On lui a enfin laissé une petite heure pour souffler. C’est entre deux cours, c’est pas très long et en fait, c’est pas une question de lui faire une fleur mais juste que les plannings ont été faits avec un trou là, au milieu, mais le résultat est le même. Il a la paix. Qu’est-ce que ça fait du bien ! C’est ridiculement agréable de ne rien faire. C’est parfait de pouvoir se mettre à la fenêtre de sa salle de classe, les fesses presque dans le vide, le nez dehors.
C’est donc ce que fait Cy. La truffe au vent, les écouteurs dans les oreilles, il laisse passer son heure de battement tranquillement en faisant de son mieux pour oublier qu’il est en mission.
Il ne pense pas qu’elle se passe vraiment mal, d’ailleurs, la mission. Ils trouvent des indices. Ils avancent. L’Ordre fait de son mieux, malgré les diverses difficultés qu’ils rencontrent. Il n’y a que cette confusion autour des raisons qui l’ont poussé à abandonner une de ses classes en plein milieu d’un cours qui l’agace. Quelques élèves lui ont déjà demandé s’il était marié avec Victoria. Il a dû passer dix minutes à les assurer qu’il n’est dans aucune relation. Il n’est même pas certain qu’ils aient retenu quoi que ce soit puisque le lendemain, il a confisqué un bout de papier que se passaient deux élèves sur lequel elles écrivaient leurs théories sur ThornIavel.
Leur nom de couple, visiblement. Ils ont deux chiens, une maison, et ils cachent leurs alliances dans leurs casiers d’après les deux adolescentes. C’est ridicule.
Long soupir. Il espère juste que personne n’écrit encore de nouvelles bizarres sur lui mais ce n’est pas comme s’il pouvait y faire quelque chose.

A part aggraver son cas, peut-être, parce qu’il vient de voir une silhouette connue. Les cheveux noirs, la taille, la démarche… Aucun doute possible. Il l’a beaucoup trop croisée dans sa vie pour se tromper.
Au Diable les élèves qui pourraient voir et se faire encore des idées, il ne va pas la laisser passer sans au moins lui dire bonjour.

- EM.

Les écouteurs finissent lancés sur son bureau et le Consultant se penche encore mieux par la fenêtre en se tenant d’une main au rebord pour ne pas risquer de tomber. L’autre bras sert à faire signe pour attirer l’attention de Marie-Malaury sur lui.
Ce qui est peut-être superflu.
Il y a quand même plus d’un mètre soixante-dix de blond ridiculement photogénique pendu dans le vide, le t-shirt un peu remonté dans sa position d’étirement pour dévoiler un bout de ventre, les cheveux détachés pour ajouter encore un détail au tableau.

- EM. Hey !

Sa voix porte facilement dans le presque-silence. Il ne la force même pas vraiment et ne cherche pas à dissimuler l’affection dans son ton. Il est simplement heureux de la voir ici.

- Tu as quelque chose à faire ? Dis-moi que non et que tu peux attendre avec moi la prochaine période… J’ai des bonbons.

Et un de ses rares sourires, semble-t-il, qu’il décoche comme d’autre lanceraient un hameçon.

C’est Em. C’est tout, c’est la seule raison dont il a besoin pour profiter du baiser sur la joue en riant. Il sait qu’il n’y aura rien d’autre et qu’il n’y aura pas non plus d’arrières-pensées, de complications, de fausses pistes avec elle, parce qu’il a confiance en la gamine qu’il a vu grandir pour ne pas vouloir plus de lui qu’une affection presque fraternelle.

- Non, ça n’a pas l’air pressé.

Il prend la pile de papiers destinés aux archives et la garde dans ses bras au lieu d’aller les poser. Ou d’aider Marie-Malaury à monter dans sa classe envers et contre sa jupe secrétariale. Peu cavalier pour une fois, monsieur Thorne se contente de s’amuser de la situation, des petits mouvements de jambes de la jeune femme tête en bas, et de rire de bon coeur. C’est sincère parce qu’il y a tous ces petits indices qu’il est vraiment hilare, les petites rires au bord des lèvres, la manière qu’a sa voix de venir du milieu de sa gorge, les légers tressautements de ses épaules.
Em est un petit bout de la maison. Un rappel humain et adoré d’un endroit beaucoup plus calme. Il peut se permettre d’être au naturel et de ne pas faire la gueule près d’elle, surtout si elle continue de faire un numéro comique devant ses yeux.

- Le pantalon n’est pas admis dans l’uniforme ?

Il pose la question en se levant et en prenant la main tendue pour hisser légèrement son amie sur ses jambes. Les papiers finissent par terre à la place de leur propriétaire, libérant ses bras pour y mettre la demoiselle.
Si elle y vient, c’est qu’elle en a envie. Il ne va pas lui dire non.
Il va juste l’entourer de ses bras et continuer de parler avec bonne humeur.

- J’ai des films horribles. Danois. Avec des clowns. Je te réserve toutes les soirées que tu veux pour les regarder, t’as qu’à venir dans ma chambre et je te laisserait te cacher sous la couverture si tu ne dis pas aux parents que c’est de ma faute si tu pleures.

Il la serre un peu plus contre lui dans un débordement d’affection sincère provoqué par le souvenir. Matthias avait été furieux après ça. Il l’avait envoyé couper du bois pendant des heures pour réfléchir à ses actes, ce qui lui avait juste permis d’être tranquille pour écouter de la musique sur son vieux baladeur à disques. Son père avait toujours eu du mal à trouver des punitions adéquates. Sa mère avait été plus efficace, par contre, et lui avait juste lancé un regard attristé lorsqu’il était rentré.
Il avait présenté ses excuses à Em et à ses parents dès le lendemain et arrêté de regarder des films d’horreur en compagnie d’autres personnes.

- Nàtt est à l’hôtel parce qu’elle n’a pas le droit de venir. Théoriquement. Même si elle l’a fait. Ca a fichu un bordel monstre.

Un soupir faussement agacé lui sort de la bouche. C’est ensuite un baiser qu’il pose légèrement sur la tempe de l’autre Chevalier qui l’occupe.

- On peut passer l’heure à manger des bonbons tout en fouinant. J’en ai marre de voir les murs de cette classe. Je suis pas fait pour être prof de musique et mes élèves sont trop bizarres pour moi. On saute la fenêtre et on se balade ?

Il sait que les suggestions n’en sont pas, parce qu’elles n’en ont jamais vraiment été. Cy, tu m’accompagnes ? a toujours été traduit -très justement- par Cy, tu viens et il ne compte pas changer de dictionnaire Em-monde de suite. Le blondinet se contente donc de faire semblant de soupirer avant de se diriger vers son bureau. Il trouve en quelques secondes le sac de bonbons qu’il y cache à la vue des élèves, le sort de là, et revient vers son amie comme un être bien dressé.

- On est presque forcés de fouiller, conscience professionnelle, ironise-t-il, et amour de l’Ordre obligent.

Si on lui demandait son propre avis, l’Ordre pourrait bien se faire cuire un oeuf. Ce n’est malheureusement pas le cas et Cy Thorne, en bon consultant et fils de, ne compte pas mal faire son travail. Il fouillera le casiers des professeurs s’il le faut.
Mais il n’attrapera pas de créature, mignonne ou pas. Le ton de la voix de Marie-Malaury manque de le faire céder, lui met un oui tout au bout des lèvres. Il a du mal à résister à ces manipulations depuis toujours : il suffit qu’une des femmes de sa vie -sa mère, Em, ses petites amies passées- se mette à geindre un peu et il se retrouve bête. Il n’a pas été élevé vieux jeu juste pour être agaçant, mais bien pour être parfaitement chevaleresque avec la gent féminine. Sauf qu’attraper et offrir une bestiole inconnue qui mange des morts et crache du feu n’est pas de la galanterie mais de la stupidité.
Il fronce donc les sourcils et agite sèchement la tête.

- Non. Hors de question. Je ne t’offre pas d’animal nécrophage qui pourrait cracher du feu. Et qui a du poison si c’est le truc qui m’a mordu. Non. Tu m’entends ? N-O-N. Un des futurs chiots de Nàtt si tu veux, mais tu devras t’en contenter.

Les archives sont juste au bout du couloir et il continue encore quelques instants à répéter sur tous les tons son refus d’obtempérer avant de finalement fermer sa grande bouche de chanteur. Sa curiosité le rend muet, c’est une bonne chose à savoir. Elle le pousse également à se pencher à l’intérieur de la pièce pour se rendre compte que c’est, comme annoncé, un bordel sans nom.

- Ils arrivent à retrouver quoi que ce soit là dedans ?

Probablement pas, décide-t-il.

- On dirait un camion en fin de festival…

Sauf que c’est pire, et que les piles de choses semblent instables en plus. Le Consultant entre en faisant attention à ne surtout rien renverser, vérifiant à chaque pas sa position et celles des obstacles les plus proches.

- Pas d’armes. Tu as confiance en mes gros bras ?

Gros est un adjectif offert comme une blague assortie d’un clin d’oeil et de la disparition d’un bonbon dans sa bouche. Il n’est pas plus stressé que Em lorsqu’il entre dans la pièce. Il est même plutôt détendu quand il fouille avec application -mais en faisant attention à ses doigts, cette fois- les cartons. Rien dans les feutres, les feuilles de papier sont innocentes… Le bac avec les bouts de poterie semble par contre plus suspect. C’est vers lui qu’il se dirige pour commencer à sortir des bouts d’émail, de terre cuite, et d’autres matériaux qui lui éraflent la peau à chaque geste. Il ignore la douleur légère mais teigneuse, continue.
La trouvaille du bout de l'artefact lui sort un rire triomphal de la gorge.

- Em !

Il laisse les éclats de poteries multicolores par terre et se lève, faisant le tournesol au milieu des fleurs sauvages.

- J’ai quelque chose !