées si l'envie m'en prend, lire des romans futiles si ça me chante.
Cela fait longtemps, maintenant, que tu m'as sortie de ma cage. Mais j'ai l'impression qu'enfin je vais pouvoir vivre. Ether me faisait me sentir comme ça, et tu aurais dû aussi. J'inspire profondément, et pendant un instant, j'hésite.
J'hésite, parce que même terriblement en colère comme je le suis, même si je me suis moquée de toi, je ne suis pas complètement méchante et pourtant… Pourtant, l'envie de te faire souffrir est plus forte, même si je sais que ça n'arrivera jamais à la cheville de ce que tu m'as fait subir.
"Exactement comme je refuse de revoir la cage où tu m'as trouvée. Parce que c'est ce que tu es pour moi, Zéphyr. Une prison. Et je refuse de me laisser enfermer ou contrôler une seconde fois."Si l'on oublie toutes ces petites choses que j'aurais voulu partager avec toi, mes bonheurs, mes tristesses, j'ai maintenant dit tout ce que j'avais à te dire. J'ai enfin vidé mon sac, et ça me fait tellement de bien que je me fous de savoir si cela te fait mal, de m'entendre te comparer au plexiglass qui me maintenait captive.
Je veux juste que tu disparaisses.
"Je vais lancer une lessive, pour que tu puisses faire tes valises."J'annonce, en bonne maîtresse de maison, même si ce n'est pas pour être gentille.
"Je t'aiderais à les remplir."Je continue, alors que je m'écarte de la table de la cuisine. Je la contourne, et toi avec, sans plus te regarder, pour me diriger vers la salle de bains où je laisse la panière à linge sale. La vérité, c'est que si je fais tout ça c'est pour précipiter ton départ. Pour que tu ne puisses pas prétexter qu'il te manque l'un ou l'autre vêtement dont tu ne saurais te passer.
"Veux-tu que je regarde les vols pour la France? Quel aéroport te faut-il?"Je crie, depuis le haut de l'escalier. Tu n'as peut-être pas envie que je m'en occupe, mais cela m'aidera à patienter que tu t'en ailles. Cela m'aidera à ne pas t'étriper, même quand je n'en pourrais plus du regard de chien battu que tu finiras par m'adresser. Je remplis le panier que j'utilise pour transporter de linge, avec tes affaires uniquement. Il faudra plus qu'une machine, mais ça n'a pas d'importance. Je veux bien en faire tourner toute la nuit si c'est nécessaire.
"Il faudra que tu préviennes le capitaine, je suppose."Je me rends dans la buanderie attenante à la cuisine, et lance la lessive.
"Je t'enverrais une liste de tes livres, puis te ferais expédier ceux que tu souhaites garder."Cela non plus, je ne voulais pas que cela devienne un prétexte. Tu en serais capable.
"De même pour les meubles, je compte remanier la décoration."Tu n'as plus d'excuses, Zéphyr. Sors de ma vie.