« Non. » Vlad en était sur le cul. Certes il avait débarqué en trombe sans prévenir dans le bureau du capitaine et avait légèrement manqué d'amabilité quand il avait demandé à être assigné à cette mission, mais c'était pas une raison pour recevoir un refus aussi catégorique ! Le capitaine ne daigna même pas relever les yeux du document qu'il était en train de lire.
« Tu es trop... dissipé pour ce travail. Et il y a déjà bien assez de membres déployés sur place.
– Allez quoi ! Vous savez que les missions sous couverture c'est ma came ! Et j'ai jamais mis les pieds dans un lycée, c'est un fantasme de gosse !
– Je me moque éperdument de ce qui peut être ta "came". Je n'ai aucun intérêt à t'envoyer là-bas. » Vlad plissa les yeux derrière ses lunettes de soleil. Ce type a toujours été un sombre connard mais c'était bien pire depuis qu'il était devenu capitaine. Le seul moyen qu'il avait de le convaincre c'était de lui proposer quelque chose en échange. « Alleeez boss ! Et après ça j'accepterais toutes les missions pourries dont personne ne veut ! » Le capitaine leva enfin les yeux de ses documents pour fixer le chevalier. « Même... » Vlad avala sa salive. Ils pensaient tous les deux à la même chose. « Même ça. » Une lueur sadique sembla briller un instant dans le regard impassible du capitaine. Le chevalier avait peut-être répondu un peu trop impulsivement. Quelque part dans le sanctuaire résidait une créature magique ancestrale : une vache sacrée originaire d'Inde du nom de Gao Mata. C'était une créature sage et docile, pourtant son nom inspirait la terreur aux résidents d'Old Fyre. Voyez-vous, Gao Mata mangeait beaucoup mais était très lente à la digestion. Il lui fallait très exactement une décennie pour évacuer toute la nourriture qu'elle avait ingéré pendant ce laps de temps. Quand cela se produisait, c'était une littéralement une avalanche de bouse qui se déversait. Cette immense quantité de déjections empestait tant que certains avaient perdu connaissance en tentant de le la nettoyer. Personne, absolument PERSONNE ne voulait jamais s'en charger. C'était généralement une punition ou un bizutage pour les nouveaux chevaliers encore naïfs. La prochaine "évacuation" était prévue pour l'année prochaine et le capitaine serait forcément intéressé par n'importe qui se portant volontaire pour cette mission suicide. C'était cher payé, mais Vlad voulait VRAIMENT cette assignation au Canada.

Après quelques instants de réflexion, le boss poussa un soupir. « Il y aura plusieurs conditions pour que j'accepte. » Vlad poussa une exclamation de joie. « Réfrène un peu tes ardeurs. Ce serait trop long de te dicter toutes les restrictions que je vais t'imposer, alors j'écrirais une liste que tu signeras. Ca commencera par "Ne pas pousser les élèves à des actes criminels". » Le Roumain mit une main sur son corps dans une position indignée. « Enfin, boss ! Jamais je n'oserais ! » Le grand chef le toisa d'un air menaçant. « Et la deuxième condition sera de ne plus jamais m'appeler boss. C'est capitaine. On n'est pas dans un gang ici. » Le chevalier fit un salut militaire formel. « Comme vous voudrez bo...cap'taine ! » Si ça pouvait lui faire plaisir ! « Oh, encore une chose. On a recruté de nouveaux membres pendant ta dernière assignation. Tu vas emmener l'un d'eux avec toi. Elle est un peu... particulière. » Vlad haussa les épaules. C'était pas un problème, il aimait bien la bleusaille ! Le capitaine se remit à son travail et le congédia d'un bref hochement de tête. Il tourna les talons pour quitter le bureau avec la dérangeante impression de s'être fait avoir.

***

Professeur. Professeur Seară. Vlad trouvait ce titre tout à fait hilarant. Lui qui avait arrêté l'école à 14 ans, il trouvait ça hautement ironique que la première fois qu'il se retrouve dans un lycée ce soit en tant qu'enseignant. Il n'avait aucune connaissance en matière de théâtre mais comme il était arrivé avec du retard sur le début de l'année scolaire il n'avait pas vraiment eu l'embarras du choix. Mais ça ne devrait pas être bien compliqué. Après tout il était doué pour jouer la comédie ! Et puis il s'était longuement préparé pour cette mission : il avait vu l'intégrale de Higschool Musical ainsi que toute une pléthore de films et de séries américaines qui se passaient dans des lycées ! Aujourd'hui serait sa première journée en tant qu'enseignant des arts dramatiques. Il avait un bon pressentiment, ça allait être super fun ! Il était supposé prendre le relais d'un vieux prof' qui avait dû prendre une retraite anticipée "pour raisons de santé". Son prédécesseur lui avait laissé une pile monstre de documents à lire sur le projet qu'il avait commencé à mettre en place avec les élèves de cette année. Quand Vlad a commencé à consulter ces dossiers il a très vite remarqué un problème : c'était chiant, mais CHIANT ! PUTAIN COMME C'ÉTAIT CHIANT ! Du coup, il a tout balancé. C'est pas grave, il improviserait !

Pour son premier jour il s'était pointé dans la salle de théâtre avec énormément d'avance par rapport à son premier cours. Ils avaient décidé avec Lorelei d'en profiter pour faire une première reconnaissance dans le lycée. Lorelei, c'était la recrue que le capitaine lui avait collé. Ils n'avaient pas vraiment eu le temps de faire connaissance. Il ne savait pas grand chose d'elle, même pas son nom de famille. Mais elle avait l'air sympa, bien qu'un peu bizarre ! Ils étaient supposés se rejoindre dans cette salle. Sauf que fait incroyable : Vlad était arrivé largement en premier, il faudrait qu'il note ce jour d'une croix rouge. Ce n'était pas dans ses habitudes, mais avec son sens de l'orientation merdique il avait eu peur de se perdre en venant ici. Sauf que par miracle il avait trouvé son chemin du premier coup, arrivant très tôt à l'école. Il fit un petit tour de la pièce en l'attendant. C'était une salle de spectacle tout ce qu'il y a de plus classique d'après les films qu'il avait regardé : des rangées de sièges avec une scène modeste au fond de la salle. Il finit par s'installer dans l'un des sièges les pieds posés sur le dossier de la rangée de devant.

Un bruit le réveilla en sursaut. « HEIN ? QU'EST-C'Y S'PASSE ?! » Il tourna la tête dans tous les sens jusqu'à apercevoir Lorelei. « Oh, c'est toi !  Je... me reposais juste un peu les yeux. » dit-il en essuyant la bave de sommeil qui avait coulé sur son menton. Il se releva en tapant des mains. « Alors ? Tes premières impressions sur ce sanctuaire de l'éducation qu'est River Stone Highschool ? »

Lorelei était arrivé à Old Fyre depuis quelque temps maintenant et ne l'avait pas encore quitté. Ce n'était pas vraiment faute de ne pas vouloir partir en missions, mais le capitaine se trouvait plutôt réticent à la laisser partir seule quand elle lui soumettait quelques idées simples pour les résoudre. Le fait est que jusque là, on lui avait surtout demandé son aide pour sa maîtrise des langues magiques lumineuses et ça ne nécessité a priori pas de quitter l'île.

Globalement, elle ne connaissait pas grand monde et n'avait pas vraiment cherché à changer les choses. Mais malgré le peu de dialogue qu'elle échangeait avec son entourage, elle observait beaucoup ce qui tout ce qui se passait autour d’elle et avait ouï-dire que beaucoup de chevalier se rendait sur une même mission.

Après ça, Lorelei était retournée voir le capitaine, pour être aussi assignée à cette mission. Il ne pouvait s'agir que d'une créature magique des plus intéressantes pour qu'autant interviennent en même temps.

Elle avait juste réussi à se faire gentiment renvoyer chez elle après un « oui oui, j'organise ton départ » lui laissant penser qu'une fois de plus elle ne quitterai pas l'île.

Autant dire qu'elle fut plutôt étonnée quand finalement, elle se retrouva au départ pour une école canadienne accompagnée d'un coéquipier. A vrai dire, le capitaine l'avait bien arrangée, toute seule, elle devait bien l'admettre, elle ne serait sans doute pas arrivée à destination.


Si elle avait cru vive une grande aventure pour sa première mission, Lorelei fut vite coupée dans ses illusions. Jamais elle n'aurait pu deviner la lente agonie qu'elle allait vivre en entendant tous ses gosses braire à longueur de journée. Il était maintenant évident pour elle qu'elle abhorrait presque tous ceux qui parcouraient les couloirs de ce lycée.

C'est d'une humeur de chien qu'elle entra dans la salle de théâtre pour rejoindre Vlad. C'était celui qui l'avait emmené dans ce maudit endroit. Elle s'était montrée jusque là plutôt aimable avec lui même si elle n'avait pas beaucoup parlé sur le trajet, au moins elle avait pris la peine de toujours l'écouter. Mais là tout de suite, l'ancienne naïade le détestait un peu, sans doute très injustement. C'était bien elle qui avait voulu venir ici, il n'y était clairement pour rien.

Comme il fallait bien commencer les recherches quelque part, ils avaient décidé ensemble d'examiner la pièce avant qu'il donne son premier cours. Ses pas bruissaient fortement sur le sol en entrant, réveillant ainsi celui qui faisait une sieste sur l'un des sièges et la colère qui obombrait l'humeur de Lorelei disparut aussitôt devant cette scène plus que comique. Vlad était maintenant devant elle, le filet de bave qu'il venait d'essayer sur son menton n'avait pas épargné son haut et elle ricana doucement quelque instant devant la scène.

« On devrait sous doute y mettre le feu, au moins plus de mystère à résoudre » répondit-elle simplement à sa question tout en commençant à faire le tour de la salle de spectacle.

« J'ai proposé d'attacher et bâillonner tous les élèves devant leur chaise pour ne pas avoir besoin de les surveiller, mais je crois que tout le monde a pensé que je faisais une mauvaise blague … Au moins, il apprendrait sans doute quelque chose comme ça ! »

Tout en parlant, Lorelei s’était avancée vers la scène pour tirer le rideau. Ne voulant pas être obligé de se retrouver trop longtemps coincée au milieu de lycéen, elle était bien décidée à arpenter chaque lieu rapidement.

Vos pas résonnent sur la scène comme l'écho lointain de la foule présentement absente.  

Vous avez tiré le grand rideau pourpe :

Au plafond, les anneaux grondent sur la poutre, puis la poussière par gros nuage fuse et puis tombe comme un orage soudain. Le rideau n'ayant pas été ouvert depuis la fin de l'année précédente, l'averse compte saleté, débris, et, plus notablement, une feuille qui virevolte lentement avant de s'échouer au centre de la scène.

Le bout de papier est déchiré, froissé et vieillit, mais vous pouvez clairement voir que les dessins tracés à l'encre n'ont rien à voir avec un exercice scolaire.