Pendant quelques jours, je restais cloîtrée au lit, dépressive et honteuse, en train de penser aux nombreux mois entre ma première semaine à Old Fyre et aujourd’hui. J’avais découvert un monde si intéressant, si unique, mais dès le deuxième jour, j’avais tout ruiné – et passé le reste de mon séjour à l’hôpital. Ce monde était si intrigant, si unique, que je ne pouvais pas juste retourner à mon emploi et agir comme si rien n'était…
non? En tout cas, je le croyais; en réalité, j’y étais toujours accrochée. À ce lieu où j’avais vraiment vu… et enlevé la vie d’une créature magique pour la première fois. C’était un kelpie, d’une blancheur souillée par le teint des algues, que, impitoyable, j’avais osé enlever son…
son cœur. Je ne l’ai pas encore avoué à personne… Je ne le prévois pas. Comment quelqu’un pourrait-il penser que les créatures magiques sont ma passion,
quand j’ai arraché l’organe le plus vital de l’une d’elles?
Je tends une main tremblante vers mon cellulaire posé sur ma table de chevet. Je me redresse et fixe la photo de l’écran de déverrouillage. C’est mon petit Lucifer, mon chaton, qui cache sa petite tête avec ses petites pattes… Ça me rappelle les rares fois où je joue à le pourchasser, en feignant que je vais le manger si je l’attrape. À chaque fois, il se cache sous le sofa, sous la table, sous le lit, toujours avec ces yeux scintillants d’espièglerie et d’amusement. Je tente alors de l'attirer hors de là, «
le jeu est fini! », je le prends dans mes bras et lui jette une avalanche de bisous, aussi passionnés que mon amour maternel pour lui… Jusqu’à ce qu’il miaule de douleur et je réalise que
qui mord son propre chat? Hébétée et rongée de culpabilité, je le lâche et m’assois, tâchant de comprendre ce qui m’arrive.
Puis je me rappelle du fameux après-midi, et me chicane, et me crie dans ma tête, et me questionne si je peux vraiment m’occuper de lui, seule, si par un malheureux hasard, mes griffes le transperçait comme…
Essuyant mes larmes, je recompose le numéro de Monsieur Jean, mon professeur de magie qui m’a aidée à étudier en Australie, et atterris encore une fois à sa messagerie vocale. Mais au lieu de raccrocher, je commence un message.
-
Salut… Je veux te dire quelque chose et… j’apprécierais si t’écouterais ju… jusqu’à la fin.Inspire. Expire. C’est ton ami. Il va comprendre.-
Je ne sais pas combien de fois je peux te remercier pour t…tout. Tu as tellement sacrifié pour moi…Ne laisse pas tes larmes t'envahir. Respire profondément.-
J’ai… je n'ai plus envie de rester ici. Je veux plus vivre en pensant que je suis une femme forte, indépendante, mais qu’en fait, je suis dépendante de toi, et littéralement n’importe qui qui se met sur mon chemin. J’ai essayé, vraiment, mais y’a toujours un évènement, quelque chose qui m’en empêche. N'aiguë-ise non plus ta voix, idiote!-
Et tu sais quoi? Je n’en peux plus! Je ne peux plus prétendre être autonome quand je le suis pas…!
Ne la laisse pas devenir une stridente cacophonie non plus, hen!-
Et c’est pour ça que je viens te dire que… J-je veux… retourner en Espagne, être avec ma mère et mon père et mes frères et… Le reste de ma famille. Lucifer aussi. Je veux apprendre pour de vrai ce que veut dire être débrouillarde. Avant de réessayer de vivre seule. Calme-toi, essuie tes larmes, tout va bien. Reste comme la fille gâtée et soumise que t’as toujours été.-
Je m’excuse. Vraiment. Mais j’ai longtemps pensé à ça, et j’ai décidé. Je prends une pause, ne sachant pas vraiment si je veux continuer à parler - ou plutôt disparaître dans le confort du matelas.
-
Bye.***
C’est avec une moue maussade que je retourne dans l’enceinte de River Stone High, et ensuite vers ses toilettes à la pause. Je rejoins par la suite la file étonnamment vide jusqu’aux lavabos quand l’écolière devant moi me fait sursauter.
-
AAAAH-lia... !Alia? Qui peut bien être Alia?-
Euh… quoi? demande-je en regardant dans tous les sens,
comme une gigantesque nouille.
Je la contourne prudemment, souriant d’une aise non existante, et me lave les mains tout en réfléchissant comment réagir des yeux braqués sur moi.