“Usuellement, quand quelqu’un se présente, c’est la moindre des politesse d’y répondre.”, grondai-je.

Je la détestais brièvement, avant de prendre sur moi-même. La douleur aidait à relativiser, ça allait passer. Lorsqu’elle avait parlé d’un dragon, j’avais acquiescé, sans plus, parce que je n’avais aucune foutue idée de ce que ça pouvait être. Un truc, un dragon miniature… Brièvement, je songeais que j’en voulais un pour moi. Si ça n’était pas dangereux pour Spike.

Si j’acceptai de m’asseoir à sa demande, c’était simplement pour m’assurer que le coup n’allait pas me faire me retrouver à nouveau le cul par terre. J’appuyai encore de la paume de la main sur la blessure, refluant la douleur progressivement. Elle parlait beaucoup, et m’agaçait de plus en plus. J’avais l’impression d’ignorer jusqu’à présent qu’on puisse faire naître en moi des envies aussi violentes sans pour autant être directement agressif. Peut-être une fois, avec un service client… Non. Elle dépassait tous les services clients imaginables.

“Tu as un souci avec le fait de te salir les mains, peut-être ? J’ai des gants, si tu veux.”, grommelai-je. “Et vu tes exceeeepptionneeeelles compétences martiales, on aurait pu penser qu’au moins tu serais pas sortie à poil alors que l’école est dangereuse, je suppose que tu comptais sur le fait que quelqu’un se salisse les mains pour toi, encore une fois, en cas de souci ?”

“Cervelle perlée”, aurait dit ma mère. Bon, c’était peut-être un peu trop méchant, mais… Elle m’agaçait réellement. Je me levai, tant pis pour mes craintes de chute de tension à cause de ma blessure, ça serait mieux qu’attendre à ne rien faire. Je récupérai une paire de gants en latex et les enfilai en les faisant claquer sèchement alors que nous traversions la cour pour trouver le Saint Graal de la fouille du soir.

“Après ça, je rentre. Tu ferais bien de faire pareil.”

J’avais envie de lui dire de se débrouiller seule. Ca lui ferait les pieds. Mais… Ca pouvait être risqué. Ca m’énervait encore plus.

“Si tu n’es pas rassurée, je pourrais te raccompagner, on doit être au même hôtel.”

J’avisai les bacs à ordure. Il le fallait, et ce n’était de toute évidence pas elle qui allait s’en charger. Puis… Rien ne m’empêchait de m’essuyer les mains sur elle ensuite. L’idée me tira un sourire, et rendit la tâche vaguement plus facile…

La crasse monte sur la benne comme une plante grimpante sur lesquels fleurissent des éclats de couleurs industrielles.

Vous avez fouillé les poubelles:

Les textures sont multiples ; froides, rêches, humides. Il serait difficile de faire l’inventaire complet de déchets, mais rien de surnaturel n’est mis en évidence.

Vos mains sont dégoutantes et l’odeur est loin de rappeler celle des fleurs.

« Je ne savais pas. » murmura-t-elle de façon à peine audible. Les usages communs ne l’intéressaient pas et Lorelei faisait sans doute preuve d’un peu de mauvaise volonté pour s’adapter. Et jusque là, elle s’était plutôt amusée du côté grincheux de sa nouvelle connaissance.

Elle le regarda s’asseoir la main toujours sur son front. En l’écoutant, elle comprit qu’il serait difficile d’adoucir son humeur, sans doute que recevoir un coup sur la tête par un banc n’arrangeait certainement pas la situation.

« J’ai l’impression que peu importe ce que je pourrai dire, aucune réponse ne te plaira. » Mais clairement non, l’ancienne naïade ne comptait certainement pas sur un soutien quelconque ici. Elle avait perdu depuis longtemps les rares personnes pour qui elle comptait.

Elle le suivit bien sagement jusqu’au poubelle sans faire d’autre commentaire et l’observa en silence, essayant de retenir toute trace de dégoût sur son visage. Effectivement, jamais elle n’aurait pu mettre ses mains là dedans. Quand elle vivait encore dans l’eau, la naïade qu’elle était alors avait du nager à travers divers déchets et immondices, c’était à ses yeux, le parfait reflet de la société humaine. Depuis, elle en avait découvert d’autre côté, mais l’image qu’elle en avait s’était à peine améliorer. Dans tous les cas, n’avait pas quitté une eau polluée pour ensuite aller patauger dans les déchets.

Quand Xander sortit enfin ses mains gantées des poubelles, elles étaient dégoûtantes. Elle tenta de lui adresser un sourire amical, imaginant parfaitement son humeur massacrante si elle avait été à sa place.

« Tu as raison, rentrons ensemble maintenant, c’est plus sûr. » Lorelei essaya de pas regarder son front en disant ça, ce n’était pas pour elle qu’elle s’inquiétait. En fait si, peut-être un peu. Elle ne voulait surtout pas qu’on lui reproche d’avoir abandonner un chevalier blessé au milieu de la nuit.

Elle sortit alors un petit mouchoir en tissus blanc avec des poissons brodés de sa poche pour lui donner.

« En gage de paix ? »

Rien. C’est dégueulasse, ça pue, j’en avais jusqu’aux coudes, tout ça pour rien. Luttant contre une nausée certaine - les odeurs de détritus humains, c’était bien pire que beaucoup d’autres choses, associé au sale et répugnant - je retirai les gants et les abandonnai dans la benne sans remords.

“Que dalle. Même si pour bien faire, je suppose qu’il faudrait l’avoir fait tous les jours et continuer à le faire tous les jours ou presque... ”

Lorelei proposa de rentrer, et je me demandai si elle craignait que je ne perdre connaissance. Vu la blessure à la tête, c’était justifié, j’avais beau faire comme si de rien n’était, elle lançait salement et j’avais eu un vertige en me redressant de ma si fantastique plongée. Je hochai la tête par manque d’envie de parler, mauvaise idée.

Et soudainement, elle fit apparaître un mouchoir sous mon nez. Pas un en papier, comme je pouvais en avoir, non, en tissus, et brodé. Délicat. J’hésitai, principalement parce qu’il allait être dégueulasse, mais… Dans un sens, c’était étonnamment sympa de sa part.

“Je le nettoierai avant de te le rendre.”

J’eus à peine le temps de récupérer le mouchoir que la nausée et les vertiges se firent plus violents. Je la repoussai, tentai de me pencher derrière la benne pour rendre le contenu de mon estomac. Lorsque je cessai, j’avais encore des spasmes, et des étoiles multicolores dansaient devant ma vision. J’avais un goût acre sur la langue, et je salivais encore assez pour savoir que je risquais d’en remettre une couche. Je me contentai de cracher à nouveau, inspirer, hésitant à utiliser le mouchoir pour… mais ma manche… Nouveau haut le coeur, je me tamponnai les lèvres avec le mouchoir blanc.

Et à présent, il me fallait éviter de mourir de honte. J’en voulais à mon corps de me faire défaut ainsi.

“Désolé...”

J’inspirai avec prudence, clignant des yeux pour chasser les petites étoiles. L’odeur du sang et des ordures, le coup, c’était normal. Plus sage d’être accompagné pour rentrer, mais parfaitement normal.

“On rentre, que je prenne une douche et que … Tu n’as pas une bouteille d’eau, par hasard ? Histoire d’être plus discrets ? S’il te plait.”

Lorelei observa de loin le malaise de Xander, s’éloignant de quelques pas devant ses nausées. Si elle devait un jour être malade comme ça, elle espérait qu’on l’achève rapidement. Elle hésita presque à l’abandonner sur place, après tout, elle a va sous doute plus de compétence dans le meurtre que pour les soins. Quand il se retourna vers elle pour lui parler, il était alors trop tard pour fuir.

« De l’eau ? … »

Il lui semblait assez visible qu’elle n’avait pas d’eau sur elle. Après, elle pouvait bien l’accompagner à la fontaine, il pourrait bien se rincer le visage et les mains dans son eau froide. Ou rentrer dans l’école pour chercher une bouteille, après tout, l’intérieur, c’était bien sa destination prévue à la base. Elle hésita alors à le laisser là pour aller chercher l’eau qu’il demandait, avant de se dire qu’elle le retrouverait peut-être effondré au sol. Il était trop grand, trop lourd, s'il devait finir par terre, elle le laisserait là et quelqu’un le trouverait bien le lendemain. Le capitaine devait bien s’attendre à ce qu’elle ne sauve pas tous les humains sur son chemin.

Finalement, elle s’approcha pour le tenir par le bras, au cas où il avait besoin d’aide pour avancer. Même si elle ne pourrait pas faire plus que le soutenir un peu. « Viens. » Et le guida vers la fontaine. « C’est sans doute froid, mais tu peux bien t’en passer sur le visage. » Peut-être même pas très propre pensa-t-elle aussi, mais ça ne pouvait pas être pire qu’une poubelle.

«Si tu veux vraiment une bouteille d’eau, j’irai t’en chercher, mais je te préviens, si tu t’effondre tout seul ici pendant mon absence, à part t’achever dans la fontaine, je ne vois pas bien ce que je pourrais faire pour toi. » Elle accompagna sa phrase d’un grand sourire qui pouvait laisser entendre à quelqu’un qui ne la connaissait pas, qu’elle n’était pas sérieuse.

« Sinon allons-y, je te ramène. » Le ton de sa phrase laissait clairement entendre que c'était la solution qu'elle préférait.

Ce n’était clairement pas la personne avec qui j’aurais aimé être malade. Généralement, à part les potes de beuverie - et encore, ça faisait une éternité - je n’aimais pas vomir devant les gens, c’était simplement l’alcool qui effaçait la gêne.

Je me laissai guider jusqu’à la fontaine, regrettant de ne pas pouvoir me rincer la bouche sans attraper au moins une quinzaine de maladies pas très sympathiques, mais hochai la tête lentement. Me rincer les mains, le visage, et dès que j’étais dans ma chambre, bain. Quoi que, douche, plus sûr par rapport à un potentiel nouveau malaise : sinon, c’était un coup à pourrir quelques jours dans la baignoire avant d’être trouvé.

“Non, rentrer, ce sera bien. J’veux me débarrasser de l’odeur.”

Je me rinçai tout de même le visage, serrant les lèvres pour éviter toute intrusion, et m’essuyai la bouche sur la manche, le plus au possible au niveau de l’épaule. Loin de… Tout ça. Et comme, en plus, avoir les manches et le visage partiellement trempés en pleine nuit donnait froid, j’avais plus qu’envie d’être dans ma chambre.

Je palpai pas réflexe le morceau vert rangé précieusement, et soupirai. Ca avait apporté plus de questionnements qu’autre chose, mais au moins nous avancions. Il fallait se focaliser là dessus : nous avancions forcément.

“Tu t’occuperas de prévenir le capitaine ou tu veux que je le fasse ? Je mettrai le fragment à l’abri avec les autres.”

Parce que tout le monde ne se baladait pas avec un fragment comme ça sur lui, hein ? Il y avait bien un endroit où les ranger en sécurité ? Il faudrait que je demande à Tori, tout simplement.

En tout cas, je fermai les yeux quelques instants, comptant mentalement jusqu’à 10, et me relevai lentement en m’assurant que je n’allais pas lui faire d’autre mauvaise blague. Ca avait l’air vaguement mieux. Et la vraie question qui se posait, pendant que nous marchions vers l’hôtel, était… Devais-je faire un effort pour la connaître mieux, me montrer “amical” ou non ? Lorelei avait l’air d’être, peut-être comme moi, un socially awkward penguin. Ce qui pouvait rendre la chose encore plus gênante...

“Tu as mangé et on peut aller dormir, ou tu veux qu’on se retrouve après une douche pour un debreif ?”

Voilà. On pouvait pas dire que je faisais pas d’effort pour nouer des liens avec mes petits camarades.

Lorelei réprima un rire en le voyant se rincer le visage. Toutes les créatures aquatiques étaient bien obligées de supporter l'eau dégueulasse laissée par les Hommes et il faisait le difficile devant cette fontaine. Après réflexion, il n'avait sans doute pas tort, elle avait bien du voir un gamin ou deux se marrer en faisant pipi dans la fontaine depuis qu'elle était là. Elle préféra ne pas en parler.

« Oui, tu devrais prendre une bonne douche. Ton odeur était sans aucun doute bien plus agréable avant le passage dans les poubelles. » Cette fois, elle ne s'empêcha pas de rire.

« Eh bien, si tu peux t'occuper des formalités avec le capitaine, je veux bien. Mais comme je suis sûre qu'il s'attend à ce que je sois la cause d'une catastrophe ou deux ici, je veux bien que tu omettes de lui parler de notre rencontre … animée. »

Quand il se releva enfin pour prendre la direction de l'hôtel, elle adapta son allure à la sienne, en silence, jusqu'à ce qu'il prenne la parole.

« Je ne sais pas, est-ce qu'il faut s'inquiéter de ton coup à la tête ? Je ne m'y connais pas vraiment, je n'ai jamais été blessée. Il faut peut-être mieux que je reste avec toi jusqu'à ce que tu sois au lit et en vie, non ? »

Bon, la tournure de la soirée ne lui plaisait vraiment pas, l'ancienne naïade n'avait aucune envie de s'inquiéter pour les autres et finalement c'est ce qui semblait lui arriver. Elle pouvait toujours essayer de se convaincre que c'était surtout pour ne pas avoir de problème par la suite, mais elle était trop franche pour ça.

« Je n'ai vraiment pas pour habitude de me préoccuper des autres mais … tu ne risques quand même pas de mourir dans la nuit ? » Elle s'éloigna de lui de quelques pas, ralentissant le rythme. Une très mauvaise idée, c'était vraiment une très mauvaise idée de discuter avec un blessé. Peut-être pouvait-elle l'abandonner ici et rentrer discrètement dans sa chambre. Personne ne savait qu'ils s'étaient rencontrés, alors on ne pourrait jamais faire de liens entre eux. Et puis elle lui avait pas demandé de foncer dans un banc non plus. Clairement, son petit élan de panique n'avait pas pu passer inaperçu auprès de son compagnon de route.

« Je ne sais pas du tout ce qu'il faut faire Xander, alors faisons comme tu veux. » C'était difficile à dire. « Je peux rester avec toi jusqu'à ce que tu ailles mieux, ou partir ». Avant, elle ne se serait jamais posée de questions.

Au moins, ils étaient arrivés à l'hôtel.

Je haussai un sourcil lorsque Lorelei me demanda de cacher notre rencontre. Elle craignait qu'on la juge là dessus, et à bien y réfléchir... J'aurais pu avoir cette peur. Du moins, je devais me méfier, c'était normal. Equitable, aussi : je n’avais pas confiance en eux non plus.

“Je peux gérer tout ça, oui, au pire si j’ai des questions je verrai avec Tori.”

Dans tous les cas, ce qu’on avait trouvé serait rapporté. Les “incidents” ne regardaient que les incidentés, je n’allais pas faire remarquer que j’avais fouillé une poubelle ou que je m’étais cogné la tête comme un crétin. Restant un peu “sensible” sur ces deux points, je préférais me taire à leur sujet. On était pas non plus obligés de raconter par le menu ce qu’on avait fait…

Je n’imaginais pas que mon silence - vague hochement de tête au passage - la panique. Je la fixai, clairement sur le cul, et soupirai lourdement.

“Tu sais, à force de poser ce genre de questions, on pourrait penser que tu n’es pas humaine.”

Vague paranoïa à cause de Danae, rien de plus. Pourtant, malgré tout, elle était bien moins pimbèche que l’ex danger ambulant. Et ça aurait pu expliquer qu’elle soit autant à côté de la plaque…

J’eus un mouvement de la main pour la calmer, préférant ne pas la toucher pour ne pas la paniquer un peu plus.

“Ca ira.”, la rassurai-je.

Ca lançait toujours, mais je doutais risquer la commotion - ça se serait déjà déclenché ? - et je n’avais pas du tout envie de faire le fragile qui préférait aller à l’hôpital pour un choc un peu violent à la tête. Je verrais bien, si je n’arrivais plus à trouver le nom de mon chat en rentrant, j’appellerais l’hôpital.

“Tu peux rentrer et te reposer, c’est gentil, mais je vais bien. Je ne risque rien, à part une bosse et un bon mal de crâne. Juste...”

Un petit effort de mémoire, pour être sûr que tout n’était pas trop en vrac dedans. Je créai un intervale d’environ 40cm entre mes mains.

“Grand comme un orvet. Avec des petites pattes, et des ailes genre chauve-souris, mais assez petit. Un aspect brillant, ou qui lançait des reflets. Et qui disparaît comme par magie. J’oublie quelque chose ? ”

Bon à la base, elle ne voulait vraiment pas avoir l'air bizarre et autant dire que depuis son arrivée au lycée, c'était plutôt raté. Mais quel doux compliment à ses yeux de ne pas avoir l'air d'un humain. Après tout, Lorelei n'avait pas vraiment envie non plus d'être comparé aux Hommes, même si finalement, un jour elle devrait se faire à l'idée que son nouveau monde, c'était celui-ci.

« Si tout va bien alors, allons nous coucher ! Je ne peux que te faire confiance sur ce point » Ne relevant pas sa précédent remarque autrement qu'avec un sourire.

Dans le hall de l'hôtel, elle s'accroupit pour défaire ses chaussures et les enlever - ceux qui la voyaient rentrer régulièrement étaient maintenant habitué à ce qu'elle les enlève dès son arrivée – avant de se relever pour regarder Xander et acquiescer à la description de la créature.

« C'est bien ça, plus un nouveau fragment. Espérons que nous avons fait un grand pas vers la résolution de l'enquête. » Parce que son appartement lui manquait peut-être un peu et au moins à Old Fyre, elle pouvait consacrer une bonne partie de ses journées dans l'eau.

L'ancienne naïade lui fit un petit signe de la main avant de s'éloigner de quelques pas en signe d'au revoir, puis de se retourna. Elle dessina alors dans le vide la forme d'un banc avec ses mains :

« De cette forme là, plus solide qu'une tête, à éviter de percuter. Je ne me trompe pas ? »

Et reparti pour se diriger vers sa chambre d'un pas rapide tout en rigolant. Parfois ce n'était pas si mal de mêler aux autres.