Ses yeux souriants s’élargirent soudain, déformant son visage en poussant ses arches sourcilières vers le haut  et ses lèvres vers le bas de sorte à former une moue pour la moins disgracieuse.

- Nooon nononon ! S’exclama-t-elle prestement. Victoria aurait pu se moquer, mais elle était trop choquée et inquiétée par ses élucubrations. Elle le contempla, ses yeux coulant à nouveau sur lui, mais toute goute de coquetterie noyée dans l’étendue de son ignorance. Elle aurait voulu le réprimander, au passage, sur sa vision très restrictive et génitale de la sexualité, mais ce serait à lui implanter plus tard, lorsque sa sécurité ne serait plus une urgence prioritaire.  

- Voyons, c’est le meilleur moyen pour le briser en plein acte ! Tu pourrais aussi bien de ne pas en porter. S’offusqua-t-elle avant d’enchainer : « Il faut le dérouler doucement et … » en parlant, elle tenta de mimer ses explications, ses doigts papillonnant pour former un rond avant de se refermer en poings de frustration. Ses pensées s’envolèrent vers le phallus de rubis qui trônait dans leur hall et qui aurait été un parfait accessoire pédagogique. À défaut de celui-ci, elle happa la bière que Tullio tenait et dont la forme allongée pourrait vite lui faire comprendre ses intentions.

Elle glisse suggestivement ses doigts sur la forme érigée avant de former, en courbant son pouce et son index, un cercle qu’elle place sur la tête. De son autre main, elle pince ensuite le vide juste au-dessus avant de mimer un lent étalement jusqu’à la base de la bouteille  

- Tu dois le placer de sorte à pouvoir le dérouler... En tenant doucement l’extrémité sinon il y aura trop de pression au moment de l’éjaculation.  Dit-elle, son ton didactique et nu de la moindre hésitation ; elle parlait fort également, peu dérangée par ce que les rares personnes dans l’établissement pourraient penser. En parallèle, sa paume caresse doucement le pénis fictif et elle ajoute, après un petit sourire en coin: « Au pire, tu demanderas à ta copine de le mettre pour toi. Si elle sait s’y prendre, elle pourra même le mettre avec sa bouche ! ». Avec un clin d’œil, elle porte finalement la bouteille à ses lèvres, en vole une gorgée, puis la lui rend.  

Tullio était gêné, rouge et il tentait vainement de changer le sujet. Convaincue de débiter tout cela pour son bien, elle ne se serait pas laissé amadouer par sa timidité, sauf que la question innocente lui avait volé un rire léger, franc et pétillant qui s’infusa rapidement dans le miasme malaisé de leur conversation.

- … Je ne parlerais pas d’essayer, spécifia-t-elle, un amusement roulé dans chaque mot, mais oui, souvent… Mais clairement pas assez fréquemment ces derniers temps pour qu’il lui pose la question, pensa-t-elle en s’intéressant distraitement à son nouveau verre.

"Non mais ça va, c'est pas grave, c'est pas comme si je comptais conclure prochainement de toute façon."

Protesta Tullio, dès que Toria commença un semblant d'explication sur l'art et la manière d'enfiler un préservatif. La seule personne qui l'intéressait était définitivement hors d'atteinte, alors quelle importance? Il ne comptait pas se lancer dans une relation, même pas d'un soir, de si tôt. Il se sentit soulagé lorsqu'elle s'interrompit, heureusement incapable de mimer… ce qu'elle avait tenté d lui montrer, mais ce fut de courte durée.

"Mais!"

Commença-t-il lorsque sa bière lui fut dérobée, avant de brutalement s'interrompre quand les doigts de la chevalière glissèrent sur la bouteille de manière plus qu'équivoque. Finalement, se faire passer par la fenêtre par la patronne ne semblait plus être une si mauvaise idée. Avachi dans son siège, une main tentant vainement de dissimuler son visage cramoisi à son collègue à peine quelques mètres plus loin, lequel devait être à peu près aussi hilare que Tullio était gêné, le jeune homme tentait péniblement de maintenir son imagination sous clef.
Il avait, soudainement, besoin d'air.

Ce qui le perturbait également, c'était l'assurance avec laquelle Toria parlait d'une éventuelle copine. Pourquoi une fille saine d'esprit s'emmerderait avec moi, hein? Il avait beau ne pas être moche, comment un serveur pourrait-il tenir la comparaison face à une tripotée de chevaliers pas plus moches et tellement héroïques dans leur mission de sauver les pauvres petites bêtes magiques? C'était simple, il ne pouvait pas.

"Oh. Bah euh… Tant mieux?"

Bafouilla Tullio, un peu désarmé par la réponse de la chevalière. Il ne savait pas vraiment quoi en penser. D'un côté il était sincèrement heureux qu'elle ait du succès, et ça ne l'étonnait d'ailleurs pas. D'un autre… d'un autre il y avait toujours un pourquoi pas moi?, même s'il savait exactement pourquoi ça n'était pas lui, pourquoi ça ne serait jamais lui.

"Moi j'suis bien tout seul. J'ai déjà du mal à m'occuper de moi, alors t'imagines si en plus il fallait que je m'occupe de quelqu'un? Ca l'ferait pas."

Les états d’âme de Tullio se dessinaient clairement : la gêne en rouge sur ses joues, les débordements de son imagination dans les lignes de sa posture, la honte dans les traits de son visage et finalement l’insécurité comme un reflet sombre dans ses yeux. Victoria s’attendait à tout cela et contemplait son œuvre avec une certaine lassitude. Un seul détail retenait son attention… Une émotion qu’elle n’avait pas cherché à provoquer et qu’elle ne pourrait décrire ; une petite lueur douloureuse, quelque chose de similaire à la nostalgie, mais de ce qui n’avait jamais été.

Elle essaye de simuler le sentiment – pour la science – mais n’arrive pas à mettre le doigt dessus et encore moins à en comprendre l’origine. Quand elle s’en approche, elle se sent fébrile et inconfortable, alors l’épiphanie s’enfuit, tout comme sa motivation à continuer de la chercher. Dans ses réflexions fuyantes, elle glisse les yeux vers le collègue hilare avec lequel elle échange quelques expressions faciales complices qui lui font oublier son trouble.

- Quelle vision…Patriarcale. Répondit-elle finalement, le dernier mot acide sur sa langue. Écoute, je ne te dis pas de te marier et de soutenir une famille. Amuse-toi ; pas besoin d’attaches… Mais si elles se développent, tu pourrais découvrir que dans un couple, il y a deux personnes – ou plus – pour se soutenir mutuellement et s’aider à grandir.

Victoria le toise à nouveau avec un sourire en coin, toujours amusée par l’ensemble de la conversation, mais indéniablement calmée. Elle aurait voulu reconnaitre chez lui une trace de compréhension et d’ouverture, mais elle survivrait sans. Elle s’intéressa finalement à son propre verre aussi, ingérant rapidement le liquide qui, en brulant son chemin dans sa gorge, lui rappela qu’elle était bien mal placée pour parler d’attachement ou de relations stables. Pourtant, ce n’était pas faute de passion ; elle en avait soif et encore plus à donner. Elle était assoiffée et elle pensa d’ailleurs, en prenant une nouvelle gorgée qui manqua d’apaiser la sècheresse dans sa poitrine, qu’elle ne boirait peut-être pas autant si elle avait moins faim d’autres vices.

Son sourire s’élargit et elle ferme les yeux pour savourer les images plutôt que le whiskey.

Dans tous les cas, ça ne lui ferait pas mal d’essayer cette alternative à l’alcool.

Tullio haussa un sourcil quand Toria lui reprocha d'avoir une vision patriarcale. Elle parlait de s'amuser, d'être sans attaches. Est-ce que ça lui faisait envie? Il avait passé tellement de temps sans être attaché à autre chose qu'à la drogue, qu'il n'était pas sûr de vouloir de ce genre relations. Enfin ça n'était pas comme si il avait eut une ouverture de toute manière, donc pour le moment se poser la question n'était même pas nécessaire.

Son collègue, ce traitre qui avait échangé des regards complices avec la chevalière, lui fit signe d'approcher et, effectivement, il était pratiquement l'heure de son service.

"Il faut que je file."

Annonça-t-il en se levant, passant les mains sur sa chemise pour la lisser un coup. Il fit un pas, puis deux, avant de se tourner vers la jeune femme.

"Tu dis que j'ai une vision patriarcale, mais qui te dit que je vais pas sortir avec un gars?"

La chose était peu probable, évidemment, si on prenait en compte ses expériences précédentes avec des hommes. Encore que… il y avait eut Zakuro. Zak' et ses doigts sur sa joue. Sa main contre son flanc, et…
Tullio fut heureux de s'être détourné de la chevalière sans attendre le "Le paternalisme est une attitude et n'a rien à voir avec ton orientation sexuelle !" qu'elle lui lança en réponse et que tout le bar devait avoir entendu, parce qu'il se sentait rougir rien qu'à se remémorer la façon dont l'autre l'avait embrassé. Et mordu aussi mais même ça, ça avait été suffisamment différent de tout ce qu'il avait connu pour que maintenant, en y repensant, il se demande ce que ça pourrait être avec quelqu'un qui ne l'y obligerait pas.

Mais il n'aurait pas le temps d'y réfléchir, pas ce soir, pas alors qu'il travaillait et que son collègue prenait un malin plaisir à lui faire porter tous ses verres à Toria, ainsi qu'à toutes les tables alentours sans oublier de lui glisser des commentaires qui le faisaient s'étouffer sur sa propre salive ou rougir jusqu'à la racine de ses cheveux.

Ces deux-là allaient le tuer.