Adossé sur le mur, sourcil finement haussé, Jade écoutait le discours de ses supérieurs. Ainsi, elle serait enseignante d'anglais, hein ? Bah, pourquoi pas. Elle espérait juste réussir à mettre son impatience et sa maladresse en cage le temps de sa mission. Grognant, elle se passa la main dans les cheveux, légèrement embêtée de la situation. Mais bon, qu'y pouvait-elle, hein ? Secouant la tête, elle prit son ordre de mission et sortit du bureau, elle la lirait en chemin.

Blablabla... se renseigner sur les autres enseignants... blablabla... interroger subtilement le personnel... blablabla...

Attendez, quoi ? Interroger subtilement ? Y'a comme une buse dans le placard là. Elle ? Subtile ? Y'a une couille dans le pâtée. Mais elle est JAMAIS subtile. Elle fera comment en plus, pour se foutre un filtre entre son cerveau et sa bouche, alors qu'elle dit tout ce qu'elle pense ? Elle sent déjà la catastrophe arriver. Gémissant de dépit, elle rangea son ordre de mission dans sa poche et accéléra le pas, direction River High Stone... euh non, Stone High River... euh non c'pas ça non plus. Jurant en latin, elle sortit l'ordre de mission et jeta un oeil sur le lieu de l'endroit... AH VOILÀ, River Stone High.

Seulement, arrivée devant l'établissement, Jade resta sceptique. C'était.. ça, River Stone High ? C'était... moche. Soufflant et se frottant le visage, elle haussa les épaules en se disant qu'après tout, les goûts et les couleurs hein... Ricanant toute seule devant son idiotie, elle secoua la tête de dépit et se précipita vers sa classe, feuille de cours en main.

- Hmm, alors, 301... 301... 301... 301.. Oh bon sang, mais il est putain de long ce couloir.

Marmonnant dans sa barbe -inexistante, précisons-le-, Jade continuait de regarder les étiquettes au-dessus des portes, c'est sans doute pourquoi elle ne vit pas le tournant et qu'elle se prit le mur en pleine tronche.

- Mais AIEUH, t'aurais pu te pousser toi, bordel de mur de sa mère.

Un éclat de rire retentit et, gênée, elle se retourna, se retrouvant face à un petit groupe d'élèves. Embarrassée, les joues rouges, Jade se frotta légèrement la nuque avant de reprendre son chemin, le pas légèrement plus rapide qu'avant. Puis, finalement, le saint graal... La sainte porte... Oui bon ok elle exagère. Elle posa la main sur la poignée et tira... tira... sauf que bon, comme l'établissement il était vieux -plus que son grand-père elle en était sûre- bah la porte elle était coincée. Foutant son horaire sous son bras, elle fit la grimace alors qu'elle forçait comme une forcenée pour ouvrir la porte, mais rien à faire. Alors qu'elle allait hurler de rage, elle aperçut un tout petit détail qui faisait la différence. En fait, la porte s'ouvrait à l'anglaise et pas à la japonaise. Se frappant le front du plat de la paume, embarrassée, elle vérifia rapidement qu'elle était seule avant d'entrer en classe... et de se prendre un sceau en pleine tronche.

Une veine battant sa tempe, Jade leva tout doucement la tête vers sa future victi... vers la personne qui lui avait lancée ce missile et, un rictus diabolique aux lèvres, chargea.

- Bien bien bien, mais qu'avons-nous là ? Hahaha, mais jeune homme, vous allez me faire le plaisir de venir devant toooooute la classe et de me dire la totalité de la page 32 de votre manuel d'anglais.

Sadique, elle ? Mais paaaas du tout -surtout en sachant que cette page en question parlait d'amour et d'eau fraîche-. Se dirigeant vers son bureau, elle laissa son élève lire le poème entier avant qu'un rire éclate dans la salle, faisant limite trembler les murs par sa force. Secouant la tête de rire, elle lui dit d'aller se rasseoir et celui-ci s'y précipita, le rouge aux joues. Un grand sourire aux lèvres, elle se tourna vers la classe et, de sa voix à l'accent légèrement prononcé, se présenta.

- Bien, après cet interlude... humoristique, laissez-moi me présenter. Je suis Jade White et je serai votre enseignante d'anglais le reste de votre scolarité. Je suis sadique et je sais repérer les tricheurs, donc m'faites pas chier car ça va chauffer. Des questions ? Non ? Bien, ont commence. Sortez votre livre et aller à la page 10, s'il vous plait.

C'est ainsi que les heures défilèrent tout doucement. Plus le temps se rapprochait de midi et plus les estomacs grondaient dans la salle de classe. Même celui de Jade avait commencé à le faire... non mais c'est qu'elle avait faim putain, elle en crevait presque. Soufflant, elle jeta un oeil désespéré à l'horloge et un cri de joie lui échappa en voyant qu'il restait deux minutes.

- Bien, vous pouvez ranger vos affaires, les jeunes. C'est bientôt l'heure d'aller manger, profitez-en, vous pouvez partir.

Elle était gentille, non ? -oui bon ok, c'est plutôt qu'elle crevait la dalle et que plus vite ils crissaient le camps, plus vite elle pouvait aller bouffer-. Soufflant, elle se releva -ayant l'air dans le même temps d'une p'tite vieille- et se dirigea vers la porte, boite à lunch en main. Arrivée dans la salle des profs, personne en vue. Génial, elle allait pouvoir profiter seule de la à manger. Profitant du calme, elle sortit son plat de la boite et le plaça au micro-onde 3 minutes. Le temps que celui-ci chauffait, Jade tapotait doucement la table de ses doigts, en rythme avec une musique imaginaire. Alors que le micro-onde bipait, annonçant qu'elle allait enfin pouvoir se remplir la panse, quelqu'un poussa la porte et pénétra dans les entrailles de l'école. Relevant doucement la tête, elle darda le nouvel arrivant d'un regard calme avant de replonger son regard dans son plat. C'est pas pour dire mais elle crevait sérieusement de faim bordel. Un gémissement extatique lui échappa en prenant une bouchée de celui-ci. C'était pas le paradis, mais elle avait tellement la dalle qu'elle boufferait n'importe quoi.

Quand elle passait les trois premières périodes de la journée à enseigner, Victoria avait tendance à s’oublier. C’était comparable à la méthode plaster : on fait tout en un seul souffle pour ne pas ressentir la pression et la douleur qui rattraperait immanquablement, tout d’un coup, à la fin. Ainsi, quand la cloche du diner sonne enfin, Victoria s’affaisse dans sa chaise tournante et réalise qu’elle a mal aux pieds. Quand elle sort le talon de son escarpin, elle voit une nouvelle ampoule qui se forme en dessous de la peau abimée par la précédente. Elle soupire et y pose un pansement avant de se diriger vers la salle de bain, parce que sa vessie menaçait aussi d’exploser. Une fois dans la cabine, elle remarque, Ô joie, qu’elle a commencé ses règles sans protection hygiénique à portée de main. Elle voit aussi, sur sa cuisse, une mauvaise ecchymose dont elle a oublié l’origine. C’est pendant qu’elle se lave les mains qu’elle se souvient s’être douloureusement cogné la cuisse contre un pupitre, le jour précédent, sans jamais s’être arrêtée de marcher parce que des élèves l’attendaient avec la main levée.

Dans la marée d’élèves en route vers la cantine, elle se fait bousculer et réprime les pensées meurtrières qui lui viennent en tête…et qui seraient si faciles à réaliser. À en croire l’expression qui se décompose sur son visage quand elle le foudroie du regard, l’élève responsable doit quand même percevoir le fonde de sa pensée.

Danaé n’est pas à son bureau quand elle passe enfin à l’infirmerie, mais heureusement, elle sait où sont cachées les serviettes hygiéniques parce que Cy était devenu plus cramoisi que le fond de ses sous-vêtements quand il les avait vues dans la besace en cuir cachée dans l’armoire.

Maintenant, il ne restait qu’à calmer la faim qui lui tiraillait le ventre – en plus des crampes féminines – et ce, en retournant à la salle des enseignantes, à l’autre bout de l’école. Quand elle entre dans la pièce, elle est assaillie par l’odeur de la nourriture, assez pour la faire gémir d’appréciation et d’anticipation à l’idée de son propre repas à venir. Dans le réfrigérateur l’attendait un délicieux riz aux légumes, des noix, des petits fruits et une trempette au chocolat. Toutefois, quand elle ouvre son plat afin de le mettre au microonde, elle découvre avec horreur que la moitié de son riz était manquant, et dans son sac, manquait aussi la moitié de son dessert.

Elle jure en italien.

Le microonde se met quand même à gronder, comme la rage dans sa poitrine.

- Le voleur de bouffe a encore frappé.

Dit-elle haut et fort, sans pour autant se retourner vers la seule collègue présente. Heureusement pour celle-ci, les effluves de son repas, bien différents de ceux de son riz, l’innocentaient au nez de Victoria. Et de toute façon, elle était certaine que c’était un homme. La bêtise de se penser ainsi au centre du monde avait un genre.

- Tu as eu de la chance cette fois… Commence-t-elle en se tournant vaguement vers Jade, mais si tu as peur d’être la prochaine victime, on peut essayer de trouver un plan pour le dissuader définitivement.

Victoria sourit, mais ses dents brillent entre ses lèvres avec un éclat prédatorial qui n'avait rien de chaleureux.