Les yeux rivés sur le ciel, Kwanita se laissait portée par le flots de ses pensées. Les nuages semblaient danser, s’amuser et prendre le meilleur moment de leur courte existence. D’une certaine manière, l’amérindienne était jalouse. Elle aussi voudrait parfois jouir d’une liberté qui ne demande aucune réflexion, juste suivre le mouvement et profiter. En même temps, elle regretterait son libre arbitre, le fait de faire des choix et de s’amuser ce ceux-ci ou simplement les regretter.

Elle se passa une main dans les cheveux. La condition de la vie humaine était quelque chose qu’elle aurait du mal à troquer. Elle devrait se passer de toute sensation, ou alors elle serait incapable de mettre des mots sur ses émotions, ses sentiments et son ressenti. Non, finalement être doué de parole était fabuleux.  Les nuages n’ont qu’à bien se tenir. Et puis elle aurait du mal aussi à échanger son identité si particulière pour une étiquette commune, que ça soit cumulonimbus, stratocumulus, cirrostratus ou que savait-elle encore.

Perdue dans son exposé interne, elle se sentie secouée. D’un léger sursaut, elle se retrouva dans la réalité. Jasper, un militant engagé dans la protection de la nature, semblait se demander ce qu’il se passait. Pourquoi la brune était-elle immobile, le tête levée vers le ciel ?

- Tout va bien Kwanita ? Tu ne bouges pas…
- Hein ? Ah, oui, oui, ça va ! Répondit la brune en souriant.

Sur ces quelques mots, elle retourna à sa cueillette. Quelle drôle d’activité d’ailleurs, la cueillette. Ce n’est tout du moins pas ce que l’on espère de quelques personnes qui désirent faire entendre au monde que la nature à besoin de soins. Généralement, ces gens là sont plus dans l’agressivité, créent des événements bruyants et font parler d’eux. Pourtant, cette activité bien singulière aiderait dans l’achèvement d’une action surprenante. Aujourd’hui, le petit groupe de rebelles iraient se poster près d’une centrale avec les fruits de leurs récoltes.

Se penchant pour ramasser quelques fruits, Kwanita ricana en sentant ses mains poisseuses. Ses camarades semblaient tout aussi amusés qu’elle et avaient hâte de passer à l’action. En s’approchant d’un plan de tomates, l’américaine se posa une question : les tomates étaient-elles un fruit ou un légume ? Haussant des épaules, elle attrapa quelques tomates rouges, se fichant de la réponse.

Lorsque les sacs de tous étaient pleins, ils se concertèrent d’un regard décidé et se dirigèrent vers la centrale nucléaire. Ca promettait d’être amusant. Peut-être que l’impact de leur action ne serait pas grand, mais il était certain que ça en ferait tiquer plus d’un et c’était tout ce qui comptait pour eux, pour Kwanita tout particulièrement. Si elle était tout à fait honnête, elle dirait que cette idée, c’était la sienne.

Elle n’était pas tellement du genre à prendre des initiatives. Enfin, si, mais elle n’assumait pas celles-ci. La jeune femme se considérait plus comme quelqu’un qui agit dans l’ombre. Elle n’appréciait pas recevoir tous les honneurs, se faire remarquer pour quelque chose qui lui semblait normal. Ce qu’elle voulait, c’était simplement pouvoir exprimer son opinion, pas être un leader ou un meneur.

Arrivés devant la centrale, chacun des activistes bloquèrent les entrées. Kwanita affichait un sourire immense. Personne ne pourrait rentrer ou sortir sans être touché par leurs projectiles de fortune. Elle voyait déjà les regards surpris et meurtriers, sans compter les remarques acerbes.

- Vous n’êtes que des destructeurs ! Scandait le groupe.
- Que le malheur s’abatte sur vous ! La nature devrait pas souffrir !
- Bande d’assassins !

Les remarques désobligeantes fusaient, plus ou moins polies, plus ou moins innocentes. Attrapant une tomate qu’elle avait cueillie plus tôt, elle joua un peu avec. Qui serait sa première cible ? Déjà ses camarades dissidents avaient touché quelques cibles. Des cris d’indignation s’élevèrent, certains se voulaient plus menaçant que d’autres. Mais au final, ça ne touchait que peu l’amérindienne qui se délectait même de ces réactions.

Ah, voilà la cible idéale. Un homme, grand, très grand. Elle se serait presque sentie intimidée si elle n’était pas là pour attaquer les gens qui travaillaient par ici. La malice et l’espièglerie illuminaient son regard. Une attaque de face, voilà ce qu’elle ferait ! Comme ça, elle pourrait voir l’expression déconfite de sa cible. Ou peut-être qu’il serait enragé ? Ou exaspéré ? Tant d’hypothèses et de possibilités absurdes. Mais trop réfléchir à ce détail ne faisait pas avancer les choses. L’action, il fallait se jeter corps et âme dedans !

- Eh ! Le grand machin ! Prends ça !

Elle jeta sa tomate, qui s’écrasa contre l’épaule de l’homme. Déception infime : elle visait la tête. Sur une note plus positive, elle l’avait touché.

- Ca c’est naturel ! Bien plus que les trucs phosphorescents de la nature là !

Le ton provocant de Kwanita incitait à la réponse. Elle voulait faire réagir. C’était là son but après tout. Alors qu’elle comptait lancer un nouveau projectile, le gardien arriva en soufflant dans son sifflet. Oups, c’était le moment de décamper si elle ne voulait pas être arrêtée. Une nouvelle tomate en main, elle jeta le fruit (légume ?) sur sa victime mais ne regarda même pas si elle avait atteint sa cible.

Elle s’engouffra dans les prémisses de l’usine pour aller se cacher en poussant des travailleurs qui essayaient de bloquer les manifestants. C’était sans compter sur son agilité naturelle. Elle les contourna avant même qu’ils aient pu dire « ouf ». Maintenant, elle était rentrée et rien ne l’arrêterait. Peut-être même qu’elle se lancerait dans une mission de sabotage ? Peut-être pas, elle était après tout poursuivie par un gardien fou. Elle nota que ses camarades s’étaient dispersés, mais aucun ne menait de diversion pour la sauver. Elle était seule face à l’ennemi.

- Quelle bande de faux-frères ! Pesta-t-elle pour elle-même.

Le pire dans tout ça, c’était que son sac rempli de « munitions » la trahissait. Du jus de fruits et légumes coulait laissant une indication de son passage, alors elle était suivie à la trace et facilement en plus.

- Merde, merde, merde, j’ai encore eu une idée de génie moi ! Bien joué Kwanita, l’idée des fruits et légumes pourris, c’était une super idée !

Le souffle court, elle se parlait à elle même, se maudissant. Se lancer dans des manifestations, en soi c’était pas une mauvaise idée. Mais se faire prendre à son propre piège, c’était du Kwanita tout craché ! Un bruit à sa droite l’interpela, il y avait une porte qui venait de se refermer. Attrapant son sac qu’elle cala dans ses bras, elle limita l’écoulement de jus. La brune bougonna que c’était pas elle qui était censée être poisseuse, mais les travailleurs.

Tant pis. Elle s’engouffra dans la porte peu de temps avant que le gardien ne puisse la voir. Elle se laissa glisser contre la porte, à bout de souffle. Comment est-ce qu’elle allait se sortir de là ? Elle était dans la panade, et jusqu’au cou… Si seulement quelqu’un pouvait lui ouvrir une porte de sortie ou lui apportait une solution sur un plateau d’argent ! Ca serait franchement salvateur !