"Ça te dirait qu'on passe la journée ensemble, demain?"

Tullio avait lancé la question à Elana, le vendredi soir, sans trop savoir quoi espérer comme réponse. Autant dire que l'enthousiasme débordant de la jeune fille l'avait pris de court et qu'il s'était retrouvé à rire nerveusement en lui promettant qu'il l'emmènerait déjeuner ailleurs qu'à l'hôtel.

Au fond, il s'était presque attendu à ce qu'elle refuse. Est-ce que les adolescentes de cet âge n'étaient pas supposées préférer sortir avec leurs amis? Et qu'est-ce que ça faisait, les enfants, à cet âge? Est-ce qu'elle n'était pas trop vieille pour qu'il l'emmène manger une glace?

Le samedi matin, alors qu'il l'attendait devant l'entrée de l'hôtel, Tullio s'inquiétait toujours de ce qu'ils allaient faire et, surtout, de ce qu'ils allaient se dire. Est-ce qu'ils allaient parler de leur mère? Il n'en avait pas envie. Mais si elle, elle en avait envie?
C'était vraiment étrange de se dire qu'il avait une sœur, qu'il avait toujours eu une sœur, et qu'il faisait sa connaissance seulement maintenant. D'autant que si elle ne s'était pas enfuie… il ne serait probablement jamais retourné la voir. Mais maintenant qu'elle était là, il fallait bien qu'il s'occupe d'elle. C'était sa sœur, après tout.

"Prête?"

Lance-t-il, écrasant sa cigarette dans le cendrier juste à côté de lui quand la demoiselle sortit enfin.

"Je suggère un tour dans un Tim Hortons pas loin, pour le petit déjeuner. Qu'est-ce que tu en dis?"

Tullio est presque surpris qu'Elana ne se jette pas sur sa joue, comme elle a coutume de le faire, et il se demande pourquoi. Il voit bien qu'elle est montée sur ressort et… il espère qu'elle n'a pas remarqué à quel point les contacts physiques, surtout aussi affectueux, restent difficiles au premier abord. Il va s'y habituer, évidemment, tout comme il s'est habitué à naviguer au milieu de la foule et à côté de Marian. Cela dit, il faut admettre que c'est un peu plus compliqué que les contacts accidentels.

Ça le fait rire de la voir si contente d'aller manger des beignets, mais il devait bien avouer que même pour lui ça représenterait un agréable changement par rapport à l'éternel petit déjeuner de l'hôtel. Il faudrait qu'il essaye ce truc dont Danaé lui a parlé, les flocons d'avoine à laisser toute la nuit au frais. Si c'était bon, il pourrait faire essayer à sa sœur qui, présentement, lui tendait la main. Il lui fallut un instant pour comprendre ce qu'elle voulait, et un autre décider que, oui, il allait refermer ses doigts sur ceux de la demoiselle.

"J'aimerais te dire que j'ai tout un planning, pour après le petit déj', mais la vérité c'est que j'ai aucune idée du genre d'activités qui pourraient te plaire. So… on en discute une fois à table?"

Le chemin jusqu'au Tim Hortons n'est pas très long, et il ne lâche la main dans la sienne qu'au moment d'entrer, pour tenir la porte à Elana et la laisser passer.

"Prends ce qui te fait plaisir, c'est moi qui offre."

Annonce-t-il, quand ils arrivent devant le comptoir. Leurs commandes passées, il s'installe à une petite table un peu à l'écart du reste des autres clients, pour qu'ils soient tranquilles.

"Alors, des idées, des envies? J'peux déjà prendre le temps de te faire visiter un peu les alentours, si t'as pas encore eu l'occasion."

Tullio émet un petit "Hm hm" affirmatif quand sa sœur lui parle du centre-ville, parce qu'il a le nez plongé dans une boisson au café qui contient probablement suffisamment de calories pour que le donut à l'érable qu'il a commandé ne soit pas nécessaire. Tant pis!
Il doit se retenir de rire quand il la voit ouvrir grand la bouche et enfourner son beignet comme si elle n'avait rien mangé depuis plusieurs jours, et finit par pouffer quand elle annonce que sans vêtements adaptés à la météo elle perdrait une oreille ou un orteil.

"On va essayer de te garder entière, hein. Va pour le shopping."

Plaisante-t-il, sans pouvoir s'empêcher de sourire. Ça commence à ressembler à un plan. Un peu de promenade, achat au minimum d'une veste chaude, de gants et d'un bonnet… et si Elana était une fille comme les autres il faudrait probablement qu'ils passent à l'hôtel déposer leurs achats. S'il leur restait du temps ils pourraient continuer à se promener et, sinon, il serait probablement temps de discuter du repas de midi.

"Tu crois vraiment que tu vas réussir à me faire peur?"

Nargue Tullio, au ton malicieux que la jeune fille emploie pour le menacer d'un passage dans les cabines. Un sourire en coin accroché aux lèvres, il se penche jusqu'à ce que ses avant-bras reposent entièrement sur la table.

"Toria m'a déjà fait le coup et crois-moi, tu ne pourras jamais faire pire qu'elle."

Après tout, ce n'était pas Elana qui allait l'obliger à prendre l'avion pour l'entraîner dans un centre commercial à ciel ouvert, et bordel je trouve toujours ça aussi con. Et, surtout, elle n'entrerait pas dans la cabine pour l'aider à s'habiller, et ne menacerait pas de le manger tout cru.

"Jamais."

A ce niveau-là, c'était carrément une mise au défi. Ce serait amusant de la voir essayer et, si ça pouvait pimenter un peu une séance de shopping qui promettait d'être ennuyeuse à souhait, c'était tout bénef' pour lui. Parce que c'est chiant à mourir de faire les magasins, bordel.

Tullio ne peut s'empêcher de rire un peu en voyant sa sœur se lécher les doigts et, avant qu'ils ne partent, il lui tend une serviette en papier. Il fait beau, en tout cas pour le pays, et la promenade est plutôt agréable pour le consultant qui n'hésite pourtant pas à entrer dans le premier magasin de vêtements qui semble convenir quand Elana lui signale avoir froid.

Elle profite du souffle du chauffage à l'entrée et lui, pendant ce temps, décide de lui chercher un bonnet. Le rayon n'est pas difficile à trouver mais choisir un modèle susceptible de plaire à la jeune femme est déjà un peu plus compliqué. Il décide qu'un bonnet blanc est l'idéal, parce que quoique salissant il ira avec toutes les tenues qu'elle pourrait décider de mettre. Et le pompon qui trône au sommet est vraiment adorable, d'autant qu'il a déjà vu pas mal d'élèves en porter. Quand il retourne vers sa sœur, celle-ci est emmitouflée dans une grande écharpe noire, jaune et… blanche.

"Regarde ce que je t'ai trouvé."

Annonce Tullio, en tendant le bonnet à Elana.

"J'ai vu des gants assortis, mais dans un autre magasin je me rappelle avoir vu des gants en cuir avec de la fourrure à l'intérieur. Ça te tiendra plus chaud, et je me dis que le cuir te plaira peut-être plus que de bêtes gants tricotés?"

D'autant qu'elle a probablement fini de grandir, ou peu s'en faut, donc c'est quelque chose qu'elle pourra garder longtemps, même si elle finit par repartir en Italie.

"Peut-être qu'ils auront des vestes aussi. Ça n'est pas très loin, donc si l'écharpe que tu as autour du cou te plaît, on peut peut-être aller voir? Si rien ne te plaît on reviendra ici."

Bon, évidemment, une veste en cuir ne serait pas bon marché. Mais avec son boulot à l'Aquarium et sa capacité à ne pratiquement rien dépenser pour lui-même, il pouvait se permettre de gâter un peu sa sœur.