J’avais les yeux fermés, malgré mon agacement grandissant et mon envie de me mouvoir devenant de plus en plus prenante. Les longues heures d’avions me pesaient et le livre que j’avais emporté n’avait pas duré bien longtemps. Tout comme les quelques heures d’escales à Dubaï. J’avais même eu le temps de relire plusieurs fois l’ordre de mission que l’on m’avait envoyé et les quelques détails qui s’y trouvaient. Avec les incendies en Australie, les créatures étaient menacées et il fallait en préserver le plus possible. Une chance que j’avais pu prendre un avion apprêté pour les Chevaliers, sinon je n’aurais pas pu emmener mon équipement et en trouver sur place se serait avérer compliqué. Encore plus au vu de l’endroit où je devais aller. Le sanctuaire d’Obsidian Waste… Complètement laissé à l’abandon depuis une dizaine d’années, je me demandais à quoi il devait ressembler désormais. Je n’y avais encore jamais mis les pieds, mais je pouvais imaginer que les créatures, sans règle, sans plus de sortilèges, avaient repris leur nature sauvage.  Rien qu’à l’idée de penser au danger que je risquais d’affronter, un frisson parcouru ma nuque.

Un sourire étira mes lèvres…

L’avion venait enfin d’atterrir à l’aéroport international de Perth. Le plus proche du sanctuaire et encore praticable malgré les incendies. Dès que je descendis de l’avion, la chaleur étouffante vient me saisir. Cela risquait d’être difficile en terme d’effort, plus encore avec la fumée. Je saisis mon sac de voyage, le jetant sur l’une de mes épaules, mon autre main venant attraper mon sac de matériel. Je montais dans un des SUV qui m’emmena dans la ville, dans le bâtiment qu’avait investi les Chevaliers. Pour une telle opération, je me demandais combien de personnes ils comptaient envoyer. Je n’aimais pas travailler avec des coéquipiers, mais dans ce cas-là, je crois que je n’aurais pas le choix.

Comme je m’y attendais, il y avait une forte agitation, les équipes essayant d’organiser le sauvetage des créatures. Dans cette agitation générale, je réussis à trouver la personne qui gérait tout ça, et surtout la personne à qui m’adresser pour ma mission. Je rentrais dans le bureau, heureuse de quitter le brouhaha des couloirs. Il m’offrit un verre d’eau et je ne pus que remarquer le regard qu’il lança à mon décolleté lorsque je me penchais pour le saisir. Je n’y fis pas attention, sachant très bien qu’un marcel surmonté d’une chemise légère ainsi que mon short attiraient les regards.  Je me demandais si les gens seraient toujours aussi attiré s’ils voyaient les marques de griffures, plutôt laides sur ma cuisse. Je n’en avais pas honte, mais les dissimuler m’évitait les remarques et les questions auxquelles je ne souhaitais pas répondre.

« Il y a encore quelqu’un d’autre qui doit arriver dans peu de temps normalement, je préférerais l’attendre avant de commencer. »

Je lui lançais un léger sourire affable, puis tournais la tête vers les écrans, regardant les images des incendies qu’ils affichaient. Je faisais en sorte de retenir leurs emplacements, ainsi que leur intensité. La situation changeait régulièrement et j’étais loin d’être une experte en incendie pour espérer prévoir leurs déplacements, mais avoir une idée du danger n’était pas une mauvaise idée.

Même à travers la porte, je pouvais entendre le remu ménage qui semblait créer un bourdonnement incessant, étouffer par la porte. Je ne coupais pas mes sens de tout ceci, bien que je sois essentiellement concentrée sur ce qui se trouvait devant moi. Je n’avais pas très envie de discuter avec l’homme dans mon dos et je pouvais sentir la gêne qu’il ressentait face à cette situation. Il ne cessait de se balancer d’une jambe à l’autre et de fouiller dans ses documents. Dans d’autres circonstances, être la créatrice de cette gêne m’aurait certainement fait rire, mais je n’étais pas d’humeur. Cette mission m’avait été confié il y a seulement quelques heures. J’avais à peine prit le temps d’attraper mon sac – toujours prêt à dire vrai – et de sauter dans l’avion. Je savais m’adapter, mais lorsqu’on ajoutait en plus un partenaire forcé, cela créait une forme d’agacement supplémentaire. L’Ordre connaissait en partie mes capacités et j’avais mainte fois prouvé que j’étais plus efficace dans des missions solos, ou en équipe, mais que je possédais toute liberté d’agir. Ici… ce n’était ni l’un ni l’autre. Bon… au vu de la mission, je me doutais – j’espérais – qu’ils ne m’aient pas collé un débutant ou un type sans la moindre compétences de survie. Enfin, je verrais bien…

La porte s’ouvrit, me sortant de mes réflexions. Je me retournais, mes yeux clairs se posant sur le nouvel arrivant. Je répondis à son salut par quelque chose de similaire et d’aussi bref que son mouvement de tête. Il ne sembla pas me porter un grand intérêt, contrairement à moi. J’avais toujours cette tendance à examiner chaque personne dans une salle. Mon intérêt fut renforcé lorsqu’il prononça mon nom. Visiblement, mon binôme venait d’arriver. Je saisis sa main, échangeant une brève poignée de main. Vu ce que je pouvais voir dans sa posture et la façon dont il me répondit, ce Xander devait s’y connaitre un peu. Et il ne semblait pas se soucier des conventions, ce qui m’arrangeait car elles avaient tendance à ralentir plus qu’autre chose.

« Tu sembles bien préparer. Je t’avoue avoir été appelé sur cette mission il y a quelques heures, le temps de prendre le premier avion. J’ai sensiblement le même matos que toi, en plus de divers pièges »

Vu la situation, je n’étais pas sur qu’ils servent, mais cela pourrait s’avérer utile. Surtout qu’il n’était pas impossible qu’on puisse les poser et rabattre les créatures droits dessus selon leur nature. J’étais une chasseuse. J’éprouvais certainement un plaisir proche de l’animal dans cette activité, quelque chose d’assez perturbant, sujet que je n’abordais jamais. Je dus d’ailleurs retenir un sourire à cette euphorie que je savais bientôt ressentir. Ce n’était guère le moment.

Sortie du bureau, je le suivis jusqu’à un coin un peu plus tranquille, une cafetière non loin. Je terminais mon verre en acceptant la proposition de Xander avec un léger sourire, un peu moins artificiel que celui que j’avais destiné au responsable.

« Je vais pas dire non à un café, lui dis-je, puis je m’assis en étalant les dossiers devant nous. Je t’avoue que je travaille en solo d’habitude, en équipe, ça demande de connaitre un peu nos compétences pour savoir comment travailler ensemble. Ou alors on se jette dans l’inconnu tout de suite. »

Mon ton avait pris une légère teinte humoristique, bien que je ne sois qu’à demi-sérieuse. C’était souvent dans l’action qu’on découvrait l’autre. Au moins, il n’avait pas l’air de me sous-estimer, ou me mépriser à cause de mon sexe ou parce qu’il était plus âgé que moi.

« Au fait, je crois pas qu’on puisse réellement s’appuyer dessus, mais j’ai une vieille carte d’Obsidian Waste. » En même temps, je joignais le geste à la parole, sortant un papier de mon sac et le déroulant devant nous. « Elle indique les territoires des créatures à l’époque, celle qu'on doit chercher se trouvait ici, mais ça a dû trop changer pour qu’on s’y fit. Quoique... Ca dépend d'un certain nombre de choses. Par contre, le terrain a dû rester similaire, ça pourrait toujours avoir une utilité. »

J’avais pu l’étudier un peu durant l’avion. Les créatures avaient du se battre pour un territoire et tenter de l’agrandir et d’autres ne pas bouger. Comme tout le monde, elles luttaient pour leur territoire, leur maison, donc on pouvait s’en servir comme potentiel repère. Les pistes naturelles devaient encore être là, mais les pistes humaines seraient certainement envahies par la végétation. Bon, la fiabilité de cette carte laissait finalement sérieusement à désirer, mais il nous fallait bien un point de départ pour aller récupérer ces créatures.

Alors que je buvais une gorgée de café, j’appris que mon partenaire était un solitaire, comme moi. Ca, je l’aurais parié. Ce n’était pas tant son apparence, mais son comportement dégageait cette aura de solitude que je connaissais si bien. Je hochais alors légèrement la tête à sa proposition de surveiller les arrières l’un de l’autre, souriant à ce qu’il avançait ensuite. J’eus même un léger rire.

« Eh bien au moins nous sommes sur la même longueur d’onde. C’est pour ça que je ne te fais pas un résumé détaillé de mes missions. Ce serait aussi utile que de se perdre en longue discussion. Je te suis sur le plan. »

A dire vrai, ce n’est pas que j’ignorais ce qu’était le travail en équipe – je l’avais pratiqué souvent – mais ce n’était pas pour autant que je l’appréciais. Après tout, j’avais tué une personne que j’appréciais, même si ce n’était pas entièrement de ma faute. Enfin bon, j’étais quelqu’un qui s’adaptait beaucoup en général, même lorsque je n’avais aucune confiance en l’autre.

« La plupart des créatures garde le même territoire, ou cherche à l’agrandir. Et certaines auront même un territoire restreint à cause de leur habitat spécifique. Enfin bon, pour ça, on ne peut pas prévoir plus que ce que nous donne cette carte. »

Je ne cherchais d’ailleurs pas beaucoup plus. J’avais retenu les anciennes délimitations des territoires, juste pour les informations et que sur le terrain, dans la situation où nous étions, cela serait difficile de la regarder en même temps que d’être plongé dans un incendie.

Je regardais la position que m’indiquait Xander. Buny… Pourquoi mettre buny au lieu du vrai nom ? Cela me semblait étrange. Surtout que les Wolpertinger était originaire des Alpes. Je les voyais mal vivre en Australie.

« Peut-être oui… lui répondis-je, pensive. Enfin bon, on obtiendra pas beaucoup plus d’informations, alors autant aller sur le terrain et on avisera. »

En disant ces mots, je terminais ma tasse de café, me brûlant légèrement la gorge au passage, mais je n’en dis rien et continuais tranquillement mes observations. De toute manière, je m’étais redressée, tout comme mon partenaire, tous deux sachions parfaitement que cela ne servait à rien de continuer à parler. En attendant qu’il ramène les tasses, j’étais partie aux toilettes pour passer un coup d’eau sur le visage et enfiler un pantalon un peu plus adéquate pour la situation. J’allais mourir de chaud, mais il valait mieux ça que de plonger dans les incendies à moitié dénudée. J’avais également mis quelques armes à ma ceinture et sur mes cuisses. Un coup d’œil au miroir et une comparaison douteuse avec Lara Croft me vient en tête. Je secouais la tête et revins à notre table, ramassant mes affaires. Je les jetais sur mon épaule, lançant un regard à Xander.

« Je me suis bien assez reposée dans l’avion. Je ne tiens plus en place. Je vais conduire si ça te gêne pas, et j’avais la chance d’être habitué à ce genre de terrain. Même si on a pas mal de route, on devra certainement faire des roulements. Puis un sourire étire mes lèvres. J’espère que tu as un sacré stock, je risquerais de le terminer rapidement. Je marquais une pause alors que j’avançais. Quoique… On pourra toujours se faire un civet au passage. »

Je laissais dépasser un léger rire de mes lèvres, puis m’en allais. D’accord, l’humour noir n’était pas compris par tout le monde, ni même adoré par tout le monde, mais bon, vu la situation, je préférais partir dans des blagues douteuses et cela me permettait de tester un peu les limites de mon partenaire.

Une fois dehors, je jetais mon sac dans la jeep qu’on nous avait fourni, puis m’assis à la place conducteur. J’attendis que mon partenaire s’installe pour démarrer et me lancer sur la route. Si la première partie était plutôt tranquille, la suite fut un peu plus rude. L’Australie n’était pas bien desservie en route et l’endroit où nous allions était difficile d’accès.

« Bien, accroche-toi, ton dos risque d’en prendre un coup, lui dis-je alors que je m’engageais sur la route cahoteuse »

Au bout d’un temps ainsi, on finit par échanger avec Xander, me permettant quelques heures de repos. Le voyage était relativement épuisant à cause de la route en mauvais état et j’espérais que nous n’étions plus loin de notre objectif. Un détail attira d’ailleurs mon attention et je mettais redressée, attrapant mes jumelles.

« Je crois qu’on arrive. On a pas encore dépassé la barrière, mais ça ne devrait plus tarder. »