Depuis qu'il était arrivé au Canada, en plein hiver, Marian souffrait terriblement du froid. De toute sa vie il n'avait jamais connu des températures aussi basses et lui qui voulait profiter de la mission pour casser un peu le quotidien, était servi.
En arrivant il avait du s'acheter de nouveaux vêtements, car même en enfilant les uns par dessus les autres tous ceux qu'il avait emportés, il n'avait pas assez chaud. Il sortit d'un grand magasin équipé d'un gros bonnet en laine, de gants fourrés, d'une doudoune jaune, de plusieurs gros pulls, de pantalons coupe-vent et de nombreuses paires de chaussettes mais malgré tout ça, rien que sur le chemin de retour à son hotel, il commença a avoir des engelures aux orteils.

Les jours suivants, ça ne s'arrangea pas. Marian, qui était soucieux de l'environnement, se déplaçait toujours à pieds et là, il avait de plus en plus mal. Lorsqu'il arrivait enfin à River Stone High, et montait dans son petit bureau de psychologue, il pouvait enfin enlever ses chaussures et libérer ses pauvres orteils écorchés. Quelques heures pouvaient passer sans qu'il y repense, mais il y avait toujours un moment où il devait remettre ses chaussures ; et c'était pire ...

"Vous devriez mettre une crème sur vos orteils ...", lui avait conseillé une collègue, compatissante.


Dès qu'il avait un moment de libre entre deux consultations d'élèves, Marian essayait de mener l'enquête mais les allers-retours fréquents, les piétinements, n'amélioraient vraiment pas la situation.
Il finit par se retrouver en chaussettes dans un couloir, n'en pouvant plus d'envie de s'arracher la peau, de se couper carrément les orteils, marchant à petit pas pour rentrer bredouille à son bureau.



Il croisa un élève.

- Ca va ... Monsieur ?

- Ouioui, çavatrèsbien, merci. Marian se contenait, et offrait au jeune une expression merveilleusement crispée.
- Okaay ..., dit le jeune en reprenant sa route.
- Attends ! Attends ... Il commença à fouiller les poches de sa doudoune (qu'il n'arrivait pas à quitter, au début) et y trouva son porte-monnaie. Il sortit vingt dollars qu'il tendit au jeune.

-S'il te plaît, va m'acheter de la ... Crème, pour les engelures, j'ai très mal, je ne veux pas retourner dehors ... Bien que s'apitoyant complètement, Marian gardait ce côté malicieux, prêt à sourire, mais ne le faisant pas. Le jeune opina de la tête et prit les vingt dollars de la main du psychologue.

- Je serai dans mon bureau ; juste là ... Il désigna vaguement la première porte à gauche, dans ce couloir.



Marian regagna son bureau et vint directement poser ses fesses sur le radiateur. Il lâcha presque un cri de soulagement, tellement c'était bon, et voulut retirer ses chaussettes : elles étaient collées à ses orteils. Il grimaça en tirant et inspecta l'étendue des dégats, un peu dégouté.

- Quelle merde ! J'ai autre chose à foutre, putain ... !


Il prévoyait d'aller jeter un oeil à l'Entrepot des Arts, comme la salle serait vide pendant une heure cet après midi, et il ne voulait vraiment pas rater ce créneau. Pas pour des putain d'engelures.

Il était en train de rager tout seul, quand des petits coups secs le ramenèrent directement au calme. -Entre !
Le jeune ouvrit la porte et y passa sa tête un peu timide, brandissant la crème.
- J'ai vot'crème, qu'il disait.

- Super, merci. Marian lui fit signe d'approcher en lui tendant la main. Le jeune y posa la crème. Garde la monnaie !

Marian le zappa immédiatement au profit de la crème dont il s'aspergea littéralement les pieds, et le jeune rebroussa chemin, un peu décontenancé. Un quart d'heure plus tard, la crème bien imprégnée, et buvant un bon café, Marian se sentait mieux. Il se mit un bandage sur chaque pied, se rechaussa, prit son sac à dos et sortit ; inspirant profondément, commandant à son coeur par la pensée de ne pas sacrifier l'irrigation de ses doigts-de-pieds.

Il marcha plus tranquillement jusqu'à l'entrepot. Par chance, la porte était ouverte. Il entra vite à l'intérieur, s'assurant d'un coup d'oeil qu'il y serait seul, et referma la porte derrière lui.

Puis il s'avança au centre de la pièce, se perdant un peu dans la contemplation des nombreuses oeuvres exposées ou laissées là, aux techniques aussi variées que les couleurs employées.