1994
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C'est une fille !Explosions de joie dans la tribu. Tout le monde s'était réuni dans la maison des Nocona en ce mois de Décembre. Les sages-femmes sont sorties en brandissant le nouveau-né. Les yeux fermés, l'enfant semblait dormir paisiblement. Rien n'aurait pu interrompre son sommeil, ou presque. D'une manière surnaturelle et inattendue, le bébé ouvrit les yeux en grands et se mit à hurler. Quelques cris surpris accentuèrent le soudain effet de panique lorsque sur son pied, une forme semblable à une plume se dessina.
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Ce sont les esprits, scanda une femme.
Les esprits l'ont touché !Si jusqu'alors elle n'avait pas de nom, ce dernier fut décidé dans l'instant : Kwanita. Les esprits ayant touché l'enfant feraient d'elle un esprit bon.
2002
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Grand-mère, ajoute moi des plumes dans mes cheveux ! réclama une petite Kwanita.
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Ma chérie, les plumes sont pour les guerriers, dit la vieille femme en coiffant sa petite-fille.
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Mais je suis une guerrière !La femme, bien que ridée, n'avait perdu en rien son élégance, sa prestance et son charisme. Elle carressa les cheveux de l'enfant et lui expliqua quelques légendes autour des plumes et que Kwanita avait déjà été touchée par les guerriers de leur peuple. Elle pointa le pied de l'enfant, et cette dernière fit une légère moue boudeuse.
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Grand-mère, c'est pas pareil ! Et puis pourquoi j'ai une plume sur le pied ?-
Seuls les esprits peuvent répondre à ceci mon enfant.Comme si la vieille femme avait réveillé les esprits, le corps de Kwanita se tendit, ses yeux s'écarquillèrent, ses pupilles se dilatèrent et une expression indescriptible se figea sur son visage. Des larmes coulèrent le long de ses joues, et la terreur hapa l'enfant. Elle se mit à crier, hurler d'effroi.
Sa grand-mère était alors impuissante, inquiète et remplie d'incompréhension. Sa chère petite-fille appelait à l'aide, et cela ameuta les parents de l'enfant. Lorsque tout pris fin, Kwanita était épuisée. Elle paniqua un court instant, cherchant quelqu'un du regard, mais ils étaient là, ses parents étaient là. Alors pourquoi avait-elle vu ses géniteurs mourir tués par des êtres magiques ? Elle secoua la tête.
Kwanita, du haut de ses huit ans, avait eu une vision. Jusque là, ses pouvoirs ne s'étaient jamais manifestés. Aussi, elle ignorait que tout cela était un don des esprits de son peuple, les même l'ayant marqué à sa naissance. Ce qu'elle ne savait pas non plus, c'est qu'elle avait vu des Peuchen. Ces êtres fallacieux prennent l'apparence d'un animal avant de pétrifier leurs victimes et de sucer leur sang.
Si seulement l'enfant avait su que tout cela était une vision, elle aurait sans doute pu prévenir ses parents et surtout, elle aurait pu leur éviter la mort quelques mois plus tard...
2008
Kwanita avait 14 ans lorsque beaucoup de choses changèrent. Sa grand-mère, devenue sa gardienne suite à la tragique disparition de ses parents, ne cessait de lui répéter que le monde prenait une nouvelle direction. Elle prétendait que c'était la nature qui le lui avait soufflé, et beaucoup d'autres amérindiens approuvaient cela. Kwanita était devenue une sceptique. Le traumatisme de son enfance avait provoqué l'effet inverse, et elle rejettait toute prédiction un tant soit peu surnaturelle.
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Ma chérie, tu ne devrais pas ignorer les lectures de ton peuple.-
J'y crois pas un seul moment, répliqua la brune en haussant les yeux au ciel.
Tout ça, c'est juste à cause du... du... réchauffement climatique ! Ouais, voilà !Son ton était quelque peu insolent. Elle se fichait de ce que sa grand-mère pouvait lui dire. En plus, en cours de sciences, ils avaient abordé la question du changement climatique. Alors forcément que les choses changeaient. Rien n'était immuable, et ça Kwanita le savait bien. Faire des conclusions parce que le vent a changé de direction ou parce que trois feuilles de l'arbre étaient tombées, c'était absolument ridicule dans l'esprit de l'adolescente.
Tout cela aurait pu rester ridicule, si quelques jours suivant cette discussion, elle n'avait pas eu une vision. La mort et le mal étaient omniprésents. Le monde était sombre dans cette vision, et la peur que Kwanita ressentait n'était en rien comparable à la vision de son enfance. Tout son était bloqué dans sa gorge, son corps était si tendu que c'en était douloureux. Kwanita voulait que ça se termine, mais comme si elle vivait sa vision, elle sentit quelqu'un lui toucher le pied. Quelque chose lui avait touché le pied, et à mesure que la vision disparaissait dans une certaine brume, Kwanita se réveillait.
Transpirante et angoissée, elle s'était redressée dans son lit. Son coeur semblait vouloir s'échapper de sa poitrine, le sang affluait à une vitesse vertigineuse à ses tempes et la tête lui tourner. Elle avait envie de vomir... Non, elle allait vomir dans les prochaines secondes. Avant même d'atteindre la salle de bain, l'adolescente régurgita tout ce qu'elle avait dans l'estomac. Sa gorge était douloureuse à cause des remontées acides, le goût immonde de la bile était dans sa bouche, mais rien ne la détournait de sa vision, sauf peut-être sa marque de naissance, devenue rouge.
Elle ne savait plus quoi penser, elle ne remarqua même pas sa grand-mère qui la secouait. Ce n'est que la giffle que cette dernière lui asséna qui la ramena à la réalité. Ses yeux s'embrouillèrent de larmes et elle se jeta dans les bras de celle qu'elle considérait comme une seconde mère.
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C'est la fin du monde grand-mère, la fin du monde ! pleura Kwanita.
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Chut, ça va aller ma chérie, tenta de rassurer la vieille femme en carressant les cheveux de l'enfant.
2011
L'Ordre, une organisation qui se présentait comme salvatrice du monde. En effet, ils avaient sauvé le monde quelques années auparavant. Mais sauver le monde une fois ne voulait pas toujours dire que l'on répétait les choses à chaque fois. L'Ordre était un mot amer pour l'adolescente qu'était Kwanita. Pour sauver une ville d'une attaque de goules, cette organisation avait fait appel à sa chère grand-mère pour ses connaissances. Mais celle-ci ne revint jamais de cette expédition. Elle savait que c'était une mauvaise idée. Elle l'avait vu. Elle se détestait pour ça. Son don était un don maudit, il n'y avait aucune autre explication. D'abord ses parents, puis le monde et enfin sa grand-mère...
Devant un arbre sacré, l'indigène se mit à pleurer. Jamais elle n'aurait cru que les histoires que lui contait sa grand-mère lui manquerait autant, que ses mains maternelles crééraient un espace beant dans son coeur. Kwanita était déchirée par tout cela, parce que depuis que l'Ordre s'était montré au grand jour, il avait réécrit tous les principes de la magie - du moins c'était l'impression qu'elle avait.
Sans doute voyait-elle l'ordre comme une organisation néfaste à cause de son propre vécu. Mais jamais, au grand jamais, elle ne voulait être mêlée à eux. Plus loin ils se tiendraient d'elle, mieux elle se porterait. Elle essuya ses yeux et rit jaune à cette pensée : elle était orpheline, l'Ordre ne pourrait donc plus rien lui prendre...
2014
Kwanita inspira une grande bouffée d'air. Aujourd'hui, elle entamait un nouveau chapitre de sa vie, un chapitre inédit. L'indigène abandonna toute idée de poursuite d'études. Son rêve à elle, c'était de découvrir le monde, partir à l'aventure et vivre ses rêves. Elle quitta son Texas natif, et partit tout d'abord au Nord, au Canada. Elle y séjournera pendant quelques mois avant de descendre en Amérique du Sud et y passer une année complète.
2016
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Qui est Dmitri Yachovuk ?La jeune femme ne répondit rien, se contentant simplement de croiser les bras. Elle se trouvait dans une pièce fermée, avec un miroir à double sens. Devant elle, un policier qui l'interrogeait depuis plusieurs heures. Mais Kwanita se contentait de se taire. L'agacement sur le visage du policier était notable, et cela amusa la détenue.
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Bon, reprenons, commça le policier exaspéré.
Vous êtes arrêtée à l'entrée de l'usine pétrolière avec d'autres personnes. Des témoins ont dit vous avoir aperçu entrer sur les lieux de manière illégale.Il se passa la main sur le visage. L'homme voulait rentrer chez lui, manger une pizza et regarder le match de foot. Mais à cause de l'amérindienne, il ne pouvait rien faire, sauf rester ici et l'interroger. Si seulement cet interrogatoire le menait quelque part, or ce n'était pas le cas.
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Le garde à l'entrée avertit les forces de l'ordre, continua-t-il,
et vous êtes arrêtée avec quelques autres personnes, répéta le policier.
Peu de temps après, une explosion retentit et détruit des chaînes de raffinement. Heureusement personne n'a été blessé.Il remarque le regard victorieux de Kwanita, mais lui-même sait qu'il manque des preuves. Ce n'est pas un simple regard qui pourra permettre de la coffrer elle, et les autres personnes. Ce qui pourrait l'aider, c'est retrouver ce Dmitri. Des rumeurs circulent comme quoi ça serait lui le cerveau de l'affaire.
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Pourquoi ?La brune ricana et posa son menton dans le creux de sa main. Ses yeux se plantèrent dans celui de son interlocuteur.
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Je ne vois pas de quoi vous parlez.Enragé, le policier se lève et sort de la pièce d'interrogatoire en claquant la porte. La femme soupire, fatiguée. Elle avait foiré, ils avaient foiré. Maintenant, elle savait que personne ne balancerait Dmitri. Ce dernier était un Russe luttant pour protéger la nature. Kwanita était tombée sous son charme au Mexique, et surtout, elle approuvait la cause pour laquelle il se battait, puisqu'après tout, la nature était intégrante à sa culture.
Après le décès de sa grand-mère, elle avait renoué avec sa culture qu'elle si violemment réprouvée. Aujourd'hui, elle était consciente de son héritage aussi bien ordinaire que magique. Kwanita était enfin en paix avec elle-même et ses origines, et jamais elle n'aurait cru cela possible. Et pourtant. Voilà qu'elle luttait avec une organisation non gouvernementale pour prendre soin de la nature. Elle manifestait, et agissait criminellement aux côtés de ses amis et camarades. C'était sa nouvelle famille.
Elle fut relâchée quelques heures plus tard des suites à son interrogatoire, faute de preuves suffisantes. Ils avaient été imprudents et s'étaient faits arrêter. Ca ne se reproduirait plus, elle se le jura.
2018
En ce début d'année, Kwanita a mûri. Elle a repris le voyage, seule. Malgré toutes les actions et son profond attachement à l'organisation où elle était membre, elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Elle se sentait comme prisonnière de son quotidien. Sa décision fut prise rapidement et sans trop de réflexions (comme tout ce qu'elle faisait) : la brune devait partir pour mieux revenir.
La femme va où le vent la porte. Tantôt en Océanie, tantôt en Asie, seul le destin la porte un peu partout, avec insouciance.