L’atmosphère était propice à la tristesse, mais Victoria était en colère.

Ses yeux étaient rougis et son nez irrité, comme si elle avait beaucoup pleuré. Toutefois, pour le moment, son visage demeurait sec et son expression placide. Elle pensait avoir dépassé l’étape du déni, mais, manifestement, ce n’était pas le cas. Les personnes venues porter hommage à Olivia défilaient devant elle en lui offrant des mots de réconfort, mais plantée droite près d’un cercueil vide, elle les ignorait en silence. Elle se répétait à chaque fois qu’ils étaient vains, qu’on ne savait pas vraiment ce qui s’était passé, qu’on ne savait pas si elle était véritablement morte, qu’elle allait peut-être revenir. Elle était en conflit avec elle-même, en dissonance cognitive entre ce qu’elle était venue à accepter dans les derniers mois et ce qu’elle ressentait actuellement ; en colère de retomber dans le déni, mais encore plus en colère parce que l’inverse était pire. Elle était fâchée contre chaque personne présente aux funérailles, aussi bien qu’envers tous ceux qui n’étaient pas venus.  Elle avait envie de vomir, de crier et de pleurer en même temps et elle s’étouffait un peu plus à chaque parole, bise ou accolade qu’on lui imposait. Elle aurait eu besoin que quelqu’un lui accorde sa validation, mais chaque nouvelles condoléances amenaient l’inverse. Encore mieux, elle aurait eu besoin de certitudes quant à ce qui s’était passé, mais tout un chacun se contentait des mêmes phrases ennuyantes, prémâchées et prédigérées qui lui restaient prises dans la gorge. Malheureusement, la seule personne qui aurait su quoi dire ou quoi faire était celle dont le nom était gravé sur le dessus du cercueil. Les autres – et ils étaient surprenamment nombreux pour un évènement privé – ne trouvaient pas les mots, probablement parce qu’ils n’existaient pas.

Olivia avait été aimée par beaucoup de personnes, sans aucun doute ; il y avait de la famille, des amis de longue date et des collègues à en faire déborder la salle. Ensuite, il y avait ceux qui étaient là juste pour Victoria ; son propre petit harem de tuxedos ambulants. Tullio avait l’air de s’étrangler dans son complet boutonné jusqu’au cou – à un moment dans la veillée, elle prendra quelques secondes pour l’ajuster pour lui – mais il se supportait pour elle et elle l’appréciait énormément. Xander, quant à lui, portait admirablement son veston noir, au grand plaisir de certains convives qui gloussaient autour de lui.  Victoria avait été surprise de sa venue, et n’était toujours pas certaine de la raison de sa présence, mais elle s’était quand même abandonnée dans une longue étreinte quand il était venu la voir.  Les deux hommes gravitaient en fond, jamais trop proche ou trop loin d’elle. Autrement, il y avait sa cousine Angelica, elle aussi en complet sombre, qui s’était libérée de ses obligations de gardienne pour la journée. Elle n’avait rien dit, mais Victoria avait senti sa main se glisser au creux de son dos à quelques occasions, toujours au bon moment.

Le reste était une succession de visages à la fois familiers et étrangers, de contacts forcés ou trop insistants, et toujours cette pensée intrusive qui insistait sur l’inutilité de toute cette mascarade. C’est ainsi jusqu’à ce que, soudainement, des bras blancs et chaleureux s’enroulent autour d’elle, avec, qui plus est, une poitrine ample pour étouffer ses idées noires. Le parfum floral lui remplit les poumons et la berce dangereusement vers ses émotions. Victoria ne bouge pas, paralysée comme une biche devant cette femme-lumière, mais sa propre aura tremble avec toute la force d’une crise de larmes. Quand la grande blonde termine l’embrassade, c’est sans jamais vraiment la lâcher. Elle continue de la tenir par l’épaule tout en lui caressant les cheveux avec des mains douces. Le contact semble presque trop intime, mais Victoria fond dans ses paumes. Son nom est Johanna et elle pense la reconnaitre de son enfance… Très vaguement. Ce qu’elle reconnait assurément, en contrepartie, c’est l’amour maternel sincère comme un baume sur sa poitrine douloureuse et tendue de retenir se peine comme un oiseau en cage. Ainsi, quand la femme lui propose de venir passer quelques jours chez elle après les funérailles, pour lécher ses plaies et se faire dorloter, ce lui semble une très bonne idée.  

Au courant de l’évènement, la presque inconnue veille sur elle comme une maman poule, ce qui semble étrange autant que naturel ; ce n’était certes pas son rôle, mais la jeune femme en avait tellement besoin et personne d’autre n’était là pour le faire. Enfin, la longue veillée se termine comme un souffle court, tous les invités sont expirés d’un seul coup et Victoria est essoufflée.

Elle est résignée et triste, en fragile équilibre entre le retour au déni et l’acceptation.  

De France, la route vers le quartier général est long, mais elle se pelotonne entre les costumes noirs et feint une transe contemplative pour qu’on la laisse cuver sa douleur en paix.