Le téléphone sonne une fois, deux fois, trois fois, et chaque nouvelle tonalité fait vibrer Victoria d'anticipation: elle n'a pas envie d'entendre sa voix et de devoir lui parler, pas maintenant, mais en même temps, elle est terrifiée à l'idée de tomber encore une fois sur sa boite vocale. Elle n'a aucune idée d’où il est et de ce qu'il est en train de faire... Si ça trouve, il est à l'autre bout du monde, quelque part où l'horloge se perd dans les petites heures du matin; ou bien il est en mission loin d'un réseau fiable; ou encore en train de donner un concert avec de la musique trop bruyante pour qu'il puisse entendre son téléphone; ou peut-être qu'il l'avait écoutée, qu'il était passé à autre chose et qu'il ne voulait juste plus lui lui adresser la parole. C'est pour ça qu'elle lui avait écrit, aussi, pour lui dire qu'elle devait lui parler et que c'était une urgence. Ils étaient encore collègues, après tout, et Emanuel était trop bon chevalier pour ne pas finir par retourner ses appels, dans le doute qu'ils soient en lien avec le travail. 

De son côté, le silence est assourdissant. Victoria ne perçoit même plus les vas et viens des infirmières, pas plus que le râlement du respirateur ou le signal sonore régulier du moniteur cardiaque dont Emanuel entend certainement, pour sa part, le bip, bip, bip distinctif quand finalement il décroche la ligne.

— Emanuel, articule-t-elle enfin en guise de salutation hésitante, j’ai quelque chose à te demander... J’ai besoin de tes...

Il y de la fatigue dans sa voix, comme si elle n’avait pas assez dormi, ou peut-être pleuré, voire peut-être une combinaison des deux. Ses mots, pleins de ces émotions-là, se perdent donc dans un soupir lourd de dépit, puis de résignation. 

— J'ai besoin, reprend-elle avec prudence, manifestement inconfortable, que tu me promettes de ne pas te fâcher... Et si possible de ne pas poser trop de questions.

Parce qu'il en aurait des interrogations, forcément, et Victoria s'était déjà résolue à lui fournir des réponses si ça devenait absolument nécessaire. 

— J’ai besoin des antécédents médicaux de ta famille, lâche-t-elle, tandis que son regard égaré retrouve sa voie en suivant les fils et les tubes qui convergent vers la petite silhouette de leur fille.