Chalon de Discussion a écrit:

> DefinitelyNotAWitch a rejoint le chat.
DefinitelyNotAWitch : Je suis arrivée!! J’ai un peu d’avance, à tout de suite~~

‘Nami parcourait son fil d’actualité, mais rien de nouveau depuis les trente dernières secondes – quelle surprise. Cela n’empêchait pas ses doigts de glisser sur l’écran, passant d’une application à l’autre, ne laissant à aucun moment son regard se poser, et surtout pas ses pensées. Peut-être était-elle stressée. La lumière de son écran scintillait sur son visage, révélant par à-coups ses traits creusés et son teint blafard. Peut-être l’anxiété. Quand est-ce qu’ielles s’étaient conta-

«  AAAAAH ! »

Toute la salle – soit trois personnes – s’était retournée. Elle avait choisi ce coin de la pièce parce qu’il était moins éclairé, plus intime et voilà que tous les regards étaient sur elle.  Cela ne dura qu’un instant, juste assez pour voir ses joues empourprées et la cause de cette scène.

Mais quelle cause !

Un chat a rejoint ‘Nami.
Elle se sentait stupide. Un chat. Évidemment que c’était un chat. Qu’est-ce qui pouvait bien s’être vautré de tout son poids sur ses cuisses sans avertissement ? Tss. Elle posa son téléphone ; il saurait se faire entendre si quelque chose se passait. Redressée dans son ample fauteuil, elle se mit à caresser la créature qui la tourmentait. À peine ses doigts effleurèrent la nuque de l’animal qu’elle sentit son doux ronronnement l’apaiser. Elle soupira. Ce n’était plus qu’une question de minutes, mais tout irait bien – elle avait l’habitude des entrevues et celle là s’annonçait passionnante.

Dans un instant, quelqu’un allait rentrer dans ce café, la reconnaître et s’asseoir à sa table. Cette personne échangerait avec elle sur leur passion commune. Elle pourrait l’ensevelir de questions, prendre des notes, apprendre de ses méthodes. Elle avait suivi ses travaux depuis si longtemps – elle pouvait se vanter d’être une de ses fans de la première heure. Elle sentait son âme d’enfant prendre tout la place – qu’est-ce que ça lui avait manquer de pouvoir être cette petite fille.

Point bonus : tout ça rentrait dans le cadre de son travail !

Il n’avait pas été évident de convaincre la rédaction. En un sens, elle les comprenait : il s’agissait d’une personne dont on ignorait presque tout. « À l’AUBE du Nouveau Monde », le nom de son blog, était la seule source de renseignement à son propos, et c’était bien peu. Sur sa plateforme, il publiait régulièrement à propos d’évènements marquants, d’explications surnaturelles à des phénomènes jusqu’alors inexpliqués ; c’était un délice à lire. Cela faisait quelques années que les articles se faisaient irréguliers ; rien n’égalera cette période intense, il y a plus de dix ans, où adolescente, elle pouvait dévorer sa prose quotidiennement.
Un sourire se dessina sur son visage.

Et elle était là, dans un café à l’attendre. Au Café des Chats, même. Un petit endroit charmant à deux pas de Bastille. Un paradis dans lequel entrer par cette matinée froide pluvieuse. L’endroit lui avait été recommandé par… Aube ? Frustrant, elle ne savait même pas quel pronom utiliser, ses textes évitant consciencieusement de parler de quoique ce soit de personnel. Peu importe, elle le saura bien assez tôt pour ce que ça vaut.

RrrrRrrrRrrr.

La petite peluche se rappelait à son existence, frottant sa tête contre le bout de ses doigts. ‘Nami réalisa que ce chat, bien qu’étant un angora gris clair, s’accordait parfaitement à son esthétique. Avec son grand chapeau, qu’elle n’avait bien sûr pas ôté, et son désormais familier, on aurait pu la prendre pour une sorcière. Et l’idée lui plaisait, elle s’aimait bien ainsi.

Mais trêve de rêverie, un courant d’air frais envahit la place. Un léger grincement, la porte qui claque. Quelqu’un vient d’arriver.

Elle ne sait pas vraiment pourquoi c’est elle qu’on a envoyé pour cette mission, peut-être parce qu’elle parle français sans mal, ou qu’elle était disponible à ce moment là. Au fond, flâner quelques jours dans la capitale tout frais payés n’est pas le plus désagréable. Même si la saison est pourrie, après l’Alaska… Autant dire que les gens emmitouflés comme s’ils vivaient le pire hiver de leur vie, ça la fait doucement rire.

Son téléphone vibre, et elle le vérifie rapidement s’il y a un nouveau message, mais non. Le dernier date d’il y a une demi-heure, mais elle arrivera être pile quand il faut. Au lieu des 10 minutes d’avance prévues… Son GPS lui indique juste qu’il faut tourner. A présent qu’elle est sortie du métro, ça ira sûrement. Bon, elle s’est à moitié trompée. Elle aurait dû descendre à Breguet Sabin mais à République, au lieu d’embarquer dans la 5… Elle a pris la 8.

Contrariété mineure qui lui permet de marcher un peu et la pluie est assez fine. Juste assez pour ne pas passer la protection de ses cheveux, sauf sur la partie tressée du côté de son crâne mais elle lui mouille le visage. Elle arrive heureusement en vue de l’enseigne blanche et bleue qu’elle a déjà repérée online. Ca lui tire un sourire, elle secoue la tête avant d’entrer, pour chasser l’eau de sa tignasse, et retire sa veste pour la placer sur son bras. Ca lui permet de s’essuyer un peu le visage avec la manche de son gilet, avec le vague espoir de ne pas s’être étalé le maquillage partout. Un coup d’oeil dans le reflet de son téléphone, elle juge ça correct.

Plus qu’à trouver “A l’Aube du nouveau Monde”, inconnu n’ayant donné que peu d’information pour le repérage. Bof, vu le monde qu’il y a, Mal’ estime ne pas risquer grand chose. Elle hésite un peu, observe les gens. Le couple, les amis, le trentenaire venu lire, la gagatte de chats qui est là parce que ses parents refusent qu’elle ait un chat dans son micro-studio d’étudiant et qui vient prendre sa dose de tendresse… Et celle qui ne fait rien, a l’air juste d’attendre. La brune hausse un sourcil et retient un sourire. Son contact, de toute évidence. Wiccan, sorcière, exentrisme ou chapeau à perruque attaché assorti à une chimio, elle ne sait pas encore.

Quelques pas en direction de la jeune femme, et Malaury s’arrête, retenant un soupir. Influence de Cy ? Nàtt, Shado, Snow ? En tout cas, elle n’est pas excessivement fan des poils de chat sur son pantalon en velour noir. Elle se penche pour repousser délicatement la petite tête de pioche rousse qui se frotte à sa main, l’écarte assez pour pouvoir avancer et vient se planter devant la personne qu’elle a repéré. Cette fois, son sourire est clair.

“Bonjour !”, s’annonce-t-elle, du même ton qu’elle utiliserait pour saluer une vieille amie. Elle s’installe avant de continuer, un peu plus bas. “C’est pour le blog, “A l’aube du nouveau monde” ? Enchantée, je m’appelle Maud.”

Elle aurait bien choisi Maurane, dans les prénoms français un peu bizarres - plus que Marie-Malaury ? - mais avoir “l’aventurier” d’Indochine en tête pendant tout le rendez-vous, c’est pas possible.

“On devrait commander avant de commencer à discuter, ce serait étrange de rester là sans boisson.”

Il ne leur faut pas longtemps pour être parées de leurs commandes, et Mal’ prend une gorgée de chocolat chaud, faisant disparaître d’un coup de langue rapide la chantilly qui se dépose sur sa lèvre supérieure. Il ne fait pas si froid, mais c’est tout de même agréable, et ses doigts apprécient la faïence chaude. Ils ont le temps. Tout un après-midi pour discuter. Elle va peut-être laisser commencer son vis à vis, histoire de décider de l’angle d’attaque le plus logique...

Vous avez une nouvelle notification.
C’était sûrement Aube. Qu’importe, elles s’étaient reconnues, c’était une évidence. Sans quitter la nouvelle arrivée des yeux, elle élimina la notification de l’index et changea d’appli de son pouce. Enregistrement en cours... Une légère vibration de confirmation et elle peut laisser le portable traîner négligemment sur la table. Son esprit se concentre complètement sur l’évènement, sur tous ces petits détails fascinants. Sa ponctualité – parfaite. Sa réserve envers les félins – hmm, noté.  Son sourire – woh.

« Bonjour ! »

Un instant, elle avait oublié ses bonnes manières, fascinée.

« C’est pour le blog, “A l’aube du nouveau monde” ? Enchantée, je m’appelle Maud.
-’Nami, DefinitelyNotAWitch ! Ravie qu’on se rencontre enfin ! »

Lorsqu’il fallut prendre la commande, elle opta pour un cocktail fruité qui avait l’air d’avoir une couleur artificielle, tout plein de sucre. Elle devait avoir l’air d’une gosse. Ses yeux pétillants, son sourire légèrement niais, sa tenue thématique bien trop extravagante. Peut-être qu’elle n’avait pas l’air professionnelle. Peut-être qu’elle en avait fait trop. Peut-être. Peut-être ? Certainement. Le silence qui s’installa dans l’attente des boissons ne fit que renforcer sa crainte. Ce fut le chat qui se fit entendre le premier. Un petit miaulement, juste assez pour retrouver de l’attention - ‘Nami avait inconsciemment cessé de le caresser depuis un instant.

Tss. Exaspérante.

Elle repositionne la créature sur ses genoux qui se perd en petits couinements d’approbation. Les boissons arrivent ; sans aucun doute, ce liquide fuchsia est pour elle. Elle le saisi à la première occasion, le lève symboliquement en croisant le regard de son interlocutrice. La première gorgée est tout ce qu’il lui fallait, un peu d’agrumes et beaucoup trop de glucose. Ses lèvres se décrispent. La journaliste n’a qu’une après-midi pour ce qu’elle anticipe comme la rencontre d’une vie. Pas de temps à perdre, le vif du sujet, maintenant :

« À l’AUBE du Nouveau monde ; tout un programme !
J’ai longtemps rêvé d’une telle rencontre, pour être tout-à-fait sincère. Il y a tellement de choses que je voudrais savoir… De comment vous récupérez vos informations au déroulement de votre procédé habituel ; si vous êtes plusieurs, ce qui vous motive chaque fois à remplir ce rôle – une véritable mission d’utilité publique si vous voulez mon avis ! »

En une tirade, son visage s’était illuminé. Bien loin de la lumière livide de son écran – qui lui rappelait par intervalle ce message reçu –, ce qui brillait surtout étaient les étoiles dans ses yeux. Elle était passionnée et n’avait pas à s’en cacher. À cet instant, à cet endroit, elle n’avait rien d’une imposture ; elle avait sa place à cette table.

« Si à la fin de notre entrevue, j’ai de quoi publier l’article de l’année, j’aurais trouvé mon compte. Et vous ? … Eh zut. Autant qu’on se tutoie, on sait pourquoi on est là. »

Après tout, elle n’avait pas bien l’air plus âgée qu’elle. Son instinct tiqua soudainement. C’est vrai qu’elle imaginait Aube plus âgée. Cette pensée la mit mal à l’aise – c’était déplacé de sa part de juger ainsi, elle aurait détesté qu’on lui fasse la même remarque. Elle balaya mentalement tout ça d’un revers de main figuré. Ça ne viendrait pas gâcher son moment.

Elle était prête comme jamais. Elle, avec son exigeant familier, son sirop fluo et son portable ignoré.

Alors que derrière l’écran, un message attend patiemment.

Chalon de Discussion a écrit:

Aube : Enfin réunies ! Amusons-nous bien ;)

L’ambiance, malgré les chats, est assez agréable. Elle va certainement devenir plus “intime”, à partir du moment où les deux partiront dans des confessions, où Mal testera un peu le terrain pour savoir s’il est pertinent de proposer à cette blogueuse de faire partie de l’Ordre. Ou d’être un peu plus “hors normes”, auquel cas, c’est surtout Loup qui règlera les détails. C’est toujours son frère qui s’occupait du réel contact avec l’Etoile, au début pour la protéger certainement et ça n’a pas changé avec le temps.

Puis, soudainement, ‘Nami -pseudonyme de prudence ou vrai nom ? - se mit à parler, beaucoup. Passé le premier étonnement, Malaury a un rire chaleureux, lève la main pour lui demander de se calmer, d’y aller plus doucement.

“Ca va, on a du temps ! Je ne vais pas disparaitre en prétextant d’aller aux toilettes, et j’espère vous non plus.”

Elle a un clin d’oeil et se pencha un peu sur la table, alors que son contact parle d’article - logique ! - et trouve cet enthousiasme rafraîchissant. Depuis combien de temps ne l’a-t-elle pas été, par rapport au surnaturel ? Cela lui semblait une éternité. Avoir grandi avec, savoir que son destin y serait lié dans tous les cas, qu’elle le veuille ou non… Bah. Elle ne savait rien faire d’autre de toute façon.

“Le tutoiement me va, oui. Et… On répond chacune notre tour, un peu? Là, j’ai l’impression de me faire assaillir ! Promis, on a du temps.”

Une gorgée pour prendre le temps de réfléchir, savoir ce qu’elle va avancer pour pousser l’autre à se confier. Pas besoin de parler de ce qui existe réellement pour le moment, vu qu’elle a, mentalement, une liste de points à éclaircir.

“On peut dire que je baigne dans cette culture depuis toute petite ; mes parents ont toujours été très ouverts sur le sujet...” Elle a l’impression de parler d’une pratique sexuelle en marge, ou de veganisme. Peut-être, encore pire, de jeu de rôle… “C’est plus facile d’appréhender une réalité au delà de la nôtre dans ce genre de conditions.”

Elle réfléchit, consciente de devoir donner “assez” pour que son vis à vis veuille bien s’ouvrir également. Un échange équivalent, pour paraphraser un manga qu’elle aime bien.

“Ca n’est pas toujours évident, je crois sincèrement que ce que je fais… Aide un peu ?”

Le monde comme les créatures. L’ordre ? Elles s’en fout, parfois à entendre certains chevaliers, elle a l’impression d’être avec un groupe d’aveugles endoctrinés. Elle veut de la liberté, pour elle comme pour les créatures, pas les parquer dans des réserves sous prétexte que c’est mieux pour tout le monde comme ça. Son regard papillonne un instant, et elle se passe la main dans les cheveux, envoyant quelques gouttelettes par terre.

“Et toi, alors, raconte moi un peu comment tu es tombée là dedans ?”

Et bientôt, ce sera quelque chose comme “est-ce que tu veux y tomber encore plus”, peut-être. C’est le but de sa mission, et ça lui donne l’impression de s’apprêter à lui proposer une bonne dose de LSD, avec assurance de rester perchée.

Une blogueuse surnaturelle. Autrice intégrée à cette culture depuis toute petite. Elle évoque le sujet comme certains parleraient d’une secte – au mieux d’un courant marginal.  Une personne dévouée qui partage son savoir pour le bien commun, malgré le peu d’efficacité et de crédibilité à en tirer. Il y avait là dans ce résumé tout pour céder à la projection ; elle avait l’impression de voir le reflet de son existence passée par un prisme des plus mélioratifs. Mais elle, elle n’avait pas pu baigner dedans, elle n’avait pas de nous à ce propos. Elle avait pas eu tant de facilité.

Facilité, vraiment ? Non, là elle projetait vraiment. L’image était clairement incomplète et c’était davantage ses ressentiments passés qui comblaient les trous. Cela n’empêchait pas la rancœur de se frayer un passage. Elle s’imaginait vaguement ado, face à son père qui lui répondrait « Oui, ma fille, laisse moi t’en dire plus sur la magie... ». Malgré tout le sirop qu’elle avait ingéré, elle avait maintenant un relent amer au fond de la gorge. Aucun de ces mots n’était crédible.

« Je... »

Elle devait avoir une mine affreuse à présent. Son sourire devait sonner faux – ce serait une chance que ça ne se limite qu’à son sourire.

« Disons que ça n’a pas été simple. J’ai toujours su qu’il y avait quelque chose, que c’était là, présent, quelque part. C’était juste une évidence. »

D’aussi loin que ses souvenirs acceptent de la porter, ça avait toujours été son ancre ; savoir qu’autre chose puisse exister, que le monde n’était pas que ce qu’on y voyait au premier abord, c’était suffisant. L’étincelle d’espoir dont elle avait toujours eu besoin.

« Mais visiblement, ça ne l’était que pour moi. Je ne peux pas dire avoir eu une famille consciente de cette réalité… Même si à l’époque, mon obsession pour la magie n’était sans doute qu’une excentricité de plus à leurs yeux. Tu sais, comme un truc qu’on fait juste pour les ennuyer. »

Ils n’avaient vraiment aucune idée. Son cœur se pinça un peu plus. Elle avait perdu l’engouement des minutes précédentes. Avec étaient tombées la façade et la réserve dont elle voulait faire preuve. Elle connaissait les ficelles du métier pourtant – tout comme Aube, évidemment. Ou Maud, qu’importe.

« Mon premier vrai contact, la première fois où je me suis dit que je ne délirais pas, ça devait être sur vos premiers coups d’éclats, il y a… plus de dix ans ? Depuis, j’ai toujours eu un œil sur le sujet. Une fervente admiratrice, disons. »

Les premiers articles l’avaient complètement accrochée avec ces détails à foison, ces liens clairs et précis entre des catastrophes qui faisaient alors la une des médias et une documentation exhaustive de phénomènes ésotériques et créatures mythiques. Elle se souvient que parfois, elle y lisait l’info avant même que ses parents n’en entendent parler à la télévision. Elle avait eu l’impression de se reconnecter au monde, de voir qu’il y existe une place pour elle – une autre réalité.

« Mes excuses pour tout à l’heure ; c’était l’enthousiasme… Comment c’est, de l’autre côté – dans votre réalité ? »

Elle finit sa phrase avec une expression surprise. Elle venait de prendre conscience du bras qui était apparu dans son champ de vision. Une manche de chemise au motif irrégulier qui venait de poser une petite coupelle avec un papier blanc… Ah, la note ! Évidemment. Le serv- La ? Hum. Elle restait indécise – tant mieux. Qu’importe, ‘Nami ne voyait déjà plus que son dos. Iel n’avait sans doute pas voulu les couper dans leur conversation. Elle prit la coupelle et la posa de l’autre côté de la table, près de son téléphone, hors de l’attention.

Elle remarqua les notifications qui s’empilaient.

Pas maintenant.

La blogueuse se décompose, et Mal’ sait qu’elle en a trop donné d’un coup. Elle se sent mal pour son vis à vis, hésite à lui tapoter la main pour montrer de la compassion, se retient. En arriver là sans être poussé par une force impérieuse - parentale, familiale, un drame qui forçait l’un ou l’autre des camps à intervenir, n’importe quoi - c’est à son sens bien plus épuisant moralement. L’assurance de la solitude. Personne n’est fait pour ça, elle en sait quelque chose, à se sentir mal au sein de l’Ordre et abandonnée par l’Etoile.

Elle a quand même un sourire. Les trucs qu’on fait pour emmerder les parents. Pour elle, ça a été de se percer les tétons à 16 ans en imitant la signature de sa mère à rentrer dans le groupe opposé aux valeurs de ses parents.

“Je vois parfaitement, oui. Ils ont dû chouiner sur la crise d’adolescence.”

N’empêche que ça ne change rien : elle a toujours les tétons percés, ‘Nami est toujours impliquée dans le surnaturel. Elle a un sourire, encore, en apprenant que le coup d’éclat de l’Etoile aura au moins servi à ça. Elle s’en rappelle, même si elle était encore assez jeune à l’époque. Tout juste rentrée dans tout ça, au lieu d’attendre un peu désespérément qu’on lui donne quelque chose à faire, un vrai but… Pas la peine de ruminer. Elle est juste impressionnée que son vis à vis s’y connaisse autant. Ca avait dû la faire parler, à l’époque… Le blog commençait dans ces eaux là, après tout.

“Oui, c’était… Enfin, j’étais assez jeune à l’époque, mais j’aurais vraiment aimé que ça ouvre les yeux au monde une bonne fois pour toutes.”, elle hausse les épaules, se fait un peu amère. “Au final, rien n’a vraiment changé, et c’est désolant. A force de tout cacher… Je suis peut-être utopiste, mais on arrive à rien comme ça. A maintenir les “civils” dans l’ignorance. Ce qui est complètement dépitant, c’est qu’on nous apprend à quel point c’est mauvais de faire ça, fin, l’allégorie de la caverne, ça date pas d’hier non plus, mais… non. Non, on en est encore à laisser d’autres décider de ce que les gens doivent voir du monde.”

Elle s’énerve, se fait plus vivante, ses joues gagnent quelques couleurs, même si c’est discret vu sa carnation. Elle chasse les excuses de la blogueuse d’un geste de main, ouvre la bouche, s’interrompt quand quelqu’un passe, préférant éviter d’être trop bavarde là dessus pile avec un civil très civil juste à côté.

“Bien… Pour continuer dans la métaphore filée… C’est la différence entre l’ombre de quelque chose et le quelque chose. C’est savoir comment est le monde plutôt que juste en avoir la description… ”

Pourtant, quelque chose lui fait froncer les sourcils et s’interrompre. Vu le blog que ‘Nami tient, elle doit déjà être au courant de tout ça, non ?

“Enfin, tu dois déjà en avoir une bonne idée… Vu ce que tu écris, quand même…? C’est pas donné à tout le monde d’être aussi précis sur…. Tout ça. Tu t’en sors comment pour les infos ?”

L’ambiance était devenue plus pesante. À qui la faute, hein ? ‘Nami sentait la tension monter –  autour d’elle mais surtout en elle. Maud était plus vive, animée par une fougue qui lui était familière. Ses paroles résonnait avec les idéaux de la journaliste. De la passion, du dépit, de l’impuissance – tant d’émotions avec lesquelles elle jonglait en permanence. Elle était une de ces civils, une de ces ignorantes qui commençait à peine à effleurer les parois. Elle avait pris conscience des ombres, elle avait laissé les formes obscures l’envoûter et n’attendait que de voir l’origine de ce jeu d’éclat.

Puis la lumière s’éteint d’une phrase.

« Enfin, tu dois déjà en avoir une bonne idée… Vu ce que tu écris. »

La fin se perdit en écho dans sa caverne mentale.

Son regard parcourait la salle, à la recherche d’une ancre, d’une étincelle qui réveillerait son instinct. Des gens étaient partis, d’autres étaient rentrés. Qui ? Combien ? Dehors la pluie s’intensifiait et une flaque s’était formée sous les parapluies de l’entrée. Elle est vraiment jeune. Un chat s’essayait à tremper sa patte pour dompter ce phénomène étrange. Oh, le chat, c’est vrai ! Comme réanimée, sa main eu un geste trop brusque, trop crispé. Son compagnon gris y répondit par un coup de griffe avant de partir vers la flaque, mécontent. Un lot de perle rouge commença à scintiller le long de son bras. Un rouge semblable à la diode qui se rappelait avec insistance en périphérie de son regard. J’ai vraiment tout raté.

Elle avait négligé le chat. Elle avait négligé son portable.
Elle avait négligé ses tripes.

« Tu… »

Sa voix, sa main, sa confiance, tremblantes. Elle saisit son téléphone, tâchant au passage la table d’une traînée écarlate. Elle rate une première fois son geste, déverrouille au second. Parmi la masse de notifications, il n’y en a qu’une qui l’intéresse. Elle flashe comme une évidence – ponctuée d’un smiley narquois. C’était évident, non ?

Chalon de Discussion a écrit:

DefinitelyNotAWitch : Tu...

Ces années à observer sa plume, experte, détaillée – cynique. Ces mois à échanger quelques mots, intéressés, passionnés – anonymes. Ces semaines de messages pour se rapprocher, joueurs, ambigus – trompeurs.

La conclusion s’imposa d’elle-même, tout s’effondrait.
Alors elle sauta aussi.

« Tu n’es pas Aube. »

Fin de l’enregistrement. Patientez un instant...

Elle venait de clore une danse étrange. Deux inconnues qui se tournaient autour, se révélant par instant pour mieux séduire leur partenaire. Un échange où chacune voulait voulait capturer l’autre dans ses filets. Et où déjà elle avait senti tout s’échapper – elle n’avait jamais su danser. Et maintenant que tout tombait en pièce, elle voyait enfin le reflet des ficelles. Aube, qui distillait les secrets de ce monde, qui portait ce monde d’ombre comme un seconde peau. Aube, marionnettiste de l’information, à manipuler jusqu’à sa fan la plus dévouée.

Mais pourquoi, Aube, pourqu-… ? Oh. Ohh !

Chalon de Discussion a écrit:

DefinitelyNotAWitch : Merci.

Reprenons.
Non. Recommençons !

« Je suis ‘Nami Hergalt. Journaliste professionnelle et lectrice assidue de l’Aube d’un nouveau Monde. »

Elle tendit la main, encore visiblement hésitante. Elle se sentait comme une prisonnière des ténèbres qui s’apprêtait à faire son entrée dans la lumière. Elle allait certainement être aveuglée au début. Alors s’il-te-plaît, guide moi dans ce nouveau monde.

Marie-Malaury la fixe, un frisson désagréable remonte le long de son échine. Elle a été piégée. Reste à savoir si ‘Nami, en face d’elle, l’a également été ou non.

Elle sursaute pourtant quand la jeune femme en face d’elle se fait griffer et, par réflexe, sort un mouchoir jetable de son sac à mains et le tend. Elle attend, tendue, dupée. Reste à savoir par qui, et l’accusation lui fait pincer les lèvres.

“Toi non plus.”

Elles en sont au même point.

Aube, qui que ce soit, les a amenées là, pour une raison qui lui est propre, et gère ce quiproquo. Quelqu’un encore présent, qui peut profiter de la scène. Comprendre ses buts. Gérer ‘Nami, à qui elle a déjà dit trop de choses… Il faut faire un choix, prioriser.

Quand la main se tend, Mal la fixe un instant. Elle sait que la suite ne sera, de toute façon, pas anodine pour ‘Nami. Qu’elle a, elle, un choix à faire qui ne la regarde qu’elle. Pas l’Ordre, pas l’Etoile, rien qu’elle. Elle accepte les conséquences au moment où elle sourit et attrape la main. Sa poigne est assurée contrairement à celle de la journaliste. Elle sera peut-être son Ordo ab chao, peut-être l’inverse.

“Marie-Malaury de Brunelle. Chevalier de l’Ordre de l’Aube et membre de l’Etoile du soir. A partir de maintenant, j’ai besoin que tu me promettes que rien de ce que nous échangerons n’apparaîtra dans un journal ou quoi que ce soit.”

C’est important si elle veut éviter de se faire taper sur les doigts, mais aussi pour que ‘Nami soit protégée, au moins un peu. Elle ne relâche pas la main tout de suite, la repose sur la table, vers le haut, pour que la blessure soit en évidence. Dans son sac, elle récupère un petit flacon ; on pourrait croire à un genre de gel hydroalcoolique un peu chic, dans une bouteille sans nom. Elle en verse sur un mouchoir propre, passe la potion de guérison sur la plaie, tamponnant doucement pour faire disparaître celle-ci. Elle ne devrait pas, mais elle veut prouver ses dires, montrer patte “blanche”.

“L’éclat d’il y a 12 ans, c’était l’Etoile. J’étais trop jeune pour y participer directement, mais j’ai toujours estimé que c’était une bonne idée, tout révéler au grand public, vivre avec les créatures… On peut décrire ça comme mon idéal. L’Ordre, lui, cherche à enfermer les créatures magiques dans des réserves, aussi bien pour les “protéger” que protéger les humains.”

Mouais. On ne met en réserve que les pauvres bestioles que l’humain n’est pas capable de respecter. Mais ça, elle le garde pour elle pour l’instant. Elle finit de tamponner, range le tout, attend que la petite blessure disparaisse d’elle-même.

“Autant dire que les deux ne sont pas super copains.”

Rentrer dans les détails ? C’est déjà beaucoup d’un coup, autant éviter. Si ‘Nami ne s’est pas enfuie dans les prochaines minutes, pourtant, elle prévoit de lui offrir un “bonbon magique” et un tour dans Paris. A l’aller, elle a croisé un clochard-gobelin, un gros lavellan, de quoi aller avec l’aura de romantisme exotique de la capitale française. Elles trouveront bien d’autres choses...

Et après… Après, elle va laisser derrière elle quelqu’un qui sait et qui se retrouve impuissant ? Non. Définitivement, non. A présent qu’elle s’est dévoilée, elle assumera, portera, fièrement son acte - de folie, bravade face à une situation qui l’étouffe de plus en plus ? - jusqu’au bout. Si elle doit se faire juger pour ça, avoir des ennuis, elle gardera le menton haut. C’est sa liberté qui s’exprime, et elle y tient plus qu’à tout.

“L’Ordre m’a envoyé ici recruter potentiellement le blogueur. J’avais rendez-vous ici… Et toi ?”

Un hochement de tête.
C’est tout ce que ça lui aura demandé.
Un hochement de tête, et l’explosion de lumière s’initia. Magie !

Il y a un instant, elle voyait sa confiance s’effondrer ; maintenant, c’était son monde entier. Et ça l’enivrait. Tout semblait se perdre, tous ces concepts rassurants de science, de normalité… de réalité. Qu’ils volent en éclat – pour une seconde fois. Une épiphanie personnelle sur la vérité de ce monde. Et une pluie d’étoiles filantes qui s’écrasent à ses côtés : Ordre, Aube, Chevalier, Créatures et Magie. Magie !

Elle observait de près son bras.  Elle n’était pas étrangère à ce genre de plaies, à leur douleur stridente sur le moment, et à la fine ligne brune qui resterait quelques semaines. Mais rien. Littéralement plus rien. Elle observait son bras pâle et n’y voyait qu’un dédale de veines bleues, parfaitement indemnes. Elle dû se pincer pour s’assurer de ne pas rêver, vérifier que ce n’était pas qu’un maquillage insensibilisant. Aïe. Par quelle sorcellerie ? Magie !

Elle ne comprenait pas tout, elle planait. Mais de sa position, elle voyait que tout prenait place dans un puzzle chaotique grandiose bâti sur les ruines d’un ancien monde. Elle n’avait pas encore cerné ces groupes aux noms clichés, mais il y avait au milieu de tout ça une évidence claire. Marie-Malaury de Brunelle. Elle s’alignait parfaitement avec ses idées. Elles étaient à elles-deux la continuité physique de ce blog d’une autre époque – cette volonté d’informer, d’ouvrir les yeux d’un monde ignorant sur l’infinité de leur méprise.

« Je… Je n’ai pas tout compris à ce que tu dis. Je venais initialement pour un entretien exclusif avec Aube – le genre d’occasion où ma plume et ses infos auraient attiré les vues en ces temps troublés. Iel m’a guidée ici et maintenant je sais que je n’aurai pas mon article – qu’il n’a jamais existé que dans mes rêves. »

Avait-ce encore une quelconque importance ? Elle balaierait les conséquences officielles d’un revers de la main, elle trouvera autre chose – si elle avait du souci à se faire à chaque fois qu’une source la plantait, elle n’aurait pas vécu longtemps dans le milieu. Au moins n’avait-elle pas perdu son temps cette fois.

« Tu le disais tout à l’heure, nous avons encore tout le temps du monde devant nous. Que dirais-tu qu’on continue cette échange ailleurs ? »

Elle sortit un billet au même moment, qu’elle laissa dans la coupelle. Cela suffirait, la monnaie irait à l’inconnu·e qui les a servies. Marie-Malaury acquiesça et alla payer par carte au comptoir. ‘Nami se prépara à partir, elle passa une dernière fois la main sur son poignet ; en dépit de l’absence de plaie, elle n’oublierait pas – le chat non plus, visiblement.

L’instant suivant, elles étaient dehors.

La pluie se faisait timide, mais peu de gens se risquaient encore à mettre le nez dehors. Elles allaient avoir les rues de Paris et leurs mystères pour elles seules. Cette pensée la rendait rayonnante. Elle jeta un dernier coup d’œil à sa messagerie avant de se laisser entraîner par sa nouvelle camarade.

Chalon de Discussion a écrit:

Aube : C’était un plaisir !
Aube : Merci à toi pour le pourboire ;)
> Aube a quitté le chat.

Cette dernière remarque lui laissa un sourire bienveillant. Elle n’avait pas besoin de plus, elle ne ferait pas marche arrière maintenant.
Pour elle, enfin le soleil se levait.