Comme dans son rêve, les fleurs se referment, pétales soyeux, parfums capiteux, lourds et ronds comme des vins mêlés d'opium. Les vrilles de la chair, sur sa chair à lui, qui glissent, qui glissent et qui l'enserrent. Il sent les doigts d'Alice qui courent sur sa gorge griffée où les marques rougissent, et elles ont la forme de celles que font les ronces quand on passe à travers leurs épines.
- Je m'en remets à votre jugement, docteur, répond-il en riant, et en ponctuant ses sages paroles par des baisers qui ne le sont pas tant.
Il sent brièvement la pression légère sur sa nuque, la main qui le guide, et qui répond déjà un peu à sa question. Sa figure caressante glisse le long de la cuisse, et il écoute, un demi sourire au coin de la bouche, un œil espiègle en embuscade, si la belle décide de le congédier ou non.
- C'est qu'il vous faut vous remettre de bien des efforts et des émotions, dit-il tout bas.
Voilà qui est tout à fait raisonnable. Et de nouveau, du bout des doigts, du bout des lèvres, en repoussant le cocon des draps entortillés, Guillaume promène une malice indolente sur son ventre et ses douceurs qui l'appellent.
- Et pourtant vous voici livrée à vous-même et toute alanguie, dame, me voilà mis au supplice de vous savoir ainsi alors que le devoir m'appelle ailleurs.Il chuchote et murmure tout contre sa peau, le chevalier échevelé qui oublie l'heure indécise diluée dans la noirceur d'une nuit refermée sur eux de tout son poids. Ce pourrait être minuit autant que le point du jour, sans vraiment d'importance, dans ces moments interlopes où il n'y a plus que l'obscurité qui s'est enroulée autour du halo de la lampe. Le monde peut bien cesser d'exister, autour de la chambre close sur le sommeil et le soupir des amants, Guillaume peut bien attendre le matin, quand il y a assez de lumière pour dissiper les brumes et l'ivresse.
De nouveau, point à point, la bouche encore se referme avec les paumes brumes pour enserrer la taille et les flancs comme il aime tant à le faire. Et le souffle passe encore, la douceur qui provoque et le désir encore appâté, quand il l'attire à lui pour la faire s'allonger.
- Mais puisqu'il n'est pas question de me chasser de vos draps, je peux encore m'attarder un peu.Le corps tout entier s'arque au-dessus d'elle, au point presque d'occulter la lueur qui flâne et sème de l'or sur la peau brune du chevalier. Il y a du soleil dans son rire et jusqu'au fond de ses yeux, jusqu'au fond de sa chair et dans chacun des mots qu'il chuchote. Du soleil, et puis du feu aussi sans doute quand il éclate dans une gaieté qui s'amuse encore, sans se soucier de rien. Du moins, brièvement : il sait bien qu'au matin les soucis referont surface, et les questions et les obligations, et tout le reste, aussi. C'est qu'il y a encore tant de choses qu'il devrait, ou qu'il voudrait savoir ; il n'oublie pas le danger, il n'oublie pas la chasse qui l'a tenu par le col pendant des semaines, tout ça pour s'apercevoir que c'est elle sans doute qu'il était en train de poursuivre.
Alors, quand l'alouette, comme dans le poème, chatouille le sommeil des amants derrière les volets clos, Guillaume attend. Encore un peu, se dit-il, encore un peu, juste pour avoir la vérité. Il s'attarde auprès de la belle et se répète, pour se donner bonne conscience, que c'est une façon comme une autre, quoique fort agréable, d'essayer de trouver les réponses aux interrogations sans nombre qu'elle éveille par sa seule présence. L'obstination du chevalier se fait jour sans coup férir : il peut se montrer aimable, comme il l'a fait la veille, mais avec la même inflexibilité, quelque chose comme un sourire avec le couteau entre les dents, ou le gantelet de fer dans une chape de velours.
Guillaume s'attarde, et s'attarde encore. Le temps lui file entre les doigts et que dire, sinon qu'il le laisse faire ? Encore un peu, encore un peu, patience, donc ! Il parle, lui, il parle beaucoup comme il le fait toujours, parce qu'à trop feindre de n'avoir rien à cacher, on en finit par le croire. Il a toutes les sincérités du monde, avec sa franchise bonhomme et ses sourires ensoleillés. Une façon de montrer patte blanche, de l'amadouer, sans que cela soit étranger aux baisers et aux tendresses qui s'échangent encore. Il a cette façon de faire, comme on ferait avec une bête méfiante : main tendue et confiance sereine, il montre tous les gages qu'il peut, pour chercher la confiance et la confidence. C'est qu'on finit par s'apprivoiser peut-être un peu, et peut-être un peu plus qu'il ne se le figure.
A la toute fin, le chevalier s'en retourne des bois plus troublé qu'il n'y est entré, ce qui est peut-être la seule bonne façon de s'en aller de la forêt. Il laisse derrière lui les frondaisons et les feuillages, les voussures verdoyantes et les colonnes moussues, mais les tiges, les ronces et les liserons, comme poussés dans sa poitrine, le retiennent encore un peu : ils feront leur chemin, confusément, il le sait. Il n'y a pas d'armures qui soit infaillible, aucune forteresse d'imprenable et ce que l'épée ne peut outrepasser, il faut parfois un tout petit rien, rien d'autre qu'une esquille pour y parvenir. C'est que dedans la chair, dedans le cœur, jusqu'au plus profond, il y a maintenant cette épine qui porte son nom.