Baignée dans l'heure dorée, la terrasse est un brouhaha de mouvements et de bruits. Il y a un peu trop de monde selon les gouts de Madelyn, ce qui ne l'empêche pas de s'étaler sur sa chaise avec un confort apprenant ; après tout, sa mission étant tout juste terminée, elle est désormais en vacances.

Le plateau que son collègue lui glisse sous le nez, par contre, lui fait froncer du nez et des sourcils, puis soupirer d'exaspération. C'est un traditionnel festin de friture, de sucre et de gras qui veut célébrer la réussite de leur objectif, sauf que celui-ci comprend donc: deux boissons pétillantes, un burger, une grande frite et... Un carton coloré, couvert de bonshommes souriants et de petites créatures adorables.

— Ah-ah, feint-elle, pas du tout amusée par cette réminiscence ordinaire de leur écart d'âge, tu sais que c'était presque drôle les deux premières fois que tu m'as fait ce coup.

Grimaçant un sourire narquois tout en soutenant son regard, Madelyn ouvre donc la boite pour enfant de laquelle elle sort un paquet de croquettes taillées en forme d'animaux, une sauce, ainsi que des frittes - un petit format - qu'elle échange habilement contre les siennes. Chris pourrait protester autant qu'il le voudrait, Maddy ne les lui rendrait pas. Et si d'aventure il se risquait à essayer de tout bonnement les lui reprendre, il devra s'attendre à ce qu'elle fasse usage des couverts en plastique pointus pour l'en dissuader. Franchement, il peut déjà se compter heureux qu'elle n'ait pas tout échangé, pour la forme ; si elle ne l'a pas fait, en vérité, c'est surtout parce que le burger qu'il a choisi n'est pas à son goût, contrairement aux croquettes qui sont finalement plutôt bonnes.

— Un peu moins de friture, ça ne  fera pas de mal à tes artères de papi, moque-t-elle avec une patate dorée entre les doigts et un petit sourire satisfait sur les lèvres, oh, et j'exige une glace en dessert pour le coup des caméras.

Elle avait dû, en effet, effectuer quelques heures supplémentaires afin de pirater et d'effacer toutes les traces numériques que Chris avait laissées derrière lui... Travail additionnel qui aurait facilement pu être évité, bien entendu, si monsieur avait daigné attendre une petite demi-heure de plus le temps qu'elle bloque tous les systèmes avant son passage.

Il a hésité. Vraiment hésité.
Mais elle lui a cassé les pieds, alors il a pris le burger le plus gras du menu pour lui, et un menu enfant pour elle. Elle lui volera ses frites, sans doute, mais… ça vaut la peine, juste pour voir la tête qu'elle fera devant le carton.

"Attention jeune fille, sinon je te confisque ton jouet."

Chantonne Chris, en regardant sa grande portion de frites être remplacée par une petite, relevant les yeux sur Madelyn pour la regarder par-dessus ses lunettes de soleil, un sourcil légèrement haussé et ses lèvres formant un sourire en coin, comme pour lui demander tu penses vraiment m'embêter? silencieusement.

Il soupire à ses exigences, et cette fois-ci ses yeux se lèvent et roulent dans leurs orbites.

"Très bien, très bien, je te filerais 5 balles et tu iras te chercher une glace pendant que j'en fumerais une."

Capitule-t-il, parce qu'aussi agaçante qu'elle puisse être, il sait aussi qu'elle l'a probablement méritée, sa glace. D'autant qu'il lui a pris un menu enfant, et que le but n'est pas non plus de la faire mourir de faim.

"Un jour faudra quand même qu'on vienne en Amérique du Nord pour le fun. On prendra trois semaines, et on fera le tour des meilleures adresses de burgers depuis le nord du Canada jusqu'au sud du Mexique, et on verra si t'aimes toujours pas ça."

Chris essaye de s'arrêter là. Il essaye vraiment. Mais c'est plus fort que lui il ne peut pas s'en empêcher.

"Mais uniquement si tu travailles bien à l'école."

Achève-t-il finalement, en envoyant un grand sourire à la jeune femme parce qu'il a bien du mal à ne pas rire à sa propre blague.

Le ton moqueur de Chris vient avec ce sourire en coin, par-dessous ses lunettes foncées, auquel Maddy ne répond qu’en montrant légèrement les dents. Qu’est-ce qu’il est irritant! En roulant des yeux, elle ne peut s’empêcher de se dire - quoique taisant à demi sa propre pensée - qu’il relève du miracle qu’il soit, en considérant son âge et son mode de vie, toujours aussi bel homme.

— Mais fais-toi plaisir et garde-le, offre-t-elle, placide, en lui tendant la figurine encore emballée, ça fera un super buttplug.

Elle dit ça et son expression faciale demeure immuable, si bien qu’elle a presque l’air sérieuse malgré son hilarité intérieure. Quelque part, garder cette façade stoïque en antithèse à ses mots qu’elle trouve franchement très drôles, est sans doute ce qui amuse le plus la jeune femme.

— Woh woh woh, interjette-t-elle après avoir avalé une bouchée de pommes de terre frites en s'étouffant presque dessus dans son empressement de reprendre la parole, tu veux vraiment qu’on passe trois semaines ensemble? Comme... Des vacances? Ensemble?

Cette fois-ci, son visage s’anime. Il y a avant tout de la surprise, de l’incrédulité, et tout ça se mue rapidement en un amusement qui est difficile à contrôler et qui engourdit trop vite le coin de ses joues peu habituées à sourire aussi largement.

— Mais pourquoi est-ce qu’on prendrait des vacances ensemble? demande-t-elle, très sérieuse malgré le rire mi-moqueur mi-nerveux qui qui ponctue sa question.

Certes, ils avaient passé beaucoup de temps tous les deux au courant des dernières années. Parfois plusieurs jours, voire semaines à la fois, surtout à l’époque où Chris était encore son mentor, mais... toujours dans la cadre de leur travail.

"C'est pas bien de projeter ses fantasmes sur les autres, Maddie."

Chris répond quand il se saisit du jouet qui lui est offert, et il le fourre distraitement dans sa poche. Il pourra toujours l'emballer et en faire un faux cadeau pour elle la prochaine fois qu'il lui en devra un vrai.

Quand la jeune femme s'étouffe à demi sur ses frites dans son empressement à demander confirmation de ce qu'elle a entendu, il se redresse, prêt à l'aider si elle en a besoin, puis se laisse retomber sur sa chaise quand finalement elle s'en sort.

"Apparemment il n'y a pas que les hommes que ça rend sourd."

Le chevalier réplique finalement, avec un sourire en coin de bon aloi, quand Maddie cherche à savoir si elle a bien entendu, et il la laisse continuer, ponctuant son pourquoi? d'un geste vers la boîte désormais vide de son burger.

"Parce que, jeune fille, si tu n'aimes pas les burgers il est évident que quelqu'un a un jour raté quelque chose dans ton éducation à ce sujet et j'entends bien te prouver que tu as tort et que j'ai raison à leur sujet."

Chris explique, l'air parfaitement sérieux, quand bien même en réalité c'est un peu plus compliqué que ça. Le fait est qu'il a l'impression que sa collègue aurait besoin de vacances, de temps à autre, mais qu'elle n'est pas très douée pour les réclamer.
Et avec les coups qu'il lui fait, elle mériterait sans doute de se faire un peu gâter.

"Mais je sais bien que tu ne diras jamais oui, tu as trop peur de devoir admettre ta défaite face à moi. Et non, pas la peine de protester, tu auras tout le temps de le faire dans l'avion."

Interrompt il avec un sourire en coin dès qu'il la voit ouvrir la bouche, avant de se lever. Comme promis, il sort cinq dollars de son portefeuille et les pose sur le plateau de Maddie, avant de coincer une cigarette entre ses lèvres.

"Je te laisse aller chercher ta glace, je vais m'empoisonner plus loin. On se retrouve en face."

Fait-il, en récupérant son briquet et en indiquant la rue d'un signe de tête, avant d'emporter son plateau pour le vider... mais il n'oublie pas de fourrer le jouet dans sa poche avant.