Tout d'un coup, il fait noir. Noir comme dans le cul d'un four, à peu de choses près. La scène a presque quelque chose de cocasse, comme un film figé en pleine action : un instant, Guillaume est en train de faire la conversation à une jolie petite dame qui l'intrigue d'autant plus que les chevaliers qui ne sont pas de sang humain sont assez rares dans leurs rangs, pour autant qu'il le sache. L'instant d'après, le temps d'un clignement des yeux, plus rien. A peine le temps de faire connaissance et de remettre un nom sur un -charmant- visage.

- Sainte merde, il grogne dans un français qui lui revient tout naturellement à la bouche après avoir honorablement pataugé dans son anglais de touriste.

Sa propre voix lui fait un étrange effet, comme si la soudaine cécité changeait complètement la perception des choses. On piaille de tous côtés, on s'agite, on panique pas vraiment, parce qu'un navire rempli de chevaliers plus ou moins expérimentés et de tout ce que l'ordre compte de consultants et de recrues d'âges divers a un peu plus de bouteille que le citoyen moyen, et c'est plutôt la mauvaise humeur qui domine. Après tout, c'est qu'on s'amusait bien, juste avant, et rien de tel qu'une annonce de restrictions budgétaires pour ouvrir l'appétit des convives : si c'est du champagne, c'est peut-être la dernière fois qu'on en a à foison aux banquets de groupe, alors autant en profiter.

Et voilà qu'on leur a même coupé le courant. Est-ce qu'on aurait oublié de payer la facture ? Instinctivement, sa main plonge dans la poche de son costume pour chercher de quoi faire de la lumière, et la lueur blafarde d'un écran de téléphone découpe un tout petit halo misérable dans le creux de sa main.

- C'est un peu tôt pour une murder party d'Halloween, lâche-il en essayant de faire un peu d'humour, mais sans vraiment y croire lui-même.

Guillaume tente un sourire qui grimace comme une gueule d'enfer, éclairée par-dessous avec la silhouette biscornue du masque qui lui cache la moitié de la face. L'agacement lui coure à fleur de peau, comme un courant électrique : la voix qui tente de les rassurer et intime le calme n'est pas vraiment de bonne augure, surtout quand elle a l'air de s'étrangler un peu, sur la fin. Il tend l'oreille, comme un chien qui met tous ses sens aux aguets, l'instinct du chasseur réveillé en sursaut.

- Vous y voyez quelque chose ? Demande-il à Danaé.

Allez, dans cinq secondes, un gâteau plein de bougies va faire son apparition quelque part, et tout le monde va chanter bon anniversaire à quelqu'un qui se consumera de honte pendant que toute la compagnie massacre la chanson traditionnelle qui est toujours horrible à entendre, quelle que soit la langue. D'un instant à l'autre. Dans une seconde.

- J'aime pas ça, putain, j'aime pas ça, marmonne-il.

De nouveau, sa main tâte ses poches, presque fébrilement : le poids familier de son arme lui manque, et il regrette à présent de n'avoir pas été assez paranoïaque pour rejoindre une fête sans être dûment enferraillé.

A ma grande honte je fais partie de celles et ceux qui, surpris par la soudaine disparition de la lumière, ont lâché une exclamation de surprise. Pas vraiment un cri, mais définitivement plus haut que le ton de la conversation. L'instant d'après je soupire, lève les yeux au ciel et attend que l'éclairage se remette en route… mais rien. Autour de nous les chevaliers et les consultants râlent, pestent, et je fixe obstinément l'obscurité en attendant que ma vision s'ajuste.

"Un peu, et pas vraiment le genre du capitaine."

Je bougonne, et me rapproche un peu plus de Guillaume avec qui je discutais jusque là. Une voix s'élève, réclame le calme et essaye de rassurer… Sans grand effet.

"Rien du tout."

Mes yeux auraient dû s'habituer, au moins un peu, et pourtant si je tends la main devant moi j'ai l'impression que mes doigts s'enfoncent dans l'obscurité et c'est extrêmement perturbant. Il ne fait pas simplement noir, il y a autre chose.

"Je n'aime pas ça non plus."

Je souffle, en réponse aux marmonnements de mon collègue, alors que je lui attrape doucement le bras. Avec le peu qu'on y voit, ce n'est pas le moment de s'éloigner, et même si je suis loin, très loin d'être sans défense je me sens plus rassurée à l'idée de ne pas être toute seule.

"Il ne fait pas juste noir, c'est autre chose. Comme si l'air avait une texture et une couleur."

Juste après mon explication, je crois apercevoir quelque chose au loin. Plissant les yeux, fronçant le nez, je finis par porter ma main libre en visière. Est-ce que ce serait Tullio? J'ai cru voir une touffe de cheveux bleus et je ne crois pas que quelqu'un d'autre ait cette teinte. Ou en tout cas, qui se teigne en bleu et qui soit aussi grand.

"J'ai beau savoir me défendre, je ne suis pas vraiment un agent de terrain. Qu'est-ce que tu recommandes?"

Après tout, Guillaume a de l'expérience. Il doit savoir comment réagir, mieux que moi en tout cas.

"On pourrait peut-être essayer de trouver le capitaine?"

Je suggère tout de même, parce qu'il n'est pas non plus question que je m'en remette exclusivement à lui. Je ne suis pas l'une de ces petites choses fragiles que l'on voit à la télévision et qui ont besoin d'être sauvées, mais je ne suis pas non plus l'une de ces idiotes incapables de reconnaître qu'il vaut mieux écouter les gens expérimentés et qui ne se fient qu'à leurs propres idées.

De nouveau, Guillaume jure et sacre parce qu'il espérait un tout petit peu que la nature pour le moins particulière de Danaé lui donne une meilleure vue dans le noir que ses pauvres mirettes d'humain, mais las. Personne n'a l'air d'y voir mieux qu'à travers une pelle, et tout juste peut-on distinguer la lueur découpée par son écran, rien de plus. Pourtant il sait bien qu'il n'est pas le seul à avoir eu l'idée se s'éclairer de la sorte : les messages qui se succèdent en témoignent. Déjà, les plus réactifs communiquent : un chevalier sur le pont s'enquiert de ce qui se passe dans la salle, quelques informations lapidaires s'échangent mais pour l'essentiel, tout le monde marche à l'aveuglette, au propre comme au figuré.

- ça a l'air d'être comme ça partout, répond Guillaume en dirigeant le faisceau de lumière vers Danaé pour qu'elle puisse voir au moins où elle met les pieds. Ceux qui ont l'habitude du noir y voient peut-être un peu mieux, mais il va falloir qu'on se débrouille comme ça.

Il la laisse s'accrocher à son bras, et réfléchit un instant.

- Le capitaine, c'est un bon début. Vous l'avez entendu comme moi, ça ressemble vraiment pas à la voix de quelqu'un qui a le contrôle sur la situation.

Et surtout, ce petit son qui s'est étouffé sur la fin du dernier appel ne lui dit rien qui vaille. Ceci étant décidé, il prend soin de tenir un ou deux de ses collègues chevaliers au courant de l'endroit où ils se dirigent.

- Je me souviens que la commanderie est au-dessus, reprend-il en cherchant à tout prix à retrouver ses marques et à se repérer dans son environnement. Il faut qu'on trouve un moyen de s'extraire de la foule et de monter à l'étage.

D'une main, il suit le rebord du bar, comme une ligne de survie, en gardant Danaé à sa droite et en essayant de s'éclairer un peu : ce n'est pas un exercice aisé, parce que tout le monde se marche dessus, mais Guillaume remorque sa coéquipière avec la détermination d'un brise-glace, quitte à jouer des épaules et à profiter de sa carrure de déménageur.

- La magie n'a jamais été mon fort, vous y connaissez quelque chose, vous ? Quelque chose capable d'avoir ce genre d'effets ?

Je me mords la lèvre, un peu trop fort, au point que la chair ne se remet pas en place tout de suite quand j'arrête, lorsque Guillaume me rappelle que ce n'est pas vraiment la voix de quelqu'un qui a le contrôle de la situation. Au plus j'y repense au plus… au plus j'ai vraiment un mauvais pressentiment. J'hésite à lui en parler, juste un instant de trop, et il m'évoque la commanderie, le fait de s'extraire de la foule.
Oui, mille fois oui.
Si j'étais certaine que ça nous permettrait d'échapper à ce qui va arriver, je lui proposerais même de nous jeter par-dessus bord.

"Non, ma spécialité c'est plutôt la médecine. Je pourrais proposer plusieurs remèdes pour tenter de guérir une cécité totale ou partielle, mais pas ce qui peut la provoquer… et surtout pas de cette manière."

J'explique, pas trop fort, alors que Guillaume me sert clairement de bouclier. Je pourrais certainement me faufiler par moi-même si je le voulais, mais lui ne pourrait sans doute pas se faufiler derrière moi et quitte à devoir peut-être bousculer des gens, je suis rassurée de ne pas être en première ligne. Au moins autant que je me sens coupable.

"Guillaume."

Je finis par appeler, en resserrant légèrement mes doigts sur son bras pour l'encourager à s'arrêter quand on arrive dans une zone qui semble moins densément peuplée.

"Vous… Vous savez ce que je suis." Je commence, à voix basse, avant de diminuer encore d'un ton. "J'ai un mauvais pressentiment. Une intuition." J'ai la bouche atrocement sèche, la gorge nouée, mais je m'oblige à poursuivre. "Des gens sont morts, sont entrain de mourir ou vont mourir ce soir. Il faut que vous fassiez vraiment attention."

Est-ce que l'impression serait différente, s'il s'agissait de ma mort? Peut-être, peut-être pas. Tout ce que je sais, c'est que pour l'instant c'est lui qui passe devant, mais il faudrait que je change ça. Quand nous aurons quitté la foule, je passerais devant lui.

"Je n'ai aucune idée de qui, de comment ou de quand. Je sais juste que demain nous serons moins nombreux."

Il faut encore jouer des coudes un moment pour arriver dans un coin de la salle, plus clairsemé, où on peut respirer et réfléchir à son aise. Danaé s'accroche à son bras, quelque part au creux du coude, et il veille, autant que possible, à ce qu'elle puisse suivre sans encombres.

"Guillaume."

Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais cet appel, la voix qui fuse quelque part en dessous de lui résonne comme un mauvais présage. Il s'arrête, et de nouveau essaie d'éclairer un peu la jeune femme pour mieux la voir quand elle s'adresse à lui. Le brouhaha ambiant couvre presque la confidence anxieuse qui, de plus en plus, fait ressembler la scène à un mauvais cauchemar : la prophétie sinistre de Danaé promène son augure funèbre dans un halo qui dessine son visage comme un second masque rendu livide par la lueur bleutée. Autour, il n'y a rien : rien que des mouvements, du bruit, et juste un carré de lueur au creux de sa paume qui accompagne la promesse de mort.

- Je vous fais confiance là-dessus, lâche-il d'un ton grave, scrutant l'expression du regard qu'elle lève vers lui.

Les pupilles accrochent un rien de reflet, et il se rappelle opportunément qu'elle est de son côté, sans être de la même espèce. Le genre de détail qui peut changer beaucoup de choses, à vrai dire : grappiller un avantage, même minime, c'est toujours quelque chose.

- Ne traînons pas, alors. Quoiqu'il arrive, on pourra peut-être limiter les dégâts.

Prudence, prudence, souffle ce petit noyau primal qui a pris racine au fond de son crâne, celui qui s'est nourri depuis l'enfance des traques et des chasses dans les forêts, celui qui doit quelque chose aux antiques instincts qui se rappellent encore de la main nouée autour de la sagaie et du frisson des brises boréales. Prudence, prudence, et les voilà enfin extraits de la foule. De sa main libre, il cherche : la cloison puis une porte qu'il espère être celle qu'il a vue du coin de l’œil, deux heures plus tôt, et qui s'ouvre sur une coursive dont on ne distingue absolument rien en dehors du parquet ciré.

- Qu'est-ce que vous en dites ?

Guillaume chuchote et scrute en même temps, en vrai, il le sait bien. Le calme d'ici se déverse dans ses oreilles, passé au crible par l'attention vive, persistante, qui décortique chaque murmure.

"J'en dis qu'on y va."

Je murmure, quand Guillaume m'interroge. En réalité, tout me pousserait plutôt à reculer, à trouver un coin où je serais en sécurité, mais il faut bien que quelqu'un fasse quelque chose et comme je ne peux pas voir mes collègues cela signifie que je ne peux pas compter sur eux. Et peut-être que si on pense tous comme ça, on arrivera à régler la situation.
Je l'espère.

On se glisse sur la coursive et on a à peine fait quelques pas que je me fige, mes doigts crispés sur le bras du chevalier avant que je ne le tire et ne le pousse pour me retrouver devant lui, une main pressée contre son torse.

"Ça sent la mort."

Et le sang, aussi, mais l'un va rarement sans l'autre.
Ça veut dire que, quelque part, on a déjà échoué notre mission auto-assignée. Ça veut dire qu’on est vraiment en danger et, même si je le savais déjà, c’est une perspective qui me glace le sang. Mais contrairement à quand j’étais reptile, ce froid me pousse vers l’avant. Je veux devancer Guillaume parce qu’il y a forcément des gens qui tiennent à lui, quelque part. Et moi, qu’est-ce que j’ai? Une colocataire et un élève qui regretteront ma cuisine. Des patients qui râleront parce qu’ils devront trouver quelqu’un d’autre. Un homme pour qui je comptais si peu qu’il a disparu du jour en lendemain et un autre qui ne rêvait que de me contrôler. La certitude que je ne peux pas, contrairement à mes collègues humains, décider que j’en ai marre et que je veux faire autre chose ailleurs.

Si l’un de nous deux doit prendre des risques… c’est moi.

Alors j’avance à grands pas, sans doute moins silencieux que ce qu’il faudrait compte tenu que je suis désarmée… sauf que je ne le suis jamais totalement. Je suis plus forte qu’un humain. J’ai des connaissances en anatomie, je sais où frapper pour faire mal, où trancher pour tuer si j’arrive à mettre la main sur un couteau.

Je ne m’arrête que lorsque j’entends des voix, et c’est là que je remarque que j’y vois mieux. Comme si le noir d’encre laissait la place à une obscurité plus naturelle. Les gens que j’entends sonnent mécontents, non, plus que ça… en colère. Je comprends rapidement pourquoi quand, enfin, je distingue la porte bloquée par un pied de biche qui les retient à l’intérieur.

En toute logique, l’entièreté des membres de l’ordre et du personnel civil présents ont été surpris par l’attaque. Cette même logique voudrait donc que ce ne soient pas les responsables qui aient été enfermés là-dedans. Peut-être… peut-être y a-t-il quelqu’un qui nous permettra de rétablir la lumière. Ça n’aidera pas beaucoup à l’intérieur tant que la noirceur ne se sera pas dissipée mais j’estime que ça ne peut pas faire de tort non plus, alors je tends la main avec la ferme intention d'ôter le pied de biche.

Guillaume progresse, les sens aux aguets, hérissés comme un mâtin lâché sur une piste. De nouveau, un chuchotement, la main qui se referme sur son bras, de façon plus pressante encore. Il trébuche presque sur Danaé qui s'interpose, le repousse pour prendre la tête. Il laisse faire, et se contente de lutter pour oublier ce frisson persistant qui coure le long de ses os. Les ténèbres opaques, cette sensation étouffante et la certitude du danger imminent que pressent la jeune femme lui scient les nerfs avec une application maniaque.

- Soyez prudente, souffle-il, tout bas.

Elle semble savoir ce qu'elle fait, après tout, et son don lui accord une longueur d'avance, autant sans doute que quelques capacités qui vont avec sa condition pour le moins particulière. Quelque chose au fond de lui se montre curieux de savoir de quoi elle est capable -vraiment capable, quand elle n'essaie pas de rentrer dans le rang et de passer inaperçue.

Un intense soulagement se fait jour quand ils parviennent à une portion du couloir où, soudain, il fait noir comme il se doit dans la coursive d'un navire. L'air s'allège, redevient presque plus respirable, et le halo de son écran trace enfin un contour acceptable à quelques mètres autour de lui. Sans bruit, il fait signe à Danaé pour être sûr qu'elle a perçu le changement également, et pointe du doigt ce qui lui semble être l'origine des voix qu'ils entendent. On distingue vaguement le panneau qui indique la commanderie?

La porte est barrée de l'extérieur : Guillaume s'en réjouit presque car un pied de biche, à tout prendre, c'est toujours utile. Il reste à distance, au cas où, et guette les environs en laissant Danaé débloquer le battant. A quelques pas en retrait, le dos plaqué contre la paroi opposée à la porte qu'ils s'apprêtent à ouvrir, Guillaume garde la lumière braquée sur les environs en essayant d'éclairer le mieux possible ce qui se trouve autour d'eux, et guette le moindre mouvement, le moindre signe d'une autre présence.

Un peu plus tôt, Guillaume m'a soufflé d'être prudente alors mes doigts hésitent avant de rencontrer le pied de biche, juste le temps que je me place de manière à pouvoir bondir hors de la trajectoire de la porte si elle devait s'ouvrir brutalement.
Je décide que c'était une bonne décision quand elle claque brutalement contre le mur, contre lequel elle rebondit même un peu, ce qui me fait pincer les lèvres. Voilà qui aurait été douloureux. Deux hommes essayaient manifestement de la défoncer de l'intérieur, et je n'ai pas le temps d'apercevoir le visage du premier qu'il file déjà le long de la coursive.

"Je dois me rendre à la cale centrale! Les systèmes d'alimentation et de propulsion sont là-bas!" Explique-t-il en nous dépassant, avant que je ne l'entende jurer quand il arrive à la zone où il fait trop noir.

"Vous restez là?" J'interroge le second, qui hoche la tête.

"Quand il aura remis le courant, j'utiliserais le système de communication auxiliaire pour contacter le QG et réquisitionner des secours."

C'est une bonne idée, à laquelle je n'aurais pas pensé moi-même, et je soupèse le pied de biche dans ma main. Quelles sont les chances pour que quelqu'un revienne ici? Faibles, à priori, mais… je n'arrive pas à m'imaginer le laisser sans défense alors que je ne compte pas rester là.

"Tenez." Je fais finalement, en tendant mon arme improvisée avant de retourner auprès de Guillaume. "Je pense que ce serait bien qu'on l'accompagne dans les cales. Peut-être que ceux qui les ont sabotées s'y trouvent encore, mais si tu as une autre suggestion je t'écoute volontiers."

J'indique au chevalier, pliant ma nuque pour pouvoir observer son visage. Après tout, il n'est pas impossible qu'il ait un objectif plus pertinent à nous donner. J'aimerais bien ne pas avoir à retourner dans la noirceur, en fait, même si je me doute qu'une telle chose est hautement improbable. Cela nous ferait faire de gros détours pour l'éviter, compte tenu de la taille du bateau, et nous ferait sans doute perdre un temps précieux.

Ce serait mentir de prétendre que Guillaume n'est pas un peu soulagé, juste un peu, d'avoir le pied de biche entre les mains. Une bonne longueur de fonte solide avec ce qu'il faut de coins saillants et de poids dans la main, c'est toujours plus rassurant que, eh bien, rien du tout. Au moins il a l'impression d'avoir un peu plus de prise sur les choses, ce qui n'est pas peu dire.

Un instant plus tôt, la porte s'est ouverte dans un fracas quand elle a été ouverte par Danaé alors que les occupants de la cabine tentaient de la forcer. L'embuscade était à portée de nez, il en aurait mis sa main au feu mais heureusement rien de cela : dans la pénombre, il distingue des figures vaguement familières et hésite, alors que sa compagne leur parle, à s'assurer qu'ils sont bien ceux qu'ils prétendent être. On ne sait jamais, après tout.

On ne sait jamais.

Le pressentiment de Danaé lui trotte encore dans la tête quand il voit l'homme se ruer hors de la cabine et s'en aller vers les cales. Il prend un instant pour réfléchir et envoyer quelques information à ses camarades sous la forme d'une poignée de messages succints, puis adresse un hochement de tête à la jeune femme.

- Je voudrais vérifier quelque chose avant, lâche-il à voix basse. Rapport à ce que vous m'avez dit il y a un instant.

Le regard entendu qu'il lui lance appuie ses paroles.

- Il n'ira probablement pas loin dans cette purée de poix mais je veux aussi le garder à l’œil.

Garder tout le monde à l’œil, à dire vrai, comme si la paranoïa du paternel lui était passée dans le sang. C'est ce qu'il disait tout le temps, le padre : ne jamais croire personne et surtout pas ses propres yeux, ce que Guillaume s'empressait souvent de ne pas faire.

Il prend le temps de jeter un regard dans la cabine, scrutant ce qu'il peut à la lueur de son téléphone : la moindre tache de sang, la moindre suspicion, n'importe quoi, sans préciser toutefois ce qu'il cherche, si ce n'est à Danaé :

- Quelque chose ?