J'avais mon objectif en visuel, mais il était encore trop tôt pour pouvoir l'atteindre sans heurt. Trop de monde défilait autour de moi, allant et venant futilement comme si leur vie n'en dépendait pas. Ils étaient persuadés que tout allait bien, ou peut-être ne voulaient-ils pas croire que quelque chose clochait. Après tout, comment peut-on vivre si l'on se sent en permanence menacé ? Mais il y avait bien quelque chose qui clochait ici, quelque chose de suffisamment moche et terrible pour avoir détaché un escadron de chevaliers sur place. Quelque chose de suffisamment dangereux pour avoir accepté de m'envoyer moi, un civil qui n'y connaissait rien ou presque et, à mes heures perdues une  créature sanguinaire, en renfort dans cette école à l'autre bout du monde. Penser à tout cela me pesait sur les nerfs et j'avais hâte que tout se termine. Mais que ça se termine bien, comme dans les divers contes de fée, et non comme dans la rubrique des faits divers.

L'alarme retentit soudain et me tira de mes pensées noires. Les couloirs se vidèrent peu à peu. C'étaient le moment. J'ai lâché la serpillière que je tenais en main, instrument des plus utiles qui me permettait de me rendre presque invisible aux yeux de tous, pour m'avancer vers la porte. Elle émit un grincement léger lorsque je la poussai avant de se taire définitivement dans un petit « clic » satisfaisant. Une odeur de calcaire, de produits d'entretien et de fluides corporels mêlés vint m'agresser de plein fouet, tandis que des gouttes d'eau tombaient à intervalles réguliers d'un lavabo sans doutes aussi vieux que le bâtiment lui-même, emplissant la pièce d'une atmosphère étrangement aquatique et rythmant le temps de manière oppressante. Mais il était hors de question de m'arrêter à ce genre de détails ; j'avais décidé de fouiller l'endroit et je le ferai, quoiqu'il en coûte à mon odorat sur-développé et à mes nerfs à vif...

Pourquoi cet endroit ? Pourquoi maintenant ? Parce qu' Harry Potter bien sûr ! Et j'en assumai parfaitement le ridicule. J'avais passé mes premiers jours à me familiariser avec l'école et avec le poste qui m'avait été attribué. Poste qui comportait l'avantage non négligeable de posséder presque toutes les clefs du bâtiment. Alors j'avais commencé à fouiller, suivant les odeurs curieuses, m'aventurant dans des recoins sombres, pour n'aboutir à rien de satisfaisant. Mais je restai attentif, usant de tous mes sens pour déceler la moindre piste qui nous aiderait à avancer dans cette mission aux allures d'épée de Damoclès. Et je les avais entendus ces bruits dans les murs, comme exposés dans l'ordre de mission. Allez savoir pourquoi, mais j'ai tout de suite pensé à ce livre : une école, de la magie, une créature inquiétante, des bruits dans les murs... Tout se recoupait trop parfaitement.

Me voilà ainsi, non pas dans les toilettes pour filles – trop incommodant - mais dans celles des enseignants, l'oreille collée aux murs, espérant à la fois entendre quelque chose, et le redoutant...

Bien malgré moi, et en dépit de la mission, j'ai ressenti le besoin d'aider les élèves de cette école. De ne pas laisser ces jeunes gens en souffrance parce que je ne peux pas laisser des enfants souffrir inutilement.
Et maintenant que je me heurte à la rigidité des institutions et que les prochaines avancées ne dépendent plus de moi je peux enfin me consacrer à ce qui m'a amenée ici : découvrir ce qui se trame dans cette école.

J'ai essayé de réfléchir aux endroits probables où une créature, une entité, pourrait tâcher de se dissimuler. J'en ai d'ailleurs fait une liste, soigneusement dissimulée dans mon portefeuille entre deux photos sans importance. Il s'agit dorénavant de les fouiller, un par un, méthodiquement, jusqu'à ce que peut-être je trouve quelque chose. J'hésite, un instant, à demander à un autre chevalier de m'aider mais je n'en connais que trop peu et si Tullio est aussi assidu que dans ma cuisine je ne voudrais pas risquer de le distraire.

C'est donc seule que je me dirige vers les toilettes des enseignants, en me cramponnant à l'excuse que j'ai préparée au cas où quelqu'un me trouverait en pleine investigation. Il me suffirait de prétexter avoir égaré un bijou, une bague en l'occurrence, tombée alors que je l'avais ôtée pour me laver les mains. Le prétexte est simple et vraisemblable, mais j'espère malgré tout ne pas avoir à m'en servir.

En revanche, ce que je n'avais pas envisagé, c'était la possibilité de tomber sur quelqu'un ayant une attitude encore plus suspecte que la mienne puisqu'en poussant la porte je me retrouvais face à un homme grand, barbu, plutôt agréable à regarder en fait si ce n'était que son visage était collé contre un mur.

"Qu'est-ce que vous faites?"

Je le fixe, refermant la porte derrière moi et au plus je le regarde au plus j'ai l'impression que son visage m'est familier. Pourtant on ne peut pas dire que j'ai beaucoup voyagé. L'aurais-je déjà croisé à Old Fyre? Est-ce un chevalier ou un consultant? Je doute que ça soit un simple touriste.

"Vous… vous êtes nouveau dans l'établissement?"

Je demande, un sourcil légèrement haussé, tandis que je remue mes souvenirs pour tenter de me remémorer les circonstances exactes qui m'ont poussée à croiser son visage auparavant.

À aucun moment je ne m'étais douté que quelqu'un puisse entrer dans la pièce. Après tout, c'était une heure de cours, une heure où les enseignants étaient sensés être occupés avec des adolescents inattentifs. Et si certains peuvent choisir le prétexte d'une envie pressante pour s'éclipser facilement pendant quelques minutes, je n'imaginais pas cela d'un professeur. C'était donc l'oreille collée au mur, n'entendant rien d'autre que de l'eau couler en continue, qu'une cascade de cheveux violet fit irruption pour me toiser du regard, l'air aussi surpris que le mien.

"Qu'est-ce que vous faites?"

La situation était si embarrassant... et cette question plus que légitime me fit rougir à outrance. J'avais l'impression d'être un enfant qui sait pertinemment qu'il a fait une bêtise, mais s'entête à le cacher aux yeux de sa mère qui n'est pas dupe et le fusille du regard. Je ne pus que décoller mon oreille du mur froid, et ouvrir la bouche pour constater qu'aucun mot ne semblait vouloir en sortir. C'était peut-être, qu'au fond, je ne savais pas quel mensonge lui servir pour m'en sortir. Le silence régna un instant, seulement entrecoupé par le son de gouttelettes qui se suicidaient à intervalle régulier contre la faïence froide. Oui, j'étais mal embarqué.

"Vous… vous êtes nouveau dans l'établissement?"

Je sentis un soulagement extrême. Ces quelques mots sonnèrent à mes oreilles comme « je suis de l'Ordre moi aussi » et je poussais un grand soupir avant de me décontracter un peu. De toutes évidence, cette femme aux allures peu communes se trouvait dans ces lieux pour les mêmes raisons que moi-même, et c'était une chance inespérée. Je me ressaisis rapidement, rasséréné par cette conviction.

« Hum... oui, en effet, je suis « nouveau » dans l'établissement. Et... hum, je suppose que vous aussi ? Je la laissais répondre convaincu que ce serait à l'affirmative, avant de reprendre. Je m'appelle Nawar. J'ai été « assigné » à l'entretien du bâtiment... Je me sentais encore un peu gêné par la situation, mais sans comprendre véritablement pourquoi. Après tout, nous étions tous présents pour enquêter, gratter, fouiller et trouver ce qui ne tournait pas rond ici, alors, tous les moyens étaient permis, non ? Bon, n'y allons pas par quatre chemins : j'ai entendu des bruits, dans les murs, du genre de ceux décrit dans le rapport... Alors, je me disais, eh bien... pourquoi pas les tuyaux ?  »

Exposé comme ça, en omettant la référence - plutôt affligeante j'en conviens - au petit sorcier anglais, mon implication dans ces lieux était largement moins crédible. Mais je ne me démontai pas pour autant, quelque soit le bancal de mon explication.

« Je suppose que vous vous êtes rendue dans ce lieu pour des raisons similaires... Que diriez-vous de m'accompagner ?  »

Et si jamais quelqu'un nous surprenait, eh bien, nous improviserions, n'est-ce pas ?

Mais enfin, à quelle occasion l'avais-je vu?! Je ne parvenais vraiment pas à me rappeler pourquoi son visage m'était familier et l'agacement qui commençait à obombrer mes souvenirs n'allait certainement pas m'aider à y parvenir. Vivre parmi les humains, comme si j'étais l'une des leurs, n'avait définitivement pas que des avantages. Bien sûr, j'abhorrais l'idée même de retourner à l'état sauvage mais… il y avait tellement moins de choses dont j'avais besoin de me souvenir, autrefois.

Rien n'était jamais flou, parce que je ne gardais en mémoire que l'essentiel. Avant Zéphyr, je ne m'étais jamais souciée de différencier les humains entre eux. Je faisais seulement l'effort de reconnaître les femelles des mâles, parce que ces derniers étaient généralement plus agressifs et qu'il convenait donc de s'en méfier d'avantage. Mais sinon? Rien d'autre. Leurs langages n'avaient pas beaucoup plus de sens que si j'avais entendu un troupeau d'ânes braire et quand bien même il m'arrivait de comprendre, je n'y trouvais aucun intérêt. C'étaient des proies, rien de plus.

"Oui oui, tout à fait!"

J'avais sursauté à l'intonation interrogative de sa phrase, et il m'avait fallut un instant pour que sa question ne fasse son chemin dans mon esprit. Malgré mon empressement à répondre j'avais réussi à ne pas balbutier, hochant un peu trop vivement la tête. Je me mordis légèrement l'intérieur des joues, contrariée de m'être laissée distraire par mes pensées. J'avais quelqu'un face à moi, quelqu'un que j'avais d'ailleurs embarrassé il y a à peine quelques instants.

Il s'appelait donc Nawar, et je fis un effort pour graver son nom dans ma mémoire, ainsi que son visage. Les circonstances dans lesquelles je l'avais vu pour la première fois demeuraient un mystère mais, au moins, je pourrais me souvenir du moment où il s'était présenté. Il faudrait que je lui demande s'il était souvent au QG, à l'occasion. Ce n'était pas comme si j'avais vraiment pu le croiser ailleurs, je n'en sortais pratiquement jamais.

"Oh, oui, d'accord."

Fis-je quand il m'exposa son raisonnement, hochant légèrement la tête. Puis mon regard se porta sur le mur, contre lequel il était collé lorsque j'étais arrivée, et je sentis mes sourcils se froncer malgré moi. Quelle taille pouvaient bien faire les tuyaux là-dedans? Je ne les imaginais pas très épais, même si j'étais obligée de reconnaître que je n'y connaissais pas grand-chose. Ce qui se déplaçait dedans devait donc être de petite taille, à moins que sa forme ne soit longiligne?

"C'est logique comme raisonnement. Après tout, j'ai déjà lu sur le internet qu'il arrive qu'on retrouve des animaux dans les canalisations alors pourquoi pas une créature magique?

Evidemment ce n'étaient que des suppositions, mais nous n'avions guère d'autres pistes pour le moment. Je ressentis une pointe de fierté quand Nawar me proposa de l'accompagner dans son écoute des murs, et j'hochais aussitôt la tête. S'il pensait que je pouvais lui être utile, j'étais ravie de l'aider.

"Au départ, j'étais venue dans l'idée de fouiller l'endroit. Cela pourrait être d'autant plus intéressant que si la créature, ou peu importe ce qui provoque tout ces phénomènes, circule effectivement dans les tuyaux on devrait pouvoir trouver un ou plusieurs points d'entrée. Je l'imagine mal agir depuis l'intérieur des murs."

Expliquais-je, constatant avec une certaine satisfaction que mon plan s'accordait plutôt bien à sa théorie. J'étais donc capable d'avoir mes propres idées, sans que celles-ci manquent systématiquement de pertinence comme je l'avais craint.

"Je propose qu'on commence par la fouille? Ainsi, nous nous débarrasserons de toute tâche pouvait faire du bruit et nous gêner et ensuite nous pourrons ouïr ce que les tuyaux ont à nous dire."

Pour le moment, j'entendais seulement l'eau qui bruissait de temps à autre, mais peut-être qu'un examen plus attentif révèlerait un bruit suspect. La chose que nous cherchions ne devait pas se manifester constamment, sans compter que l'entendre dans ces murs-ci serait probablement impossible si elle se trouvait à l'autre bout du bâtiment. Mais c'était une piste, et nous n'avions rien d'autre sous la main.

J'allais me détourner pour me mettre à l'ouvrage lorsque je réalisais à quel point je m'étais montrée autoritaire envers lui. C'était peut-être un chevalier et, même s'il était consultant, il devait avoir plus d'expérience que moi. Je n'avais aucun droit de le commander ainsi.

"Oh, bien sûr nous pouvons aussi commencer par écouter. Après tout, même si nous ne trouvons rien cela ne signifie pas que la chose ne passe pas par ici. Je ne veux rien vous imposer."

Corrigeais-je avant de réaliser que, si Nawar s'était présenté, je n'avais pas encore eut la présence d'esprit de lui rendre la pareille. Ce fut donc mon tour de ressentir les affres de la gêne et je m'avançais tout en m'agonissant mentalement de ne pas y avoir pensé plus tôt, lui tendant une main qu'il pourrait serrer. C'était, après tout, la façon dont les humains avaient coutume de saluer une nouvelle connaissance.

"Toutes mes excuses, je m'appelle Danaé, je… on m'a confié la gestion de l'infirmerie."

Me présentais-je enfin, sentant mes joues chauffer légèrement. Je me demandais, rapidement, si c'était ce que ressentait Tullio quand il rougissait devant moi mais je chassais rapidement la pensée. Je ne voulais pas me laisser distraire comme plus tôt dans la conversation, j'avais eut l'air bien assez ridicule comme ça.

"Vraiment, je suis désolée, d'habitude…"

J'hésitais, me mordillant légèrement la lèvre inférieure. Est-ce que j'avais vraiment besoin de l'ennuyer avec tout ça? Je n'aurais pas dû commencer ma phrase, parce que maintenant je me sentais obligée de la continuer et je n'avais pas le temps de réfléchir à ce qui serait le plus poli entre m'arrêter pour ne pas l'ennuyer ou bien achever ce que j'avais commencé.

"D'habitude les gens savent qui je suis. Je… Je quitte assez peu Old Fyre. Je ne suis pas encore très à l'aise avec… tout ça."

Achevais-je, haussant légèrement une épaule et grimaçant mon inconfort avant de désigner l'endroit d'un geste vague.

"Je suis plutôt une femme d'intérieur."

Plaisantais-je, parce que ma maison me manquait soudain. C'était terrifiant de se dire que je faisais partie d'une mission et que je pouvais potentiellement gêner les chevaliers si je ne me montrais pas à la hauteur.

La jeune femme était aussi gênée que moi, mais elle semblait approuver mon raisonnement. Ou du moins, elle le feignait avec suffisamment d'aplomb pour ne pas m'enterrer six pieds sous terre. J'avais eu de la chance, tout compte fait. D'autant plus qu'elle accepta sans difficultés de m'épauler dans cette chasse à la créature dans cet endroit plutôt inédit. C'était inespéré.

Je l'écoutai avec curiosité se prendre les pieds dans le tapis, acquiescer, s'excuser, se présenter, s'excuser encore... Était-ce ma présence qui la mettait aussi mal à l'aise ou était-elle tout simplement timide ? Peut-être un peu des deux en fait. Mais peu m'importait, nous étions tous deux ici pour la même raison, et c'était tout ce qui comptait au final.

Tout en l'écoutant, j'avais qu'elle n'était pas familière des investigations, pas plus que moi en tout cas, aussi j'essayai de la rassurer et de lui faire comprendre - si ce n'est subtilement - que je serai un coéquipier qui se balance pas mal du grade ou de l'efficacité de son partenaire – après tout, qui étais-je pour la juger ?

« Oui, vous avez raison, fouillons tout d'abord.... C'est bien plus logique... » admis-je avec une pointe d'amertume. Car j'étais un peu frustré ; pour une fois que je pouvais mettre à contribution mes super-sens, j'étais bien vite relégué à exécuter une tâche que n'importe quel humain de base pouvait faire. Mais il fallait bien admettre que depuis que j'avais pénétré dans cette endroit, mon lycan-sens ne s'était pas mis à clignoter. Oui vraiment, c'était frustrant, mais j'essayai tant bien que mal de ne rien laisser paraître.

«  Je me propose d'inspecter les cabines de toilettes... pourquoi ne pas fouiller sous les lavabos pour votre part ? Cela risque d'être moins... euh... sale  » lui proposai-je sans lui donner réellement le choix car je m’exécutai sans demander mon reste ; je n'étais pas très à l'aise dans cette situation et plus vite nous aurions inspecté les lieux, plus vite nous pourrions en sortir et, pourquoi pas, nous diriger vers des lieux qui porteraient un peu moins à la confusion. Des lieux moins sordides pour une discussion entre collègue par exemple.

J'entrai dans une cabine, regardai le sol, les murs, le plafond, avant de m'attaquer aux toilettes en elles-même. Après l'avoir inspecté sous tous les angles et remercié intérieurement le travail impeccable de mes collègues de l'entretien, je soulevai la faïence. J'avais peu d'espoir qu'une créature magique y ait laissé quoique ce soit, à moins que ce ne soit une créature particulièrement petite et aquatique, mais qui sait ? Et puis, peut-être que des enseignants y auraient caché quelque trésors ? Du genre de ceux qui détendent après une dure journée. Et là, tout de suite, je n'aurais pas refusé une cigarette magique.


Action : Inspecter les toilettes des enseignant.Es

La salle sent le savon au citron et à la lavande. Malgré sa décoration simpliste, l’atmosphère est paisible et il n’est pas surprenant que ce soit la pièce échappatoire par excellence des enseignant.es qui ne veulent pas être dérangées.   Heureusement, la pièce est présentement vide.

Vous inspectez les toilettes des enseignantes :

Près d’une cuvette, des reflets chatoyants attirent votre attention. Une petite créature serpentine et munie de minuscules pattes vous voit en retour et essaye de s’enfuir par la tuyauterie. Elle n’y arrive pas. Elle remonte hors de l’eau et tente de grimper l’angle du bol, mais retombe en se tortillant désespérément.

Vous ou votre collègue pouvez, au choix, la prendre en photo ou en vidéo, essayer de l’attraper ou tirer la chasse…
Notons que ce choix aura des conséquences sur la suite de la mission.

"Oh, euh, oui, d'accord."

C'est tout ce que je peux bredouiller après que Nawar m'ait proposé de se charger d'inspecter les cabines de toilettes, parce qu'il se tourne et procède immédiatement. J'aurais voulu protester, lui dire que même auprès de l'Ordre ma mission consistait à m'occuper de blessés et de malades et que, à ce titre, j'avais sans doute déjà vu bien pire que des commodités somme toute bien entretenues.

J'avais également eu l'occasion de vider des poissons, et des volailles. Encore jamais de mammifères, cela dit, et quand bien même l'idée d'acheter un chevreuil entier était tentante je ne savais pas où je l'aurais découpé parce que mon îlot de cuisine était définitivement trop petit pour ce genre de tâche.

En bref, je n'avais pas peur d'un peu de saleté. Je fouillais tout de même sous les lavabos, le plus long fut de vérifier s'il n'y avait rien dans les deux petites corbeilles laissées à disposition, avant de me redresser. Nawar, Nawar… pourquoi est-ce que ça me disait quelque chose?

"Oh! C'est vous le…"

Je m'exclame soudainement, faisant volte-face vers l'endroit où devrait se trouver l'homme, avant de m'interrompre. Nous avons beau être du même côté, à plus d'un sens d'ailleurs, il est des choses qui ne se crient pas quand on n'est pas certain de qui pourrait entendre.

"L'ami de Victoria."

Je termine, parce que je ne peux vraiment pas balancer comme ça au milieu d'une école que je sais qu'il n'est pas humain. Avant qu'il ne réponde, s'il décide de me répondre d'ailleurs, mon attention est attirée par un léger bruit d'eau comme s'il avait jeté quelque chose dans la cuvette d'un des WC. Quand même pas un chewing-gum?

"Qu'est-ce que vous f-"

Je grommelle, me rapprochant de lui pour aller voir ce qu'il fait.

Comme je pouvais m'en douter, je n'avais rien trouvé de très concret en débutant mon investigation approfondie, hormis qu'il allait bientôt falloir recharger le distributeur de papier... J'avais déjà vu mieux pour exalter un curieux désirant faire ses preuves. Bredouille, je me dirigeai donc vers une deuxième cabine, jetant au passage un œil sur Danaé dont les cheveux violets donnaient un certain cachet à l'endroit. Elle fouillait avec sérieux et délicatesse, ce qui me faisait l'impression de traits de caractère dominants chez elle. Et c'était appréciable de faire équipe avec quelqu'un d'un peu moins bourru que la moyenne. J'entrai furtivement dans la seconde cabine lorsque sa voix fusa, transperçant le silence avec un léger écho et me stoppa net.

"Oh! C'est vous le…"

De quoi ? C'est moi le quoi ? Soit je n'avais pas bien compris, soit elle s'était arrêté suffisamment longtemps pour que cela sonne plus que suspect à mes oreilles. Qu'avait-elle en tête au juste ? Et pourquoi affichait-elle cet air enjoué qui se mariait si mal avec cette pause subite ? Mais à peine avais-je eu le temps de tiquer qu'elle m'offrit le complément : "L'ami de Victoria."

Pffff.... Si je m'y attendais à celle-là ! Tu parles d'une baffe ! Victoria... La simple évocation de son nom me fit perdre tous mes moyens l'espace d'un instant. Cette femme venait décidément toujours me rappeler son existence dans des moments incongrus. Et, sans maîtrise aucune, j'éprouvais à son égard des sentiments assez discordants ; à la fois honte et colère, culpabilité et mépris, attirance et répulsion. Avec elle, nous avions été beaucoup de choses, mais certainement pas des « amis ». Oooooh non, et j'étais même persuadé que si jamais je venais à la rencontrer dans un endroit sombre et sans témoins, je n'étais pas à l'abri d'un petit coup bien placé de lame secrète dans les côtes.

Troublé par cette intervention, je parvins à marmonner un semblant de phrase : « Je... euh... hum... oui je la connais... un peu » avant d'aller me réfugier dans la cabine, à l'abri d'autres surprise de ce genre et surtout de ses yeux interrogateurs. Mais à peine étais-je entré qu'elle m'interpella de nouveau. Et merde. Elle ne semblait pas vouloir lâcher l'affaire. J'aurai donné beaucoup pour qu'à cet instant je puisse être réduit à l'état de fourmi et ainsi m'éclipser sans demander mon reste. Mais en un rien de temps, elle se trouvait déjà à mes côtés, ruinant mes rêves d'évasion impossible.

Cependant, je remarquai que son attention n'était pas entièrement tournée vers moi, mais davantage vers la cuvette des toilettes. Intrigué à mon tour, je m’aperçus tout à coup que nous n'étions plus seuls ici : quelques chose se trouvait là, avec nous, et son bruit dans l'eau venait de trahir sa présence. Je me suis approché pour découvrir ce mystérieux invité. Dans l'eau une petite bestiole essayait de remonter avec ses minuscules pattes le long de la faïence et retombait systématiquement avant de parvenir à s'échapper.

« Merde... vous voyez ce que je vois ? lançai-je sans y penser. C'est quoi ce truc ? »

Pendant un long moment, je ne pu m'empêcher d'observer cette créature essayer de s'échapper de sa prison, mais qui glissait inexorablement pour revenir à son point de départ. J'éprouvais même un peu de pitié pour elle, comme si sa situation était un écho à la mienne. Et puis, elle était fascinante, quoiqu'un peu décevante : après tout, elle n'avait rien du majestueux et de l'horrible d'un basilic faisant des dizaines de mètres de long ! Mais bien que cette petite chose n'aie rien de monstrueux – en apparence – elle n'avait clairement rien d'ordinaire non plus et, qui sait, peut-être entretenait-elle un rapport quelconque avec tous les phénomènes étranges qui avaient motivé la venue d'autant de chevaliers dans l'école*.

« Faut qu'on l'attrape ! m'exclamai-je après un moment, comme si cela coulait de source. Mais, évidemment, cela semblait plus facile à dire qu'à faire, car la créature semblait rapide et agile, et il allait falloir se montrer malin pour la capturer sans la blesser. Euh... vous avez une idée ? ». Pour ma part, je nous voyais bien essayer de faire rentrer ce petit serpent dans un grand sceau pour lequel nous improviserions un couvercle quelconque pour empêcher toute fugue intempestive. À moins que ma coéquipière ne soit en capacité de lui parler, c'était le seul plan qui parvenait à germer dans mon esprit un peu troublé, et je le partagerai avec elle si jamais elle n'avait pas meilleure idée...

Spoiler:

Mes yeux tombent sur la petite créature qui se débat dans l'eau de la cuvette, tentant encore et encore de grimper le long de la paroi mais retombant à chaque fois. Je repense, forcément, aux barreaux de ma cage contre lesquels j'ai failli me briser les dents, contre lesquels je me serais brisé les os si on ne m'avait pas endormie.

C'est l'exclamation de Nawar qui me fait revenir à moi et je sursaute, me fustigeant mentalement d'être restée là sans rien faire à regarder cette pauvre créature souffrir. J'ignore depuis combien de temps elle lutte et, si ça n'est pas déjà le cas, elle ne va sans doute pas tarder à s'épuiser.

"Je vais essayer de la sortir de là."

Je réponds, quand il me demande si j'ai une idée.

"Vous pensez que c'est une créature d'ombre ou de lumière?"

Je demande alors que je me faufile entre lui et la cabine pour m'approcher de la cuvette, même si pour ça il faut que je le pousse. C'est impoli mais je ferais avec si ça me permet de sauver la pauvre âme coincée dans l'eau.

D'une main je retiens mes cheveux tandis que je me penche et glisse l'autre dans l'eau, venant placer mes doigts sous la petite créature avant de les remonter lentement pour laisser l'eau s'écouler sans qu'elle ne soit emportée par le courant.

Je songe, un peu tard, qu'aussi mignonne qu'elle soit, cette créature pourrait être agressive. Elle pourrait être de la même espèce que celle qui a mordu Cy. Elle pourrait profiter de l'occasion pour s'enfuir, pour s'en prendre à Nawar. Pour appeler un spécimen adulte, si ce n'est pas sa taille définitive. Elle pourrait être dangereuse au contact, comme certaines grenouilles.
Tant de choses auxquelles j'aurais dû penser avant de la prendre en main, et que j'ai superbement ignorées parce que je ne pouvais pas la laisser se noyer.

Choix : Essayer d'attraper la créature

Sous vos regards, la créature s’agite davantage. Elle est affolée et les anneaux de son corps serpentins se contractent et se tordent avec l’énergie du désespoir.

Vous avez essayé d'attraper la créature:

Votre main se glisse sous elle et elle attaque. Sa morsure est instantanée, les crocs percent la chaire rapidement, mais, heureusement, en ressortent rapidement tandis que ses pattes prennent appui sur cette surface stable que vous lui offrez. Se saisissant de cette opportunité inopinée, elle grimpe sur votre bras avec la rapidité de l’éclair, saute sur le plancher ferme et disparait aussitôt.

Avec une photo, au moins, vous auriez peut-être pu identifier la bête...

« Je vais essayer de la sortir de là » me répondit-elle presque de manière instinctive. Son exclamation était teintée d'une jolie couleur de compassion, et je fus rassuré de constater que nous étions sur la même longueur d'ondes. Rassuré également qu'elle prenne les devants, car avec mon idée bancale, je me serais senti comme un éléphant au milieu d'un magasin de porcelaine. Les petites choses se brisent si facilement entre mes doigts...

« Parfait » ai-je à peine eu le temps de laisser échapper avant qu'elle ne se rapproche et me relègue au second plan. Elle en profita pour m'interroger sur l'affiliation probable de la créature et je devais bien avouer que je n'en savais foutrement rien ! Et tout le problème était bien là. Ah, il était beau le lycanthrope infoutu de reconnaître un potentiel allié ! En tout cas, ce n'était pas avec ce genre de résultats que je pouvais escompter devenir plus qu'une simple bête de foire au sein de l'ordre.

«  Aucune idée »... me hasardai-je sans conviction,  mais.... » trop tard ! Je n'ai pas eu le temps d'émettre le moindre doute que la cascade de cheveux violets s'était précipité mains les premières pour recueillir l'animal entre ses doigts. Bon, au diable les précautions je suppose. Et puis, d'ombres ou de lumière, toutes les créatures ne méritent-elles pas un peu de clémence ? C'était la question d'une vie, bien trop grande pour que l'on y réponde coincé entre les quatre murs d'un sanitaire.

Cependant, mes pensées revinrent rapidement vers la scène de ce sauvetage incongru. L'instant avait quelque chose de touchant et de beau, de pur même. Pendant un moment, j'avais craint le pire, et de voir les filets d'eau s'écouler lentement entre les doigts de la jeune femme, c'était presque comme assister à la renaissance de l'animal. Merveilleux... Comme il était si petit et fragile dans le creux de cette paume charitable ! Mais cet instant parfait vola en éclat avec une rapidité fulgurante, à l'instar de la créature qui, sans gratitude aucune, avait planté ses dents dans la main de la pauvre Danaé et s'était dérobé à elle avec la vélocité d'un courant d'air.

Et meeeeerde... Dans un geste un peu désespéré, un réflexe idiot dirons-nous, j'avais essayé de la rattraper avant qu'elle ne touche le sol et ne disparaisse, mais dans cet endroit étriqué, je ne parvins qu'à bousculer ma partenaire. Je me suis retenu je ne sais trop comment grâce aux murs de la cabine, évitant la chute, mais non sans faire un boucan de tout les diables. Échec sur toute la ligne ! Du grand art vraiment.

« Dé.. désolé. Est-ce que ça va ? » m'inquiétai-je, tant pour la morsure qu'elle venait de recevoir que pour l'avoir culbuté sans préliminaires. Je l'ai aidé à ressortir de la cabine pour lui permettre de laver sa plaie au lavabo.

J'essayai de positiver et de me convaincre que tout cela n'avait pas était en vain. Après tout, nous avions aperçu clairement la créature, suffisamment pour pouvoir la reproduire par dessin. Nous avions aussi appris que c'était vif, mais pataud dans l'eau, et potentiellement agressif lorsque c'était aux aboies. Peut-être que cela suffirait pour l'identifier et savoir à quoi nous avions à faire, mais j'en doutais un peu. Je partageai cela avec Danaé afin de la réconforter du mieux possible avant de la laisser regagner son infirmerie, tandis que je rejoignais mon couloir et mes balais, plutôt inquiet suite à cette morsure. Cependant, je n'eus pas l'occasion de la recroiser avant la fin de la journée, et je supposai qu'aucune conséquences graves n'avaient eu lieu.

Le soir venu, dans ma chambre d'hôtel, je dessinai sous toutes les coupes possibles la créature que nous avions vu afin de les envoyer aux chargés de mission. Je la transformai aussi en animal cartoonesque et adorable, avec des dents vraiment acérées et un regard mutin que je textai à Hyli avant de le ranger dans mon carnet. J'étais certain que cela lui ferait plaisir, où qu'elle se trouve en ce moment. Moins sûr que Danaé ait apprécié, mais après tout, à chacun ses secrets.