Le ciel était voilé mais il régnait une chaleur étouffante qui faisait fondre nos glaces presque plus rapidement que nous ne pouvions les manger. Assis sur un banc à l’ombre d’un arbre immense, nous regardions silencieusement paresser des tigres dans leur enclos. Le zoo était magnifique et d’un calme étonnant, propice au repos des animaux qui y vivaient. Ils avaient l’air de s’y sentir bien et d’y être choyés, mais je ne pouvais m’empêcher de voir les grilles et les barreaux de fer qui entouraient leur captivité dorée. Le parallèle avec les sanctuaires était aisé à faire, tout comme le parallèle avec cette amulette que j’allais bientôt devoir porter. Certes, elle n’était pas faite de d’entraves, mais en me forçant à lutter contre ma nature profonde, ce n’était qu’une cage qui se cachait sous de faux espoirs de liberté retrouvée. Il était si difficile pour les hommes d’accepter de ne pas tout maîtriser… surtout ce qu’il ne comprennent pas.

Une fois les glaces englouties et nos mains poisseuses lavées à l’eau claire, j’attrapai la carte du zoo pour la montrer à ma fille. Nous avions commencé notre visite depuis moins d’une heure et il nous restait énormément d’animaux à visiter avant d’être satisfaits de notre journée.

- Alors dis-moi, où allons-nous maintenant ? On continue avec les grands prédateurs, ou tu préfères voir les animaux plus mignons ou amusants ?

Je nourrissais évidemment une certaine fascination pour les prédateurs, à la fois empreinte de compassion et de peur respectueuse. Mais je me sentais aussi bizarrement en position de force face à eux : moi j’étais tout aussi dangereux mais bien plus libre, et nous n’étions qu’une poignée à le savoir.

Peu importait le choix de ma fille, je le suivrai avec plaisir : après tout, nous étions là pour passer une belle journée.

Marjan ne pouvait ressentir plus de joie qu’à ce moment. Son père l’avait amenée dans un zoo magnifique où on trouvait toute sorte d’animaux. C’était l’une des premières sorties hors de Old Fyre que le duo faisait.

Le visage peint comme un toucan, la fillette finissait sa glace tout en regardait les magnifiques fauves rayés se baigner sous la chaleur de la journée. Voir des enclos avec autant de végétation permettait à l’imagination fertile de la gamine de s’imagine grande exploratrice et aventurière, cachée à observer les animaux.

Marjan était aussi fascinée par le fait qu’elle ne voyait pas de créatures magiques ici… Pourtant, ce matin, elle avait bien bu le lait tiré de Zack l’alpaga géant avant de prendre le traversier. Il faut dire que les sanctuaires étaient bien spéciaux et continuaient de protéger les créatures magiques, généralement plus malines que les animaux normaux.

Nawar offrit de continuer la visite vers les lions et les panthères, ou vers des animaux plus mignons, mais selon ce que la petite avait compris de la carte, s’ils continuaient vers les autres grands prédateurs, il finirait vers les pavillons des reptiles, des oiseaux et des insectes, ce qui la fascinait par-dessus tout.

- On continue vers les prédateurs, pour ensuite aller voir les insectes? Il y a une exposition de papillons en liberté! Enfin, je crois ?

La petite montra un symbole et une annonce qui apparaissaient sur la carte du zoo. Bien qu'elle commençât à bien comprendre l’anglais, la petite n’arrivait pas à le lire convenablement pour le moment.

J’ai regardé ce que me montrait Marjan sur le plan, l’air un peu interrogateur, titillé par la notion de « liberté » utilisée un peu trop facilement à mon goût pour un zoo.

- Oui c’est bien ça, la félicitai-je. Eh bien, allons-y alors ! Guide-moi vers les cousins des fées, lui dis-je l’air enjoué en lui tendant ma main pour qu’elle la saisisse.

Je n’étais pas tellement surpris par son engouement pour les papillons ; de toutes les créatures magiques que nous étudions ensemble, c’était les fées qui étaient à la première place sur le podium de sa fascination. Nous en avions recouvert les murs de sa chambre – parmi d’autres créatures – et elle commençait à avoir une sacrée belle collection de livres illustrés - et moins illustrés – sur le sujet et j’étais à peu près certain que si nous passions à proximité de la boutique du zoo, nous en ressortirions avec quelques chose sur ces insectes. Après tout, tant que je n’étais pas obligé moi aussi de me peinturlurer le visage, tout m’allait.

Main dans la main, nous marchions à travers les allées plus ou moins ombragées de l’immense zoo. Notre petite famille passait inaperçue au milieu des dizaines d’autres qui se baladait et s’extasiait devant les animaux, et c’était la première fois depuis longtemps que je me sentais autant appartenir au genre humain. Il fallait croire qu’enfermer d’autres espèces dans des cages pour les admirer était un comportement qui parvenait à réunir tout un chacun, quelque puisse être leurs histoires et leurs origines.

Nous sommes passés sans trop nous y intéresser devant les grands prédateurs avant de pénétrer dans le pavillon des reptiles. Des grappes d’alligators prenaient paresseusement le soleil tandis que les serpents s’enroulaient et se pendaient aux branches de leur vivarium. Nous nous sommes arrêtés, presque hypnotisés, devant un énorme boa qui nous regardait d’un œil vif, pénétrant. J’ai, malgré moi, eu une pensée ému pour Hyli lors de ce face à face avec le serpent. Alors, pour effacer la peine qui pointait, je me suis penché doucement vers Marjan et j’ai sifflé à son oreille, tout en la chatouillant comme si un serpent lui grimpait dessus :

- SsssssSSSSssss, trust in meeeeee… just in meeee… SSSSssssSSSSssss

La gamine s’émerveillait devant toutes les espèces d’êtres rampants. Les alligators qui paressaient sous l’astre solaire en particulier fascinèrent la petite Turque; ces fossiles vivants avaient su survivre simplement en étant l’apogée même de procrastination, ne se déplaçant qu’à quelques occasions pour se reproduire ou pour manger.

Mais Marjan fut davantage fascinée par les serpents, ces êtres sans patte qui pouvaient nager, se déplacer ou encore grimper. La différence de leur couleur et de leur environnement, tout, fascinaient la petite.

Alors qu’elle observait un des spécimens, son père susurra à son oreille quelques SSS et paroles intéressantes, mais qui la frappèrent aussitôt. Elle se retourna et regarda son père avec un regard triste.

-Papa, tu crois que certains animaux ici pourraient être des créatures magiques?

Cette simple idée remit en question tout le principe de zoo dans la tête de la demoiselle... Et si l’un de ses serpents était une Hyli ou une Danaé? Piégée ainsi dans un terrarium. Et si tous les animaux communs ici étaient en fait des êtres plus sensibles? C'était horrible!

Oh… ma petite blague était complètement tombée à l’eau, et je compris rapidement que Marjan et moi avions ressenti le même sentiment douloureux à la vision de ce gros serpent. Sa question, qui faisait écho à mes propres pensées, me peina d’autant plus que je voyais mourir l’innocence dans ses yeux d’enfant devant la cruelle éventualité qu’elle avait formulée. Je me devais de rectifier le tir et de lui réinjecter un peu de magie, quitte à aller un peu contre mon avis intime.

- Je n’en ai vu aucun jusque là Marjan. Et puis tu sais, quand bien même certaines créatures seraient ici, crois-tu vraiment qu’elles seraient malheureuses ? Tous les animaux semblent avoir de l’espace et des soins quotidiens ici. Ils sont en sécurité, et même s’ils sont dans une cage c’est peut-être ça l’important, tu ne penses pas ?

Ou l’argument de n’importe quel bourreau qui justifie le fait de priver un autre de liberté au nom de son bien-être. Mais la petite fille n’était probablement pas aussi cynique pour percevoir cet aspect moins glorieux, à l’instar de bon nombre des chevaliers qui s’évertuaient à défendre bec et ongles le principe des sanctuaires.

Je lui pris de nouveau la main afin de l’entraîner un peu plus loin, comme pour laisser derrière nous toutes les mauvaises pensées.

- Allez viens chérie, il faut qu’on aille de l’avant, les papillons nous attendent.

Marjan ne sembla pas être complètement convaincue par l’argument... Pour une raison ou un autre, ça sonnait faux. La gamine s’imaginait dans leur situation: si elle devait rester dans la maison pour toujours, même avec l’amour de Victoria, de son papa et de la nourriture, elle n’était pas certaine d’être heureuse.

Heureusement, le père connaissait bien sa fille et en une seule phrase, il réussit à changer complètement les pensées de sa progéniture. Les papillons! Ces créatures ailées qui passaient leur vie à voltiger de fleur en fleur en exposant leurs couleurs pour le plaisir des petits et des grands. Bon certes, il y avait les chenilles et les chrysalides avant tout ça, mais LES PAPILLIONS!!!!

La brunette souris à son père, des étoiles plein les yeux. Comme elle avait hâte de voir ces insectes voler dans les airs. Avec un peu de chance, certains viendraient peut-être même se poser sur elle. Maintenant, c’était la fille du loup-garou qui ouvrait le chemin en tirant presque la main de ce dernier pour aller plus vite.

-OUI! Ils sont tellement beaux!