Le coréen fréquentait rarement ces lieux. Solitaire, il préférait passer son temps dans son atelier, à peindre jusqu’à ce que ses poignets le lâchent. Mais le temps pressait. Chaque minute, chaque seconde qui passait devrait plutôt lui servir à pallier ses lacunes. À devenir plus puissant. À grandir et à délaisser son statut de bébé sorcière. Mais même s’il s’entrainait sans relâche, il n’arriverait jamais à la cheville d’Alea ou de Saskia en si peu de temps. Devant l’ennemi, il serait inutile.

Figé à ses 23 ans, il n’en avait en tout que 30. Une vie si courte pour une sorcière. Ceux qui chassaient les personnes dans son genre avaient probablement quelques générations d’avance sur lui.

Pourtant, il était déterminé. Ce qu’il n’obtiendrait pas en magie, il l’obtiendrait en force physique. Jihoon avait toujours été svelte et grand – selon les standards culturels, mais en rencontrant des Européens, il s’était vite rendu compte de sa petite taille – mais peu fort. Aujourd’hui, il tentait d’y remédier.

Le sac de boxe se propulsait sous ses coups, avant de mieux revenir sur lui à toute allure. S’il ne faisait pas attention, il allait le recevoir en plein visage, ce qui se reproduisit, peut-être un nombre de fois trop honteux pour l’admettre. Les heures passèrent rapidement et il finit par ne plus sentir ses muscles.

Heureusement que le prochain entrainement serait plutôt mental. Du moins… si ce Booker acceptait de l’aider. Alea, après leur rencontre inattendue, lui avait donné quelques noms susceptibles d’être utiles dans sa quête. Booker était l’un d’eux. Homme peu aimable envers les sorcières, mais somme toute utile.

[…]

Les muscles du coréen se détendaient sous la caresse de l’eau chaude et ses cordes vocales s’aiguisaient de notes approximatives dans une langue inconnue par ces lieux. La douche d’après entrainement, sainte libération qu’il ne connaissait pas.
Une fois propre, le corps de Jihoon se recouvrit d’une serviette et il s’aventura dans le vestiaire commun. Il ressemblait à un fantôme pudique, encore un peu mouillé. Son corps tatoué de diverses runes voyait rarement la lumière du jour. Il était pâle, malgré son teint naturellement doré par ses origines.

L’ouverture d’une porte attira son attention et il crut reconnaitre l’apparence de celui qui devait l’aider. Ses yeux en amande le scrutèrent juste assez longtemps pour que cela paraisse étrange. Enfin. Ce n’était pas tous les jours qu’un garçon en serviette nous fixait.

Dans un anglais ponctué par son accent, il demanda :

-Mr Booker ?

Son corps commençait sérieusement à ressentir les effets de la fatigue. Sa mission sous couverture avait été aussi violente qu'éprouvante, ses vacances n'avaient pas été guère mieux. Évidemment, ce n'était en aucun cas une raison pour se "reposer". Il avait conscience de son âge. Non pas qu'il soit limité, ou faible par rapport aux chevaliers dans leurs jeunesses. Au contraire, à l'exception des... tricheurs, peu de ses collègues avaient un réel ascendant pour lui. Non, le sousics n'était pas de compétence, mais plutôt de récupération.

L'inconvénient de son style, c'était la nécessité absolue de flexibilité. Mentale, assurément (il prenait d'ailleurs grand soin de conserver son acuité intellectuelle et ses connaissances), mais aussi physique. S'adapter à toute situation plaçait régulièrement un poid indû sur le corps. Si ses capacités ne diminuaient pas, sa récupération, oui. Le conditionnement devenait à la fois essentiel, et de plus en plus demandant.

Booker ne s'en plaignait pas. Gagner en force, endurance, flexibilité, c'était thérapeutique pour lui. Maintenir son acuité le gardait éveillé. Derrière son stoïcisme, ses moments de surpassement personnel lui apportaient joie de vivre, excitation, satisfaction. S'il devait passer plus de temps au dojo? C'était une bonne chose. C'était son domaine. Son havre. Il était expert en combat et tactique, et avoir libre cours pour continuer de les développer? Quoi demander de plus.

Sa dernière mission s'étaient soldée par beaucoups de combats contre des groupes. C'était compliqué, mais pas sans avantages pour le seul opposant. Enfin, tant et aussi longtemps que les adversaires n'avaient pas l'intention de s'entretuer ce qui, au vue des dernières révélations, n'était définitivement pas une clause à omettre à 100%. S'attendre à ce que les adversaires aient des principes, c'était mettre un premier pied dans la tombe.

Il devait gagner en vitesse, observation, réflexes. Il devait être plus explosif, plus violent, plus décisif. Sa routine était mesurée et calculée. Booker savait ce qu'il devait améliorer pour rester en vie; non, pour garder les autres en vie.

Booker n'était pas quelqu'un qui gagnait toujours, mais Booker était quelqu'un qui ne perdait jamais. Fixer des objectifs réalistes, forcer des situations avantageuses, et toujours se donner les moyens de réussir. C'est ce qu'on... elle lui avait appris. C'est ce qu'il faisait. C'est ce qu'il apprenait aux recrues. La défaite était inacceptable. Perdre, c'était perdre sa vie ou celle de quelqu'un - ou quelque chose - d'autre. Au combat, en situation de crise, il n'était plus le temps de se poser de questions. Il était temps d'agir.

Les questions, les doutes, c'était maintenant qu'il les réglait. Avec habileté, contrôle, patience, discipline. Le hasard, incontrôlé, tuait. La maîtrise de soi ne permettait non pas d'éliminer le hasard, mais de suivre son courant, voire, le forcer à nous suivre.

Il avait terminé sa séance.

Il était satisfait, pour aujourd'hui.

Sa musculature pouvait sembler maladroite, incertaine, mais elle était bien là. Son corps lui même démontrait toute sa philosophie, et lui permettait à la fois de séduire - au besoin - et de passer inapperçu - plus souvent besoin - selon les circonstances. Évidemment, sa priorité était une force fonctionelle et une grande souplesse, souplesse que pousser de la fonte et "sculpter" ne lui permettait pas. Il avait toutefois, une certaine vanité, et se plaisait secrètement à apprécier les fruits de son travail après une dure séance, conscient que chaque effort reflété pourrait un jour faire la différence.

Il était donc surpris en voyant le jeune Coréen, voire presque embarrassé, s'étant attendu à être seul à cette heure-ci.


Il observait un peu le jeune homme, son accent, son corps, ses tatouages. Bon "frame". Bon potentiel. Des... runes? Pas anodines non plus. La base était bonne, mais le travail n'était pas encore là.


Il l'avait prononcé sans jugements, simplement en guise de déduction simple. Beaucoup dans l'Ordre pensait qu'il avait une aversion pour la gente... magique. C'était un mythe, évidemment. C'était tout le sexe féminin dont il avait pe- Ok peut être que ça sonnait pas beaucoup mieux, dit comme ça. Bref, il avait ses raisons - qu'on le laisse tranquille - mais il n'était pas un homme à préjudice.

Toutefois, vu le spectacle devant lui et le fait que l'homme ait connu son surnom... Il avait une vague idéede la direction vers laquelle cette conversation risquait de s'engager. Il y était préparé. Former la jeunesse faisait parti de ce qu'il faisait le mieux, après tout. Il restait un homme fier, il aimait partager son excellence, à l'occasion. Surtout si c'était rémunéré. Sa thérapeute lui avait bien dit de faire valoir ses services, pour éviter le burnout.

Trop tard pour ça, pensa-t-il, un sourire invisible se dessinant dans sa tête.

Il passa un T-Shirt autour de ses épaules, et se racla un peu la gorge, passant à un accent plus neutre que britannique, question d'éviter que son interlocuteur ait du mal à le comprendre, au cas où.

here.

Lui, savoir tout? La notion n'était pas sans l'amuser. Tout savoir, ça avait été sa marque de commerce, il fut un temps. Booker, ce nom, il l'avait mérité, jeune, et encore naïf. Si il savait réellement tout, aurait-il fait les même choix? Absolument pas, se dit-il. Fort probablement, lui murmure son subconscient. Certaines erreurs valent la peine d'être commises après tout, ou plutôt... il est impensable de ne pas les commettre.


Son métier n'était pas d'être parfait. Son métier c'était de savoir quelles erreurs étaient acceptables. Il regarda quelques unes de ses cicatrices, certaines encore douloureuses à ce jour. Chacune pouvait être vue comme un échec, ou alors, comme une fois de plus où il avait trompé la mort. Savoir et planification. Pour vivre une longue vie de chevalier, c'était essentiel. Ça, et du café. Ou alors la force absolue d'écraser toute opposition. Quelques visages lui apparurent soudain en tête, suivis d'un frisson. Booker n'avait pas de réel problème avec les femmes dans sa vie, les femmes dans sa vie étaient le problème lui-même.

Le jeune homme se rhabillait un peu. Booker le contemplait avec attention. Sa forme n'était pas mauvaise. Il était peut-être un peu maigrichon, mais rien qui ne se corrige pas. Il avait du potentiel. Beaucoup de potentiel. S'il s'entrainait de la bonne façon... Oui. Plusieurs possibilités.

Alice. Booker soupira. La sorcière qui était dans sa vie depuis le moins de temps, et la voilà déjà à lui causer des problèmes et lui rajouter du travail. Booker n'avait pas de préjugés, Booker avait RAISON. C'était très différent. Grosse distinction. Ce n'était plus du préjudice si il se la prenait vraiment à l'envers à chaque fois.

Il n'allait pas se plaindre. Ce n'était pas un problème. Il s'avait parfaitement ce dont ce Emrys avait besoin pour s'améliorer rapidement. Son style avait le potentiel d'être très similaire au sien. Ce que Emrys ne possèdait pas, cependant, c'était le bénéfice du temps. Il devrait lui inculquer des concepts, pures, simples, et appliquables directement. Il n'avait pas le luxe de s'étendre en théorie, mais c'est la théorie qui était la clef se dit-il.


Booker se voulait inoffensif, mais la situation était plutôt problématique. Les chasseurs de sorcières n'étaient pas des amateurs. Le sorcier, lui, l'était.


Booker se craque la nuque, les jointures, et s'étire les deux épaules. Il n'était pas trop raqué. Ça allait.


Il se râcle la gorge.


Booker hausse les épaules.

Peut-être que son ainé ne savait pas tout, mais il en savait déjà pas mal plus que la jeune sorcière, qui commençait à peine à s’approprier ses dons et les connaissances sur le monde magique.

-You know more than me and that’s what I need, rectifia-t-il avec un sourire amusé.

Pendant qu’il se rhabillait, il pouvait sentir le regard inquisiteur de Booker qui analysait son corps et ce dont il était capable.

-You’ve got a deal.

Booker était un homme simple, avec des demandes simples. Sur ce point, ils étaient complètement à l’opposé. Jihoon, lui, en aurait profité pour demander quelque chose d’extravagant, mais ça, il le gardait pour lui.

L’homme plus âgé lui étalait ses défauts et le coréen tentait de ne pas montrer sa déception. Il savait qu’il était jeune et inexpérimenté. Malgré les dires de Booker, il ne penserait jamais qu’il était meilleur que qui ce soit. Le peintre était humble et conscient des apprentissages constants que la vie lui réservait. Mais Booker avait visiblement une dent contre les sorcières, vu comment il en parlait avec dégoût.

-I won’t think you’re better than me, old man, dit-il avec un ton blagueur.

Ses yeux en amande scrutaient l’homme qui s’étirait et dont les articulations craquaient légèrement. Son scénario était réaliste. Jihoon prit un instant pour analyser la situation. Il n’y avait aucune issue autre que le combat physique à ce moment. Subtilement, Jihoon glissa sa main dans sa poche et en sortit une poignée de cristaux lourds.

-I would probably throw these at your face and run away.