Même en plein hiver
Comme une fleur en train d'éclore
Un coeur qui palpite

Amour. Le mot était encore beaucoup trop fort, mais il ne pouvait pas nier qu’il était vachement confortable avec Danaé endormie dans ses bras.  C’est qu’il faisait très, très froid dans l’hiver canadien… Alors quand elle l’avait rejoint dans sa chambre d’hôtel, celle assignée le temps de la mission, pour écouter Netflix comme ils le faisaient tous les soirs maintenant, ils avaient immanquablement fini par s’installer dans le lit et les couvertures chaudes.  Les oreillers avaient été placés pour faire un dossier contre le mur et la couette tirée chastement sur leurs cuisses. C’est seulement après deux épisodes, diffusés sur son petit écran, qu’il avait passé son bras autour d’elle, prêt à accuser le froid pour justifier son geste. Sauf qu’elle n’avait aucunement protesté et s’était confortablement blottie contre lui. Quelques épisodes plus tard, quand ses propres yeux commencèrent à se fermer tout seuls, il avait réalisé que Danaé dormait déjà. Alors il avait déposé l’ordinateur portable sur la table de nuit et avait tiré la femme contre lui, presque possessivement, avant de s’endormir, le visage perdu dans ses cheveux parfumés.  

Matin difficile ; lorsque le cadran sonne, il n’a pas très envie de se lever pour aller enseigner, même si dans les faits, la mission lui convient plutôt bien dans sa globalité.  Il en est le premier surpris, parce qu’il n’aime généralement pas rester trop longtemps au même endroit… Et surtout pas dans un milieu aussi urbain. Les soirées relaxantes passées avec Danaé sont la seule explication logique à cet étrange phénomène, aucun doute là-dessus. D’ailleurs, quand Ether se lève sur ses coudes ce matin-là, l’idée de l’embrasser lui traverse l’esprit… Mais il n’ose pas. Il n’avait pas peur du rejet, mais il ne voulait pas compromettre leur étrange relation. Il l’embrasse quand même, mais sur la tempe, et si délicatement qu’elle ne l’avait sans doute pas remarqué.  

Œufs, bacon et fruits font un délicieux petit déjeuné, même s’il finit par les manger sur la route. Une fois à l’école, il enseigne machinalement la même chose deux fois de suite. Le reste de sa journée était libre, alors il en profiterait pour continuer son enquête.

Une minute après la cloche à peine, Ether est déjà à moitié chemin vers l’infirmerie. Il a volé, au passage, une rose destinée à l’activité de Saint-Valentin des élèves. Il la cache derrière son dos quand il entre, pour ensuite la glisser sur le bureau où Danaé était en train de travailler, dos à lui.

Ravi de la prendre par surprise, ou au moins à moitié, il sourit et murmure : « Tu viens enquêter avec moi ? » au creux de son oreille.

Hier, lors d'une désormais traditionnelle soirée sur Netflix, Ether avait passé un bras autour de mes épaules et je m'étais calée contre lui sans même y penser. J'étais au chaud, contre lui et sous la couette, tant et si bien que j'avais fini par somnoler devant la série.

J'avais ouvert un œil à la sonnerie d'un réveil, pour le refermer aussitôt que le bruit s'était interrompu. Encore à moitié endormie, sans aucune envie de me lever, j'avais pourtant senti un léger contact sur ma tempe même si j'avais été incapable d'en déterminer l'origine. Un oreiller, sans doute.
J'étais rentrée me préparer dans ma chambre et avais pris la route de l'école au pas de course.

La matinée avait été calme, et c'était tant mieux parce que j'étais distraite. Zéphyr n'avait jamais été très tactile avec moi et j'avais supposé que c'était le cas de tout le monde. J'aurais dû, en toute logique, ne pas apprécier plus que ça les contacts avec d'autres gens.

Et pourtant.

J'étais bien, contre Ether. J'aimais passer du temps avec lui, et sa compagnie avait quelque chose de différent sans que j'arrive à déterminer de quelle façon exactement. Ce n'était ni comme avec Zéphyr, ni comme avec Tullio, mais pourquoi?

Je suis tellement plongée dans mes pensées, tout en remplissant une quelconque paperasse sans intérêt et d'un ennui mortel, que je ne réalise être sortie de ma solitude que lorsqu'une rose se glisse sur mon bureau. Je me redresse, sentant mes lèvres s'étirer en un grand sourire quand Ether vient chuchoter à mon oreille.

"Très volontiers!"

Je répond sur le même ton, avant de tourner la tête pour presser un baiser sur sa joue. Zéphyr m'a, un jour, expliqué que c'est ainsi que se saluent les amis et le chevalier en fait définitivement partie.

Je vérifie si mes papiers peuvent attendre le lendemain, ils peuvent, et je les range dans un tiroir de mon bureau avant de me saisir de la rose que je fais tourner entre mes doigts. J'hausse un sourcil amusé et curieux, tournée vers Ether que j'interroge.

"Que me vaut l'honneur?"

Mes doigts caressent les pétales rouge vif un instant, puis je décide de raccourcir la tige et de glisser la fleur dans ma natte violette. Je me lève, accorde encore quelques instants à mon petit bureau parce que j'aime qu'il soit rangé, puis me saisit de sa main pour l'entraîner vers la porte.

"Sur quoi veux tu enquêter, précisément?"

Quoiqu'il réponde je le suivrais et je l'aiderais, mais avoir plus de détails ne pouvait pas faire de mal.

Éther sourit immédiatement, si bien que sa joue bouge sous sa bise et que le coin de leurs lèvres viennent se frôler. En même temps, il l’encadre de ses bras sans oser vraiment la toucher avant qu’elle ne recule. Il pose enfin une main sur ses épaules et la regarde affectueusement tandis que l’autre main est sur sa propre joue, où il jure encore sentir son baiser.

- Je pourrais te relancer la question. Est sa seule réponse concernant la fleur. Il n’aurait pas su quoi dire d’autre de toute façon, à part que c’était pour la courtiser.

Pendant qu’elle termine son travail, Ether regarde la pièce dans laquelle ils sont. L’infirmerie scolaire était un cliché incroyable qui pourrait facilement le faire rougir. Jouer au docteur était une possibilité plus si impossible que ça, en comparaison à leur première rencontre, et le décor était parfait. Il ne rougit par, pas contre. En fait, il sourit, en coin et avec une expression suffisante. La dernière fois que se imagination avait frôlé cette idée, ça avait été dans un contexte vraiment inapproprié, or, en son sens, ce ne l’était plus désormais.

- N’importe quoi qui n’est pas ma classe de géographie. Pitié.

Il exagérait. Dans les faits, Ether aimait bien enseigner. D’accord, il avait rarement envie de s’y mettre en début de journée, mais il aimait parler des endroits qu’il avait visités et faire l’idiot devant des jeunes qui riaient aux éclats et qui semblaient sincèrement le trouver intéressant. Il ressortait souvent de sa classe avec le sentiment d’euphorie qui accompagnait les interactions sociales satisfaisantes. Pour lui, cela venait très naturellement. S’il avait jamais à changer de carrière, ce serait probablement une option pour lui, mis à part qu’il serait fort malheureux sans nouvelles découvertes surnaturelles et sans montées d’adrénaline fréquentes. Un plan de retraite, donc, en espérant quand même qu’elle n’arrive pas trop vite.

- Pour faire changement, on pourrait visionner des enregistrements de surveillance et s’empêcher mutuellement de mourir d’ennui. Ou fouiller des salles vides, ou même la cour… Ou encore, aller s’embrasser dans la cour, ou dans une salle vide, ou devant les enregistrements. Ether ne rougit toujours pas, mais il roule les yeux envers lui-même. Il peut blâmer son pote Cy de lui avoir indirectement mis cette idée en tête, vu comme tout le monde parle de lui et de Victoria. Eux, ils ont compris comment bien passer le temps, c’est le moins qu’on puise dire. Il faudra qu'il lui paye une bière un soir prochain, d'ailleurs.

"Parce que même si Zéphyr a une longueur d'avance, rapport au fait que c'est lui qui m'a amenée à Old Fyre, tu es en passe de le détrôner dans la liste de mes humains préférés."

Je réponds avec un sourire, en attrapant ma besace en cuir pour le rejoindre au trot, avant de rire quand la seule chose qu'il exige c'est de ne pas s'occuper de sa classe de géographie.

Mon sac sur l'épaule, je glisse mon bras autour du sien pour qu'on marche côte à côte. Après tout, nous sommes régulièrement l'un contre l'autre alors pourquoi pas? Le geste me paraît naturel.

"Hum… Je pense que s'occuper du visionnage des enregistrements est une bonne idée. Déjà parce qu'effectivement on pourra s'empêcher de mourir d'ennui, et puis parce que c'est un excellent compromis entre nos soirées Netflix et l'enquête. Je dois avoir des barres de céréales dans mon sac."

Expliquais-je tout en l'entraînant avec moi. Je savais où étaient stockées les vidéos comme, sans doute, le reste du corps enseignant.

"Et puis si j'en crois ce qui se dit, la cour est déjà bien occupée."

Son bras était chaud contre le mien, et je frotte machinalement mon pouce contre sa peau. J'avais, comme tout le monde, entendu parler de Victoria et de Cy. De ce que j'en savais, il n'était pas un loup-garou et j'imaginais que la chevalière avait dû redoubler de prudence à ce sujet.

"Quand on rentrera, est-ce que ça te dirait qu'on se fasse un dîner? Un bon petit plat, une bonne bouteille de vin suivis par un dessert devant un film ou une série, qu'est-ce que tu en penses? Ça nous changera des grignotages, et tu n'imagines pas à quel point cuisiner me manque."

Proposais-je, tout en jetant un coup d'œil autour de nous pour m'assurer que personne ne faisait attention. Tout le monde était bien trop pressé de quitter les salles de classe et les bureaux, tant mieux.

"Pour les vidéos, je ne sais pas si tu as éventuellement de quoi copier les passages intéressants? En tout cas j'ai de quoi noter donc on pourra toujours indiquer à quelqu'un d'autre ce qu'on a trouvé."

Mais c’est qui ce Zeffer ? Ou j’sais pas quel nom étrange elle vient de dire ? Ether était heureux d’apprendre qu’il détrônait le bonhomme, mais il était quand même perturbé d’entendre parler de cet autre humain préféré dont il n’avait jamais suspecté l’existence.  Enfin, que Danaé, superbe et parfaite femme qu’elle est, puisse avoir d’autres prétendants ne le surprenait pas, mais ça le dérangeait plus qu’il n’oserait l’avouer.  Et il a des liens avec l’ordre et Old Fyre ce mec ? Faudra que je mène ma petite enquête privée…

Ses pensées jalouses s’envolèrent comme les papillons dans son ventre quand la jeune femme se saisit de son bras pour qu’ils marchent ensemble. Il sourit comme un véritable idiot et avance sans jamais mentionner l’inconfort causé par le fait qu’il doive rester penché sur le côté pour garder leurs bras entrelacés. Les élèves et membres du personnel les regardaient à peine, et peut-être qu’ils allaient parler d’eux un peu quand même, mais ça ne serait rien de très choquant à côté de ce qui se disait sur son bro et sa belle conquête.

Peut-être qu’elle a eu la même idée que moi de les imiter, mais plus discrètement, en fait ? Vu comme elle le mentionne en caressant sa peau avec son pouce et en lui proposant un souper avec vin et dessert le jour de la Saint-Valentin, c’est loin d’être impossible. La Saint-Valentin, putain ! Ether ne l’avait même pas réalisé avant de voir autant de rouge, de rose à l’école. Peu importe ce qui se passera devant les enregistrements, il se dit que ce rendez-vous romantique serait un bon moment pour faire un pas.

- Danaé, on peut cuisiner ensemble aussi souvent que tu veux. Et c’est définitivement un oui pour ce soir.  Dit-il d’une voix suave. Il avait hésité à l’embrasser ce matin-là, et peut-être qu’il hésiterait encore au moment venu, mais pour le moment, il était décidé. Il y avait plusieurs facteurs qui contribuaient à ce changement de position, notablement leur entourage, la Saint-Valentin, son invitation, Zeffer, peu importe son nom étrange et ce qu’il pouvait bien foutre dans la vie. Et ce qu’il pouvait bien foutre dans la vie de Danaé, surtout.      

- J’sais pas ce qu’ils ont comme matériel, mais j’ai une clé USB qui devrait fonctionner. Dit-il en montrant l’objet qui pendait avec les clés de l’établissement sur le trousseau tour de cou qui cliquetait sur son torse. Trois petits tournants de couloir plus tard, ils arrivaient devant la salle qui servait de local de contrôle.  Ether le déverrouille avec les clés mentionnées ci-dessus et ils entrent incognito dans la pièce sombre où se trouvaient plusieurs panneaux avec des interrupteurs, ainsi que les écrans qui télédiffusaient les différents points de surveillance de l’école.  

Dans la pièce, il y a une seule chaise tournante de fonctionnaire. Ether prend place sur celle-ci et devant les téléviseurs. À l’aide d’une télécommande dont les fonctions sont très intuitives, il ramène la bande au début de la semaine. Au besoin, il pourra l’utiliser pour accélérer ou faire pause s’ils remarquent quelque chose d’intéressant. Enfin, il se tourne vers Danaé, encore debout. Il la contemple et ses yeux s’illuminent très subtilement. Doucement, il tapote ses propres cuisses pour l’inviter à s’assoir à son tour, son sourire fendu découvrant ses dents.  

"Alors quand on aura fini ici, on passera à l'épicerie."

Je ronronne pratiquement de satisfaction, et je réfléchis déjà à ce que je vais lui faire. Compte tenu de la taille ridicule de la kitchenette qu'il possède dans sa chambre, je sais déjà que je dois éviter tout ce qui est au four. Et le poisson, pour épargner les draps. A moins que… Du saumon fumé, peut-être? Est-ce qu'Ether aime ça?

"Mais tu es parfait."

Je déclare, quand il me montre sa clef USB, même si je n'ai aucune idée de ce que c'est. On marche encore un peu puis je le laisse déverrouiller la salle, me glissant à l'intérieur à sa suite. Il y fait sombre, la principale source d'éclairage provenant des écrans qui diffusaient en temps réel ce qu'il se passait dans l'école.
J'avais beau connaître le principe, ça restait impressionnant. J'avais encore un peu de mal à me faire à la technologie.

Le chevalier s'installe sur la seule chaise disponible et je le laisse faire. C'est lui qui saura le mieux faire fonctionner tout ça, alors il est normal que ce soit lui qui soit le mieux installé, non? Son grand sourire me fait hausser un sourcil et j'essaye de lutter, en vain, pour empêcher les coins de ma bouche de se relever quand il tapote ses cuisses.

"Tu as conscience que je ne suis pas légère?"

Je demande, ce qui ne m'empêche pas de me rapprocher pour, effectivement, m'installer sur ses cuisses. Je cale mon dos contre le sien, remuant un peu pour ne pas trop peser sur ses genoux et je décale légèrement ma tête pour que ma nuque repose contre son épaule et ne pas lui boucher la vue.

"En tout cas je peux te dire que tu fais une chaise très confortable."

Je plaisante, en hissant mon sac sur mes propres jambes le temps d'en tirer deux barres de céréales aux amandes grillées et au chocolat pour lui en proposer une.

"Discutons du menu de ce soir en attendant de voir un truc intéressant. Qu'est-ce que tu penserais de pâtes au saumon fumé? J'aurais bien proposé des crevettes, mais je m'en voudrais que tes draps sentent la nourriture toute la nuit. Est-ce qu'on se prévoit un apéro ou une entrée pour grignoter pendant qu'on prépare tout?"

Je m'oblige à ne pas enchaîner sur le dessert tout de suite, pour lui laisser le temps de répondre et d'éventuellement faire d'autres propositions si les miennes ne lui plaisent pas.

"Quand on sera à Old Fyre, je te ferais goûter mes fondants au chocolat. Mais pour ce soir peut-être des truffes? On pourrait les faire nature, ou glisser des pétales de roses cristallisés ou du gingembre confit?"

J'en voyais partout dans les magasins en ce moment, alors pourquoi ne pas en profiter? Ce serait parfait pour contrebalancer la couche de chocolat amer à l'extérieur.

Regarder les caméras de sécurité des derniers jours

Les écrans ternes crépitent et grognent comme de vieux animaux grincheux.

Vous être en train de visionner les enregistrements de sécurité :

Les premiers instants en temps réel sont impassiblement longs et pénibles et vous motivent à passer en accélérer. Parfois, on voit des collègues chevaliers faire leur travail… et parfois ils se promènent à moitié nus avec des chiens pour des raisons nébuleuses. Rien d’inquiétant. Quand se sont des élèves qui circulent de façon suspicieuse, par contre, vous n’avez pas le choix de les suivre de près vérifier leurs agissements. Après les jeunes qui vont fumer dans les toilettes, ceux qui se cachent pour sécher les cours et ceux qui passent des crises dans les couloirs, vous en trouvez deux qui vont s’embrasser et se tripoter de façon inconséquente dans une classe vide.

Ce n’est vraiment pas gracieux. Malaise.

- Ton poids par-dessus moi n’est absolument pas un problème. Je vais m’y habituer. Souffle-t-il derrière son oreille.

Danaé prend place entre des bras ouverts qui suivent son mouvement. À peine est-elle assise qu’Ether a aussitôt une main sur sa cuisse et l’autre trouve sa place sur son sternum à moins d’utiliser la télécommande.

Les images qui s’imposent dans sa tête ne devraient sérieusement pas être pensées alors qu’il regardait des centaines d’enfants sur le téléviseur. Entendons-nous qu’il ne faisait pas une habitude d’être aussi allumé au travail et il n’aurait jamais pensé l’être dans une école de toute place. Sans doute qu’il aurait dû en être embarrassé, mais ses priorités étaient ailleurs… Notamment assise sur ses genoux.

Il refuse la barre de céréales, car il avait déjà mangé et avait un appétit à se creuser. Sinon, en vrai, il s’en foutait pas mal de l’odeur des crevettes, ou de n’importe quelle odeur qu’elle pourrait laisser dans ses draps.

- Je peux te préparer des sashimis très rapidement. Immanquable avec un vin blanc. Pour le plat de résistance, j’te fais confiance, et t’en fais pas pour la literie. Au pire on la fera changer.

Il embrasse sa joue distraitement en gardant les yeux sur l’écran. Le majorité du temps, il accélérait, surtout pendant les pauses, quand tous les couloirs ressemblaient à des émeutes. Les heures de cours étaient, étrangement, les plus intéressantes, surtout quand ils voyaient d’autres chevaliers en action, y compris eux-même.

- Pour le dessert… Pour le désert, il avait une idée très précise qui laisserait sans aucun doute des traces et des odeurs dans les draps. Il n’en dit rien, bien sûr, mais tout en restant à la limite de la décence, la main sur sa cuisse s’aventure vers la face intérieure. Sur son plexus solaire, ses doigts papillonnent et dessinent des formes sur ses côtes.

- N’importe quoi qui te fera plaisir.

Soudainement, son début d’érection était fort inconfortable. Merde, je pense que c’est une de mes élèves ! C’était juste trop inapproprié et les mains se calment. Comme les adolescents ne faisaient très certainement rien de surnaturel, Ether s’empresse d’accélérer l’enregistrement jusqu’à ce qu’ils aient terminé et sortent de la classe. Ensuite, ça lui prend quand même plusieurs minutes de bande visuelle ennuyante pour se détendre à nouveau sous Danaé.

Je laisse Ether placer ses mains où il le souhaite et, de mon côté, j'en laisse une reposer contre sa cuisse tandis que mon autre bras repose contre le sien qui est pratiquement enroulé autour de ma taille.

Les images défilent, sans intérêt et monotones, et j'ai finalement abandonné ma barre de céréales. C'est moins amusant de grignoter si je suis la seule à le faire, et puis il m'intrigue suffisamment avec ses sashimis.

"J'en prend bonne note."

Je déclare, quand il annonce qu'on fera changer la literie si nécessaire. Retour des crevettes, donc. Sautées à l'ail avec des pointes d'asperge et un peu d'huile de truffe dans les pâtes. Ça nous ferait un sacré repas, et ça nous permettrait de continuer avec son vin blanc.

Je souris de toutes mes dents quand il m'embrasse la joue, au point que s'il n'avait pas été dans mon dos mais à côté de moi il aurait pu la manquer. Je hoche la tête à sa réponse pour le dessert, lançant un petit "D'accord!" tout en continuant de fixer l'écran.

Je ronronne presque sous les doigts qui parcourent mes côtes pendant que mes yeux observent deux adolescents qui se glissent dans une classe en prenant garde à ne pas être vus. Je me redresse légèrement, comme si ça pouvait m'aider à me concentrer, avant de secouer la tête quand je constate qu'ils ne font que procéder à ce qui ressemble à un mélange entre une parade nuptiale et un début d'accouplement.

"Ne sont-ils pas un peu jeunes pour ce genre de choses?"

Je demande, après plusieurs minutes, quand la partie ennuyante de l'enregistrement semble à nouveau s'étirer à l'infini.

"Je veux dire… évidemment à cet âge ils sont parfaitement formés physiquement, même si leur croissance n'est pas tout à fait terminée pour la plupart, mais ce sont encore des enfants."

Plus des bébés, certes, mais sont-ils suffisamment mûrs pour se reproduire pour autant? Je ne le pense pas. Même moi, du haut de mes cent années passées, je ne me sens pas prête à me reproduire. J'ai encore trop de choses à voir et à faire avant de pouvoir sereinement endosser une telle responsabilité.

"On a encore beaucoup de bande à regarder?"

Je demande ensuite, en pivotant légèrement sur les genoux d'Ether pour pouvoir le regarder.

"Pas que ça m'ennuie, mais je serais quand même contente qu'on puisse faire les courses et rentrer se poser."

Je continue, passant un bras autour de ses épaules pour glisser mes doigts dans ses cheveux.

- Je pense qu’ils ont plus de 14 ans, soit l’âge du consentement ici … Même si ça reste inapproprié à l’école. Après, il reste juste à espérer qu’ils se protègent convenablement.

Il préférait ne pas penser aux pratiques de ses élèves mineurs, ni continuer d’en discuter tout court. En ce qui concernait les actions inadéquates, il n’était pas très bien placé pour parler vu comme, quelques minutes plus tard à peine, ses mains recommencèrent à faire des leurs sur les haches et l’abdomen de Danaé. Elle était si petite en comparaison à lui que de la serrer fort alors qu’elle était assise, comme en ce moment, lui donnait l’impression de la posséder toute entière... Il aimait beaucoup trop ce sentiment, même en sachant qu’il sonnerait comme un conard possessif s’il osait le dire à voix haute.

Elle était pressée de partir et il sourit dans ses cheveux.

- On pourra toujours revenir visionner la suite un autre jour… Je n’ai pas de leçons à donner cet après-midi… Et officiellement, notre présence obligatoire à l’école s’achève dans quelques minutes.

Il n’en fallait pas plus. Quelques minutes plus tard, ils enfilaient leurs mentaux et leurs bottes et partirent en direction de l’épicerie. Cette promenade dans les marchés et l’hiver canadien parvient à le refroidir un petit peu, ce qui fait qu’il arrive à se concentrer sur le poisson à couper une fois de retour dans la petite chambre d’hôtel. En plus du thon, du saumon et de la dorade, il coupe de fines tranches de concombre et de citron, fouette le wasabi et en mélange une petite quantité avec de la sauce soja. Il se force même pour la présentation dans une grande assiette, ce qu’il ne fait pas d’habitude… Et le résultat est quand même pas mal, malgré qu’il ne serait jamais au niveau de sa mère pour ce genre de coquetterie.

- Voilà !

Dit-il en lui présentant l’assiette colorée, ainsi qu’une coupe de vin blanc.

J'avais souris en sentant les doigts d'Ether reprendre leur manège, et m'étais mieux calée contre lui pour en profiter pendant que la vidéo continuait de défiler devant nos yeux. Autant dire que c'était loin d'être passionnant.
Alors quand il m'a proposé qu'on s'éclipse dès que possible, j'ai accepté tout de suite et, à peine quelques minutes plus tard, nous avions nos vestes sur le dos pour filer joyeusement jusqu'au magasin.

Les courses n'avaient pas traîné et, à peine rentrés, je commençais à préparer mes ingrédients pendant qu'à mes côtés, le chevalier s'affairait à découper son poisson. Le plat pouvait attendre, tout serait rapide à faire, en revanche les truffes au chocolat avaient besoin de reposer au frais. Alors je fis fondre le chocolat, préparant les pétales de rose cristallisés et le gingembre confit pendant que le micro-ondes tournait.

Les truffes formées, je plaçais tant bien que mal le saladier dans le frigo de la chambre et me lavais les mains, reposant tout juste le torchon sur son crochet.

"Oh, quel timing parfait!"

Je ronronne, en attrapant le verre de vin qu'il me tendait avant de chiper une tranche de poisson sur l'assiette.

"Le dessert en a pour une heure environ, alors je propose qu'on s'installe et qu'on mange tranquillement notre entrée en décidant de ce qu'on va regarder parce que je crois qu'on approche de la fin de notre série."

Après quoi je décide de goûter le morceau de poisson, du thon je crois, que j'ai tenu entre mes doigts pendant tout ce temps et, aussitôt, je hoche vivement la tête.

"Ether, tu viens de me convertir au poisson cru!"

J'annonce, presque surprise de constater à quel point une préparation aussi simple peut être aussi appréciable. Le vin est excellent, et j'en viens presque à me demander pourquoi je me sens toujours obligée de faire aussi compliqué. Je vais donc m'asseoir sur le lit, en tailleurs, et je tapote le matelas à côté de moi pour que le chevalier me rejoigne.

"Je proposerais bien une comédie romantique, un film ça nous changera. Et puis j'aime bien les histoires d'amour. Zéphyr trouve ça ridicule, mais il ne sait pas s'amuser."

Je levais les yeux au ciel en évoquant mon bienfaiteur, secouant légèrement la tête. Je l'appréciais beaucoup, évidemment, mais par rapport à ce que je vivais avec Ether j'avais l'impression de prendre la poussière.

- Tu n’as jamais mangé de sushis non plus ? Rétorqua-t-il, honnêtement surpris, presque offusqué. Il est grand temps pour toi de découvrir tous les délices de l’Asie. Une ombre sournoise traine au coin de son sourire alors qu’il secoue légèrement la tête par autodérision. Au point où ils en étaient, il fallait qu’il commence à assumer les sous-entendus qui se glissaient malgré lui dans tout ce qu’il disait. S’il sonnait de plus en plus souvent comme un obsédé, c’était tout simplement parce qu’il en était un. Et, après tout, comment faire autrement quand Danaé se dirigeait justement vers son lit.

Il la devança et tourna autour d’elle pour aller déposer l’assiette sur la table de chevet, posant un baiser sur le bord de sa mâchoire au passage. Il ne s’assoit pas tout de suite, par conte, et retourna plutôt se remplir une coup de vin et ramasser des baguettes.

Il s’installa finalement, en posant son verre et en reprenant l’assiette sur ses genoux. Son bras gauche entoura Danaé et sa main trouva son chemin jusqu’à sa hanche. La main droite, quant à elle, manipulait habilement les baguettes de bois. Danaé proposa un film alors qu’il se saisissait d’un morceau de saumon et le trempa dans le mélange de soya et de wasabi. Il acquiesça en mangeant, même si, en vérité, il n’était pas un grand admirateur de comédies romantiques. Évidemment, il se garda bien de le dire, surtout si ça l’avantageait à côté de l’autre homme.

- Tu aimes les histoires d’amour, et pourtant, tu as toujours du mal à les comprendre. Se moqua-t-il gentiment en se rappelant de la tête qu’elle avait fait lors de la finale de The legend of Korra.

À l’aide des baguettes toujours, il présenta un beau morceau de dorade assaisonné à sa partenaire.

- Tu veux quand même voir les deux derniers épisodes sortis de Lucifer avant de commencer le film ? Je pense qu’il y en a deux ou trois autres épisodes spéciaux sortis, d’ailleurs. Ceux de la saison qui ont été annulés par FOX et qui ne seront pas repris pour la nouvelle renouvelée par Netflix...

Il parle, il parle, mais son ton est loin d’être aussi informatif que ses paroles. Il avait tout juste murmuré en s’approchant de son oreille pour qu’elle puisse l’entendre, aussi bien que sentir son souffle sur sa joue.

- Ce qui est bien avec les intrigues amoureuses, c’est que tu n’as pas besoin de tout comprendre, reprend-il en faisant allusion aux paroles précédentes. C’est quelque chose qui se vit et qui se ressent avant tout. Comme le frisson qu’il espérait lui avoir donné en appuyant subséquemment son front contre sa tempe.