Je me sentis très - très - con lorsque Tullio confirma que ça sonnait mal. Bien sûr, qui serait rassuré qu’un vieux grand barraqué dise qu’il pouvait s’installer en toute sécurité dans le lit. Pourquoi encore essayer de nouer des liens ? J’étais mauvais à ça, l’alcool n’aidait en rien et j’aurais mieux fait de ne jamais tenter l’expérience. Il y aurait certainement eu d’autres problèmes, mais, hey, chaque chose en son temps.

J’essayais vaguement de me rappeler d’où était mon téléphone, de qui je pouvais appeler - ça allait tomber sur Victoria, et elle allait m’engueuler, mais bon, tant pis pour elle, on s’expliquerait le lendemain et elle comprendrait - et juste pas insister, pas retenter ce genre de choses. J’étais frileux avec les gens, ce n’était pas pour rien.

Je relâchai Spike et commençai à me redresser à son rire, estimant que ça serait suffisant pour nous deux pour ce soir, grommelant un “désolé” qui venait du fond du coeur. J’avais pas envie d’être pris pour “ce genre” là. J’avais toujours essayé d’être quelqu’un qui pourrait se regarder dans la glace et ne pas avoir honte de son comportement, ne pas passer du côté du “gros lourd”, qu’on appelle comme ça juste parce qu’on ose pas mettre le mot “harceleur” dessus.

“Laisse moi une minute, je m’occupe de...”

Ses remerciements interrompirent mon mouvement pour me lever, m’éloigner et être moins con en faisant la seule chose possible à cet instant : lui proposer un plan de secours safe s’il me voyait comme un danger potentiel. Je me retournai pour le fixer, prêt à me lever malgré l’alcool, avec cette sensation que mon esprit était très clair et en même temps très embrouillé par l’alcool.

Pourtant, il était tranquillement en train de s’installer dans mon lit, sans stresser, donc ? Je me rallongeai, soulagé, et m’assurai d’être le plus proche du bord possible pour … Je n’étais pas trop sûr, j’avais l’impression d’essayer de séparer le blanc du jaune d’un oeuf, mais avec des mouffle et des oeufs un peu vieux, quand le jaune se casse au moindre regard de travers. Et son aveu me fit me tasser un peu plus. Mains bien sur la couverture, jambes immobiles. Il avait dû remarquer, quand j’avais commencé à me lever, que j’avais un boxer.

“Oh… je suis désolé, je… j’me sens d’autant plus con.”

Je lui fit un sourire maladroit, avant d’éteindre la lumière et fixer le plafond.

“J’ai plus trop l’habitude non plus. Ces dernières années, j’étais parti du principe que je voulais personne à côté de moi, que ça pouvait être dangereux, et… Aussi que j’allais finir crevé dans un coin, alors qu’il fallait que j’évite les liens. Pour abandonner le moins de monde possible. C’est pas comparable, je sais, c’pas trop en rapport, juste… J’suis encore moins doué avec les gens qu’avant, désolé.”

Je me passai une main sur le visage, estimant qu’il vallait mieux la fermer avant de s’enfoncer un peu plus. Je n’osais pas trop m’endormir, à présent, vu qu’un cauchemar de ma part aurait pu l’effrayer. Ou un câlin surprise, avant, j’avais tendance à aimer me rapprocher des gens. Au moins pour sentir leur chaleur corporelle.

“Allez, j’arrête de dire n’importe quoi. Bonne nuit Tullio.”

Pour ma part, je gardai les yeux grand ouvert, sans bouger, alors que Spike venait s’installer entre nous en ronronnant doucement son appréciation qu’enfin on aille dormir. Ne pas dormir. J’avais des potions pour ça, mais mauvaise idée avec l’alcool. Ca allait marcher. Au moins le temps de vérifier que Tullio réussissait à s’endormir, lui, sinon… Y’aurait plus qu’à rouler par terre.

"Soit pas désolé."

Souffle Tullio, avant que Xander ne lui raconte pourquoi ils sont, en fait, aussi peu habitués l'un que l'autre. Et c'est vrai que ça n'est pas comparable à ce que lui a vécu, mais il comprend quand même. Il comprend, parce qu'il a peur pour Toria à chaque fois qu'elle part en mission.

"A force de pas avoir de chance, j'commence à voir le mal partout. T'es p't'être pas doué mais t'es gentil. Et c'est déjà plus que pas mal de gens."

Réplique-t-il, après que le chevalier lui ait souhaité une bonne nuit. C'était sans doute formulé de manière un peu simpliste, l'alcool ne l'aidait pas à former des phrases complexes et encore moins à faire un effort sur son vocabulaire, mais ça avait le mérite d'être sincère.

"Bonne nuit Xander."

Spike s'est installé entre eux et, alors qu'il ferme les yeux, le consultant glisse ses doigts dans la fourrure de l'animal, grattant son flanc de ses phalanges. Les ronronnements sont apaisants et, malgré ses appréhensions, il ne lui faut finalement pas longtemps pour se détendre et s'endormir.

Au cours de la nuit la chaleur induite par l'alcool se dissipe et, lorsque le chat finit par décider qu'il sera mieux installé ailleurs, Tullio finit par avoir froid. Il ouvre un œil et se blottit un peu plus sous la couverture. C'est suffisant pour qu'il se rendorme mais pas pour qu'il aie suffisamment chaud alors il se rapproche de Xander et, sans même se réveiller, il finit par presser son front contre l'épaule du chevalier, son avant-bras reposant sur les pectoraux et ses doigts courbés contre la clavicule du même côté.

Il ne rouvre les yeux que bien des heures plus tard, quand l'épaule sous sa joue remue. La clarté de la pièce, et un mal de tête relativement conséquent, lui font cependant plisser les paupières avec un léger grognement.

"J'espère que je suis le seul à avoir un éléphant qui fait du trampoline sur ma cervelle."

Chuchote Tullio, pour ne pas réveiller Xander s'il dort encore, alors qu'il roule sur le dos.

J’avais fini par m’endormir. L’alcool est plus fort que la volonté, mais, de toute évidence, j’avais été sage durant le sommeil. Enfin, j’avais quand même Tullio contre moi. Je ne bougeais pas, pour ne pas le réveiller, mais également pour analyser la sensation. Le poids sur mon épaule, la température qui irradiait de son corps, son bras sur mon torse. Peau contre peau, jusqu’à la limite de la manche de T-shirt. Son souffle régulier montrait qu’il dormait encore, chatouillait mon biceps. C’était agréable. Sans chercher plus loin, ce n’était pas dur de réaliser que ce genre de contact m’avait manqué, plus que l’excitation ou le plaisir sexuel, l’envie… Je cherchais à ne pas bouger, profitant silencieusement sous mes paupières closes. Le mouvement du lit et la sécheresse de ma bouche, sans parler de ce qui battait doucement à mes tempes, je n’aurais sû dire s’ils accentuaient mes sensations ou les engourdissaient.

Je rouvris les yeux à la remarque de mon cadet, regrettant brièvement le poids de sa tête qui crispait pourtant mon épaule.

“On serait dans un bateau en pleine mer,ça bougerait pas plus, je suis sûr. Mais ça va. Bouge pas, j’vais voir ce que je peux faire pour arranger ça.”

Me lever fit se soulever mon coeur en même temps, et, au final, j’abandonnai après le passage du pantalon pour être un minimum décent, et allai errer dans l’hôtel. Payer un petit déjeuner pour 2, charger un plateau de tout ce que je pouvais mettre dessus, du varié, sans faire spécialement attention à qui était là ou non pour remarquer ce que je faisais.

“Le petit déjeuner est servi ! J’dois avoir du paracétamol, aussi...”

C’était pas classe, tout ça ? Ca rattraperait jamais ce qu’il avait vécu, mais si ça pouvait lui montrer que, simplement, certains savaient se comporter en être humain décent, c’était déjà bien ? Je me donnais certainement trop d’importance.

“Je savais pas ce que tu voulais. Y’a une tasse de thé, du chocolat chaud, un café, du lait, des croissants-bizarres, des pancakes, beaucoup de pancakes parce que j’en ai envie, des oeufs brouillés, des fruits, du pain, du fromage, du beurre et deux types de confiture... Oh, et du nutella et du sirop d’érable, aussi.”

On allait pouvoir tenir le coup, avec tout ça.

“Ca ira pour t’asseoir ou tu préfères attendre encore ?”

"C'est les shooters."

Accuse Tullio, qui ne daigne même pas faire un mouvement pour empêcher son bras de glisser le long du flanc de Xander quand celui-ci se lève. Il redresse la tête, pour le suivre des yeux lorsqu'il s'habille et quitte la chambre, puis se laisse retomber sur l'oreiller. Il entend Spike feuler contre la porte clause et l'appelle jusqu'à ce que le chat le rejoigne sur le lit.

"Tu sais qu'il va revenir, pas vrai Spike?"

Le consultant pouffe quand l'animal semble le toiser alors même qu'il ronronne sous les doigts qui grattent les poils courts de ses mâchoires. Ils somnolent tout les deux, étalés au milieu du lit et l'un contre l'autre, quand le maître des lieux fait son grand retour.

"Oh, wow."

C'est la seule chose que Tullio trouve à dire alors qu'il se redresse sur un coude pour fixer le plateau que Xander tient avec des yeux ébahis. Il se passe une main sur le visage et sourit de plus en plus au fur et à mesure que la liste de ce que son collègue a ramené s'allonge.

"Ouais, ça va aller, t'en fais pas."

S'asseoir est un tout petit peu plus compliqué que prévu parce que le mal de crâne qui lui martèle les tempes s'intensifie avec le mouvement et lui fait plisser le nez.

"Le paracétamol sera pas de refus mais ça peut attendre après manger, t'as déjà assez maraudé comme ça."

Spike miaule pour marquer son accord ou, plus vraisemblablement, parce que son oreiller improvisé se dérobe sous lui puisque le consultant se réinstalle sur le côté pour laisser une place au chevalier.

"Merci beaucoup, en tout cas, c'est vraiment sympa de m'avoir laissé dormir ici et d'en plus avoir été chercher le p'tit déj."

Ça le changeait agréablement de la dernière personne à qui il avait fait confiance.

"Oh, d'ailleurs, ça va ton épaule?"

Demande Tullio, sans pouvoir s'empêcher de rougir légèrement. C'est la première fois qu'il dort réellement à côté de quelqu'un, et il n'avait pas imaginé qu'il viendrait s'appuyer contre lui.

Est-ce que j’en avais trop fait ? Tullio avait l’air un peu dépassé. Oui, de toute évidence, j’en avais trop fait. Tant pis. Je me redressai tout de même pour choper deux cachets blancs, le premier que j’avalai avec un peu de jus de fruits, le second que je lui tendis.

“Autant prendre maintenant, le temps que ça fasse effet… ”

Je le laissai se servir, récupérant la suite en mangeant précautioneusement. Le trajet avait déjà été assez complexe comme ça, je devais être fier de moi de ne pas encore avoir rendu tripes et boyaux. Merde, je savais boire, quand même ! La question me laisse un instant perplexe, avant que j’aie un léger rire et que je secoue la tête.

“Ca va, pas de bave à reprocher ou rien, y’a pas de mal.”

Bon, coller à quelqu’un était un peu gênant, je le comprenais, au fond. Mais y’avait vraiment pas de quoi se prendre la tête, j’avais juste envie qu’il comprenne qu’on pouvait dormir avec quelqu’un sans se faire harceler, sans ambiguïté. Il n’y en avait pas de mon côté.

“J’ai tendance à pas mal bouger la nuit, à part quand y’a un chat... Ou quelqu’un, à priori, donc te prends vraiment pas la tête avec ça, j’ai bien dormir.”

Lorsque j’eus terminé de grignoter un pancake, je me laissai aller sur les oreillers, avant de faire un mouvement pour Tullio.

“J’pense que je vais retenter le sieste pour faire passer le mal de crâne. Si t’as besoin, hésite pas à repiquer un roupillon aussi, sinon… Tu m’en voudras pas si je te raccompagne pas jusqu’à la porte ? Promis, le coeur y est, juste, pas encore trop l’estomac.”, expliquai-je avec une grimace contrite. “Mais… En buvant un peu moins, on pourrait recommencer à l’occasion, c’était sympa.”

J’avais définitivement l’impression d’être le pingouin le plus maladroit de la banquise.

"Merci."

Souffle Tullio avec un sourire, quand son collègue lui tend un cachet qu’il prend avec reconnaissance. Il se sert assez peu en nourriture dans un premier temps, pour tester son estomac qui réagit plutôt bien, ce qui lui permet de se resservir un peu.

"Effectivement, je me rappelle pas que t’ai beaucoup bougé."

Confirma le consultant, quand Xander lui explique qu’il est plutôt du genre à beaucoup s’agiter sauf s’il dort accompagné, que ce soit par un chat ou un humain. Il secoue doucement la tête quand il lui propose une sieste, avant de rire un peu quand l’autre lui promet que le cœur y est.

"T’inquiète, j’t’en veux pas."

Souffle-t-il avec un sourire rassurant, avant de se lever pour déplacer le plateau et le poser ailleurs que sur le lit, histoire que le chevalier puisse faire la sieste tranquillement sans risquer qu’un de ses pieds ne finisse dans une pile de pancakes.

"Ouais, volontiers ! J’vais juste décliner pour la sieste, une douche me tente plus."

Et Tullio continue de sourire même si le martèlement sous son crâne s’intensifie un peu plus à chaque fois qu’il s’agite. C’est le moment qu’il choisit pour s’éclipser dans la salle de bains pour se passer un peu d’eau sur le visage et tenter de dompter un peu ses mèches folles. Si son mal de tête le lui permet, il compte descendre fumer une cigarette et ça implique d’être un minimum présentable. Une épaule appuyée contre le mur pour ne pas perdre l’équilibre, il remet pantalon et chaussures, conservant le t-shirt prêté pour la nuit.

Le temps qu’il ressorte Xander s’est déjà endormi, alors il rassemble ses affaires sur la pointe des pieds, se servant de son haut de la veille pour empêcher les bouteilles de s’entrechoquer dans le sac où il les rassemble. Il prend le temps de ranger les restes du petit déjeuner dans le mini frigo avant de chercher un stylo et d’attraper une serviette en papier. Il y couche son numéro de téléphone, et la promesse de restituer le vêtement emprunté dès qu’il sera propre. Il joue un peu avec le bic, doit se retenir d’en mordiller le capuchon et décide d’achever par un simple « Merci » qu’il additionne d’un smiley, avant de déposer la serviette à un endroit bien visible et de s’éclipser après une dernière gratouille à Spike.